[Keith CAMPBELL, né en 1938, philosophe australien, est généralement associé
à la carrière de David M. Armstrong dont il fut collègue à Sydney. L'un des derniers articles de Campbell —
paru dans le volume collectif Categories of Being (Oxford UP, 2012,
Leila Haaparanta & Heikki Koskinen ed.) — est
justement consacré au rétablissement de l'ontologie telle que l'a pratiquée David
Armstrong.
Pour sa part, Campbell est néanmoins un théoricien original, l'auteur d'un
manuel introductif de Metaphysics qui est l'un des plus distingués qu'on ait écrit (Dickenson Publishing Company, 1976). Bien avant d'apparaître
comme le seul théoricien des tropes qui ait dignement succédé à
Williams et Santayana dans Abstract Particulars, il publia un article décisif
dix ans plus tôt en 1981, dont nous donnons ici la traduction.]
La métaphysique des
particuliers abstraits
Keith
Campbell
1/ La conception des propriétés au titre de particuliers
En philosophie première, une
tradition classique héritée de Platon et d’Aristote – récemment renouvelée par D.M. Armstrong – envisage
deux catégories de réalité, également essentielles, mais mutuellement
exclusives : les substances (ou particuliers), lesquelles sont concrètes
et particulières, et les propriétés (avec les relations), lesquelles sont universelles
et abstraites. Les corps matériels sont les exemples les plus répandus de
particuliers concrets, et leurs caractéristiques, conçues comme étant des
entités répétables, communes à plusieurs objets différents, sont les paradigmes
des universaux abstraits.
La marque distinctive des êtres particuliers est de
s’épuiser dans une incorporation, une occasion, ou dans un exemple. Dans le
domaine spatial, cela limite les particuliers à un lieu unique en un temps
quelconque. Ils semblent ainsi jouir d’un mode d’être relativement non
problématique.
Les universaux, au contraire, ne sont aucunement
limités dans l’espace-temps au regard de la pluralité de lieux où ils peuvent
être entièrement présents. Changer le nombre d’instances d’un universel (par
exemple être une abeille), l’augmenter
ou le diminuer par millions n’augmente, ni ne diminue en rien l’universel
lui-même. De mon point de vue, la difficulté qu’il y a à comprendre comment le
moindre item pourrait jouir d’une telle sorte de réalité a été le scandale qui,
pour une grande part, a encouragé cet invraisemblable nominalisme dans lequel on
nie, avec divers degrés de candeur, l’existence des propriétés et des relations.
En fait, le scandale disparaîtrait si les propriétés
n’étaient pas vraiment des universaux. Dans les temps modernes c’est G.F. Stout
qui le premier a explicitement
avancé la proposition que les propriétés et les relations sont aussi
particulières que les substances qu’elles qualifient. Récemment, d’autres auteurs ont donné du crédit à cette
idée, mais son défenseur peut-être le plus convaincu a été
D.C. Williams. Quels sont les mérites de celle-ci ?
En premier lieu, qu’une propriété
doive en un sens jouir d’un être particulier n’est pas une contradiction dans
les termes. L’opposé de particulier
est universel, tandis que celui de concret est abstrait. Un item est abstrait, dans ce contexte, s’il est amené
devant l’esprit par un acte d’abstraction, c’est-à-dire par la concentration de
l’attention sur quelque chose – non pas tout – de ce qui lui est présenté. Un
corps matériel complet, une chaussure, un bateau, ou un morceau de cire à
cacheter, sont concrets ; tout ce qui se trouve là où est la chaussure lui
appartient – sa couleur, sa texture, sa composition chimique, sa température,
son élasticité, et ainsi de suite : ce sont tous des aspects ou des
éléments inclus dans l’être de la chaussure. Mais ces traits ou
caractéristiques considérés de façon individuelle, par exemple la couleur de la
chaussure ou sa texture, sont abstraits en comparaison des autres.
La distinction entre abstrait et concret est
différente de celle existant entre universel et particulier et elle en est
aussi logiquement indépendante. Que certains particuliers doivent être
abstraits, comme les universaux, et que, spécifiquement, des cas ou des instances
de propriétés doivent être particuliers, est à tout le moins une possibilité
formelle.
En second lieu, il est évident que,
d’une manière ou d’une autre, les propriétés doivent capter ou rencontrer la
particularité dans leurs instances mêmes. Considérez deux morceaux de tissu
rouge. Ex hypothesi, ce sont deux morceaux de tissu. Chacun d’eux est rouge.
Il y a donc deux occurrences de rouge. Supposons qu’il s’agisse de deux
occurrences de la même nuance de rouge exactement, de façon à ce qu’aucune
différence qualitative ne brouille les cartes. Nous pouvons montrer qu’il y a
vraiment deux morceaux de tissu (et que par exemple l’un n’est pas un reflet de
l’autre) au moyen d’une destruction sélective – en brûlant l’un, et en laissant
l’autre tel qu’il est. Nous pouvons montrer à peu près de la même manière qu’il
y a réellement deux cas de rouge – en teintant l’un en bleu, et en laissant
l’autre telle qu’il est. Dans cette situation, il reste deux morceaux de tissu.
Mais il ne reste pas deux occurrences de rouge. Les occurrences de rouge ne doivent
donc ici pas être identifiés avec les morceaux de tissu. Elles constituent une
paire de quelque chose, distincte de la paire de morceaux de tissu. Une paire de
quoi ? Le fait qu’ils soient deux, avec leur localisation délimitée à
chaque fois, montre qu’il s’agit de particuliers. Le fait qu’ils soient une
paire de rouges révèle leur nature
qualitative. La thèse la plus simple les concernant est qu’ils ne sont pas le
composé ou l’intersection de deux catégories distinctes, mais qu’ils sont comme
ils semblent être, des items abstraits et particuliers à la fois. Williams baptise
du nom de tropes les particuliers
abstraits.
L’argument
ci-dessus a pour implication que les tropes sont requis pour toute compréhension
authentique de la nature des particuliers concrets (dans ce cas précis, des
spécimens de corps matériels : des morceaux de tissu), et que dans
l’analyse du changement qualitatif local, ceci devient évident.
Un troisième fondement pour admettre les tropes dans
notre ontologie réside dans le problème des universaux lui-même. Le problème
des universaux consiste à déterminer le programme ontologique minimal adéquat
pour rendre compte des similarités entre choses distinctes, ou de la récurrence
de qualités similaires dans des objets différents. Prenons pour exemple une
certaine nuance de rouge. De nombreux items sont de la même couleur – cette
nuance de rouge déterminée. Une occurrence multiple est ici impliquée. Mais
qu’est-ce qui est multiple exactement ? La qualité universelle, la nuance de rouge, est commune à tous les cas mais
n’est pas plurielle. D’un autre côté, les objets
rouges sont suffisamment pluriels, mais ils sont hétérogènes. Certains sont des
morceaux de tissu, d’autres des morceaux de pulpe de baies sauvages, d’autres
encore d’exotiques feuilles d’arbres, des coulures de peinture, des marques tachetées
sur le dos d’araignées dangereuses, et ainsi de suite. Il n’y a pas de
substance commune récurrente.
Ce qui est récurrent, le seul élément qui se
répète en effet est la couleur. Mais il faut que ce soit la couleur en tant qu’elle
est ce particulier se trouvant impliqué dans la récurrence, car seuls des
particuliers peuvent être pluriels de la manière requise par la récurrence. C’est
l’existence de tropes ressemblants qui pose le problème des universaux. La
formulation exacte de ce problème est : qu’est-ce qui est commun à un
ensemble de tropes ressemblants – en supposant que quelque chose le soit ?
2/ Les tropes en tant qu’existences indépendantes
Pour les tropes, Williams revendique plus qu’une
simple place dans notre ontologie : il revendique une place fondamentale.
Les tropes constituent, pour lui, « l’alphabet même de l’être », les
éléments indépendants, primitifs, qui en se combinant constituent le monde bigarré,
et en quelque façon intelligible, dans lequel nous nous trouvons.
Afin de suivre cette voie, nous
devons surmonter un préjugé enraciné de longue date, selon lequel les
particuliers concrets, atomes ou molécules, ou assemblages plus
vastes, sont les êtres minimaux logiquement capables d’existence indépendante.
Nous sommes habitués à l’idée que la
rougeur de notre bout de tissu, ou la calvitie de Jules César – s’il s’agit
bien de choses existantes, au sens habituel – sont des entités dépendantes.
Sans Jules César pour la supporter, sa calvitie se volatiliserait complètement,
du moins selon l’idée commune. Sans tissu, pas de rougeur du tissu. Dans cette
conception, les particuliers concrets sont les particuliers basiques. Les
tropes sont au mieux parasitaires.
Le fait d’être habitué à une idée n’est bien sûr
pas une recommandation suffisante en sa faveur. Lorsque l’on concède que les
tropes tendent en effet à se présenter en faisceaux et qu’une collection
substantielle de ceux-ci, maintenus ensemble en bouquet, est le minimum normal
que nous rencontrons de fait, on a concédé tout ce que ce point de vue
traditionnel a le droit d’affirmer. Toutefois, la question problématique ne
porte pas sur le minimum ordinaire de ce qui est « disposé à
l’être », mais sur la nécessité métaphysique concernant ce minimum. Le
minimum qui pourrait exister par soi pourrait bien être moins qu’un homme
intégral, ou qu’un morceau entier de tissu. Ce pourrait bien être un trope
unique ou même une partie minimale d’un trope unique.
Et certains aspects de l’expérience fortifient la
conception disant que les particuliers abstraits sont susceptibles d’avoir une
existence indépendante. Considérez le ciel ; c’est, du moins nous
semble-t-il, une instance de couleur à laquelle la complexité d’un particulier
concret fait plutôt défaut. Les bandes de couleur d’un arc-en-ciel semblent
être des tropes dissociés de tout particulier concret.
Tout ce que requiert Williams ici, bien sûr, est que
des tropes dissociés soient possibles (c’est-à-dire capables d’existence
indépendante), non pas qu’ils soient actuels. Ainsi, la possibilité d’un visage
de chat du Cheshire, ou celle de zones de couleur, ou bien d’une zone dépourvue
de masse, inerte et impénétrable, comme un trope de solidité, ou encore
d’odeurs et de sons flottant librement, suffisent à soutenir l’idée.
La manière dont les particuliers concrets se
dissolvent dans le monde subatomique, en particulier dans le cas des trous
noirs, suggère que les tropes dissociés ne sont pas seulement des possibilités mais
que nous les rencontrons réellement dans le monde.
D’après la conception disant que
tropes sont les particuliers fondamentaux, les particuliers concrets, les
hommes dans leur intégrité et les morceaux entiers de tissu comptent comme des
réalités dépendantes. Ce sont des collections de tropes co-localisés,
lesquelles dépendent de ces tropes comme une flotte dépend des vaisseaux qui la
composent.
3/ L’analyse
de la causalité
D. Davidson a fourni de puissantes
raisons pour lesquelles certaines affirmations causales singulières, comme
Le court circuit a causé le feu
sont mieux interprétées si l’on fait
référence à des évènements. L’exemple de Davidson est un spécimen d’affirmation
causale singulière d’événement à
événement. Mais toutes les
affirmations causales singulières ne relèvent en aucun cas de ce type. Nombre
d’entre elles impliquent des conditions
en guise de termes dans les connexions causales. Par exemple :
Condition – événement : La faiblesse du câble a causé l’effondrement du pont.
Evénement
–condition : La mise à feu de la
fusée auxiliaire a provoqué une perturbation excentrique de l’orbite du
satellite.
Condition
– condition : La haute température
de la poêle à frire naît de son contact avec le réchaud.
Ainsi, dans ces exemples, les conditions auxquelles il est
fait référence – la faiblesse du câble, l’excentricité de l’orbite, la température
de la poêle à frire – sont des propriétés, mais plus exactement des cas particuliers
de propriétés impliqués dans des transactions causales particulières. C’est la
faiblesse de ce câble particulier, non pas la faiblesse en général ou celle de
quoi que ce soit d’autre, qui est impliquée dans l’effondrement du pont à cette
occasion. Et le fait que le câble soit en acier, ou rouillé, n’interfère
pas ; et de même sa masse, sa magnétisation, sa température ne se trouvent
impliqués en rien dans ce qui s’est produit. Soutenir que le câble dans son
intégralité – en tant que particulier concret – est la cause de l’effondrement,
cela revient à introduire une foule de caractéristiques non pertinentes.
La cause de l’effondrement est la faiblesse de ce
câble (non pas celle de n’importe quel autre), toute la faiblesse, rien d’autre
que la faiblesse. C’est un particulier, une condition spécifique en un lieu et
un temps : c’est donc un particulier abstrait. En résumé, c’est un trope.
Les événements, ces autres protagonistes des
transactions causales singulières, sont largement reconnus comme étant des
particuliers. Ce ne sont évidemment pas des particuliers concrets ordinaires. Selon moi, le mieux est de les concevoir comme des
séquences de tropes, dans lesquelles une condition ouvre le chemin aux autres.
Dans cette perspective, les évènements sont des changements dans lesquels les
tropes se remplacent les uns les autres. C’est un schéma prometteur pour de
nombreuses sortes de changement. Si nous affirmons que
Le câble en tant qu’il est faible a causé
l’effondrement
Tout en niant que
Le câble en tant qu’il est en acier a causé
l’effondrement
Alors nous sommes engagés dans la
conception disant que
Le câble en tant qu’il est faible le câble en tant qu’il est en acier
Donc au moins un de ces termes
réfère à quelque chose d’autre que le câble. A quoi peut-il bien référer ?
– seulement à la faiblesse (ou à la propriété d’être en acier) du câble,
c’est-à-dire seulement au trope.
La philosophie de la causalité appelle les
tropes. Ce qui paraît être une recommandation suffisante pour leur faire une
place sous le soleil ontologique.
4/ Perception
et évaluation
L’introduction des tropes dans notre
ontologie nous offre un dispositif extrêmement utile pour analyser la moindre
situation dans laquelle sont impliqués des aspects
spécifiques des particuliers.
Dans la philosophie de la perception, les tropes
apparaissent non seulement comme les termes des relations causales, mais aussi
épistémiquement comme les objets immédiats de la perception. Les difficultés du
réalisme direct avec les objets matériels s’évanouissent. Comme c’est bien
connu, nous ne voyons jamais un chat en entier, ni tout ce qu’il y à voir du
chat, car il a un côté caché que nous ne percevons actuellement pas et un
intérieur que nous ne percevons jamais. L’objet immédiat de la vision ne peut
même pas faire partie de la surface du chat devant nous, car cette surface possède
une texture et une température qui ne sont pas visibles, et une structure
microscopique qui n’est perceptible en aucune manière. De telle sorte que
lorsque vous regardez le chat, ce que vous voyez n’est pas le chat, et ne fait
pas partie de sa surface devant vous. Cette conclusion a pour le moins encouragé
les thèses idéalistes disant que l’objet de la perception est de nature
mentale, qu’il est un percept ou une représentation entretenant une relation
spéciale avec le chat.
Dans la philosophie des tropes, une théorie réaliste
de la perception directe soutiendrait que ce ne sont pas des chats mais des
tropes de chat qui sont vus, touchés, et ainsi de suite. La forme et la couleur
du chat sont des objets de vision, mais sa température ou le nombre de
molécules qu’il contient ne le sont pas. Certains des tropes appartenant au
chat sont perceptibles, d’autres
ne le sont pas. En une occasion quelconque, certains des tropes perceptibles
sont perçus, d’autres sont cachés. Cela relève de la manière par laquelle les
sens sont sélectivement sensibles ; c’est pour cela qu’il n’y rien
d’embarrassant à admettre que les sens peuvent nous donner à connaître seulement
certains aspects des particuliers concrets.
L’évaluation est un autre champ dans lequel l’admission
des tropes élimine toute espèce de souci. Les particuliers concrets peuvent
être sujets à des évaluations simultanées contradictoires – sous différents
rapports bien sûr. L’arôme d’un vin peut être admirable et sa clarté
exécrable ; un sauteur à la perche peut être magnifique par sa force, mais
très impoli. Dans une analyse des tropes, l’objet d’évaluation immédiat est le
trope, de telle sorte qu’à strictement parler, des objets différents sont évalués
lorsque nous considérons l’arôme et la clarté du vin, et par là les évaluations
incompatibles ne créent aucun problème.
5/ Le problème des
individus concrets
Le problème des individus concrets est celui de savoir
comment il est possible que différentes qualités puissent appartenir à un seul
et même objet. Le résoudre revient à fournir la constitution d’un individu
singulier. Par commodité, nous avons tendance à discuter du problème à partir
d’éléments de taille moyenne, comme les livres, les chaises, ou les tables,
bien que nous sachions que ces objets ne sont pas réellement des unités
singulières mais des assemblages de parties, qui sont elles-mêmes aussi des individus.
La question de la constitution d’un individu singulier est, bien sûr tout à
fait distincte de celle de la relation entre des touts complexes et leurs
parties les plus simples. Pour éviter toute confusion, nous ferions mieux
d’utiliser un spécimen d’individuel concret singulier plus vraisemblable, comme
un corpuscule de l’atomisme classique. Notre question est : qu’est-ce qui,
dans la réalité d’un corpuscule, est ce en vertu de quoi il est un individu
unique, complet et distinct ?
Dans une ontologie ne reconnaissant les propriétés et les
relations que comme des universaux,
aucune solution satisfaisante ne peut être trouvée à cette question. Il y a
deux manières de s’attaquer au problème :
(i) Un individu complet est l’union de propriétés universelles,
avec une réalité particularisante supplémentaire. Pour les aristotéliciens, ce sera la Matière Première que les qualités
informent et, pour les lockéens, le
substrat dans lequel les qualités inhérent. Le fondement commun de l’objection faite à des solutions de ce type réside
dans leur introduction d’un quelque chose qui — parce qu’il réside au delà des
qualités — se trouve par sa nature propre au delà de nos explorations,
descriptions et imaginations possibles, lesquelles sont nécessairement limitées
aux qualités que les choses possèdent. Nous faisons bien de reporter aussi
longtemps que possible l’admission dans notre ontologie d’éléments aussi
insaisissables et opaques à notre compréhension.
Pour
éviter de tels éléments, nous devons nier
qu’il y ait quoi que ce soit de non-qualitatif à découvrir dans la structure
ontique d’un individu. Ce qui est précisément la voie suivie par l’autre tradition
principale :
(ii) Un individu complet n’est rien de plus qu’un
faisceau de qualités, c’est-à-dire, de toutes celles et seulement de celles que
la chose possède, comme nous le dirions ordinairement. Lorsque l’on bannit les particularisateurs
« métaphysiques », de telles conceptions sont séduisantes pour les
empiristes, et cela pour autant qu’ils puissent oublier leur nominalisme, qui est
bien sûr incompatible avec toute théorie du faisceau.
Lorsque le faisceau est un faisceau d’universaux, un même
item apparait dans plusieurs faisceaux différents (la même propriété a une
occurrence dans plusieurs instances différentes). Et c’est ici que la théorie court
à sa perte. Car c’est une vérité nécessaire que chaque individu est distinct de
tout autre individu. Chaque faisceau doit donc être différent de tout autre faisceau. Puisque le faisceau
ne contient rien d’autre que des qualités, il doit y avoir au moins une
différence qualitative entre deux faisceaux quelconques. En somme cette théorie
requiert que l’Identité des Indiscernables soit une vérité nécessaire.
Malheureusement,
l’Identité des Indiscernables n’est pas une vérité nécessaire. Il y a des
mondes possibles dans lesquels elle ne fonctionne pas, ceux-ci allant de mondes
très simples avec deux sphères uniformes dans un espace non-absolu jusqu’à des
mondes très complexes, sans commencement ni fin temporelle, dans lesquels la
même séquence d’évènements est répétée de manière cyclique, avec des
indiscernables non-identiques apparaissant dans les différents cycles.
Les
théories des faisceaux avec leurs éléments comme qualités universelles échouent
face au statut de l’Identité des Indiscernables. Cependant, là où les éléments
du faisceau ne sont pas des universaux répétables, mais des cas particuliers de
qualités : non pas la caractéristique-en-général de ce qui est poli, mais le
polissage particulier, à cet endroit, qualifiant ce carreau en particulier, la
situation est très différente. Or les éléments dans les faisceaux sont des
tropes, et peu importe combien ils sont ressemblants les uns aux autres, le
trope caractéristique du poli d’un carreau est tout à fait distinct du trope caractéristique
du poli de tout autre carreau. Ainsi, les
faisceaux ne peuvent jamais avoir d’éléments communs, et encore moins coïncider
complètement. La question de l’Identité des indiscernables devient la
question de savoir si tous les éléments d’un faisceau correspondent
parfaitement à ceux d’un autre faisceau, ce qui est, comme il se doit, une
question a posteriori portant sur un
fait contingent.
Des
tropes de différentes sortes peuvent être comprésents
(présents à la même place). En étant comprésents, formulé en langage ordinaire,
ils « appartiennent au même objet ». La somme maximale des tropes
comprésents, pris ensemble, constituent un être complet, un particulier
entièrement concret. Chaque individu entièrement concret est nécessairement
distinct de tout autre.
Il n’y a aucun besoin ici du moindre « particularisateur »
non-qualitatif, il n’y a plus de problème avec l’Identité des Indiscernables.
Avec la philosophie des tropes, le problème des individus reçoit une solution
élégante.
A.
Quinton a récemment proposé de concevoir un individu comme l’union d’un groupe
de qualités et d’une position, et D. M. Armstrong a adopté une conception similaire. Si nous
l’entendons comme une version de la stratégie du substratum de Locke, cela alimente la critique disant qu’un
engagement envers l’espace ou l’espace-temps absolus – pris antérieurement au
positionnement des qualités – se trouve présupposé. Pour éviter une telle
cosmologie a priori inacceptable,
nous ne devons pas soutenir que le lieu et la qualité présente en ce lieu
soient des êtres distincts – l’un étant le particularisateur et l’autre un
universel – mais que la qualité-en-un-lieu soit elle-même une réalité
singulière et particulière. Et cette seconde conception n’est pas autre chose
qu’une ré-expression de la doctrine des tropes.
6/ Le problème des Universaux
Les tropes peuvent être comprésents ; cela rend
possible une solution au problème des individus. Les tropes peuvent aussi se
ressembler entre eux, plus ou moins étroitement. Williams estime que cela apporte
une solution plus aisée au problème des universaux. Je regrette de signaler que
je ne puis pas totalement partager son optimisme.
Le
problème des universaux est le problème de savoir comment la même propriété
peut apparaître dans un nombre quelconque d'instances différentes. « Le
problème des Universaux » n'est pas vraiment un nom adéquat pour cette
théorie, car la principale difficulté est de savoir s'il y a des universaux ; le problème est le suivant : quelle
structure ontologique, quel éventail d'entités réelles est nécessaire et
suffisant pour rendre compte de la similarité entre différents objets, laquelle
fonde l'usage en différentes occasions des mêmes termes généraux :
« rond », « carré », « bleu »,
« noir », et autres. « Le problème de la ressemblance »
serait donc un meilleur nom, et les solutions proposées à ce problème
consistent dans des théories sur la nature des propriétés.
Tout
comme pour le problème des individus, la tradition philosophique montre une
oscillation instable et inquiétante entre des alternatives insatisfaisantes. Le réalisme
affirme l'existence d'une nouvelle
catégorie d'entités, qui ne sont pas particulières, qui sont – sans restriction
de localisation – littéralement entièrement présentes et exactement comme le
même item dans chacun différents
objets circulaires, ou carrés, ou bleus, ou autres. Le nominalisme soutient que
la rondeur ou la carréité ne sont rien de plus que les ombres portées par
l'activité humaine de classification, qui applique la même description à divers
objets particuliers distincts. L'objection classique au réalisme est le dictum lockéen affirmant que toutes les
choses qui existent sont particulières. Ceci renvoie à la difficulté qu’il y a
à croire en des êtres universels. L'objection au nominalisme est la conséquence
que ce dernier entraîne, à savoir que s'il n'y avait pas d’espèce humaine (ou
d'autres espèces vivantes), rien ne serait ressemblant à autre chose.
Est-ce qu’une philosophie des particuliers abstraits offre ici le
moindre secours ? Williams affirme qu’une propriété, comme la caractéristique
d’être poli (smoothness), est un
ensemble de tropes ressemblants. Les membres de cet ensemble sont des instances
de la propriété. La qualité du poli du carreau A, celle du carreau B, puis celle
du carreau C, dans la mesure où elles se ressemblent, appartiennent toutes à
l’ensemble S. Il n’y a pas de limites a
priori au nombre de membres que S pourrait avoir, ou de la façon dont ils
devraient être distribués à travers l’espace et le temps. Ainsi, sous ce
rapport, S se comporte comme un universel doit le faire.
Par ailleurs, puisque les membres de S sont des polis à la
caractéristique particulière, chacun d’eux est entièrement poli, et non pas
simplement en partie. C’est, de nouveau, une condition que doit remplir quelle
chose que ce soit qui se voit proposée en guise d’universel.
La
proximité de la ressemblance entre les tropes dans un ensemble peut varier. Ces
variations correspondent aux différents degrés spécifiques des différentes
propriétés. Dans cette conception, la Ressemblance est considérée comme un
primitif inanalysable, et il n’y pas de réalités non-particulières au-delà des
ensembles de tropes ressemblants. Ainsi cette opinion soutient qu’il n’y a pas d’entité littéralement « commune »
aux tropes ressemblants ; c’est une version du particularisme.
Pouvons nous considérer la Ressemblance comme primitive ?
La Ressemblance entre tropes plutôt qu’entre particuliers concrets élimine deux
objections classiquement faites à cette perspective.
Objection
1. La difficulté du compagnonnage
Les tentatives
pour construire une propriété comme une Classe de Ressemblance d’éléments qui
« possèdent la propriété » rencontrent une objection : il
pourrait y avoir deux propriétés différentes
(disons, avoir un cœur et avoir un rein), se trouvant de fait présentes
dans les mêmes objets. Mais si chaque propriété n’est rien de plus que la
classe de ressemblance contenant tous ces objets et eux seulement, puisque ces
deux propriétés différentes déterminent la même classe de ressemblance, il
s’avèrera que les « deux » propriétés ne sont, après tout, pas (très)
différentes. La théorie identifie à tort avoir
un cœur et avoir un rein, et donc
toute paire de propriétés co-extensives. Ce problème ne peut survenir là où les
membres de la classe de ressemblance sont des tropes plutôt que des
particuliers concrets intégraux. Bien que les animaux ayant des cœurs sont les mêmes les animaux ayant des reins,
les instances de la possession d’un cœur — en tant que particuliers abstraits —
sont des items tout à fait différents des instances de la possession d’un rein.
Les classes de ressemblances pour les deux propriétés n’ont pas de membres en
commun, et il n’y a pas de base pour l’objection de l’identification.
Objection 2. La difficulté de la communauté imparfaite
En construisant
une classe de ressemblances, nous ne pouvons pas simplement sélectionner un
certain objet O et prendre tous les
objets qui, d’une manière ou autre, lui ressemblent. Cela donnerait une
collection totalement hétérogène n’ayant, comme nous le dirions intuitivement,
« rien de commun » entre ses membres.
Pour éviter de dire que tous les
membres de la classe de ressemblance doivent tous ressembler à O sous le même rapport, ce qui introduit
les rapports conçus comme des universaux d’un point de vue réaliste, nous
devons exiger que tous les membres de la classe de ressemblance doivent non
seulement ressembler à O mais aussi
se ressembler entre eux. Or, bien que nécessaire, cette restriction n’est pas
suffisante. Car considérons les cas où
O1 possède les caractères PQR
O2 possède les caractères QRS
O3 possède les caractères RST
O4 possède les caractères STP
Chacun de ces
objets ressemble à tous les autres. Mais il ne partage pas de propriété
commune. C’est le phénomène de la communauté
imparfaite. Les classes de ressemblances de famille en sont des exemples.
Toutes les classes de ressemblance ne font pas ressortir distinctivement une
authentique propriété universelle. Plus précisément, c’est toujours le cas là
où les membres des classes de ressemblance sont des objets ayant plusieurs
caractéristiques différentes.
Le problème de la communauté imparfaite ne peut pas naître là où nos
ensembles de ressemblance sont des ensembles de tropes. Les tropes, par
leur nature même et leur mode de différenciation, peuvent se ressembler, mais
seulement sous un rapport. Contrairement à un objet matériel complet, une
instance de solidité ne ressemble pas à une foule d’objets différents d’une
foule de manières hétérogènes. La difficulté de la communauté imparfaite
découle de la complexité des particuliers concrets. La simplicité des tropes
met un terme cette difficulté.
Bien que par l’appel aux
ressemblances entre tropes, les perspectives d’une résolution du problème des
universaux soient meilleures qu’en faisant appel aux ressemblances entre
particuliers concrets, il n’est pas du tout évident que cette idée soit la
bonne. La difficulté est que nous avons une réponse à la question :
Qu’est-ce que deux carreaux polis ont en commun, ceci étant ce en vertu de quoi
ils sont tous les deux polis de manière caractéristique. Ils contiennent tous
les deux le trope être-poli-de-telle-et-telle-façon ; la correspondance entre ces tropes apparaît lors de leur
constitution. Mais alors nous forçons aussitôt la question à se reposer :
qu’ont en commun deux tropes caractérisant un état qualitatif de
polissage : en vertu de quoi se correspondent-ils ? Et nous n’avons
alors pas de réponse, ou bien seulement des réponses qui reconduisent le
problème : ces tropes se ressemblent
ou sont les mêmes, en vertu de leur nature, en vertu de ce qu’ils sont.
Cela nous laisse muets devant la question : pourquoi la manière d’être
d’un trope rugueux n’est-elle pas un fondement pour sa correspondance avec un
trope poli ? Nous ne pouvons pas dire qu’il s’agit ici d’une sorte de chose inadéquate entre le
premier et le second. Nous devons juste dire : parce qu’il ne l’est pas.
Les explications doivent donc s’arrêter quelque part. Mais y a-t-il un lieu
satisfaisant pour cela ?
7/ Le
rôle de l’espace en philosophie première
La métaphysique des particuliers
abstraits offre une place centrale à l’espace, ou à l’espace-temps, en tant que
cadre formel du monde. C’est à travers la
localisation que les tropes acquièrent leur particularité. Mieux, ils sont ainsi
identifiés et différenciés les uns des autres. Encore mieux, l’identité
continuée dans le temps des tropes qui peuvent se mouvoir est connectée à un
tracé continu dans l’espace-temps.
Toujours mieux, l’espace (et le
temps) sont impliqués dans la co-localisation, ou comprésence, laquelle
est essentielle à l’explication des particuliers concrets par la théorie. La
théorie semble donc engagée envers la thèse que toute réalité est spatio-temporelle.
Ceci donnerait lieu à un bon coup de balai aux dieux transcendants, anges
thomistes, esprits cartésiens, noumènes kantiens, comme à l’intégralité de
l’ontologie de Berkeley. Mais cette façon de dire est trop précipitée, trop
dédaigneuse.
Il y a en fait une possibilité moins radicale
qui reste ouverte. Précisément : dans la mesure où il pourrait y avoir des
particuliers non spatio-temporels, il devrait aussi y avoir à ce titre quelque
analogue à l’ordre localisant de l’espace. Et dans ce cas, il y aura un analogue de la
localisation pour faire office de principe d’individuation pour des
particuliers abstraits non-spatiaux.
Accepter qu’il puisse y avoir des particuliers
non-spatiaux dans la mesure où ils appartiendraient à une disposition analogue
à celle de l’espace montre suffisamment de générosité envers des items aussi suspects.
Toutefois, nous n’en avons pas terminé avec le statut
spécial de l’espace. Les caractéristiques géométriques des choses – leur forme
et leur volume – jouent un rôle distinctif. La forme et le volume ne sont pas
des tropes comme les autres. Leur présence dans toute somme particulière de
tropes n’est pas une question contingente, optionnelle. Car la couleur, le
goût, la solidité, la salinité, et ainsi de suite, possédés par toute chose, ne
le sont que s’ils sont par essence disposés dans l’étendue. Ils existent – en supposant
qu’ils le fassent – sur toute une aire donnée ou dans un volume spécifique. Ils
ne peuvent jamais être présents qu’en un volume ayant une forme. Par essence,
les tropes sont donc régionaux. Et cela implique la présence essentielle d’une
forme et d’une taille pour toute occurrence de trope. Le fait très souvent
remarqué que forme et taille ne se trouvent jamais l’une sans l’autre, comme
des jumeaux siamois, est consubstantiel à ce statut particulier des
caractéristiques géométriques.
On ne trouve jamais la couleur, la solidité, la
force autrement qu’en tant que couleur-de-cette-région,
solidité-de-cette-région, et ainsi de suite. Où que soit un trope, il y a donc
un volume doté de forme. De manière converse, forme et taille ne se présentent
pas de façon autonome mais toujours en compagnie d’autres caractéristiques. Une
simple région, dont les frontières ne marquent aucune distinction quelle
qu’elle soit, n’est un être distinct et unique que de manière artificielle.
Les caractéristiques géométriques sont donc deux fois
spéciales ; elles sont essentielles aux tropes ordinaires, et en
elles-mêmes elles sont insuffisantes pour compter comme des êtres propres. Il
vaut donc mieux considérer de ce fait la forme et le volume autrement que comme
des tropes par eux-mêmes. Les tropes réels sont les qualités-d’un-volume-doté-de-forme.
Les distinctions que nous pouvons faire entre la couleur, la forme et la taille
sont des distinctions faites en pensée, auxquelles ne correspond aucune
distinction dans la réalité. Un changement dans la taille ou dans la forme
d’une occurrence de rouge n’est pas l’association du même trope rouge avec
différentes tropes de forme et de taille, mais l’occurrence d’un trope de rouge
(au moins partiellement) différent dans son occurrence même.
Il n’y a pas de corrélation directe entre des descriptions distinctes et des tropes
distincts. Que les prédicats ne collaborent pas de concert avec les tropes est
important, car en cela réside la possibilité de la réduction : grâce à
elle il apparaît qu’un trope peut consister en des tropes qui, avant la
découverte de la réduction, auraient été considérés comme « autres ».
La réduction est le cœur et l’âme de toute cosmologie scientifique. Les
réductions qui impliquent des éléments dans des corps matériels familiers, à
l’échelle humaine, permettent d’expliquer de la meilleure façon pourquoi les tropes
apparaissent ordinairement dans des faisceaux comprésents qui ne peuvent être
scindés et dont les membres résistent à une manipulation indépendante.
8/ La philosophie
du changement et la cosmologie moderne
L’admission des particuliers
abstraits comme catégorie ontologique de base nous ouvre une voie prometteuse
dans la philosophie du changement. Nous sentons tous, au plus profond de nous,
qu’une distinction radicale est à faire entre diverses sortes de changements, tels
que le fait de devenir chauve et le fait de devenir grand-père. Les premières
sortes nous concernent directement. Elles sont intrinsèques, tandis que les
autres sont en quelque manière dérivées, dépendantes ou secondaires. Si nous
nous satisfaisons d’une analyse du changement en termes d’applicabilité de nos
descriptions, les deux sortes de changement semblent toutefois compatibles.
Nous pouvons rendre justice à notre sentiment intérieur
et atavique en distinguant les changements pour lesquels différentes
descriptions s’appliquent à O en
vertu d’une nouvelle situation de tropes relatifs à O lui-même ; et les changements pour lesquels les nouvelles
descriptions s’appliquent comme conséquence d’une nouvelle situation incidente
de tropes se produisant quelque part ailleurs. Les changements dus aux tropes
deviennent la base métaphysique d’où les autres formes de changement dérivent.
Nous pouvons reconnaître trois types basiques de changements
dans lesquels les tropes entrent :
1/ Les mouvements : des glissements, des inflexions où des tropes conservent
leur identité. Lorsqu’une balle de cricket se déplace de la batte vers la
limite de zone, elle conserve son identité, et les tropes qui la constituent
conservent aussi leur identité. De nombreux exemples
de relations sont impliqués néanmoins : être aussi loin que, envoyé dans
telle direction, depuis tel ou tel lieu. En raison de tout ce qui a été dit
jusqu’ici, ce sont aussi des tropes. Beaucoup de ceux-ci jouissent d’une brève
occurrence lors de n’importe quel mouvement. Comme il ne peut pas y avoir de
relations sans termes, dans une métaphysique faisant des tropes de premier
ordre les termes de toutes les relations, les tropes relationnels doivent
appartenir à un ordre dérivé ou second.
2/ Les substitutions, dans lesquelles un trope ou plus s’évanouissent et
où d’autres prennent leur place. La combustion est un cas classique. L’objet
consumé ne conserve pas son identité. Ses tropes constituants ne sont plus. A
leur place il y en a d’autres qui n’avaient pas d’existence au préalable.
3/ Les variations. Un objet devient plus dur ou plus souple, plus chaud ou
plus froid. Avec de telles qualités admettant des degrés, je pense que nous
pouvons accorder que le même trope, déterminable dans son caractère quoique
déterminé en tout point donné du temps, est impliqué. Appelons cursus (thread) un élément
abstrait pris dans une situation et s’étendant dans le temps. Les variations
sont des cursus homogènes ; les
processus, comme la combustion, des cursus
hétérogènes.
Le concept de cursus est très utile pour ordonner les catégories. La stabilité est
représentée par ceux des cursus les
plus homogènes de tous. Les variations dans une quantité n’impliquent pas de
discontinuité profonde, comme nous l’avons vu ; les différentes parties de
ce décours temporel sont simplement des instances du même type de propriété.
Les événements sont de différentes natures :
un accroissement de température est une altération le long d’un cursus homogène : une explosion
fait cesser de nombreux décours temporels et en initie de nombreux autres
différents. Les évènements, les processus, les stabilités et les continuités
sont tous explicables comme des variations dans la configuration de présence
des tropes. Tous sont des catégories constructibles à partir de la même base en
termes de particuliers abstraits.
Les tentatives pour mettre en relation ces trois
espèces de changements sont bien sûr une partie parfaitement propre de la
cosmologie. L’atomisme classique, par exemple – l’apothéose du particularisme
concret – implique la thèse que les trois types de changement se résolvent,
selon une analyse plus fine, en mouvements, notamment en mouvements de
corpuscules.
Mais l’atomisme classique est faux, et aucun type
d’atomisme ne semble actuellement prometteur. La cosmologie de la relativité
générale requiert une conception holistique de l’espace-temps. Et elle semble
en appeler positivement au trope métaphysique et à une rupture avec le
particularisme concret. La distinction entre « matière » et
« espace » n’est plus absolue dorénavant. Toutes les régions possèdent
à quelque degré ces quantités qui, en dose suffisante, constituent la matière
des objets parmi lesquels nous vivons, nous déplaçons, et avons notre être.
Le monde se résout en six quantités, dont les valeurs
à chaque point spécifient le tenseur pour l’espace-temps courbé à ce point. Les
corps matériels sont des zones de courbure relativement haute.
Le concept familier d’un individu complexe, distinct,
concret se dissout. A sa place,
nous obtenons le concept de quantités avec des valeurs dans des régions données.
De telles quantités, en des localisations particulières, sont des particuliers
abstraits dissociés, ou tropes. Considérant leur occurrence et leur variation à
travers tout l’espace et le temps, ce sont des cursus pandémiques homogènes. La métaphysique des particuliers
abstraits trouve ainsi une justification en fournissant le matériel le plus
approprié pour exprimer la cosmologie contemporaine.