[ Nous
publions une traduction de l'article important (quoique
difficile)
de John Kulvicki qui est le seul à faire selon nous une critique sévère mais constructive
de N. Goodman, en y ajoutant une conception novatrice de la transparence et de
la mimesis.
Bien des objections sont levées
dans cet article et des réponses inédites sont apportées qui s'appuient sur une
base opérationnelle pour comprendre la structure de l'image avec celle de ses kinds
— c'est-à-dire des entités sortales qui lui sont corrélatives :
pictures, diagrammes, images radar, images audio ]
Structure d'image
John Kulvicki
Parmi les systèmes représentationnels,
lesquels sont picturaux, et quelles conditions un système représentationnel
doit-il satisfaire pour être pictural ? En quoi les systèmes
picturaux sont-ils
semblables aux systèmes représentationnels diagrammatiques et linguistiques,
par quoi leur sont-ils différents ? Qu'est-ce qui fait de la perspective
linéaire un exemple aussi paradigmatique du système pictural ?
Durant les
trente dernières années, il y a eu deux approches principales pour répondre à
ces questions, dont l'une l'emporte très clairement. Elle demeure le meilleur
moyen de comprendre ce qui fait qu’une représentation peut être dite picturale
en termes de faits relatifs à la façon dont on la perçoit, en raison des
expériences qu’elle est disposée à susciter, etc.[i] Les explications perceptuelles sont une façon assez plausible de
traiter les questions exposées ci-dessus, et celles à venir, pour un certain
nombre de motifs. Premièrement, les systèmes représentationnels sont des
artefacts humains qui partagent indubitablement des relations significatives
avec leur auteur. Deuxièmement, les images sont bien des sortes de
représentations enrichies par leur perception. Evidemment, nous percevons
toutes les représentations que nous rencontrons, picturales ou autres, mais
intuitivement on pense que ce que sont les images dépend essentiellement de la
façon dont on peut les percevoir. Il y a plusieurs faits intéressants concernant
la perception des images, et les théoriciens perceptualistes tentent de montrer
que ce qu’une représentation picturale est
peut être défini, du moins en partie, relativement à ces mêmes faits.
En outre, les explications perceptuelles
ont tendance à prendre au moins certains des traits caractéristiques (features)
des images tantôt comme explananda,
tantôt comme explanans[ii]. Les images sont une forme de représentation essentiellement
visuelle en ceci que les images doivent être vues pour être comprises et qu'on
ne peut jamais dépeindre que ce qui peut être vu. De plus, tout ce qui est
dépeint l'est depuis un certain point de vue, bien qu'il puisse être souvent
difficile de déterminer ce dernier. Troisièmement, les contenus des images sont
nécessairement extrêmement déterminés, d'autant plus lorsqu'on les compare avec
les contenus de descriptions et autres sortes de représentations linguistiques.
Par exemple, bien qu'on puisse décrire un objet comme étant carré sans rien
dire de plus déterminé à son sujet, toute dépiction d'un objet comme étant
carré le dépeint souvent aussi comme ayant une couleur, une luminosité, une
orientation vis-à-vis d'autres objets, etc. Et quatrièmement, il y a une
relation étroite entre la capacité à reconnaître et identifier un objet et
celle qui permet de comprendre les images de cet objet. Cette relation est
souvent expliquée en termes de similarité des expériences provoquées par les
images et leurs objets : des similarités expérimentées entre les images et
leurs objets, ou bien par une mobilisation des mêmes ressources perceptuelles
en identifiant les images et leurs objets.
Une approche alternative, celle
privilégiée ici, cherche à différencier le cas pictural des autres
représentations en termes de caractéristiques structurelles des systèmes
auxquels elles appartiennent. Ce qui est crucial pour comprendre ce que sont
les images, selon cette approche, est de savoir comment les images sont reliées
entre elles syntaxiquement et sémantiquement dans un système. Nelson Goodman en
fut le principal partisan : pourtant, bien que son travail ait alimenté
beaucoup de discussions, il trouva peu d'adeptes[iii]. Une raison importante à cela est que sa théorie échoue à capturer
et à s'accommoder à nos intuitions concernant ce que sont les images, comme les
explications perceptuelles y parviennent. Puisque les explications
structurelles ne s'articulent pas en termes de faits perceptuels, elles ne
convoquent pas directement nos intuitions quant à la perception des images, et
cela concerne particulièrement celle de Goodman, qui classe beaucoup de
systèmes comme étant picturaux malgré de fortes contre-intuitions. Par
ailleurs, Goodman était résolument opposé à l'affirmation intuitivement
séduisante qui veut que similarité et ressemblance jouent un rôle
sémantiquement significatif dans la représentation picturale.
En revanche, aucune invraisemblance
associée à l'explication de Goodman ne devrait être comprise comme une
justification des approches perceptuelles à ce problème. Dans la mesure où de
telles explications se concentrent sur la perception des images, elles risquent
d'omettre la possibilité que les images
et les pictures[iv]
puissent constituer une forme structurelle intéressante de système
représentationnel. Il s'ensuit quatre conditions structurelles nécessaires et
suffisantes pour qu'un système représentationnel soit pictural : saturation relative, sensibilité syntaxique relative,
richesse sémantique, et transparence. Ces conditions ne caractérisent pas
seulement les systèmes picturaux ; plus généralement, elles servent aussi de
cadre dans lequel les systèmes représentationnels peuvent être distingués
structurellement les uns des autres. Une telle explication embrasse des
intuitions concernant les systèmes représentationnels picturaux d'une façon
plus satisfaisante que ne le fait Goodman, en y incluant la façon dont la
similarité peut être pertinente pour la sémantique des images. En dépit de ce
que cette explication conclut qu'être une image a très peu à voir avec la
manière dont on peut percevoir une représentation, que les images ne sont pas
une forme de représentation essentiellement visuelle (nous utilisons en effet
des images audio tous les jours), que les images n'ont pas besoin de dépeindre
à partir d'un point de vue, et que les images dépeignent en fait des états de
chose assez indéterminés, cette explication reste tout à fait plausible.
Appréhender le sujet de cette façon a
l’avantage d’offrir une nouvelle perspective sur le fait que les images
semblent avoir une identité sortale perceptuelle très spécifique. Si nous
pouvons comprendre le fait d'être une représentation picturale indépendamment
de la manière dont une telle représentation est perçue, alors nous devons nous
demander pourquoi cette identité sortale structurelle semble former une espèce
perceptuelle aussi spécifique. Une réponse séduisante est que nos systèmes
perceptuels utilisent des espèces sortales de représentations structurellement
similaires. En neuroscience cognitive et en philosophie de la psychologie, il
est d'opinion commune que les systèmes visuels, auditifs et somatosensoriels,
utilisent des représentations "imagistiques" (imagistic representations). Sans une explication de ce qui fait
qu'une représentation est une image, de telles affirmations ne peuvent tout
simplement pas entrer en ligne de compte. En outre, les explications
perceptuelles de ce qui fait qu'une représentation est une image sont, dans ce
contexte, sans aucune portée, puisqu'elles utilisent les faits perceptuels
comme explanans. Etant admis que nous
ne percevons pas nos états mentaux dans des circonstances normales, il ne
s'agit pas de faits relatifs à la façon dont on les perçoit qui les rendraient
"imagistiques", d'où nôtre intérêt pour une approche structurelle des
images.
I. Les systèmes représentationnels et les
propriétés syntaxiquement pertinentes.
Afin de fournir les conditions
structurelles qui distinguent les systèmes représentationnels picturaux, il est
important d'avoir une explication générale de ce qu'est un système
représentationnel. Dans chaque système il y a un ensemble d'objets physiques
possibles qui comptent comme des représentations
de marques ou d'occurrences (token
representations). Ces objets sont regroupés sous des types orthographiques
et sous des types syntaxiques. En général, si deux objets diffèrent
syntaxiquement, alors ils diffèrent orthographiquement. Les cas d'ambiguïté
authentique — par exemple les mots "banque", "minute", et
"stylo" — sont des types orthographiques assignés à plus d'un type
syntaxique tandis que chaque type syntaxique est assigné à un type sémantique
différent. En langage formalisé, toute différence dans la syntaxe est marquée
par des différences orthographiques, et, par souci de simplification,
j'affirme que dans les systèmes représentationnels les différences de type
orthographique correspondent généralement aux différences de type syntaxique.
Les complications introduites par les cas d'ambiguïté ne sont pas importantes
au vu des objectifs de cet article. Enfin, toutes les représentations syntaxiquement
identiques sont sémantiquement identiques, bien que (à l'inverse) les
représentations sémantiquement identiques n'aient pas besoin de l'être
syntaxiquement.
Admettons que les propriétés syntaxiquement pertinentes des marques ou occurrences (token) d'un certain système de
représentation soient ces propriétés sur lesquelles se fondent les identités
syntaxiques/orthographiques. Changer l'identité syntaxique d'une marque
requiert une modification des instanciations de ses propriétés syntaxiquement
pertinentes, bien qu'on puisse changer les propriétés syntaxiquement
pertinentes d'une marque sans affecter son identité syntaxique. La forme, par
exemple, est une propriété syntaxiquement pertinente pour la plupart des
alphabets. On peut changer la forme d'une lettre sans altérer son identité
syntaxique, mais si on veut changer l'identité syntaxique d'une lettre, on doit
modifier sa forme. Par exemple, deux marques d'une certaine lettre tracée par
deux mains différentes sont très différentes du point de vue de l'instanciation
de leurs propriétés syntaxiquement pertinentes. Pourtant, plusieurs propriétés
de inscription d'une lettre, comme sa masse et sa composition chimique, ne sont
pas syntaxiquement pertinentes, puisque de telles propriétés n'ont rien à voir avec
son identité syntaxique. Les propriétés syntaxiquement pertinentes sont les
conditions préalables nécessaires pour les applications possibles des
différentes propriétés d'un ordre supérieur, comme le fait déjà d'avoir un
certain type syntaxique. Pour les images, la forme et la couleur de chaque
parcelle de la surface de l'image sont importantes. Tout changement au niveau
de telles propriétés peut entraîner une modification de l'identité syntaxique
de l'image[v].
Une caractérisation
complète des propriétés syntaxiquement pertinentes d'un système est un
ensemble de propriétés en nombre suffisant pour constituer une base de
survenance pour les identités syntaxiques de toutes les marques possibles du
système. Pour un alphabet, l'ensemble des formes déterminées dans le plan est
une caractérisation complète des propriétés syntaxiquement pertinentes, puisque
l'identité de toute marque de lettre survient sur sa forme. Les
caractérisations incomplètes de propriétés syntaxiquement pertinentes sont
celles qui sont insuffisantes selon la définition indiquée ci-dessus. Par
exemple, être carré, être circulaire, et avoir des angles n'est pas une
caractérisation complète pour un alphabet puisque les représentations des
marques pourraient se référer à ces propriétés d'une certaine manière, sans s'y
référer syntaxiquement. Ainsi, une caractérisation complète des propriétés
syntaxiquement pertinentes contient "juste" assez de propriétés pour
constituer une base de survenance, car si un ensemble de propriétés compte comme
une base de survenance, alors cet ensemble s'élargit avec n'importe quelle
autre propriété. Dans la mesure où les ensembles en question sont supposés
inclure uniquement les propriétés syntaxiquement pertinentes, il est préférable d'éviter les ensembles qui incluent
plus de propriétés que nécessaire pour former une base de survenance. Enfin,
les caractérisations complètes des propriétés syntaxiquement pertinentes d'un
système sont généralement des ensembles très larges : il y a, par exemple,
d'innombrables formes déterminées par leur seule projection dans le plan.
De plus, puisque les propriétés
syntaxiquement pertinentes sont des bases de survenance et puisque la
survenance est une relation transitive, n'importe quel système
représentationnel comprend plusieurs caractérisations complètes. Si des
propriétés s'avèrent être nécessaires et suffisantes pour qu'une représentation
de marque instancie un type syntaxique particulier dans un certain système,
alors il y a une caractérisation des propriétés syntaxiquement pertinentes de
ce système telle que toute modification de propriété change l'identité
syntaxique de la marque. D'un autre côté, dans de tels cas, il pourrait y avoir
d'autres caractérisations parfaitement adéquates des propriétés syntaxiquement
pertinentes telles que n'importe quel changement
de celles-ci n'entraîne pas un changement d'identité syntaxique. Deux des
conditions à venir comparent les systèmes représentationnels selon leurs
propriétés syntaxiquement pertinentes, mais, parce qu'il y a plusieurs caractérisations
des propriétés syntaxiquement pertinentes de tout système, les comparaisons
sont faites relativement aux caractérisations que partagent certains des
membres. Si on ne peut caractériser les propriétés syntaxiquement pertinentes
de deux systèmes représentationnels d'une façon telle qu'ils partagent
quelques-uns de ces membres, alors ces systèmes ne sont pas directement
comparables selon les conditions présentées ci-dessous.
II. Saturation relative
La première condition qui distingue les
images des autres sortes de systèmes représentationnels est une version
remaniée et améliorée de celle de Goodman : la saturation relative. L'idée
générale de saturation est qu'il y a plus
de propriétés pertinentes des représentations de marque comptant pour l'identité
syntaxique dans certains systèmes plutôt que dans d'autres. Goodman a tenté
d'expliciter cette idée de la façon, problématique, suivante.[vi] Un système représentationnel A est plus saturé qu'un système représentationnel B seulement s'il y a des caractérisations
complètes des propriétés syntaxiquement pertinentes de A et de B,
respectivement SA et SB, tels que SB est
proprement inclut dans SA. Un bon exemple de Goodman est la
distinction entre diagrammes et images : il y a plus de propriétés pertinentes
pour l'identité d'une image qu'il n'y en a pour l'identité d'un diagramme. Dans
les diagrammes, les formes des lignes dans les espaces à coordonnées
géométriques sont des propriétés syntaxiquement pertinentes, mais souvent, la
couleur du plan et l'épaisseur des lignes ne sont pas pertinentes, tandis que
pour les systèmes picturaux ces mêmes propriétés sont toutes pertinentes. Les
images diffèrent des représentations linguistiques d'une façon similaire.
Puisque les caractérisations des propriétés syntaxiquement pertinentes des
systèmes diagrammatiques et linguistiques sont proprement incluses dans les
caractérisations des propriétés syntaxiquement pertinentes des systèmes
picturaux, les systèmes picturaux sont les plus saturés d'entre eux.
Pourtant, la tentative de Goodman
d'expliciter la notion intuitive de saturation reste problématique,
particulièrement lorsqu'elle est formulée en termes de propriétés
syntaxiquement pertinentes. Considérons le cas où l'intersection de SA
et de SB n'est
identique ni à SA ni à SB, mais où l'intersection est
plus importante pour un ensemble que pour l'autre. Dans un tel cas, il est
toujours raisonnable de caractériser l'un des systèmes comme étant plus saturé
que l'autre. Pourtant, selon la version de Goodman, aucun des systèmes n'est
plus saturé que l'autre, car aucun des ensembles de propriétés syntaxiquement
pertinentes n'est proprement un sous-ensemble de l'autre. Ceci suggère que la
saturation ne devrait pas exiger quelque chose d'aussi restreint que
l'inclusion propre d'un ensemble de propriétés syntaxiquement pertinentes dans
l'autre. En revanche, Goodman a eu raison d'insister sur le fait que les
systèmes ainsi comparés ont quelque chose en commun, c'est-à-dire, que
certaines propriétés syntaxiquement pertinentes devraient à la fois appartenir
à SA et à SB. En d'autres termes, SA ∩ SB ne devrait pas être vide.
Enfin, j'ai fait la remarque plus haut que les caractérisations complètes des
propriétés syntaxiquement pertinentes d'un système sont souvent de très larges
ensembles. Si la saturation doit embrasser l'idée intuitive qu'un système
détient plus de propriétés syntaxiquement pertinentes qu'un autre, alors il
devrait en être de même pour deux systèmes ayant un nombre infini de propriétés
syntaxiquement pertinentes. Ainsi, le système représentationnel A est plus
saturé que le système B seulement si :
(i)
SA ∩ SB n'est pas vide, et
(ii)
La cardinalité de Sa moins (SA ∩ SB) est plus grande que celle de SB moins (SA ∩ SB)
La condition (i) exige seulement que les
systèmes comparés soient caractérisables et caractérisés de façon à partager
des propriétés syntaxiquement pertinentes. Comparer des phonographes avec des
diagrammes est absurde, bien qu'il y ait un sens à comparer des photographies
avec des diagrammes puisque nous pouvons comparer ces derniers en des termes
comparables. La seconde condition traduit l'idée intuitive que le système le
plus saturé est celui dans lequel davantage de propriétés de marques sont
pertinentes pour leurs identités syntaxiques. C'est un peu compliqué pour deux
raisons. Premièrement, nous avons vu plus haut que l'inclusion propre d'un
ensemble dans un autre ne fonctionne pas, et deuxièmement, puisque certains
systèmes représentationnels ont un nombre infini de propriétés syntaxiquement
pertinentes, une comparaison directe des grandeurs de SA et de SB
ne fonctionne pas non plus. D'autre part, si SA ∩ SB est elle-même infiniment grande, alors seulement un nombre fini des
membres demeure lorsque SA ∩ SB est soustraite de SA
et de SB. Ce qui reste du système peut avoir une plus grande
cardinalité que l'autre système, même si ce n'est pas vrai à proprement parlé
pour SA et SB.
Par exemple, imaginons deux systèmes
incluant un nombre infini d'aspects déterminés du plan parmi leurs propriétés
syntaxiquement pertinentes. L'un des systèmes inclut aussi parmi ses propriétés
syntaxiquement pertinentes le fait d'être rouge et d'être vert, tandis que
l'autre inclut le fait d'être orange, mais ni le fait d'être rouge ni le fait
d'être vert. C'est dans l'esprit de la notion de saturation relative de classer
le système qui inclut deux couleurs comme étant plus saturé que l'autre, qui
n'en inclut qu'une, sans quoi ils seraient identiques. Selon Goodman, aucun des
systèmes n'est plus saturé que l'autre, puisqu'aucun ensemble de propriétés
syntaxiquement pertinentes n'est un sous-ensemble de l'autre. De plus, chaque
ensemble de propriétés syntaxiquement pertinentes ayant la même cardinalité, il
est par conséquent inutile de comparer SA et SB
directement. Cependant, les cardinalités des ensembles restants comme dans (ii)
ci-dessus, sont différentes : la cardinalité relative au système qui a deux
couleurs syntaxiquement pertinentes est plus grande que pour celui qui n'en a
qu'une. Si SA et SB ont tous deux un nombre infini
d'éléments qu'ils ne partagent pas,
alors il est parfaitement sensé de dire qu'aucun n'est plus saturé que l'autre.
Cette explication de la saturation respecte ainsi la notion intuitive mieux que
ne le fait Goodman.
III. Sensibilité syntaxique
Avec une telle explication des
propriétés syntaxiquement pertinentes et de la saturation relative, la question
suivante est légitime et non triviale. Quelles sont les modifications de
propriétés syntaxiquement pertinentes à apporter sur une marque dans un certain
système représentationnel qui suffise à changer son identité syntaxique?[vii] Les propriétés syntaxiquement pertinentes sont des bases de
survenance pour les identités syntaxiques des représentations de marques :
elles peuvent donc changer, bien que l'identité syntaxique de la marque ne
change pas. Par exemple, ôter les empâtements ou faire d'autres petites modifications
de la forme d'une inscription de lettre n'altère pas son identité syntaxique,
bien que chaque modification constitue un changement des propriétés
syntaxiquement pertinentes que la lettre instancie. D'autre part, les identités
syntaxiques des images sont moins tolérantes aux changements de propriétés
syntaxiquement pertinentes, nous pouvons donc dire que les images sont plus
sensibles à de tels changements. Les systèmes représentationnels diffèrent les
uns des autres en termes de la sensibilité des identités syntaxiques de leurs
marques (token) aux changements de
propriétés syntaxiquement pertinentes. En général, un système représentationnel
est syntaxiquement plus sensible
qu'un autre si et seulement si les modifications des propriétés syntaxiquement
pertinentes qui suffisent à modifier l'identité syntaxique du second sont
proprement incluses dans celles qui suffisent à modifier d'identité syntaxique
du premier. Plus un système est sensible, moins les identités syntaxiques de
ses représentations de marques sont tolérantes aux changements de propriétés
syntaxiquement pertinentes. (Voir la Figure 1.)
Comment compare-t-on deux systèmes en
vertu de leur sensibilité? En premier lieu, il faut noter que comparer deux
systèmes, A et B, selon leur sensibilité syntaxique concerne les propriétés
syntaxiquement pertinentes que les deux systèmes ont en commun, c'est-à-dire,
celles incluses dans l'ensemble SA∩SB.[viii] Une fois les systèmes correctement caractérisés, imaginons que l'on
regroupe dans chaque système les ensembles des représentations possibles selon
leur type syntaxique, et que pour chaque marque (token) on génère un ensemble de propriétés syntaxiquement
pertinentes qu'il lui arrive de posséder. Le système le moins sensible est
celui avec le plus grand nombre de marques syntaxiquement identiques mais qui
ont des instanciations de propriétés syntaxiquement pertinentes différentes,
appartenant, pour chaque type syntaxique, à SA∩SB. Ainsi, dans le système le
moins sensible, chaque type syntaxique tolère moins de variation dans les
instanciations de propriétés syntaxiquement pertinentes que dans le système
plus sensible. Cette stratégie laisse entrevoir la possibilité qu'il soit assez
difficile de dire, pour quelques paires de systèmes représentationnels, lequel
est le plus sensible syntaxiquement ; et cependant, l'explication de la
sensibilité suscitée suffit à distinguer grossièrement images, diagrammes, et
langages.
Il est à noter que si chaque type
syntaxique d'un système représentationnel détient essentiellement certains
traits (features), alors il y a une
caractérisation des propriétés syntaxiquement pertinentes de ce système telle
que tout changement à leur égard entraîne un changement de l'identité
syntaxique de la marque en question. Par ailleurs, il est raisonnable de penser
qu'il y ait, pour au moins quelques systèmes représentationnels, des
caractéristiques essentielles des types syntaxiques qui soient disjonctives ou vagues,
même si ces caractéristiques sont difficiles à expliciter. Par exemple, on
pourrait probablement parvenir à articuler les conditions nécessaires et
suffisantes pour qu'une lettre soit un "A" bien qu'une telle
caractérisation puisse être compliquée ou disjonctive.
Figure 1. La Sensibilité Syntaxique. La
transformation de la lettre ci-dessus n’affecte pas son identité syntaxique.
Une transformation similaire de l’image (d’une inscription d’une lettre)
affecte son identité syntaxique. Le système pictural est plus sensible que
l’alphabet.
Faisons de
même pour toutes les autres lettres, en incluant seulement ces propriétés
compliquées et disjonctives dans l'ensemble des propriétés syntaxiquement
pertinentes; il en résulte une caractérisation complète des propriétés
syntaxiquement pertinentes du système, telle que tout changement ainsi
caractérisé en elles entraîne un changement de l'identité syntaxique de la
marque (token). Cela signifie-t-il
que les systèmes représentationnels sont tous autant qu'ils sont syntaxiquement
sensibles? Nullement. Le jugement de sensibilité syntaxique relative se fonde
sur les caractérisations des propriétés syntaxiquement pertinentes des
systèmes, lesquels doivent avoir certains membres en commun, et selon les
propriétés syntaxiquement pertinentes qu'ils partagent vraiment : c'est-à-dire
les membres de l'ensemble SA ∩ SB. On peut donc faire plusieurs comparaisons selon la
sensibilité de n'importe quelle paire de systèmes représentationnels. Il est
probable que si deux systèmes représentationnels sont tels qu'au moins une
paire des caractérisations de leurs propriétés syntaxiquement pertinentes soit
une intersection non nulle, alors on peut trouver d'autres caractérisations qui
ont aussi des membres en commun. Ce qui est important pour la sensibilité
syntaxique est qu'il y ait une caractérisation des propriétés syntaxiquement
pertinentes pour chaque système telle qu'ils partagent certains de leurs
membres et qu'ainsi, comme expliqué plus haut, il soit plus sensible que l'autre.
La sensibilité est une notion qui permet
de différencier les images des langages, bien qu'elle ne permette pas de
différencier les images des diagrammes. Les diagrammes sont très proches des
images en fonction de leur sensibilité, puisque changer la forme d'une courbe
d'un graphique, même petite, engendre un diagramme différent. Bien que peu de
propriétés tendent à être pertinentes pour l'identité d'un diagramme comme
elles le sont pour l'identité d'une image, l'identité d'un diagramme est tout
autant sensible aux changements des propriétés qui importent. Les images et les
diagrammes diffèrent en regard de la saturation mais non de la sensibilité,
tandis que les images diffèrent des langages à la fois en regard de la
saturation et de la sensibilité.
IV. Richesse sémantique
En plus de la sensibilité et de la
saturation, une condition simple mais importante que la plupart des systèmes
représentationnels satisfont est la richesse
sémantique. Pour expliquer cela, notons qu'il pourrait y avoir un système représentationnel
syntaxiquement très sensible et saturé qui distribue seulement une poignée de
dénotations parmi ses types syntaxiques possibles. Par exemple, on pourrait
prendre le système qui comprend toutes les images en perspective linéaire, et
néanmoins dire que chaque photographie représente seulement une des quelques
scènes possibles. Malgré l'ensemble riche des types syntaxiques de ce système,
chaque type comprend seulement l'une des quelques dénotations possibles qui lui
sont assignées. Qu'importe la façon dont on décide d'attribuer ces dénotations,
le système n'est pas pictural dans le sens où la richesse de la syntaxe ne
coïncide pas avec une richesse sémantique. La richesse sémantique traduit cette
idée. Un système représentationnel est sémantiquement riche lorsqu'il y a au
moins autant de dénotations possibles que de types syntaxiques dans un système.
Les langages, les diagrammes, et les images satisfont cette condition générale
et grossière, par conséquent cela ne distingue pas les images de ces autres
formes de représentation. Tandis que beaucoup de dénotations sont désignées par
des mots syntaxiquement différents dans une langue, le nombre de dénotations
possibles est au moins aussi grand que le nombre de types syntaxiques. En
général, les systèmes avec une syntaxe très riche ne sont pas idéalement
appropriés pour représenter des classes délimitées d'objets. Par conséquent,
tandis que les systèmes représentationnels sont généralement sémantiquement
riches, cela peut n'être pas toujours le cas.
Un exemple intéressant où la richesse
sémantique est manquante est l'art iconique — un sujet compliqué que je ne peux
que mentionner ici. Dans l'art iconique, il y a au moins deux façons où on
différencie sémantiquement les représentations, l'une est riche, l'autre ne
l'est pas. On peut considérer une icône simplement comme une image, dans le cas
où la sémantique qui lui est associée est riche. Par ailleurs, en assignant
l'image à une espèce iconique, on lui assigne l'une des dénotations possibles
tout à fait limitées, par exemple, une scène ou une autre de la vie des saints.
En ce sens, l'art iconique utilise à la fois des systèmes sémantiques riches et
des systèmes sémantiques pauvres. Notons aussi que le choix d'
"icônes" pour désigner les petits pictogrammes du bureau d'un
ordinateur est tout à fait approprié. Il y a un sens dans lequel ils sont
picturaux, en dépeignant des fichiers, des corbeilles, etc., mais leur utilité
dépend du fait qu'ils choisissent un objet et un seul parmi une classe très
délimitée d'objets.
V. Analogique versus digital
Il est commun dans les discussions sur
ce qui différencie les images des entités linguistiques de se concentrer sur le
fait que les images sont des représentations analogiques, tandis que les
systèmes représentationnels linguistiques, et autres systèmes symboliques, sont
digitaux. En plus de la saturation relative, Goodman n'introduit que deux
conditions supplémentaires — la densité sémantique et syntaxique — qui visent à
cerner l'idée que les images sont analogiques[ix]. Pour Goodman, l'analogicité et la saturation relative capturent
pleinement la structure des représentations picturales. De prime abord, le
problème est que de très nombreuses représentations issues des journaux, de la
télévision, etc., semblent être digitales. De plus, il est excessif d'affirmer
que de telles représentations digitales sont seulement picturales dans la
mesure où on les interprète comme
étant des représentations analogiques[x]. Pouvoir se passer de la densité dépend, bien entendu, de la capacité
des différentes distinctions à atteindre les mêmes buts. Sensibilité et
richesse réalisent justement cela. Contrairement à l'explication de Goodman,
saturation, sensibilité et richesse s'accommodent aisément de l'affirmation
qu'il y a des systèmes représentationnels picturaux authentiquement digitaux,
en plus de suggérer une place propre à la distinction analogique/digital dans
la compréhension de la structure des systèmes représentationnels.
Tous les systèmes représentationnels
picturaux sont relativement saturés, syntaxiquement sensibles, et
sémantiquement riches. Les systèmes digitaux qui semblent picturaux satisfont
aussi ces conditions, et ils devraient de plus compter parmi les systèmes
picturaux. D'autre part, ces conditions rendent difficiles la comparaison entre
systèmes digitaux et analogiques vis-à-vis de la saturation et, plus
spécifiquement, de la sensibilité. Les systèmes analogiques sont généralement
plus sensibles que les systèmes digitaux, parce que les systèmes digitaux sont
habituellement désignés ainsi pour que les marques de chaque type syntaxique
soient à la fois faciles à produire et à reconnaître[xi]. Pour que les inscriptions d'un certain type syntaxique soient
faciles à produire, elles ne doivent pas être très sensibles aux variations de
leurs propriétés syntaxiquement pertinentes. Ce qui est exposé ci-dessus ne
doit pourtant pas remettre en question l'affirmation que les images digitales
sont plus sensibles aux changements de leurs propriétés syntaxiquement
pertinentes que les lettres. Ce qui suggère que parmi les systèmes représentationnels analogiques, ceux qui sont
picturaux sont excessivement saturés, sensibles, et riches, tandis que, de la
même façon, parmi les systèmes digitaux, ceux qui sont picturaux sont
excessivement saturés, sensibles, et riches. La distinction analogique/digital
trie les systèmes représentationnels en autant de classes comparatives (comparison classes), d'après lesquelles
on peut énoncer des jugements sur la saturation, la sensibilité et la richesse.
Bien que la saturation, la sensibilité
et la richesse, constituent plausiblement les conditions nécessaires pour qu'un
système représentationnel soit pictural, elles ne sont pas suffisantes, et deux
exemples suffiront à le montrer. Le premier, que l'on doit à Wollheim, est un
système pictural (picture scheme),
comme la perspective linéaire, hormis le fait que les images résultant de la
projection en perspective sont divisées en
plusieurs parties et réorganisées selon certaines règles[xii]. Remanier systématiquement les images n'a aucun effet sur leur
sensibilité et leur saturation syntaxiques, ni sur leur richesse sémantique.
D’autre part, ce système n’est pas pictural, du moins intuitivement, et plus
les parties des images sont fracturées, plus forte est l’intuition que le
système n’est pas pictural. Le second exemple, discuté autant par Wollheim que
Goodman, est un système pictural comme la perspective linéaire dans lequel les
couleurs sont remplacées par leurs complémentaires[xiii]. Dans ce système, les images de pelouse verte sont rouges, et les
images de ciel bleu sont jaunes. Les intuitions à propos de tels systèmes sont
certainement multiples, avec quelque espoir, comme le caresse Goodman, de les
classer comme étant picturaux, tandis que d’autres, comme Wollheim, répugnent à
le faire. Ce qui est incontestable est l’intuition qu’il y a quelque chose
d’étrange à propos de la façon dont ce système pictural représente
présomptivement la couleur, et que cela entraîne la question de savoir si le
système est pictural « tout court ». Ce système, comme le système
fracturé (shuffled up system), est tout aussi saturé, syntaxiquement
sensible, et sémantiquement riche que celui en perspective linéaire, dont
personne ne nie la picturalité.
Ces deux exemples suggèrent que nous
avons besoin d'étudier davantage ce qui distingue les systèmes
représentationnels picturaux de ceux qui ne le sont pas. Sur ce point, il est
tentant d’en appeler à une condition définie en termes de faits perceptuels[xiv]. Cette approche est éminemment plausible en considérant que ce qui
fait que les cas suscités semblent non picturaux est qu’on ne peut pas
s’engager visuellement envers elles de la même façon que nous le faisons avec
des images d’une sorte plus familière. Malgré sa plausibilité, le but ici est
de supprimer les explications des représentations picturales en termes
perceptuels. Ce qui suit, par conséquent, est une condition supplémentaire structurelle, la transparence qui
restreint de manière effective la classe des systèmes syntaxiquement sensibles,
relativement saturés, et sémantiquement riches en une classe qui inclut
exclusivement tous les systèmes picturaux. Ceci montre qu’une explication
structurelle peut classer les systèmes picturaux d’une manière intuitivement
plausible sans faire référence à la perception.
VII. Transparence
La meilleure
façon de saisir la transparence est d'examiner un système représentationnel
familier qui l’exhibe et qui est par ailleurs connu pour être un exemple
paradigmatique de système représentationnel pictural : la perspective
linéaire. Pour le présent exposé, la perspective linéaire est un système de
représentation dans lequel les images sont créées de la manière suivante.
Considérons un point, appelé le point
projection, et une section délimitée d’un plan. Appelons le plan, le plan image, et la section tronquée de
celui-ci, l’image. Le point
projection peut être n’importe où à condition qu'il soit dans le plan image. On
projette des rayons depuis le point, traversant l’image, jusqu’à ce qui se
trouve au-delà. Prenons le premier objet qu’une partie des rayons projetés
rencontre et traçons la région correspondante sur le plan de la même couleur
que la région correspondante de l’objet depuis un point de vue déterminé par le
point projection. Faisons de même pour tous les autres rayons, depuis le point
projection jusqu'à la section délimitée du plan pour produire une image en
perspective linéaire (IPL)[xv]. (Voir la figure 2)
Figure 2. La Perspective Linéaire. Projetons les rayons issus de P traversant un plan jusqu'à
un objet. Colorons le plan image de sorte que la couleur de chaque région de
l'objet frappée par le faisceau de rayons issu de P coïncide avec l'image qui
se trouve dans la région intersectée par ce faisceau lumineux.
Les représentations en perspective linéaire sont des exemples
paradigmatiques d’images et, plus spécifiquement, des images extrêmement
réalistes. De plus, la perspective linéaire est un système représentationnel
transparent, ce qui signifie que les représentations sont structurées de telle
sorte qu’elles représentent une autre
image d’une façon très remarquable.
Transparence : Un système représentationnel S est transparent seulement si pour toute représentation d’une marque, R,
dans S, toute représentation de R en
S est de même type syntaxique que R.
Grosso modo, étant donnée une
représentation d’un objet X, le résultat de l'itération du processus par lequel
on obtient la représentation de X est une autre représentation, similaire à la
représentation originale de X, et ayant la même identité syntaxique. Imaginons
le cas d'une photographie très nette d'une autre image. Aussi longtemps que le
plan photographique et le plan de l’image sont parallèles, la photographie
ainsi obtenue est identique à l’image originale vis-à-vis des formes et des
couleurs déterminées de toutes les régions de la surface de l’image[xvi]. La photographie est un exemple intéressant, pas seulement parce que
c’est la façon la plus commune dont on produit des images, mais aussi parce que
les photographies correspondent approximativement à des IPL. (Voir la Figure
3).
Figure 3.
La Transparence, le Cas Particulier. L'image de l'image de A est syntaxiquement identique à l'image de A.
Dans ce cas, deux plans images sont parallèles, donc l'image de A est une copie
de l'image de A vis-à-vis des formes et des couleurs des régions de sa surface.
Bien que
l’exemple précédent soit suffisamment intuitif, il ne suffit pas à montrer que
la perspective linéaire soit vraiment transparente. La transparence comme
définie plus haut requiert que toute
image d’une autre image en perspective linéaire soit du même type syntaxique
que l’originale, et nous devons aller plus loin dans l'explication pour montrer
que c’est bien le cas. Il n’est certainement pas nécessaire que deux plans images
soient parallèles pour qu’une image compte comme image d’une autre image, et le
meilleur moyen pour comprendre ce que requiert la transparence est simplement
d'examiner la façon dont la perspective linéaire la satisfait.
La transparence traite de l’identité
syntaxique, et puisque l’identité syntaxique survient sur les propriétés
syntaxiquement pertinentes des représentations, une caractérisation complète
des propriétés syntaxiquement pertinentes de la perspective linéaire peut aider
à montrer à quels égards le système est transparent. Soit une caractérisation
complète des propriétés syntaxiquement pertinentes d’un système, si deux
représentations d'une marque sont identiques selon ces propriétés, alors elles
sont identiques syntaxiquement. Par conséquent, si on produit une image d’une
autre image en perspective linéaire telle que l’image qui en résulte partage
toutes les propriétés syntaxiquement pertinentes avec l’originale, alors la
perspective linéaire est transparente. Une bonne façon de caractériser les
propriétés syntaxiquement pertinentes de la perspective linéaire est de se
concentrer sur les formes planes déterminées et sur les couleurs déterminées.
Que cela suffise comme base de survenance pour l’identité syntaxique de toute
image en perspective linéaire signifie qu’une fois qu’on a déterminé les formes
et les couleurs déterminables de toutes les régions d’un plan, on a fait tout
ce dont on a besoin pour déterminer l’identité syntaxique picturale de ce plan.
Les autres propriétés du plan, comme sa masse et sa température, ne sont pas
pertinentes pour son identité en tant qu’image.
Lorsque nous produisons une image de
cette image en perspective linéaire, comme le cas spécifique exposé ici,
celle-ci partage toutes les formes et les couleurs déterminées avec son objet :
il est alors impossible de la distinguer, en tant qu’image, de son objet.
Ainsi, dans certaines circonstances – c’est-à-dire, celles où les plans de
l’image sont parallèles – produire une image d’une image en perspective
linéaire engendre une image avec des formes et des couleurs semblables à son
objet, et donc syntaxiquement identiques à l’originale.
Pourtant,
puisque rien dans la perspective linéaire ne requiert que les deux plans soient
parallèles, il y a des cas où une image d’une image n’a pas exactement les mêmes formes et couleurs que l’originale. Cela
ne contrarie pas l’affirmation selon laquelle la perspective linéaire est
transparente, mais c’est un défi de taille à relever pour cette dernière.
Tandis que la classe des formes et des couleurs déterminées est une
caractérisation complète des propriétés syntaxiquement pertinentes de la
perspective linéaire, il n'est pas nécessaire que tout changement des
propriétés syntaxiquement pertinentes ainsi
caractérisées engendre une image syntaxiquement distincte. Les images qui
diffèrent vis-à-vis de leurs formes et couleurs déterminées devraient néanmoins
être identiques syntaxiquement. Pour établir la transparence, nous avons besoin
d’une caractérisation des propriétés syntaxiquement pertinentes de la
perspective linéaire telle que tout changement en elles ainsi caractérisé
entraîne une image syntaxiquement distincte. Après tout, la transparence est
une condition qui implique l’identité syntaxique, et bien que la perspective
linéaire soit un système syntaxiquement assez sensible, il n’est pas
nécessairement sensible au plus haut degré eu égard à toutes les
caractérisations de ses propriétés syntaxiquement pertinentes.
Il s’avère qu’il y a bien une
caractérisation plausible des propriétés syntaxiquement pertinentes de la
perspective linéaire telle que toute image d’une image, mise en perspective
linéaire soit syntaxiquement identique à son objet. Pour comprendre cela,
notons en premier lieu que la perspective linéaire est un système projectif et
qu’il y a des résultats bien connus en géométrie projective concernant les
invariants issus des transformations projectives. Les points correspondent aux
points, les lignes aux lignes, les sections coniques aux sections coniques, etc[xvii]. Ensuite, une caractérisation plausible des propriétés
syntaxiquement pertinentes de la perspective linéaire est l’ensemble des propriétés qui sont invariantes sous ces transformations
projectives. Puisque les invariants projectifs impliquent strictement
parlant exclusivement les caractéristiques géométriques de la scène dépeinte,
nous avons besoin d’inclure aussi les couleurs déterminées dans la
caractérisation. Si cette caractérisation des propriétés syntaxiquement
pertinentes de la perspective linéaire est valable, et si produire une image
d’une image en perspective linéaire est simplement appliquer la projection
perspective à une image, alors une image
d’une image est du même type syntaxique que l’image originale. Les plans
reliés par une application en perspective linéaire partagent par définition les
invariants dans ce même champ d'application. De plus, les invariants projectifs
et les couleurs déterminées surviennent sur les formes et couleurs déterminées. Par
conséquent, adopter cette proposition n'entraîne pas l'abandon de l’affirmation
que les formes et couleurs déterminées sont aussi des propriétés syntaxiquement
pertinentes de la perspective linéaire. Enfin, bien qu’on puisse changer les
formes et couleurs déterminées d’une image en perspective linéaire tout en
laissant ses invariants projectifs inchangés, la perspective linéaire reste
syntaxiquement sensible, comme tous les systèmes picturaux devraient l’être. On
ne peut pas modifier n’importe comment les formes et couleurs déterminées d’un
plan image et s’attendre à préserver ses invariants projectifs. A contrario, les lettres et autres
marques sont beaucoup moins sensibles aux changements relativement hasardeux de
leurs formes et de leurs couleurs (Voir Figure 4).
Figure 4. La Transparence, le Cas Général. Dans le cas général, une image d'une image n'a pas besoin d'être
parallèle à l'originale. Le résultat (sur la gauche) n'est pas identique à son
objet vis-à-vis des formes déterminées de toutes ses régions, bien que les deux
soient liés par transformation perspective.
Bien que cela
montre clairement que la perspective linéaire est transparente, est-ce que ce
choix de propriétés syntaxiquement pertinentes est plausible sur des fondements
indépendants ? En fin de compte, il y a ici une impression de circularité,
et si ce n’est pas le cas, alors il y a au moins un problème quant au choix des
propriétés syntaxiquement pertinentes qui ne serait motivé que par la
conclusion recherchée. Il est certainement intuitif de faire appel aux images
qui partagent toutes les formes et
couleurs déterminées syntaxiquement et, par conséquent, qui sont sémantiquement
identiques, mais non pas aux images qui diffèrent dans le sens où elles peuvent
ne pas partager intuitivement de contenu d’après une application arbitrairement
perspectiviste. L'intérêt de faire appel à deux marques possibles dans un
système représentationnel syntaxiquement distinct
est qu’il est possible qu'elles soient des représentations de choses
différentes : les représentations syntaxiquement identiques ne peuvent pas être des représentations
de choses différentes. Si les invariants projectifs sont un choix adéquat de
propriétés syntaxiquement pertinentes pour la perspective linéaire, alors cela
dépend de la possibilité qu’il y ait une notion de contenu pictural selon
laquelle toutes les images qui partagent des invariants projectifs partagent un
contenu.
Les règles de production des IPL sont
telles que plusieurs scènes différentes peuvent résulter d’une même image.
L’exemple le plus simple est le cas spécifique énoncé ci-dessus, dans lequel
une image d’une image est exactement identique à l’originale quant à leurs
formes et couleurs déterminées. Dans ce cas, l’image originale pourrait être
une image – par exemple une image d'un chien – et l’image du chien et le chien
lui-même entraînent tous deux des IPL syntaxiquement identiques. Si n’importe
quelle scène de chaque image peut produire une image particulière en
perspective linéaire qui compte comme une
partie du contenu de l’image, alors toutes paires d’images qui partagent
des invariants perspectifs, quelle que soit la manière dont elles diffèrent à
d’autres égards, ont le même contenu. Deux scènes possibles qui diffèrent à
certains égards, mais non en termes de leurs invariants perspectifs depuis un
certain point de projection, ne diffèrent pas l’une de l’autre vis-à-vis des
projections en perspective depuis ce même point. Ici, la notion de contenu – où
une image particulière est vue en perspective linéaire via une projection
perspective, que nous disons (de surcroît) faire partie du contenu de l’image –
est encore assez abstraite et
tient beaucoup des « contenu épurés » tels que définis par Haugeland[xviii]. Bien qu’abstrait, le contenu épuré est une façon plausible
d’exprimer ce dont les images traitent, ainsi que les conditions dans
lesquelles deux images diffèrent syntaxiquement. Si on choisit les invariants
projectifs comme propriétés syntaxiquement pertinentes de la perspective
linéaire, alors la perspective linéaire est un système représentationnel transparent.
Les systèmes qui satisfont la
transparence n’ont pas seulement des contenus épurés assez indéterminés :
l’indétermination y est d’une espèce bien particulière. Par exemple, une partie
du contenu de n'importe quelle image en perspective linéaire est un plan
coloré, ayant des formes similaires à l’image en perspective linéaire
elle-même. Puisqu’un tel plan compte comme une image en perspective linéaire,
on peut dire que pour tout X inclus dans le contenu épuré d’une image en
perspective linéaire, une image de X,
compose lui aussi une partie du contenu de l’image en perspective linéaire.
Aussi, la plupart des plans colorés qu’une image en perspective linéaire peut
raisonnablement engendrer et comptant comme des images – spécifiquement, tous
ceux qui sont reliés à elle via une transformation perspective –, lorsqu’ils
sont interprétés comme des IPL, ont le même contenu que l’image en perspective
linéaire originale. En ce sens, les représentations d'un cadre transparent (transparent scheme) sont
indifférentes aux autres représentations. Produire une image d’une image
engendre une image ayant le même contenu que l’originale, puisqu'elle est
syntaxiquement identique à cette dernière. Notons que si on voulait maintenir
les contenus des IPL comme étant cette variété plus déterminée que le sens
commun leur prête, alors on ne serait pas en mesure de saisir à quels égards la
perspective linéaire est transparente. De plus, dans la mesure où la perception
des images motive des affirmations à propos de leurs contenus assez déterminés,
c’est seulement en rejetant l’utilisation de faits perceptuels comme explanans qu’on est en mesure de voir à
quels égards la perspective linéaire est transparente. En fait, aussi longtemps
que rien n’est dit à propos de la perception des images, si les images doivent
être visuelles, peu importe le rôle que joue le point de vue pour les images,
s’il en est, mais nous y reviendrons plus loin.
La transparence est une condition
structurelle qui limite la classe des systèmes représentationnels syntaxiquement
sensibles, relativement saturés et sémantiquement riches, à ceux qui sont
intuitivement picturaux. Il devrait donc s’ensuivre sans surprise que ni le
système de couleur complémentaire, ni le système d'inspiration cubiste
introduit plus haut, ne satisfont franchement la transparence. Dans le système
des couleurs complémentaires, les ciels bleus et les champs verts sont
représentés comme étant, respectivement, jaunes et rouges. Ce système échoue à
être transparent vis-à-vis égard des couleurs déterminées des objets. Comme on
peut produire des images d’images dans ce système, les couleurs des images qui
en résultent continuent d’opérer un va-et-vient entre les paires
complémentaires. Créez une image d’une image d’un objet vert, voyez si le résultat
est une image (verte) d’un objet rouge, etc. Dans ce système, une image d’un
objet vert ne peut pas aussi être une image d’un objet rouge. Par conséquent,
le fait qu’une image d’une image d’un objet vert est elle-même une image d’un
objet rouge indique que l’image de l’image n’est pas syntaxiquement identique à
son objet et que la transparence échoue.
D’autre part, si on ignore complètement
la couleur comme propriété syntaxiquement pertinente d’un système, et qu’on se
concentre sur les formes, alors le système est transparent et pictural ; il ne
l'est seulement pas vis-à-vis des couleurs. Négliger la couleur comme propriété
syntaxiquement pertinente signifie aussi que ces images ne représentent pas les
faits concernant les états colorés
des objets. Dans la même veine, un système d’image dans une échelle de gris,
dans lequel les images ont des zones où la luminosité varie mais sans nuance de
couleur, est aussi transparent. De plus, on peut inclure les propriétés de
couleur parmi les propriétés
syntaxiquement pertinentes du système de couleur complémentaire et le faire
devenir transparent, mais ce serait au prix de ne représenter que les
propriétés de couleur très farfelues du système, non les couleurs standards
auxquelles on s’attend d’un système pictural. Précisément, si on prend les
propriétés disjonctives rouge-ou-vert, bleu-ou-jaune, etc., comme propriétés
syntaxiquement pertinentes du système, alors il en résulte un système pictural
transparent. Une image d’une image d’un objet rouge-ou-vert, dans ce système,
est elle-même une image (rouge-ou-verte) d’un objet rouge-ou-vert, etc.
Pourtant, ce système ne représente pas les objets comme ayant des couleurs
déterminées. Il représente plutôt les objets comme ayant des disjonctions de
paires de couleurs complémentaires, lesquelles sont pour le moins non
standards. La transparence montre à quels égards le système de couleur
complémentaire est pictural et dans quel sens il échoue à l'être, ce qui
traduit les intuitions contradictoires
associées à de tels systèmes.
Le système d’image fracturée est juste
aussi syntaxiquement sensible, saturé, et sémantiquement riche que celui en
perspective linéaire, mais il échoue visiblement à être transparent. Dans ce
système, une image d’une image de cheval n’inclut pas un cheval comme partie de
son contenu, mais un assortiment en vrac de parties de cheval. Puisque l’image
de l’image n’a pas le même contenu épuré que l’image originale, elles sont
syntaxiquement distinctes l’une de l’autre et la transparence échoue. Imaginons
ce qui se passe lorsqu’on réitère le processus représentationnel dans un tel
système. Dans un premier temps, créons une image en perspective linéaire d’un
cheval, et fragmentons la. Ensuite, créons une image en perspective linéaire de
l’image fragmentée et fragmentons le résultat. L’image qui en résulte est
foncièrement une fragmentation de l’image originale, laquelle est une
représentation syntaxiquement distincte. La transparence restreint la classe
des systèmes syntaxiquement sensibles, relativement saturés, et sémantiquement
riches en une classe que nous pensons intuitivement picturale.
VIII. Mimesis, ressemblance et transparence
Au fondement de toutes les intuitions
concernant les images et la façon dont elles diffèrent des autres sortes de
représentations, il y a l'idée que dans un certain sens les images ressemblent
à ce qu’elles dépeignent. Une façon simple d’étoffer cette intuition est
d’affirmer que les caractéristiques intrinsèques des objets possibles des
images sont systématiquement reliées aux caractéristiques intrinsèques des
images possibles de ces objets. De plus, le fait que ces images soient
similaires à leurs référents est d’une certaine façon pertinent pour expliquer
que les images ont les référents qu’elles ont ; la similarité conduit à la
sémantique. L’explication de la représentation picturale élaborée ci-dessus
ouvre de nouvelles perspectives précisément là où ces intuitions demeurent ;
mais avant de traiter ce point, certaines distinctions doivent être faites.
Il y a au moins deux sens en lesquels un
objet pourrait être jugé comme ressemblant à un autre, et la distinction doit
être claire. Deux objets peuvent être jugés comme étant semblables, soit dans
le sens où ils sont similaires ou expérimentés comme étant similaires en apparence : soit ils peuvent être
jugés comme étant authentiquement
similaires en ce qu’ils partagent certaines propriétés spécifiées. La
similarité apparente est une notion psychologique qui peut être et qui a été
expliquée de diverses façons par la plupart des partisans des théories
perceptuelles de la dépiction.[xix] Tous les cas de similarité authentique entre objets ne comptent pas
comme des cas de similarité apparente. De plus, tous les cas de similarité
apparente ne sont pas garantis par une similarité authentique facile à
identifier. Un objet pourrait ressembler à un autre bien que l’un tombe dans
une obscurité épistémique quelles que soient les similarités authentiques qui
sous-tendent la similarité apparente. A l'inverse, les jugements de similarité
authentique sont toujours construits par rapport aux propriétés spécifiées des
objets en question. Notons qu’il est incorrect d’expliquer la similarité
apparente en termes d'une similarité supposée authentique, générée par
l'attribution inversement intentionnelle de propriétés affectées aux objets
comparés. On pourrait être tenté, par exemple, de dire que les objets qui se
ressemblent vraiment sont semblables en ce qu’ils partagent la propriété de ressembler d’une certaine façon, W, au sujet S. Cela n’explique pas, ou ne
garantit pas, mais seulement réitère l’affirmation que les objets semblent
identiques. Expliquer la similarité apparente doit entraîner l’attribution de
propriétés authentiques et non l'attribution intentionnelle de propriétés en
inversant les propriétés en question. Le problème de la mimesis picturale
formulée ici concerne les similarités authentiques systématiques entre les
images et leurs objets.
D'après cela, de très fortes
restrictions surviennent sur ce à quoi peut ressembler une image dans un système
transparent, quand celle-ci doit compter comme une image d’une autre image.
Comme il a été stipulé plus haut, la transparence entraîne simplement qu’une
image d’une image est similaire à son objet compte tenu de plusieurs de ses
propriétés syntaxiquement pertinentes. En perspective linéaire, il s’agit des
projectifs invariants. Plus généralement, est-ce qu'une image de X peut être
similaire à cet X d'une façon systématique et sémantiquement pertinente, sans
tenir compte de savoir si cet X est lui-même une surface colorée, etc. ,
et si oui, à quels égards?[xx] Comme il s’avère que tous les systèmes représentationnels
transparents sont mimétiques, les représentations de ces systèmes présentent
donc des similarités systématiques avec ce qu’elles représentent. De plus, bien
que la transparence entraîne la mimesis, et que la mimesis entraîne des
similarités systématiques entre les représentations et ce qu’elles
représentent, la réciproque n'est pas valable.
Avant que la mimesis dans des systèmes
représentationnels ne puisse être définie, j'énumère quelques remarques à
propos des propriétés des objets qu’un système peut représenter. Premièrement,
les propriétés des objets parviennent à plusieurs niveaux d’abstraction. Par
exemple, toutes les caractérisations suivantes de la table face à moi sont
exactes : un rectangle dont les côtés sont d'un rapport de 2 à 1, un
rectangle, un parallélogramme, un quadrilatère, et une figure angulaire.
Chacune proposition en dit de moins en moins à propos de la table, or ce n'est
pas parce qu'elles sont informatives qu'elles en deviennent moins exactes dans
leur attribution. De semblables considérations s’appliquent pour les couleurs,
les orientations relatives, les emplacements relatifs, etc. Deuxièmement, un
système représentationnel peut très bien représenter un objet comme ayant des
angles tandis qu’il reste discret
concernant d’autres détails déterminés de l’objet, comme le nombre de côtés
qu’il a. Ainsi, tandis qu’être angulaire n’est pas un aspect déterminé – comme,
par exemple, être un rectangle avec des côtés de rapport 2 :1 – on peut
représenter de façon déterminée qu’un objet a de fait cet aspect indéterminé.
Il en va de même pour les couleurs. Je peux dire qu’un livre a une couverture
bleue, sans dire qu’il a ou n’a pas une couverture bleu ciel. Pour en revenir à
la similarité, deux objets peuvent être similaires
dans la mesure où ils partagent la propriété d’être angulaire et bleu, bien
qu’ils ne partagent pas plus de propriétés déterminées que cela. En outre, il
est utile de penser en termes de classes de propriétés mutuellement exclusives
et de systèmes comme représentants les membres de ce type de classes. L’idée
est qu’un système peut représenter des objets comme étant trilatéraux,
quadrilatéraux, etc., sans les représenter comme ayant une forme plus
déterminéee. De même, un système peut être mimétique vis-à-vis de propriétés
très abstraites, comme la latéralité, sans être mimétique vis-à-vis d’autres
propriétés déterminées. En gardant cela à l’esprit, nous pouvons maintenant
définir la mimesis.
Un système représentationnel S est mimétique vis-à-vis d’un ensemble de
propriétés C si et seulement s'il
satisfait les quatre conditions suivantes :
(i) Tous les
membres de C sont des propriétés
syntaxiquement pertinentes de S.
Un système ne
peut évidemment pas être mimétique si les propriétés vis-à-vis desquelles le
système est supposé être mimétique ne sont pas des propriétés syntaxiquement
pertinentes de ce système.
(ii) Tous les
membres, P, de C sont tels que les représentations dans S peuvent représenter de
façon déterminée leurs objets comme étant P.
Cette
condition est aussi plus ou moins évidente. S doit être capable de représenter
les objets comme étant P pour qu'il
puisse être mimétique vis-à-vis de P.
L’expression « de façon déterminée » ("determinately") distingue le fait de représenter un objet
comme étant P et celui de rester
silencieux en ce qui concerne la P-ité
d’un objet. Selon (ii), il n’est pas seulement consistant avec toutes les
interprétations des représentations de S que leurs objets soient P, mais il est consistant pour au moins
certaines représentations dans S que les objets soient non-P. Etant
données (i) et (ii), quelles sont les relations entre les propriétés syntaxiquement
pertinentes de S et les contenus des représentations dans S ?
(iii) Toutes
les représentations dans S qui représentent de façon déterminée leurs objets
comme étant un membre, P, de C sont elles-mêmes P.
Toutes les
représentations dans S qui représentent les objets comme étant, par exemple,
quadrilatéraux sont eux-mêmes quadrilatérales. Dans ce cas, il n’est pas
nécessaire que les rectangles soient représentés avec des rectangles ou, bien
sûr, que les rectangles de 2:1 soient représentés avec des rectangles de 2:1,
puisque tout ce qu'on a besoin pour qu'une représentation mimétique soit
quadrilatérale est une similarité systématique impliquant la propriété d'avoir
quatre côtés. Par exemple, les images en perspective linéaire partagent leurs
invariants perspectifs avec leurs objets, mais ces invariants sont des
propriétés très abstraites. Toutes les IPL d’objets carrés ne sont pas
elles-mêmes carrées, mais elles sont toutes quadrilatérales. Parfois, on peut
seulement trouver la mimesis dans un système représentationnel lorsqu'on veut
bien se pencher sur des propriétés assez abstraites, comme la latéralité.
Enfin, (iii) laisse la possibilité qu’il y ait des représentations en S qui
sont P mais qui échouent néanmoins à
représenter de façon déterminée leurs objets comme étant P, donc nous avons besoin d'établir que :
(iv) Toutes
les représentations dans S qui sont P
représentent de façon déterminée leurs objets comme étant P.
Ces quatre
conditions sont nécessairement et conjointement suffisantes pour définir la
mimesis vis-à-vis d’un ensemble de propriétés dans un système
représentationnel. Cette définition n’entraîne pas que toutes les
représentations dans S des objets qui sont P
sont elles-mêmes P. Seules les
représentations qui représentent leurs objets comme étant P ou qui sont elles-mêmes P
sont envisagées dans la définition. Il se peut donc qu’il y ait un objet O qui
est P, tel que O est représenté dans
S, mais où la représentation de O n’est elle-même pas P, dès lors qu'elle ne représente pas O de façon déterminée comme
étant P.
La mimesis est avant toute chose une
caractéristique de la sémantique des systèmes représentationnels. Si un système
représentationnel est mimétique vis-à-vis de la classe des n-latéraux, alors
lorsqu’une surface quadrilatérale est représentée comme telle, cette
représentation sera aussi un quadrilatère, et, par conséquent, une
instanciation (an instance) du même
membre de la classe – des quadrilatères – que l’objet représenté. La mimesis
entraîne donc la similarité, et la similarité impliquée est sémantiquement
significative. Il peut y avoir plusieurs façons d’après lesquelles une
représentation particulière est similaire à ce qu’elle représente, et il peut
même y avoir plusieurs façons d’après lesquelles les représentations sont
systématiquement similaires à ce qu’elles représentent, mais toutes ces
similarités ne sont pas des instanciations de mimesis. D’autre part, la
similarité vis-à-vis d'une certaine propriété ou d'une autre est nécessaire
pour la mimesis, mais cela n’implique pas que la similarité soit nécessaire ou
suffisante pour qu’un objet soit une
représentation. Cette analyse est donc immunisée contre les objections de
Goodman, en particulier contre l’idée que la similarité puisse aider à
expliquer ce qui fait que certains objets soient des représentations.[xxi] Les systèmes dont les membres présentent des similarités
systématiques avec les membres d’une classe d’objets, sont parfaitement
appropriés pour représenter les membres de cette classe, sans pour autant
affirmer qu’être une représentation consiste à être similaire à un certain
objet. Enfin, aucune mention n’a été faite à propos de la ressemblance, ou de
la similarité apparente, bien qu’il soit raisonnable de supposer que la mimesis
concernant les propriétés perceptibles est telle que ces représentations sont
expérimentées comme étant similaires à leurs objets.[xxii]
La mimesis maintenant définie, il est
possible de montrer que la transparence implique la mimesis. Considérons un
exemple familier : les images radar du bulletin météo quotidien, dans
lesquelles la couleur d’une région correspond à l’intensité des précipitations
de cette zone. Le radar est sensible aux différentes densités de l’atmosphère à
différentes distances de l’antenne, et ces densités sont directement corrélées
à la sévérité des précipitations de cette zone. Ce système de représentation
est un amalgame intéressant de représentations non-transparentes, mimétiques,
et non mimétiques.
Tout d'abord, les régions de couleur
uniforme de l’image représentent les régions d’intensité uniforme de la
tempête. De plus, une région de couleur uniforme a la même forme que la région
de l’intensité uniforme qu’elle représente. Une partie l'objectif de ce système
est de sélectionner les localisations et les formes des régions du temps
orageux, et ce système est mimétique en rapport des formes (shapes) et des emplacements (locations) de ces régions. D'un autre
côté, ce système n'est pas transparent vis-à-vis de ces propriétés. Il est
évidemment pratiquement impossible de faire une image radar d'une autre image
radar, mais même si on met laisse de côté cette difficulté pratique, la
transparence échoue. Le radar représente les densités relatives de
l'atmosphère, et en conséquence, une image d'une autre image enregistrerait les
densités relatives de l'image
originale. Puisque ce sont les couleurs des images radar qui correspondent aux
densités de ses objets, il n'y a pas de raison de penser que les densités des
parties de l'image supporteraient une quelconque relation intéressante avec la
densité des objets représentés. Par conséquent, une image d'une autre image
diffère de son objet en fonction des couleurs et des formes de sa surface, ce
qui signifie qu'elle en est syntaxiquement distincte.
Pour que ce système soit transparent, on
pourrait changer ses propriétés syntaxiquement pertinentes. Ce système n'est
pas transparent car les densités de l'image ne supportent pas de relation
intéressante avec les densités qu'elle représente. Les couleurs sont utilisées
pour véhiculer une information à propos de la densité. Pourtant, si on
réorganise le système de manière à ce que les régions de densité uniforme de la représentation correspondent aux régions de
densité uniforme de l'atmosphère, on se rapprocherait davantage d'un système
représentationnel transparent. La mesure dans laquelle ce nouveau système est
transparent dépend de la nature de la relation entre la densité de la
représentation et la densité de ce qu'elle représente.[xxiii] Par exemple, si les régions de densité D représentent les régions de
densité D, alors le système est transparent eu égard aux formes et aux densités
déterminées de ce qui est représenté. Cela est facile à comprendre parce que la
représentation elle-même coïncide avec la densité de ce qu'elle représente, de
sorte qu'une représentation de cette
représentation dans le même système coïncide de la même façon avec sa densité
dans une région de forme similaire. Si les régions de densité cD représentent les régions de densité
D, où c est une constante multiple,
alors il n'y a pas de transparence vis-à-vis des densités déterminées mais il y
a transparence vis-à-vis des densités relatives des régions et des formes des
régions de densité uniforme.[xxiv] En raison de la relation particulière que la transparence demande
entre les représentations et les représentations de représentations dans un
système quelconque, produire un système transparent vis-à-vis de certaines
propriétés implique qu'il soit mimétique vis-à-vis de ces propriétés. Par
ailleurs, tous les systèmes mimétiques ne sont pas transparents, comme le
montre le cas du radar.
Bien que les images radar ne satisfont
pas les conditions de picturalité, elles sont appelées images pour une bonne
raison. Plus précisément, en surcroît des systèmes représentationnels picturaux
complets, il y a la classe plus générale des systèmes qui sont saturés,
sensibles, riches, et mimétiques, bien que non nécessairement transparents.
Cette classe correspond à ce qui pourrait être appelé les systèmes
représentationnels imagistiques ( imagistic representational systems).
Les systèmes représentationnels picturaux sont une sous-classe des systèmes
imagistiques : ceux qui sont transparents. Cette proposition a l'avantage de
bien s'accommoder de notre usage ordinaire des termes picture et image, puisque
tout ce qui compte intuitivement comme une picture
compte comme une image, bien que tout
ce qu'on soit disposé à nommer image
ne mérite pas d'être nommé picture.
IX. Images audio ?
Saturation, sensibilité, richesse,
mimesis, et transparence sont des conditions assez générales qui ne font pas
référence aux modes visuels de représentation. Dans ces circonstances, reste à
savoir si certains systèmes représentationnels communs non-visuels peuvent être
picturaux. L'existence de tels systèmes montrerait en partie pourquoi il est
important d'élaborer une explication structurale des pictures et des images et
pourquoi les explications perceptuelles qui prennent la nature visuelle des
images pour acquise sont vouées à mésinterpréter ce qu'est être une image.[xxv] Selon l'explication proposée ici, les lectures d'enregistrements
audio sont des images de choses et leurs propriétés audibles, tout comme les
images visuelles et leurs propriétés visibles, représentent des choses.
Considérons en premier lieu la
différence entre la bande audio qui enregistre des "tic-tac" — ceux
d'un compteur Geiger par exemple — et une bande qui enregistrerait tous les
sons d'une pièce. Dans le premier cas, tout ce qui importe à la représentation
est qu'un tic-tac survient à tel et tel moment. On pourrait changer la qualité
audible du tic-tac de n'importe quelle manière sans affecter le contenu
représentationnel de la bande, même en insérant des bruits de fond, tant que
ces bruits ne masquent pas les tic-tac.[xxvi] Un tel enregistrement est semblable à un diagramme sur lequel un
point est placé le long d'un axe qui représente le temps, chaque fois qu'un
évènement survient. Ces deux systèmes sont syntaxiquement sensibles
puisqu'arbitrairement de petites différences dans la synchronisation du tic-tac
sur la bande ou sa position sur le diagramme correspondent aux différentes
représentations dans chaque système. La bande, comme le diagramme
correspondant, n'est pas très saturée, puisque plusieurs ajouts et changements
dans la nature de la lecture qui représente les tic-tac ne sont pas pertinents
pour la représentation des évènements en question: ils ne sont pas pertinents
pour la synchronisation ou la présence des "tic-tac".
Pourtant, lorsqu'on enregistre tous les
sons d'une pièce, les choses sont assez différentes. Le système est en effet
syntaxiquement sensible, puisqu'arbitrairement de petits changements sur le
champ magnétique de la bande, et, par conséquent, des caractéristiques de
lecture de la bande, sont suffisants pour engendrer des représentations
syntaxiquement distinctes. Toutes les représentations qui sont syntaxiquement
distinctes (qui ont des types de lecture différentes) sont sémantiquement
distinctes, puisque si la lecture est différente, alors le son représenté par
la bande est lui aussi différent. Par conséquent, ce système est sémantiquement
riche. Aussi, l'enregistrement de tous les sons de la pièce diffère de
l'enregistrement graphique (diagrammatic
recording) qui concerne la saturation relative. Les caractéristiques de
lecture pertinentes pour l'identité syntaxique de l'enregistrement du tic-tac
sont un sous-ensemble propre des caractéristiques de lecture pertinentes pour
l'identité syntaxique de l'enregistrement du son ambiant. Ces deux
enregistrements sont assez sensibles, mais les caractéristiques de la lecture
importent davantage à l'enregistrement du son ambiant qu'à l'enregistrement des
tic-tac réguliers. Dans le cas d'une sonorité ambiante, toutes les nuances de
tous les sons importent. De plus, ces deux systèmes sont sémantiquement riches.
En général, les analogies entre représentations audio et représentations
visuelles sont assez proches pour ce qui est de la saturation, de la
sensibilité, et de la richesse.
La transparence (tout comme la
sensibilité, la saturation, et la richesse sémantique) est une caractéristique
très marquée et souvent exploitée des systèmes de représentation audio. Sous
certaines conditions spécifiques, une lecture d'un enregistrement d'un
enregistrement de X est syntaxiquement identique à une lecture d'un
enregistrement de X. Il est courant qu'en produisant, dans les meilleures
circonstances, un enregistrement d'un enregistrement, il en résulte une copie
de l'enregistrement original, autrement dit, un enregistrement qui partage
toutes les propriétés syntaxiquement pertinentes avec l'original. En général,
en raison des imperfections de l'équipement audio, un enregistrement d'un autre
enregistrement n'est pas identique à l'original, tout comme une photo d'une
autre photo ne serait pas identique à celle-ci. Si un enregistrement se trouve
parasité du fait d'un mauvais équipement, d'une faible réception, ou
autre, produire des
enregistrements d'enregistrements avec le même équipement engendre des
enregistrements dont la qualité ne cessera d'empirer. Pourtant, plus
l'équipement est de meilleure qualité
— parasité par de moins en moins de bruit — plus l'enregistrement
devient clair. En d'autres termes, meilleur est l'équipement, moins les
enregistrements sont parasités, et plus le système sera proche de la transparence.[xxvii]
Pour résumer, premièrement, les systèmes
de représentations audio énoncés ici supportent plusieurs analogies singulières
avec les systèmes de représentation visuelle, particulièrement les IPL.
Deuxièmement, ces systèmes représentationnels audio qui se tiennent dans la
plus stricte analogie aux images sont eux-mêmes syntaxiquement sensibles,
relativement saturés, sémantiquement riches, et transparents. Ils sont donc
considérés de façon appropriée comme des systèmes représentationnels picturaux.
Naturellement, les enregistrements audio sont des représentations picturales de
propriétés audibles de choses, non de leurs propriétés visibles. L'avantage des
explications structurales de la représentation picturale est qu'elles ne sont
pas liées à un medium particulier. Le système mentionné plus tôt dans lequel
les densités sont des propriétés syntaxiquement pertinentes montre que tous les
systèmes picturaux n'ont pas besoin d'être par nature visuels. D'autre part, le
fait que parmi ces systèmes qui sont perceptivement accessibles et non-visuels
— les systèmes de représentation auditifs — on trouve des systèmes
transparents, sensibles, saturés et riches, est un heureux résultat.
X. Conclusion
Les explications structurales de
représentation picturale peuvent apporter beaucoup plus que certains l'ont
pensé. Tandis qu'il revient à Goodman le mérite d'avoir été le premier à
élaborer une telle explication, il n'est pas irresponsable de l'impopularité
qu'il a recherchée. Goodman se délectait de ce qu'il appelait "la franche
hérésie" consistant à classer par exemple le système de couleur
complémentaire et le système d'image déconstruite ou d'inspiration cubiste,
tout en occultant l'importance des images digitales et en refusant d'admettre
que la similarité puisse jouer un rôle sémantiquement signifiant dans la
représentation.
En revanche, les quatre conditions
proposées plus haut montrent qu'une explication structurale peut se raccrocher
assez étroitement à la classe des représentations qu'on prend intuitivement
comme étant picturales, ainsi qu'à la classe des représentations qu'on prend
comme étant des images. Les images
digitales s'intègrent bien à l'explication, alors que les systèmes de couleur
complémentaire et d'image fragmentée sont traités autrement en nous montrant
qu'ils ne sont pas picturaux. De plus, afin de formuler la transparence il a
été nécessaire de faire appel à la version du contenu épuré de Haugeland,
version selon laquelle les images s'avèrent ne représenter de façon déterminée
que des états de choses assez indéterminés. Bien que dans ce sens les contenus
des images soient relativement indéterminés, la transparence fait place aux
similarités systématiques et sémantiquement signifiantes entre l'image et ce
qu'elle dépeint ; l'explication en général bénéficie d'un avantage important
sur les explications perceptuelles, celui d'être assez largement applicable.
Tout système qui satisfait les
contraintes structurales articulées plus haut est pictural. Un exemple
intéressant est que les enregistrements audio se révèlent être des images de propriétés audibles de la
même façon que les photographies sont des images de propriétés visibles. De
plus, c'est une conséquence directe de cette explication que beaucoup des
systèmes picturaux et imagistiques ne soient pas ces sortes de choses avec
lesquelles on peut interagir perceptivement, puisqu' aucune de leurs propriétés
syntaxiquement pertinentes n'est une propriété perceptible. Personne ne peut
voir ou entendre les densités, mais un système qui représente les densités avec
des propriétés syntaxiquement pertinentes, et qui sont elles-mêmes des
densités, peuvent se révéler être picturales, comme nous l'avons vu plus tôt.
Bien que l'accessibilité perceptuelle ne soit pas une condition de la
picturalité, elle soulève d'intéressantes questions concernant la perception
des images. Il n'y a pas d'intérêt à nier que certaines images, à la fois
auditives et visuelles, sont des entités sortales perceptuelles particulières.
Qu'en est-il de la structure de ces représentations qui les rend si
particulières ? Ce serait quelque peu miraculeux si cela était le fruit du
hasard, ainsi donc la prochaine étape est de déterminer de quelles façons les
considérations structurales articulées ci-dessus se rapportent aux explications
perceptuelles, lesquelles dominent le débat sur la représentation picturale.[xxviii]
John Kulvicki, ‘Image Structure’, The Journal of Aesthetics and Art Criticism 61 : 4 Fall 2003,
pp. 323-340.
[i] Les théories perceptuelles
incluent Malcom Budd, "How Pictures Look", in Virtue and Taste: Essays on Politics, Ethics, and Aesthetics, ed.
Dudley Knowles and John Skorupski (Oxford: Basil Blackwell, 1993), pp. 154-175,
Ernst H. Gombrich, Art and Illusion
(Princeton University Press, 1960) et The
Image and the Eye (Cornell University Press, 1982), Robert Hopkins, Picture, Image and Experience
(Cambridge: Cambridge University Press, 1998), Christopher Peacocke,
"Depiction", The Philosophical Review 96 (1987): 383–410,
Flint Schier, Deeper into Pictures (Cambridge: Cambridge University
Press, 1986), et Richard Wollheim, Art and Its Objects, 2nd ed.
(Cambridge: Cambridge University Press, 1980), On Art and the Mind (Harvard
University Press, 1974), The Mind and Its Depths (Harvard University
Press, 1993), et “On Pictorial Repre- sentation,” The Journal of Aesthetics
and Art Criticism 56 (1998): 217–226. La théorie de
Dominic Lopes —Understanding Pictures (Oxford: Oxford University Press,
1996) — est perceptuelle mais comprend également certains éléments structuraux.
[ii] Cette liste suit de près celle de Robert Hopkins dans “Explaining
Depiction” et Picture, Image,
and Experience, qui est jusqu'à présent la tentative la plus attentive à énoncer
clairement ce à quoi on devrait s'attendre d'une théorie de la dépiction. Ce
qui suit montre que dans la mesure où on insiste sur l'explication de ces
faits, on finit par oublier un sens important d'après lequel les images forment
une sorte particulière de système représentationnel.
[iii] Voir, par exemple, Nelson Goodman, Languages of Art, 2nd ed. (Indianapolis:
Hackett, 1976), Problems and Projects (Indianapolis: Bobbs-Merrill,
1972), et Of Mind and
Other Matters (Harvard University
Press, 1984), Nelson
Goodman and Catherine Z. Elgin, Reconceptions in Philosophy (London:
Routledge, 1988), Catherine Z. Elgin, “Relocating Aesthetics,” Revue
Internationale de Philosophie 46 (1993): 171–186, Kent Bach, “Part of What
a Picture Is,” The British
Journal of Aesthetics 10 (1970):
119–137, et Oliver Scholz, “A Solid Sense of Syntax,” Erkenntnis 52
(2000): 199–212. Pour une approche différente dans la même
veine, voir Elliot Sober, “Mental Representations,” Synthese 33 (1976):
101–148.
[iv] La langue française ne différencie
pas les deux termes, nous laissons donc les termes originaux (en italique) dans
le texte lorsque la confusion est possible. Le terme image a une connotation technologique, c'est une image produite par
un instrument, qui est issue d'un processus optique dans un cadre spécifique comme
celles produites par un radar ou un satellite. Les pictures correspondent à ce qu'on nomme habituellement
"images" (tableaux, photographies, dessins, captures d'écran, etc.).
Voir par exemple l'interview donnée par Dominic Lopes disponible en ligne : http://www.imachination.net/next100/reactive/lopes/index.htm
(consultée le 11 octobre 2013).
(N.d.T.)
[v] On peut écarter les images qui ne présentent pas de relation
syntaxique intéressante avec
d'autres images. Le but de l'individuation syntaxique est qu'elle n'est pas sémantique
et est définie par les propriétés intrinsèques des représentations spécifiques.
A cet égard, voir aussi Scholz, “A Solid Sense of Syntax”.
[vi] Pour l'articulation de cette condition par Goodman, voir ses Languages
of Art, pp. 229–230. Afin que la comparaison soit plus claire, j'énonce la condition de Goodman en termes de propriétés syntaxiquement pertinentes
plutôt qu'en termes de ce qu'il appelle les aspects constitutifs-de-caractère,
lesquels sont des marques de représentations telles que tout changement en
elles entraîne un changement de l'identité syntaxique de la représentation en
question. Les propriétés syntaxiquement pertinentes n'ont pas besoin de
satisfaire cette condition.
[vii] Pour Goodman, la question correspondante est triviale. Les aspects constitutifs-de-caractère
de Goodman sont des marques essentielles des types syntaxiques: tout changement
des ACC entraîne un changement de l'identité syntaxique.
[viii] Comme noté plus haut, il y a en général, pour tout système,
plusieurs caractérisations de propriétés syntaxiquement pertinentes. Le
jugement de sensibilité syntaxique relative prend son sens lorsqu'on caractérise
les propriétés syntaxiquement pertinentes de deux systèmes de telle sorte que
les caractérisations aient des membres en commun. Je traite de certaines
complications à ce sujet plus loin.
[ix] Goodman, Languages of Art.
La densité syntaxique, p. 136. La densité
sémantique, p. 153. La nature de la distinction analogique/digital en détail dépasse
le champ de cet article.
[x] Voir, par exemple, Goodman and Elgin, Reconceptions in Philosophy, pp. 123–131.
[xi] Cf. John Haugeland, “Analog and Analog”, Philosophical Topics 12 (1983):
213–226.
[xii] Wollheim, On Art and Its
Objects.
[xiii] Ibid., et Goodman, Languages
of Art.
[xiv] Par exemple, on pourrait adopter le voir-dans de Wollheim, la
relation-F de Peacocke, ou la ressemblance expérimentée de la forme de contour
de Hopkins.
[xv] Cette caractérisation échoue à être complète. Les images d'objets
derrière une vitre, lorsque la vitre reflète elle-même quelque chose, ou les
images d'objets immergés, saisis au-dessus de la surface, etc., ne sont pas
inclus. Pourtant, peu d'auteurs s'attardent sur ces détails, ils sont ainsi au
mieux laissés de côté. Aussi, je remercie particulièrement David Hilbert et
Aaron Meskin pour leurs précieux commentaires et suggestions pour cette
section.
[xvi] Ce résultat peut être prouvé géométriquement, mais peut être laissé
de côté pour l'instant.
[xvii] Voir, par exemple, H. S. M.
Coxeter, The Real Projec- tive Plane (New York: Springer-Verlag, 1993).
[xviii] John Haugeland, “Representational
Genera,” in Philosophy and Connectionist Theory, ed. William Ramsey, Stephen Stich, et David Rummelhart (Hillsdale, NJ:
Lawrence Erlbaum, 1991), particulièrement pp. 74–77, lequel traite différemment
des détails des contenus épurés que je ne le fais, mais les notions sont
similaires, et je trouve cette terminologie assez appropriée. Cette notion de
contenu laisse bien évidemment la possibilité qu'il y ait davantage de contenus
déterminés associés aux images. Le contenu épuré est intéressant parce qu'il
aide à saisir la structure des systèmes picturaux. Aussi, c'est dans le
contexte d'une telle notion de contenu que des questions supplémentaires plus
approfondies concernant les contenus des images plus déterminés et plus
recherchés, comme celles qui sont utilisées par les théories perceptuelles de
la dépiction, deviennent intéressantes.
[xix] Voir, par exemple, Budd, “How
Pictures Look,” Peacocke, “Depiction,” Hopkins, “Explaining Depiction,” et Karen
Neander, “Pictorial Representation: A Matter of Resemblance,” The British
Journal of Aesthetics 27 (1987): 213–226.
[xx] Dans ce qui suit, souvent, “ressemblance” est plus appropriée que
"similarité" dans la plupart des contextes, mais lorsque rien n'est
précisé, j'utilise "ressemblance" en tant que ressemblance
authentique et non simplement le fait de percevoir des similarités.
[xxi] Goodman, Languages of Art et Problems and
Projects.
[xxii] Neander, in “Pictorial Representation: A Matter of Resemblance,” défend
aussi quelque chose comme cela en ce qui concerne la place de la ressemblance
dans la dépiction et la portée des critiques de Goodman. D'après son article,
l'indicateur le plus pertinent de ressemblance dépend du système pictural que
l'on considère: les portraits cubistes, les dessins d'enfant, les
photographies, etc. Toutefois, Neander insiste sur les similarités expérimentées,
tandis que je tends à me concentrer sur les similarités authentiques entre
l'image et ce qu'elle dépeint.
[xxiii] La raison pour laquelle l'image radar de type Doppler est efficace
est qu'elle utilise les couleurs pour représenter les densités, les premières étant
immédiatement perceptibles. Un système qui utilise les densités des représentations
pour représenter les densités des objets ne serait vraiment pas très efficace,
parce qu' en général, les êtres humains ne perçoivent pas les densités par
leurs propres capacités. Bien qu'il ne soit pas très efficace, le système est néanmoins
pictural. Inclure dans la définition de ce qui fait qu'une représentation est
picturale qu'elle est efficace, ou facilement appréhendable, semble erroné. Dès
lors qu'on a saisi la structure des systèmes picturaux, on peut examiner
lesquels d'entre eux sont particulièrement efficaces et lesquels ne le sont
pas. Bien qu'étant de prime abord un peu contre-intuitive, cette approche a le
gros avantage de ne pas faire d' hypothèse sur les medium et modes spécifiques
des systèmes représentationnels picturaux. Notons, au passage, qu'un langage écrit,
comme le français, mais écrit avec de l'encre invisible, est plausiblement à la
fois représentationnel et linguistique, en dépit d'être très efficace.
[xxiv] C'est un autre exemple dans lequel il y a transparence et mimesis vis-à-vis d'une propriété assez
abstraite telle la densité relative, alors que la mimesis échoue pour des
propriétés comme la densité déterminée.
[xxv] Peter Kivy, dans Sound and Semblance (Cornell University
Press, 1984), examine certains exemples présumés de dépiction auditive. Il
n'adhère à aucune explication de la dépiction en particulier, bien que dans une
postface de Sound and Semblance (1991) il traite de la relation entre sa
position et celle de Wollheim—par exemple, dans Art and Its Objects—et
celle de Jenefer Robinson dans “Music as a Representational Art,” in What is
Music? An
Introduction to the Philosophy of Music, ed. Philip Alperson (New York: Haven,
1987). Robinson pense qu'une variante de la
relation du voir-dans de Wollheim— écouter-dans— peut s'appliquer aux œuvres
musicales pour déterminer lesquelles, s'il y en a, sont picturales. Examiner
cette hypothèse est, dans cet article, hors de propos.
[xxvi] Il est important de remarquer simplement quelle est ici la représentation
audio. Ce n'est pas la marque des champs magnétiques de la bande qui compte
comme représentation picturale des sons enregistrés. La bande elle-même, comme
le CD et la DAT [Digital Audio Tape,
N.d.l.T.], est simplement une façon de produire de telles représentations, chaque fois qu'on en a envie. La façon
selon laquelle les champs sur la bande ou les marques du CD encodent le son
n'est pas picturale, mais les lectures le sont.
[xxvii] Bien entendu, la question de la mimesis s'inscrit également dans le
contexte des enregistrements, et elle peut être traitée d'une façon similaire à
la façon dont elle a déjà été traitée plus haut dans le cas de la perspective
linéaire.
[xxviii] Je remercie Murat Aydede, Anne Eaton, Stephen Glaister, Alan
Goldman, David Hilbert, Robert Hopkins, Dominic Lopes, Aaron Meskin, Jesse
Prinz, Guy Rohrbaugh, Josef Stern, et Andrea Woody pour leurs précieux
commentaires sur les versions antérieures de cet article.