Sur ce qui n’est pas
(1982)
Richard (Sylvan) Routley
La réduction ontologique ultime de Quine est radicale. Qu’est-ce qui existe ? Simplement l’ensemble vide, et les ensembles construits en le prenant comme élément. On entre, donc, dans un paysage véritablement désertique, et la réduction a l’ampleur d’une « débâcle ontologique » … « Une leçon à tirer de cette débâcle est que l’ontologie n’est pas ce qui compte principalement » ([5], p.189 ; les citations sont de Quine).
La plupart des choses n’existent pas. Pour toute chose qui existe, comme par exemple le réacteur nucléaire de Three Mile Island (un produit bizarre de l’ensemble vide), il y a plusieurs choses qui n’existent pas, en premier lieu des abstractions comme l’ensemble vide et la propriété d’être ce réacteur. Et il y a un très grand nombre d’abstractions outre celles directement générées par l’ensemble vide et les choses qui existent. Ces vérités, nous les tenons pour élémentaires, et là où elles ne sont pas évidentes par elles-mêmes, il est possible d’argumenter en leur faveur[1]. Quine, toutefois, par un coup hardi, a dérobé la part la plus importante de la terminologie que d’ordinaire nous utilisons pour établir et défendre ces faits élémentaires – et aussi loin que la plupart des philosophes s’en inquiètent, il l’a fait en toute impunité.
Le larcin est évident dès les premières lignes du « Sur ce qu’il y a » de Quine, un influent texte d’époque[2], issu d’un temps où l’ontologie importait davantage – un texte dont la discussion est le but premier du présent article. Le problème ontologique y est dit pouvoir être formulé en ces termes : « Qu’est-ce qui existe ? », à quoi l’on répond : « tout » ; une réponse que « tout un chacun considérera comme vraie » (p. 1). Le problème ontologique en question est toutefois celui de savoir ce qui existe ou (peut-être en un autre sens) de savoir ce qui a de l’être, ce qui n’est pas seulement un problème très différent de la question à laquelle il est aisé de répondre lorsque l’on demande quelles choses sont, mais aussi un problème pour lequel « tout » n’est pas vraiment une réponse, puisque de nombreuses choses n’existent pas. Le larcin concerne les expressions françaises « qu’est-ce qui », « il y a », « existe », « chose », et « tout », que l’on utilise plutôt d’habitude sans import existentiel, afin de considérer des items qui n’existent pas et qui n’ont pas d’être, et de discourir à leur propos. Considérons simplement les questions en « Qu’est-ce que … ? » qui concernent les objets fictionnels ou les objets des théories fausses, par exemple « Qu’est-ce qu’un Hobbit ? », « Qu’est-ce qu’un phlogiston ? », ou des questions comme « Qu’est-ce qu’une chose impossible ? », « Qu’est-ce qu’une chose simplement possible en tant qu’elle est distincte d’une chose existante ? ». Il n’est donc pas simplement ironique que Quine puisse, par la suite (p.3), écarter avec magnanimité le mot « existe », affirmant qu’il dispose encore de « est »[3].
Une fois que les biens volés ont été restitués, ce n’est pas un grand exploit que de résoudre nombre de puzzles philosophiques, anciens mais gratuits, en commençant par l’énigme platonicienne du non-être, selon laquelle « le non-être doit être en quelque sens, car sans cela, qu’est-ce qui, alors, ne serait pas ? » (pp.1-2). Considérons quelque chose, disons d, qui n’existe pas, où d est par exemple le cercle carré de Meinong. Ainsi ce qui n’existe pas, dans ce cas, est d ; mais il ne suit en aucune façon, de « d est non-existant », que « d existe ». Des non-entités telles que d n’ont pas d’être, en aucun sens que ce soit. C’est fondamentalement parce que la caractéristique spécifique d’une chose et la propriété d’être une chose ont été illicitement restreints à ce qui existe, ou à ce qui a de l’être, qu’un puzzle semble être apparu : car nous nous contredirions certainement à dire que ce qui a de l’être n’a pas d’être. Il n’y a toutefois aucune contradiction à dire que ce qui est une chose ou un objet, par exemple d, peut ne pas avoir d’être, en quelque sens que ce soit, et cela détruit ce que Quine appelle la barbe de Platon, sans utiliser ni émousser le rasoir d’Ockam. Car pour que le rasoir d’Ockham reste aiguisé, il est juste requis que les entités ne soient pas multipliées sans nécessité ; or aucune multiplication d’entités n’a été faite, aucun boursoufflement de l’univers (de ce qui existe) n’a eu lieu. En effet, la théorie des objets autorise une réduction très substantielle de ce qui est dit exister, de telle sorte que ce qui est dit exister peut coïncider avec ce qui existe véritablement, c’est-à-dire seulement certains objets individuels actuellement localisés dans l’espace.[4] Toutefois, et surtout, le rasoir d’Ockham renferme plusieurs confusions exactement de la sorte de celles qu’il est important de faire disparaître. En particulier, le dictum ockamien, d’après lequel les entités [ou de manière différente, les objets] ne devraient pas être multipliées sans nécessité, suppose qu’il est en notre pouvoir d’augmenter ou d’affaiblir le nombre d’entités [ou d’objets] : mais évidemment, en un tel sens – en tant qu’opposé à la création ou destruction d’objets par l’activité de quelqu’un – ce n’est pas le cas. Ce que nous pouvons augmenter ou réduire n’est pas ce qui existe mais ce que nous disons exister, ce à propos de quoi nous parlons (ce dont nous décidons de parler) ou ce que nous, ou nos théories, disons exister – une confusion qui imprègne les récents critères de l’engagement ontologique, les thèmes de la relativité de l’ontologie, et les programmes de réduction ontologique.
Parce que d n’a pas d’être, il n’y a pas de raison de tenter, comme le philosophe McX de Quine, de lui assigner une sorte d’être, c’est-à-dire une existence idéationnelle en tant qu’idée dans les esprits des hommes. Pégase et l’idée de Pégase restent, tels qu’ils sont, des items distincts : Pégase est un cheval, l’idée de Pégase n’en est pas un, car les idées ne sont (de manière significative) pas des chevaux : Pégase n’existe pas, mais l’idée de Pégase le fait supposément ; et ainsi de suite. En fait, Meinong a fourni des arguments détaillés montrant que les idées sont différentes des objets qu’elles présentent. L’un deux, présenté plus formellement (que dans [7], p. xxv), est le suivant :
1. Les idées, en vertu de leur nature propre, sont à propos de quelque chose (de quelque objet)
2. Les idées, lorsqu’elles apparaissent, existent. (On peut se dispenser de cette prémisse, qui est rejetée dans [2]).
3. Si les idées étaient identiques à leurs objets, tous leurs objets auraient existé à chaque fois que quelqu’un avait une idée à leur propos.
4. Mais il y a des objets qui n’existent jamais (par exemple, le perpetuum mobile et Pégase)
5. Par conséquent, les idées ne sont pas identiques à leurs objets
Quine fait lui-même une distinction similaire, quelque part ailleurs :
…. identifier le Parthénon avec l’idée du Parthénon est simplement confondre une chose avec une autre ; et tenter de soutenir qu’il y a quelque chose comme Cerbère en l’identifiant avec l’idée de Cerbère revient à faire une confusion similaire.
Oui, c’est confondre une chose avec une autre. Le « passage essentiel » de Quine dans [22], §33, répété encore et encore, est toutefois que
Certains mots signifiants qui, d’un point de vue grammatical, sont des noms propres, « Cerbère » de façon notable, ne nomment rien (p.202),
auquel il est par ailleurs rapidement fait référence comme à « la conception erronée que « Cerbère » doit nommer quelque chose ». En fait, mais pas par nécessité, « Cerbère » nomme quelque chose – non pas l’idée de Cerbère, mais Cerbère. Il n’y a pas d’erreur : « Cerbère » nomme Cerbère, par là « Cerbère » est particularisant et nomme quelque chose. Le message de Quine est un plaidoyer pour que nous restreignions les quantificateurs à ceux qui sont existentiellement chargés ; car il est vrai que « Cerbère » ne nomme rien d’existant. Il y a toutefois d’excellentes raisons d’ignorer de tels plaidoyers et de ne pas limiter de la sorte les dispositifs de quantification. L’élimination des restrictions existentielles n’implique en outre aucune des erreurs que Quine s’imagine trouver dans l’importation des non-entités dans le domaine des quantificateurs, ou bien en tant que celles-ci sont nommées : aucune confusion n’est nécessaire entre signification et nomination (bien que la signification puisse être expliquée par l’interprétation – qui est plus vaste que la nomination – en termes de mondes) ; aucune confusion n’est nécessaire entre la signification et les choses dont nous parlons (mais la nomination est une sous-espèce de l’être à propos de) ; il n’est pas nécessaire d’en appeler à des tentatives (inspirées par la Supposition Ontologique)[5] pour faire exister en quelque manière les non-entités, par exemple en tant qu’ombres des entités, ou en tant que noms, ou bien pour les faire exister en un lieu quelconque, comme par exemple dans l’esprit, dans les mythes ou la fiction, et ainsi de suite.
De la même façon, parce qu’il n’est aucunement nécessaire d’assigner une sorte d’être à d, on peut aussi bien se dispenser des fausses dichotomies engendrées par des positions référentielles comme l’empirisme – sur lesquelles s’appuie Quine en mettant sur la sellette le mythique McX – par exemple celles disant que quoi que ce soit ayant de l’être existe soit de façon spatio-temporelle, soit en tant qu’idée dans l’esprit des hommes. Puisque d n’existe pas, il n’existe pas de cettemanière ni de telle autre. D n’existant pas, le problème de savoir comment ou de quelle manière il existe s’évanouit, tout comme le font diverses prétendues difficultés soulevées à son propos.
La position (nonéiste) du sens commun qui a été avancée ne doit pas être confondue avec celle de Wyman, l’autre philosophe non-existant de Quine[6]. Car on n’y soutient pas, par exemple, que Pégase « a son être dans un possible non-actualisé » (p.3) ou d’une autre manière, quelle qu’elle soit, car il n’a tout simplement pas d’être. Plus généralement, la transformation de « c est d » (par exemple « ce à quoi je pense est Pégase » ou « Pégase est un possible non-actualisé ») en « c a son être en tant que d » (par exemple « ce que je pense a son être en tant que Pégase » ou « Pégase a son être en tant que possible non-actualisé ») doit être rejetée ; car elle dépend de la supposition erronée que tous les objets ont de l’être. Pour des raisons similaires, il ne faut pas non plus soutenir, comme Wyman, que Pégase est (p. 3). L’expression « Pégase est », tout comme « Pégase aime », est aberrante dans de nombreux idiolectes français (le mien y compris) : son incomplétude est suggérée par des questions comme : « est quoi ? ». Pour autant que « est » fonctionne de manière intransitive, « x est » signifie, comme l’indique le Dictionnaire (c’est-à-dire [6]), « x existe ». En résumé, nous pouvons accorder à Quine l’usage intransitif de « est », et aussi (comme dans le titre de cet article) celui de « n’est pas ». La position nonéiste ne soutenant certainement pas que Pégase existe, ni non plus, comme le dit Wyman, que Pégase subsiste (c’est-à-dire qu’il existe, bien que ce soit peut-être de manière moindre), elle n’affirme pas que Pégase est, au sens de Wyman.[7] Il s’ensuit, en utilisant la première explication donnée par Quine sur l’engagement envers une ontologie, explication d’après laquelle nous nous engageons nous-mêmes à une ontologie contenant d lorsque nous disons d, que le nonéisme n’est pas engagé envers une ontologie contenant des items qui n’existent pas, tels des possibilia ou des abstractions, car pour chacun de ces x, il est vrai que x n’est pas.[8]
En ce qui concerne des items impossibles comme la coupole ronde carrée de l’Université de Berkeley, la position de Wyman est spécifiquement différente de celle de la théorie des objets et de la position de Meinong (pour celle-ci, voir par exemple [7], chapitre 12). Par contraste avec le « joyeux nombre violet », il n’y a rien qui soit dénué de sens à propos de « la coupole ronde carrée », alors que c’est ce que Quine fait dire à Wyman (p.5)[9]. Wyman, comme les rationalistes traditionnels, restreint de façon injuste les objets qui n’existent pas à ce qui est possible. La théorie de l’objet, en écartant cette restriction, n’admet pas, de ce fait, « un royaume de possibles non-actualisés » : « royaume », tout comme « univers » et « (le) réel », charrient des sous-entendus ontologiques. Bien que des items tels que les carrés ronds soient impossibles, ils ont malgré tout des propriétés (distinctives). Ainsi, divers ensembles non-nuls d’impossibilia peuvent être formés, mais ces ensembles n’existent pas plus que leurs éléments ou que d’autres ensembles abstraits.
Malgré les différences entre la position de Wyman et celles qui sont plus authentiquement meinongiennes, on suppose généralement que les objections scolastiques de Quine contre les possibles non-actualisés de Wyman créent des dommages sérieux, voire irréparables, pour toutes ces positions. Ainsi, par exemple, Kenny ([8], p.169) écrit : « je pense que ces objections rendent intenable la notion d’objets purs meinongiens ». Loin s’en faut pourtant, comme nous tentons maintenant de l’expliquer. L’attaque principale de Quine (p.4) est que les objets possibles sont « disparates » et « à peu près impossibles à corriger » ; et la base d’une telle attaque réside dans la supposition que « le concept d’identité est simplement inapplicable à des possibles inactualisés ». La supposition est injustifiée, car il est commun de former des jugements d’identité et de différence à propos de tels objets, à la fois de manière ordinaire et dans des discours plus techniques. De tels jugements ne manquent pas non plus de garanties du point de vue de la critérisation . Car les mêmes notions d’identité – de la manière la plus importante, d’identité extensionnelle – et de distinction s’appliquent de la même manière aux non-entités, aux objets qui n’existent pas. Comme pour les entités, le critère d’identité pour les non-entités est la coïncidence dans les propriétés extensionnelles. Ainsi, par exemple, Hercule et Héraclès sont identiques, même si certaines personnes l’ignoraient et que d’autres l’ignorent toujours. Le critère pour la distinction réside dans la différence positive des propriétés extensionnelles. Ainsi, par exemple, Pégase est distinct de Thunderhead parce que Pégase a la propriété (extensionnelle) d’être ailé, tandis que Thunderhead ne l’a pas. Par conséquent, les non-entités peuvent« de manière sensée, être dites identiques avec elles-mêmes, et différentes les unes des autres » (pace p.4). De plus, loin que « le concept d’identité soit simplement inapplicable aux possibles inactualisés », c’est précisément le même critère, ordinairement utilisé, qui est classiquement présupposé – par la théorie commune – dans des résultats trompeurs, comme par exemple ceux où Pégase et Chiron sont considérés comme étant un seul et même être parce qu’ils ont les mêmes traits (c’est-à-dire aucun). Mais, à strictement parler, ce qui est vrai des non-entités dépend classiquement de la théorie des noms et des descriptions que l’on adopte.[10] Dans la théorie des descriptions de Russell, toutes les non-entités sont identiques, et en effet toutes les assertions concernant les possibillia inactualisés b et c sont indéterminées parce qu’il est faux que b = c et faux que b c. A ce stade, une incohérence latente dans la position de Quine devient apparente. Car il ne peut à la fois être faux – comme ça l’est dans la théorie de Russell, adoptée par Quine (pp.5-6) – et dépourvu de sens, au sens de l’inapplicabilité conceptuelle – comme Quine suggère que c’est le cas – que des non-entités soient identiques et non distinctes.
Les critères de l’identité qui ont été donnés, classiques comme non-classiques pris ensemble, servent aussi à surmonter des exagérations familières comme celle de Kenny ([8], p.168) :
La plus sérieuse – l’insurmontable en effet – objection aux objets purs meinongiens est qu’il est impossible de fournir le moindre critère d’identité pour eux.
Puisque des critères s’affrontent, il est parfaitement possible de les fournir, et les critères rivaux peuvent être évalués de manière critique, par exemple, en termes de leurs conséquences. Mais l’objection que les non-entités n’ont pas de conditions (claires) d’identité est inlassablement répétée dans la littérature, malgré la facile disponibilité des critères. Un autre exemple récent, où l’objection est aussi utilisée comme fondement pour écarter la théorie de Meinong[11], se trouve dans Linsky ([23], pp.35-36, transposées) :
Meinong parvient très près de la saisie …. de nos intuitions à propos de la référence dans le langage naturel et sa théorie ne semble pas mener à des contradictions comme il largement supposé qu’elle le fait. Ce qui nous perturbe à propos de l’explosion de sa population ontologique est, je crois, que ces objets n’ont pas de conditions d’identité claires.
Est-ce que l’actuel roi de France est identique avec l’actuel roi de Chine ? Il semble ne pas y avoir de principes pouvant être utilisés afin de fournir une réponse à de telles questions. Une réponse est aussi raisonnable qu’une autre et cela fait paraître mal utilisée la notion même d’objet ici.
Exception faire de la toute première affirmation, ceci doit être corrigé point par point. Bien que la théorie de Meinong ne conduise pas à des contradictions si elle est minutieusement (re-)formulée, la description que Linsky [23] en donne aboutit à une contradiction (étant donnée une logique très minimale) :
Mais Meinong soutient contre Frege que ce que les phrases de cette forme [⸢(ιx)(φx)⸣ ] dénotent est toujours (ιx)(φx) …. L’insistance à dire que [ ⸢(ιx)(φx)⸣ ] conduit immédiatement à un cas spécial de l’indépendance de l’être-tel envers l’être, car cela implique que φ(ιx)(φx) est toujours vrai pour tout choix de φ.
Que pour tout φ, [ ⸢(ιx)(φx)⸣ ] dénote (ιx)(φx) est distinct du principe d’indépendance (comme le montrent les variétés de logiques libres) et n’implique pas f(ιx)(φx) (comme les contre-modèles de logique neutre le montreront). Le principe de caractérisation non qualifié φ(ιx)(φx) que Linsky attribue par erreur à Meinong (p.33, comme p.34) est un principe excessivement préjudiciable, et contrairement à ce que dit Linsky (p.35), il conduit à des propositions de la forme p & ~p. Car prenons comme exemple simple l’objet (ιx)(Rx & ~Rx). Ainsi, en vertu du principe ci-dessus, Ra & ~Ra.
Il n’y a pas d’« explosion de la population ontologique » dans la théorie de Meinong : suggérer cela, c’est travestir cette théorie. Les conditionsd’identité pour les objets y sont claires, même si, comme c’est aussi le cas pour les objets existants, il n’est pas toujours clair ou déterminé que certains objets sont les mêmes ou non. Puisque ces principes ordinaires d’identité fournissent une réponse à des questions comme celles de Linsky à propos des rois, ce sont certainement des principes qui offrent des réponses à des questions de ce type – et de façon similaire, des théories des descriptions, comme celle de Russell, fournissent des réponses, même si celles-ci sont fausses, par exemple que le roi de France = le roi de Chine. En fait, le roi de France est distinct, sur le mode Leibnizien, du roi de Chine, car l’on peut penser à l’un et pas à l’autre, et une théorie amenant à un résultat différent serait difficilement raisonnable. Et dans les suppositions de Linsky à propos de la théorie de Meinong, on suppose que les deux rois sont distincts extensionnellement, puisque l’un est roi de France, tandis que l’autre ne l’est pas (il est roi de Chine) : ainsi, différant sous des rapports extensionnels, ils sont de fait distincts. De la sorte, aucun élément de preuve solide ne se trouve ajouté, sur la base des conditions d’identité, pour soutenir que la notion d’objet est appliquée de manière fautive dans la théorie de Meinong.
Dans le cas de la ressemblance (likeness) et la similarité, Il en va comme pour l’identité : l’explication (account) qui s’applique aux entités est aussi celle qui s’applique aux non-entités, deux items étant ressemblants s’ils ont des propriétés en commun suffisamment nombreuses. C’est sur cette base que nous disons qu’une dryade et une naïade se ressemblent, et cela plus que ne le font une licorne et un centaure. Par suite, des choses possibles se ressemblent, mais comme dans le cas des entités, la ressemblance en général n’est pas suffisante pour l’identité. Ces simples points répondent à toutes les prétendues difficultés soulevées par Quine à propos des objets qui n’existent pas, exception faite du nombre d’hommes dans l’embrasure de la porte. Brièvement : les concepts d’identité et de distinction, de ressemblance et de différence, sont applicables aux non-entités, et les critères pour leur application sont les mêmes que dans le cas des entités. Par suite, de même, les notions relatives à la théorie des ensembles sont aussi bien applicables aux non-entités qu’aux entités, les concepts numériques s’appliquent. Comme Locke et Leibniz l’ont soutenu contre les scolastiques, et comme Frege l’a réitéré ([26], p.31), diverses classes de possibilia peuvent être comptées et dénombrées. Un homme non-actuel dans l’embrasure de la porte appartient à la classe des trois éléments consistant dans Pégase, Hercule et un homme non-actuel sur le pas de la porte (non pas, comme le soutiendrait la théorie propre de Frege, adoptée dans le ML de Quine, comme une classe à un seul élément comprenant l’ensemble vide). Similairement, il peut être assez sensé de demander « Combien d’objets d’un type donné possèdent une propriété donnée ? » même lorsque quelques-uns ou aucun des objets n’existent. Le principal problème, qui n’est pas spécifique aux non-entités, réside dans la détermination des propriétés qu’ont les objets en question, et non pas dans des questions de sens.
Quine suggère toutefois (par exemple, p.4, « quel sens attribuer à … ») que des questions telles que « combien d’hommes obèses possibles se trouvent dans l’embrasure de la porte ? » n’ont aucun sens, et par conséquent, que les assertions correspondantes de la forme « Il y a n hommes obèses possibles dans cette embrasure de porte » sont dépourvues de sens. Car la question est dotée de sens si les usages correspondants de l’indicatif le sont. Mais de prime abord, les usages de l’indicatif sont signifiants (et l’on peut utiliser des transformations ou construire des arguments qui révèlent que les phrases sont signifiantes) : elles ne contiennent pas d’erreurs de catégorie ou de type. Elles ne peuvent donc pas être raturées, de manière justifiée, en tant que mal formées : même si elles peuvent frapper le non-initié par leur étrangeté, elles exigent des aménagements logiques. Par conséquent, de telles questions et de tels usages de l’indicatif, sont tout autant un problème pour les positions logiques classiques que pour la position non classique contre laquelle elles sont dirigées.
Considérons maintenant une embrasure de porte plus proche, et un homme obèse arbitraire qui n’a jamais existé, par exemple M. Pickwick. Demandons si M. Pickwick se trouve dans l’embrasure de cette porte. La réponse, en tant qu’il s’agit d’une question d’observation, est non. Dans des contextes littéraux, la réponse est la même dans le cas de tout autre homme obèse simplement possible. Ainsi, la réponse à la question « combien (simplement) d’hommes obèses possibles se trouvent dans l’embrasure de la porte ? » est : zéro. On peut s’attendre à la même réponse sur la base de fondements plus théoriques. En vertu d’une thèse familière et classiquement acceptée, attribuée à Brentano, un item simplement possible ne peut pas se tenir dans des relations intégralement physiques avec des items actuels, telles que être dans, ou se trouver dans. Par conséquent, des hommes simplement possibles de n’importe quelle variété, obèses ou minces, chauves ou non, ne peuvent pas se trouver dans des embrasures de porte réels. La réponse aux questions de Quine sur le nombre (combien ?) est : zéro. Il y a zéro hommes possibles dans cette embrasure de porte, zéro hommes possibles qui sont obèses, et exactement le même nombre d’hommes simplement possibles qui sont minces.
Les réponses fournies à ces dernières questions relèvent, de nouveau, de l’orthodoxie classique, même si les raisons pour ces réponses viennent d’un moule quelque peu différent. Puisque l’orthodoxie classique, avec son dispositif quantificationnel limité, rencontre de sérieuses difficultés pour exprimer ses réponses, présentons-les pour elle. Comme aucune non-entité n’existe, de quelque sorte qu’elle soit, il y a exactement autant d’hommes obèses non-existants qu’il y en a de minces, c’est-à-dire aucun, il n’y en a donc aucun qui peut se trouver dans une quelconque embrasure de porte[12]. En résumé, l’orthodoxie classique peut déjà fournir des réponses à celles des questions de Quine qui sont reconnues comme les plus difficiles – contredisant des attaques comme celles qui affirment que de propriétés d’identité, de différence, et numériques, ne peuvent pas être attribuées de manière signifiante à des non-entités, et sapant par là-même le fondement de nouvelles attaques relatives à leur caractère disparate et à leur incorrigibilité.
Il n’est pas facile d’éviter l’impression qu’une des nombreuses raisons, pour lesquelles les questions de Quine ont été considérées comme créant des difficultés particulièrement sévères pour les théories des objets non-existants, tient au fait que « un homme possible est dans l’embrasure de la porte » a été confondu avec « il peut y avoir un homme dans cette embrasure de porte », parce que les modalités de re ont été confondues avec les modalités de dicto (en un sens de cette distinction épineuse). Puisque la dernière affirmation, comme la pure affirmation de dicto « Il est logiquement possible qu’un homme se trouve dans cette embrasure de porte », est ordinairement vraie pour dans des embrasures de porte ouvertes et inoccupées (et supposons que ce soit le cas pour celui que l’on suppose), si la combinaison était correcte, la réponse à la question « combien y a-t-il d’hommes possibles dans cette embrasure de porte ?» - et donc maintenant la question « combien d’hommes peut-il y avoir dans cette embrasure de porte ? » - semblerait être : « quelques-uns à tout le moins », puisque Quine peut se trouver dans cette embrasure de porte, et que la détermination du nombre exact devrait – sur la base de la supposition qu’il est déterminé – devenir un problème épineux mais absolument pas un problème « insoluble ». Mais la combinaison est incorrecte : les phrases ont des analyses sémantiques différentes, la première établissant une relation d’être dans une situation factuelle, tandis que la seconde établit une relation dans quelque monde possible.
Une partie de l’intérêt de la question de Quine vient du nombre de réponses différentes qui ont été données par différents philosophes, des réponses différentes induites en partie par des questions différentes, et non pas seulement les questions de re auxquelles nous avons eu affaire jusqu’ici, c’est-à-dire
(1) Combien d’hommes simplement possibles (non-actuels) se trouvent dans cette embrasure de porte actuelle ?
(2) Combien peut-il se trouver d’hommes dans cette embrasure de porte ?
(3) Combien d’hommes peuvent se trouver (être rassemblés) dans cette embrasure de porte ? ; ou plus précisément, quel est le plus grand nombre d’hommes qui peuvent se trouver dans cette embrasure de porte ?
La question (2) se dédouble selon que le quantificateur collectif est placé avant ou après l’opérateur modal, autrement dit
(2a) De quel nombre n d’hommes est-il vrai que pour ces n hommes, il est possible qu’ils se trouvent (ensemble) dans cette embrasure de porte ?
(2b) De quel nombre d’hommes est-il vrai qu’il est possible que ces hommes se trouvent dans cette embrasure de porte ?
La réponse à la question (3) établit une limite pour la question (2). Il ne fait pas de doute que la réponse à la question (3) est, à tout le moins, plusieurs, mais une réponse plus exacte dépend de la petite taille que peuvent avoir les hommes et de la forme et de la largeur de l’embrasure de la porte (et aussi du type de modalité). La réponse à (2b) est donc : tout nombre entre zéro et la limite. Car prenons k comme l’un de ces nombres quelconques : alors, l’affirmation « il est possible que k hommes soient dans l’embrasure de la porte » est vraie. Par suite, la meilleure réponse à (2) est : indéterminé[13], bien que cette indétermination soit limitée.
Il ne fait pas de doute que le discours ordinaire encourage un certain amalgame des modalités. Considérons, par exemple, « quelques nuages et un possible orage sont prévus à Victoria pour cet après-midi », où l’apparente modalité de re a une expansion de dicto intentionnelle. Une confusion des modalités semblerait endommager la réponse de Parsons à Quine [10], p. 572) :
… lorsque Quine demande combien il y a « d’hommes obèses [simplement] possibles dans l’embrasure de la porte », il fait usage d’une description définie qui, ici, dans cette optique [parce que la clause d’unicité n’est pas satisfaite] échoue à faire référence – car il y a plusieurs hommes obèses possibles dans l’embrasure de la porte.
Il est logiquement possible que plusieurs hommes obèses se trouvent dans l’embrasure de la porte, mais ce serait une opération plutôt invalide que d’en inférer que plusieurs hommes obèses possibles sont dans l’embrasure de la porte – l’analyse de Parsons ne permet quant à elle pas plus un tel coup. Car des propriétés telles que celles de la possibilité et de l’actualité figurant dans l’interprétation de « hommes obèses possibles » et « embrasure de porte actuelle » sont (dans le sens ici recherché) extra-nucléaires et ne sont donc pas caractérisantes. Mais ce qui a été dit n’est pas ce que Parsons a en tête. Il y a une ambiguïté dans « homme obèse possible », selon que « possible » entre dans une description, comme on le suppose plus tôt, ou non, autrement dit qu’il soit tenu comme conséquentiel. Dans cette dernière interprétation, il y a dans la théorie de Parsons une infinité d’hommes obèses possibles dans cette embrasure de porte (la cardinalité est en effet, on le suppose, non-dénombrable), un pour chaque ensemble cohérent de propriétés nucléaires (c’est-à-dire, grossièrement, caractérisantes) qui inclut au moins les propriétés d’être un homme, d’être obèse, et d’être dans l’embrasure de la porte[14]. Une infinité, sans considération de la taille des hommes obèses, donc avec peut-être parmi eux des géants qui prendront toute la place, voire plus, dans l’embrasure de la porte. De tels résultats ne sont pas plausibles mais ils peuvent aisément être évités, en exigeant la possibilité jointe (au sens conséquentiel) de l’occupation de l’embrasure de la porte.
Une limite à cela est qu’on peut objecter que toute théorie des objets (non-existants) génèrera une quantité, très grande, de possibilia se tenant dans cette embrasure de porte. Considérons n hommes obèses possibles se trouvant dans cette embrasure de porte, en choisissant arbitrairement un nombre n. En vertu des suppositions de telles théories (par exemple les postulats de la caractérisation d’objets), quelques n hommes obèses possibles se trouvent donc certainement dans cette embrasure de porte ? La réponse est un non catégorique. De tels postulats ont seulement des rôles minutieusement restreints pour toute théorie qui peut revendiquer d’être cohérente : ils ne justifient pas d’arguments ontologiques, ni d’établir de nouvelles relations extensionnelles entre ce qui existe et ce qui est simplement possible (comme [2] l’explique dans le détail). Rien, évidemment, ne s’oppose à la construction de théories (généralement moins acceptables) ayant des postulats de caractérisation plus larges. Certaines de ces théories, comme celle de Parsons, ingénieuse, donneraient des réponses différentes à certaines des questions de Quine. Ceci est aussi peu surprenant qu’il ne l’est que des théories classiques différentes identifient Pégase avec des objets différents, ou qu’elles admettent des univers d’ensembles différents.
On peut faire une réponse similaire à l’objection connectée selon laquelle nous pouvons offrir une variété d’histoires s’opposant qui décrivent les hommes obèses dans l’embrasure de la porte. A raconte une histoire avec 3 hommes obèses fictifs emplissant correctement l’embrasure de la porte. B surpasse A et raconte un conte dans lequel 10 hommes obèses se serrent dans l’embrasure de la porte. C raconte une histoire allant encore plus loin … combien y a-t-il d’hommes obèses dans l’embrasure de la porte ? 3 dans l’histoire de A, 10 dans celle de B, et disons 98 pour celle de C. Cependant, il ne s’en trouve en réalité aucun, tout comme précédemment. Car le monde de l’histoire de A n’est pas le monde réel. Aucun postulat de caractérisation ne s’applique : nous ne pouvons pas déterminer directement, à partir d’histoires que l’on raconte, des caractéristiques du monde réel comme celles consistant dans ce qui se trouve dans des lieux actuels[15]. Pour ces raisons de même, la réponse de Rescher (dans [14] ) à la question de Quine sur le nombre, précisément, « autant que décrits », n’est pas adéquate (la réponse de Rescher correspond mieux à la question (2) ci-dessus, laquelle peut être la question à laquelle Rescher voulait répondre). Les histoires de A, B et C décrivent des nombres différents et ne peuvent pas toutes être correctes, car il y a une différence entre 3 hommes et 98 hommes. Autrement dit, on peut donner des descriptions différentes et incohérentes, et on peut ajouter des annexes par ailleurs. De plus, les descriptions ne sont pas le seul moyen de spécifier les possibilia ; ces derniers peuvent par exemple être inférés à partir d’une théorie. Que l’approche en termes de raconteurs d’histoires ne puisse pas être correcte devient plus clairement évident si ceux qui racontent des histoires font usage d’hommes obèses réels dans leurs propos, par exemple A et son histoire qui porte sur Herman Kahn et deux autres Falstaff modernes. Une histoire portant sur des personnages réels ne rend pas cette histoire vraie, à l’exception de contextes fictionnels indiqués de manière appropriée. Il en va pour les entités tout comme pour les non-entités.
Le fait est que les différences entre entités et non-entités ont été très exagérées, notamment par les ennemis du non-existant, les empiristes et les idéalistes marchant ici du même pas[16]. Car les non-entités ne sont pas aussi chaotiques, indéterminées ou dépourvues d’indépendance, qu’on a pu les représenter ; tandis qu’en même temps, les entités ne sont pas totalement indépendantes, affranchies de l’indétermination et du vague, qu’on a pu l’inventer. Le pastiche du nuage qui suit, qui peut être reformulé pour un très grand nombre d’autres entités naturelles, devrait aider à établir ces points :
Le bidonville des entités est un vivier pour des éléments disparates. Prenons par exemple le nuage dans le ciel, au-dessus ; et aussi le nuage adjacent dans le ciel. Sont-ils le même nuage ou sont-ils deux nuages ? Comment devons-nous en décider ? Combien y a-t-il de nuages dans le ciel ? y a-t-il plus de cumulus que de nimbus ? Combien d’entre eux sont similaires ? Ou bien est-ce que leur similarité fait d’eux un seul et même nuage ? ….. le concept d’identité est-il simplement inapplicable aux nuages ? Mais quel sens peut-il y avoir à parler d’entités qui ne peuvent pas, de manière signifiante, être dites identiques à elles-mêmes et distinctes d’autres ? Ces éléments sont à peu près incorrigibles … j’ai l’impression que nous ferions mieux de nettoyer le bidonville des entités et d’en finir avec lui.
Et afin de pasticher Kenny aussi : de telles objections rendent la notion d’entité intenable. Ce qui doit être écarté n’est toutefois pas le bidonville des entités et des non-entités, mais l’économie logique classique qui a réduit ces demeures solides à des bidonvilles.
Le pastiche conduit à des arguments supplémentaires. En premier lieu, nombre de problèmes qui sont considérés comme insurmontables dans le cas des non-entités apparaissent aussi dans le cas des entités, en particulier pour des objets naturels tels que les nuages, les orages et les vagues, les montagnes, les chutes d’eau et les forêts. Cependant on ne considère pas que ces problèmes discréditent les entités – et ils ne devraient pas le faire. Il y a donc deux mesures qui sont appliquées ici. Les questions dont on réalise qu’elles ne présentent pas de problèmes insurmontables pour les entités, sont considérées comme le faisant dans le cas des non-entités, desquelles on requiert qu’elles soient déterminées, distinctes, et ainsi de suite, selon des exigences que les entités ne peuvent fréquemment pas satisfaire (voir, outre cela, [2], chapitre 9). Car souvenons-nous des questions pour décider des entités, telles que Wittgenstein et Wisdom nous les ont présentées, et ajoutons-en quelques-unes, par exemple, quelle largeur a le mont Egmont ? Où s’arrête sa pente ? Quelle est la longueur d’une sangsue ? Quelle est la longueur de la barbe de Platon ? Est-ce une nouvelle vague ? Combien de sommets de montagne y a-t-il dans une chaîne de montagne ? Les questions visant à préciser les limites, en particulier, sont très communes pour les entités naturelles : elles sont parfois établies par décision ou convention, et parfois non. On dit aussi parfois d’elles qu’elles ne requièrent qu’une réjouissante indécision.
Une conséquence est que les modèles philosophiques classiques relatifs aux entités, ainsi que les images de l’univers (des entités) qui en résultent, requièrent d’être considérablement ajustés, ou mieux, d’être remplacés. Les modèles des entités ont trop souvent été des artefacts tels que les fournitures et l’équipement de bureau qui, parce qu’ils sont des artefacts humains, ont en effet des frontières claires et des propriétés dénombrables déterminées, par opposition aux objets naturels qui fréquemment, préalablement aux décisions spécifiques, n’en ont pas. Les modèles ont encouragé des dicta comme celui de Quine, « pas d’entité sans identité », construit (sans succès) pour écarter des choses comme les attributs, et qui, trop sérieusement appliqués, excluent de la catégorie des entités nombre d’objets naturels. Ce sont donc les dicta, et non pas les entités, qui doivent être écartés. Doit être aussi écartée, en raison de son caractère trompeur, une image philosophiquement familière des entités comme « le mobilier de l’univers » (Pour une élaboration récente de cette image, voir Findlay [13], p. 328-29, sur « the universe indeniable furniture », et Bunge [24], sur « the furniture of the world »).
Pourquoi le problème de l’identité a-t-il été compris comme étant si sérieux pour les non-entités, et beaucoup plus problématique pour celles-ci que pour les entités ? Il y a de nombreuses sources différentes d’anxiété relativement à l’identité, et afin de voir où se trouvent ces sources et comment aider à les écarter, il importe de distinguer ces différentes sources du Problème supposé. Car différents aspects de la théorie des objets se rapportent de façon appropriée à ces différentes sources. Par conséquent, certaines inquiétudes se trouvent affaiblies par l’appel à l’indétermination, d’autres sont résolues à travers la théorie de l’extensionnalité et de l’identité dans des contextes (frames) intensionnels, et d’autres en faisant usage de caractéristiques qui dérivent des postulats de la caractérisation (des objets). Nous avons au moins ces cas-ci :
1. L’inquiétude qui nait de l’indétermination de l’identité. Certaines affirmations sur l’identité concernant les non-entités sont indéterminées, par exemple (avant qu’une théorie ne résolve le problème) celle portant sur les divers Faust de la littérature qui sont le même. On conçoit toutefois que cela révèle quelque arbitraire et peut-être quelque visée chaotique à propos des non-entités, car la propriété en question, c’est-à-dire l’identité, est une propriété logique. Il apparait donc que le fait que certaines identités concernant les non-entités soient indéterminées fait des non-entités des objets impropres au traitement logique. Ce n’est cependant pas plus le cas pour les non-entités que ça ne l’est pour les entités. Il se trouve simplement qu’un traitement logique satisfaisant devra autoriser, de manière appropriée, l’indétermination. Mieux, cette sorte particulière d’inquiétude devrait disparaitre une fois que l’indétermination, et la façon dont elle est traitée, sont appréhendées ; et en fait il serait considéré comme une caractéristique supérieure d’une théorie qu’elle puisse traiter et expliquer les données sur lesquelles est fondée l’inquiétude en question, plutôt que de simplement l’utiliser comme une raison de rejeter les non-entités hors de portée de la théorie logique.
2. Plusieurs préoccupations dérivent du problème du critère d’identité pour les non-entités. La première apparait parce qu’aucune distinction n’est faite entre l’identité nécessaire et l’identité contingente ; on suppose que les relations d’identité entre non-entités doivent être des identités nécessaires (par exemple, l’identité entre concepts), ce qui donne lieu à la critique erronée selon laquelle les non-entités ne sont rien d’autre que des concepts, en les rendant, par là, inappropriées pour l’analyse intensionnelle, et en sacrifiant beaucoup de l’intérêt substantiel même qu’il y a à disposer de non-entités pour l’analyse intensionnelle (sur cela, voir [2], le chapitre 8 en particulier). Que la supposition soit erronée devrait être évident lorsque l’on considère les identités contingentes élémentaires, comme « Pégase est ce à quoi je pense ». L’identité nécessaire est à juste titre perçue comme génératrice de problèmes sérieux, mais on n’en perçoit pas les alternatives. Les difficultés sont surmontées par une théorie de l’identité extensionnelle (comme dans [16]), qui s’applique aux non-entités, tout comme aux entités. Ainsi, aucune « thérapie des concepts » n’est requise pour « la réhabilitation des objets qui n’existent pas » (p.4), et elle n’est pas souhaitable non plus.
Un souci demeure. On ne peut pas, pense-t-on, avoir d’identités contingentes entre non-entités, parce qu’il s’agit de l’identité de la référence, et que dans le cas des non-entités, il n’y a pas de référence pouvant être identique. Ce problème est surmonté (dans la théorie de l’identité) en distinguant l’identité de la référence et l’identité extensionnelle, autrement dit l’identité entendue à travers les propriétés extensionnelles. L’identité référentielle, qui peut seulement être appliquée à des items existants, est définie en termes de coïncidence d’entités sous des rapports extensionnels : c’est l’identité extensionnelle des entités. Ainsi, si a et b sont référentiellement identiques, ‘a’ et ‘b’ ont des occurrences référentielles interchangeables[17]. Comme les expressions portant sur les non-entités n’ont pas d’occurrences référentielles dans les énoncés vrais, les non-entités ne peuvent avoir l’identité de la référence. Cependant elles peuvent toujours être identiques extensionnellement (ou de façon contingente), puisqu’elles ont des propriétés extensionnelles, et l’identité extensionnelle des non-entités est la coïncidence des propriétés extensionnelles.
3. La perplexité nait de l’échec à voir que les non-entités peuvent avoir des propriétés extensionnelles, avec ce résultat où l’on conçoit que deux quelconques d’entre elles peuvent être les mêmes. On se sort de cette perplexité dans la théorie des objets par les postulats de caractérisation qui assignent des traits extensionnels aux non-entités sur la base de leurs caractérisations.
4. L’anxiété naît de l’échec des non-entités à avoir des critères d’identité distinctifs, qui soient différents de ceux des entités. Lambert, par exemple, (dans [9], p. 252) semble penser que chaque sorte d’item devrait avoir des critères distinctifs d’identité. Il n’est pas nécessaire qu’il en aille ainsi[18]. Différentes sortes d’items peuvent avoir le même critère d’identité, comme par exemple les possibilia et les impossibilia, ou les propriétés et les ensembles intensionnels, et pourtant être distinguées par d’autres caractéristiques, comme par exemple la supposition d’existence, qui conduit à l’incohérence dans les cas des impossibilia, mais pas dans celui des possibilia ; et les ensembles, qui peuvent avoir des membres, diffèrent catégoriellement des propriétés à cet égard.
Quine suspecte que « la motivation principale pour » inclure les non-entités dans le domaine du discours est d’échapper à « l’énigme du non-être » (p.4) ; or puisque l’on peut d’après lui disposer de façon assez satisfaisante de cette énigme, au moyen de la théorie des descriptions de Russell, et sans faire appel aux non-entités (p.8), il n’y a aucun besoin ni fondement pour une telle extension du domaine de discours. D’après le nonéisme, il a tort sur tous les plans. Premièrement, la solution nonéiste à l’énigme, telle celle de Meinong, est une conséquence secondaire mais plaisante d’une théorie d’abord conçue pour et à partir de l’analyse du discours intensionnel à propos de ce qui n’existe pas (voir [2], le chapitre I en particulier). Deuxièmement, la théorie des descriptions de Russell n’est pas adéquate pour une telle tâche, car elle offre parfois des attributions de valeur de vérité intuitivement fausses. Par exemple, il est vrai que Meinong pensait que le cercle carré est carré, mais quelle que soit la portée que l’on donne à cette phrase dans la théorie des descriptions de Russell, elle reçoit malgré tout, à tort, la valeur de fausseté, incorrectement attribuée. Une fois qu’un tel contre-exemple a été aperçu, il est facile d’en désigner d’autres. Des contre-exemples quelque peu différents sont fournis par des vérités telles que des rapports suivants : si le cheval ailé Pégase n’existe pas, je peux toutefois penser à lui et être conscient qu’il a des ailes.
Les nonéistes n’ont pas de goût pour les discours grossièrement appauvris – ce à quoi aboutit et conduit le goût de Quine pour les paysages désertiques (p.4) – mais ne trouvent pourtant pas d’exemple convaincant pour peupler le domaine de la réalité avec une profusion d’abstractions telles que les ensembles dans leur multiplicité transfinie – à la manière de Quine. (Effectivement, on a le sentiment, à considérer le travail de Quine, qu’au départ il n’y a pas de raison d’admettre que des objets tels que les ensembles existent, à ceci près que l’entreprise immensément importante des mathématiques scientifiquement essentielles ne pouvait pas être conduite sans leur existence. Mais en réécrivant celle-ci en quelque façon, c’est possible : (voir [2], chapitre II. L’exemple résiduel disparait ainsi).
La discussion de Quine du problème ontologique des universaux dans [I] est beaucoup moins détaillée, argumentativement parlant, et moins concluante que sa discussion du problème des particuliers. La critique nonéiste de Quine, qui va suivre, sera donc, de façon correspondante, plus doctrinale et moins détaillée du point de vue des arguments, en regard des thèses qu’il avance. La thèse nonéiste est, en opposition directe avec McX, qu’il n’y a pas d’entités telles que des attributs, des relations, des classes, des nombres, des fonctions, des propositions, et ce qui leur est apparenté : aucun d’eux n’existe, en aucun sens que ce soit. Malgré cela, certains items sont des attributs, d’autres des nombres, et ainsi de suite ; et ces items non-existants joue un rôle important, parfois essentiel, dans le discours, et ils peuvent avoir une rôle explicatif majeur. C’est une telle position, répugnante à la plupart des empiristes, que Quine tente en effet d’écarter comme n’étant pas même une option. Sur ce point, il a moins de réussite, comme nous l’expliquons maintenant.
Le principal coup de Quine est d’essayer de nous imposer un critère d’engagement ontologique en termes d’usage de variables liées, autrement dit qu’« être supposé comme une entité …. c’est être compté comme la valeur d’une variable » (p.13), et plus explicitement,
…. nous sommes coupables d’une présupposition ontologique particulière si et seulement si la présupposition en question doit être comptée parmi les entités que couvrent nos variables afin de rendre vraie l’une de nos affirmations (p. 13, je souligne)
L’argument proposé pour le critère[19] est difficilement contraignant. Alors qu’il est vrai que nous pouvons facilement nous impliquer dans des engagements ontologiques, autrement dit des engagements envers l’existence de certaines choses, en soutenant (dire ne suffit pas) qu’il existe telle et telles choses, ce n’est pas la seule voie par laquelle peuvent apparaitre des engagements ontologiques, sans requérir pour autant de quantification non-existentielle pour nous engager ontologiquement. Quine soutient toutefois dans une inférence qui ressemble remarquablement à une conversion-A que « l’usage de variables liées » …. « est, de manière essentielle, la seule façon par laquelle nous pouvons nous impliquer dans des engagements ontologiques » (p.12). Au regard de cela, cette affirmation est tout simplement fausse : quelqu’un qui soutient que telles et telles choses existent s’engage lui-même tout autant que quelqu’un qui soutient qu’il existe telles et telles choses. L’argument supplémentaire de Quine (pp.12-13) est que le caractère éliminable des noms et des descriptions montre que les noms et les descriptions sont « tous deux insignifiants pour le problème ontologique »[20]. L’argument est invalide : ce qui le supporte n’est pas pertinent. Car « existe » est un prédicat référentiellement transparent, et la paraphrase de « Pégase », par exemple, en « la chose qui pégase » ne fait rien pour éliminer l’engagement, mais ne fait que le reformuler. Que Pégase existe (ou non) reste vrai parce qu’il est vrai que la chose qui pégase existe (ou non). En utilisant des symboles, p = ιxp(x)⊃. E(ιxp(x)⊃ E(p)). Il en va de même pour ce qui est de l’élimination des descriptions. Parce que (E)x ≡ (∃y) (x = y) et E !(x) ≡ (∃!y) (x = y), nous pouvons très évidemment être impliqués dans des engagements ontologiques au moyen de noms et de descriptions, si nous pouvons être impliqués de la sorte à travers l’usage de variables existentielles liées. Et tout ce que montre le fait que l’on puisse désigner, au sein des langues, des noms susceptibles de disparaître, c’est que dans de telles langues, les moyens primitifs d’établir des engagements ontologiques à travers les noms devraient faire défaut. En soi, cela ne montre rien à propos des énoncés pour de tels engagements dans des langues où le pouvoir expressif ne fait pas défaut. La conclusion est donc que l’affirmation de Quine, selon laquelle les variables liées sont le seul moyen par lequel nous pouvons nous impliquer dans l’engagement ontologique, est fausse.
L’usage des quantificateurs et des variables liées, de même, ne nous implique pas toujours dans des engagements ontologiques : l’usage de quantificateurs intensionnellement cachés ne le peut pas, et l’usage de quantificateurs existentiellement ou non-existentiellement neutres ne le fait pas (comme l’expliquent [3] et [4]). Par exemple, l’usage du quantificateur neutre « quelque chose » (qui se développe symboliquement en « pour quelque objet x, x …. »), comme dans l’affirmation « quelque chose n’existe pas », n’engage en aucune manière celui qui l’énonce envers l’existence de « quoi que ce soit » (« quoi que ce soit » peut aussi être utilisé ici de manière neutre). L’équation séduisante « être supposé en tant qu’entité, purement et simplement, c’est être compté comme la valeur d’une variable » (p.13) est aussi faux que simple.
Quine reconnait maintenant les limites du critère : « l’admission d’éléments linguistiques additionnels peut battre en brèche ce standard ontologique » ([21], p.161). Ce qui est vrai est que « lorsque le langage est ainsi (sévèrement) enrégimenté [en regard du cadre de la quantification référentiellement restreinte et aux fonctions de vérité], il ne comprend ontologiquement que les objets que les variables de quantification admettent comme valeurs » (p.161). Ce qui n’estpas vrai, toutefois, est que « la structure de base du langage de la science » relève de cette forme sévèrement enrégimentée[21]. Et il est sensiblement faux que « c’est seulement notre [plutôt, ce] langage de la science, sophistiqué et enrégimenté en quelque façon [par contraste avec l’idiome de l’honnête homme, par exemple] qui a évolué de manière à réellement soulever des questions ontologiques » (p.160). Plus de deux millénaires de discussion philosophique non-enrégimentée à propos de questions ontologiques vont contre cette affirmation, et devraient contraindre sa reformulation. Mais ce que Quine ajoute ne fait qu’aggraver les choses. « La question ontologique … pour le langage ordinaire fait seulement sens relativement aux traductions reconnues dans la notation ontologiquement enrégimentée » (p.161, je souligne, voir aussi p.168), qui peuvent bien ne pas exister. Le seul argument qu’indique Quine en faveur de cette proposition incroyable (p.162) est fondée sur l’adoption de son critère, déjà imparfait, de l’engagement ontologique : l’argument, avec des considérations environnantes, est peut-être mieux construit en tant que réduction à l’absurde de l’adoption de la traduction-dans-la-notation-enrégimentée comme test unique de l’engagement ontologique.
Malheureusement, le faux critère d’origine contamine beaucoup de ce que Quine a à dire sur l’ontologie et les problèmes ontologiques, et rend son discours non admissible. Cela s’applique en particulier à ce qu’il a à dire (spécialement dans [I]) à propos des engagements ontologiques des schèmes conceptuels et à propos du problème des universaux. Le résultat dans le cas des universaux est que la position nonéiste[22], selon laquelle nous pouvons parler en termes quantificationnels des universaux même si rien de cela n’existe, est totalement exclue. Et la séparation de la quantification neutre et de l’existence, telle qu’on la trouve dans le nonéisme, écarte des bases telles que celles qu’ont pu avoir des assertions telles que celles qui suivent :
L’ontologie d’une personne constitue la base du schème conceptuel par lequel il interprète toute ses expériences, même celles les plus communes. Jugé à l’intérieur d’un schème conceptuel particulier …. un énoncé ontologique va sans dire, il se tient sans avoir besoin, en aucune manière, d’une justification séparée.(p.10)
Un schème ou une théorie nonéistes peuvent inclure des notions telles que celle du temps ou du nombre, dont les items ne relèvent en définitive pas d’une existence assignée, et d’autres notions pour lesquelles la question de l’existence est sans réponse ou laissée ouverte (et même dans la perspective de Quine, ce dernier cas peut se produire tant que la quantification est évitée). L’ontologie n’est pas si basique, après tout[23]. Pour des raisons similaires, rénover un schème conceptuel englobant ne détermine pas une ontologie (contrairement à ce que qu’affirme Quine pp.16-17).
Quine tente de faire usage de la relativité des schèmes conceptuels, et de ce qu’il tient pour l’ontologie automatiquement associée, pour écarter les positions sur les universaux telles que celle de McX (p.10). Mais le schème rival que brosse Quine est difficilement très contraignant, et la sérieuse faiblesse de certains de ses arguments devient apparente si on remplace l’exemple qui fonctionne, le rouge, par la fragilité ou la solubilité. Les choses fragiles n’ont rien en commun « si ce n’est une manière de parler populaire, et égarante » ? Les fondements pour évaluer la fragilité ne vont pas plus loin que les choses actuelles qui sont fragiles ? Des propriétés comme la fragilité n’ont pas de « réel pouvoir explicatif » ? Et ce qui est encore plus surprenant est que des prédicats tels que « est rouge » ou « est fragile », quoique signifiants, n’ont pas de signification ! En « refusant d’admettre les significations », Quine s’est par là-même privé de de la sémantique usuelle pour la logique quantificationnelle appliquée qui interprète les prédicats par des universaux, que ce soit théoriquement en tant qu’attributs ou en tant qu’ensembles. McX n’était pas impressionné, on le suppose, par les tentatives de Quine pour faire baisser la température du chaudron dans lequel il s’est lui-même placé avec son rejet tant vanté des significations, et nous ne le sommes pas non plus. La signification ne se réduit pas, comme Quine espère que nous l’admettrons, à la similarité de signification, à moins que – c’est le problème – l’abstraction d’attributs soit aussi admise : mais l’abstraction étant donnée, à travers laquelle la signification peut être récupérée à partir de la similarité de signification, le rouge peut être récupéré à partir des choses qui sont rouges, et ainsi de suite. Quine espère sans doute que nous allons aussi admettre que « ce que l’on appelle fournir la signification d’un énoncé est simplement énoncer un synonyme » ; toutefois, ceci (une suggestion pré-wittgensteinienne) est un travestissement de la gamme de choses pouvant compter comme fournissant la signification d’une expression.
Lorsqu’il s’agit des universaux des mathématiques et de la science physique, en tant qu’ils sont distincts de ceux du sens commun, l’attitude de Quine change soudainement. Le « mythe supérieur » des nombres et des classes est « bon et utile » (p.18). La vérité a disparu : en faisant des essais sur un schème conceptuel ou un autre, ou sur les mythes associés, nous ne faisons que sélectionner, est-il affirmé, ce qui est simple, économique, utile et qui sert nos divers intérêts et buts. Les difficultés importantes relatives aux problèmes des universaux ont été perdues de vue, comme par exemple ce qui est vrai en mathématique classique ; lesquelles, s’il s’en trouve, des affirmations relatives à l’existence des universaux sont correctes ; quelle part des mathématiques classiques relève du mythe (et quel est le prix exact de cette analogie) et qu’est-ce qui peut en être utilisé. N’anticipez pas des réponses claires à ces difficultés dans [I].
Quine suppose que les ramifications intermédiaires et supérieures (la superstructure intermédiaire, selon une image plus tardive) de son schème conceptuel vont l’autoriser à communiquer avec succès avec McX, sur des sujets comme la politique, le temps qu’il fait et le langage (p.16). Etant données les suppositions de Quine à propos de ce qui peut être dit de manière signifiante et les limitations sévères sur son schème conceptuel, ceci devrait frapper qui que ce soit comme étant extrêmement douteux, et certainement comme n’étant nulle part étayé. Les prévisions météorologiques, par exemple, sont, souvent, vraiment intensionnelles et présentent des gradations modales éloignées : l’évaluation intensionnelle de telles prévisions comme celle que peuvent impliquer la discussion du temps qu’il va faire frappe le moins crédule d’entre nous comme allant au-delà largement du discours quinien légitime et du mythe admissible.
Il y a encore autre chose, qui n’est pas d’une importance directe pour le nonéisme, avec quoi on peut être en désaccord avec l’essai de Quine « Sur ce qu’il y a », en particulier dans ses dernières pages. Il y a par exemple de bonnes raisons de contester l’affirmation non étayée (p.19) selon laquelle le schème conceptuel phénoménaliste « revendique la priorité épistémologique ». (Les raisons incluent celles que Austin a mises en avant dans [25] et celles introduites dans l’analyse du phénoménalisme dans [2], chapitre 8). Il est certainement très discutable que « nous adoptons, au moins pour autant que nous soyons raisonnables, le schème conceptuel le plus simple au sein duquel les fragments désordonnés de l’expérience brute peuvent être adaptés et arrangés » (p.16). Ceci est une nouvelle torsion empirico-pragmatique glissante et, à la réflexion, désagréable, de ce que l’on dit être raisonnable. L’expérience brute n’est en aucune façon ce qui doit être expliqué de manière correcte. Beaucoup dépend de plus de la question de savoir si « adapter » revient à forcer ou non, et si le costume de la logique classique est imposé ou non.
Cependant, la position de Quine n’est pas demeurée figée et plusieurs parties de l’essai (l’affirmation de la priorité du schème phénoménaliste est un exemple mineur) ont été abandonnées et sabotées par des travaux ultérieurs. Quine avait été tenté, plus tôt, par le nominalisme (et le phénoménalisme) qui déterminait les priorités et délimitait durement ce qui existe (ou ce qui était dit exister) quoi que la science puisse requérir ; ultérieurement, toutefois, comme cela se voit dans [I], la prise en compte de la science devint le facteur principal dans la détermination des choses qui existent[24], et une ontologie physicaliste des objets physiques et des ensembles, formés à partir de là, pour les mathématiques essentielles à la science, en résulta ; mais récemment, l’ontologie en vint à importer de moins en moins, et une nouvelle ontologie comportant une réduction ontologique, allant vers une limite en termes de théorie des ensembles, a émergé. La tendance à envoyer à la retraite les problèmes ontologiques concernant ce qui existe, en les considérant par exemple comme triviaux, ou comme un sujet pour scientifique, ou à en disposer d’une manière relativiste, en tant que relatifs à une théorie, tout cela était discernable chez Quine depuis longtemps, mais c’est devenu plus saillant avec la mise en avant de thèmes réductionnistes et relativistes.
Selon le thème de la relativité de l’ontologie, nous pouvons enquêter sur l’ontologie d’une théorie seulement relativement à « la théorie d’arrière-plan avec sa propre ontologie adoptée privativement et ultimement inscrutable » ([13], p.165). Mais de toute apparence, la vérité est relative pour Quine, certainement lorsqu’elle est éloignée de l’expérience, c’est une question qui doit être traitée de manière pragmatique, comme choix d’un schème conceptuel (cf [I], p. 18, discuté plus haut). Il y a toutefois une tension plus sérieuse entre la thèse de la relativité et le thème quinien selon lequel l’ontologie est sur le même plan que la science ; par exemple
Ce à quoi ressemble la réalité est l’affaire des scientifiques, dans le sens le plus large, cela relève des conjectures minutieuses, et ce qui existe, ce qui est réel, cela fait partie de cette question ([10], p.22).
Plusieurs choses ont disparu en chemin : (i) la science n’est pas si relative, étant donné que la vérité ne l’est pas, pas plus que ne le sont, d’après ce qui se trouve plus haut, la réalité et ce qui existe, ce qui contredit la relativité de l’ontologie à la théorie. Dans tous les cas, le thème de la relativité n’est de prime abord pas plausible, et les arguments en sa faveur peuvent être battus en brèche, de la même espèce de manière que pour les arguments en faveur de la dépendance de toutes les affirmations de vérité (observationnelles) envers la théorie (cf [12], chap. II, où la thèse que « toutes les entités sont théoriques » est rejetée). C’est assez commun, car à partir de suppositions référentielles, (ii) la vérité et l’existence sont loin d’être indépendantes[25]. En particulier, en vertu de la Supposition Ontologique, s’il est vrai que c a quelque propriété, alors c existe. Ainsi la relativité de l’existence à la théorie devrait se refléter en retour dans la relativité de la vérité à la théorie. Toutefois, (iii) ce qui existe n’est en aucune façon entièrement l’affaire ou la chasse gardée des scientifiques. Car eux aussi peuvent opérer avec un référentiel erroné ou d’autres suppositions (par exemple réductionnistes), et donc conclure, par exemple, à partir de la réduction ontologique, que seuls les purs ensembles existent, ou bien du fait qu’il y a des énoncés vrais à propos de c’s, ou que c’s a des propriétés, conclure que c’s existe. Il y a aussi le sujet crucial des critères d’existence, qui – tout comme le sujet plutôt distinct des critères de l’engagement ontologique – sont tout autant l’affaire des philosophes que de qui que ce soit d’autre.
Bien que l’on tire parfois beaucoup de choses de la différence entre ce que dit une théorie et ce à quoi elle est engagée, les questions distinctes de ce qui existe et de ce à quoi nous autorisent les engagements ontiques sont, de manière caractéristique (mais pas invariable), amalgamés.
Reste la question de ce qu’il y a, ou peut-être mieux, de quels engagements ontologiques nous nous autorisons dans notre discours … cette question, comme n’importe quelle question qui concerne les traits les plus larges de notre schématisme scientifique, doit être traitée pragmatiquement ([17], p.159)
La question de ce qui existe n’est pas ouverte au traitement pragmatique (pas plus qu’au choix), et elle est, toutefois, dans une mesure se réduisant, largement au-delà du contrôle technologique humain. La question tout autre de savoir à quelle théorie donner l’adhésion est, toutefois, ouverte parfois à un choix limité, mais elle n’est pas, dans les cas importants (comme ceux des théories fondamentales ou des schèmes conceptuels), simplement traitée de manière pragmatique. Car le choix d’une théorie est contraint par les données factuelles avant que les facteurs pragmatiques n’entrent en jeu[26] . C’est en partie parce que les critères pour ce qui est dit exister sont ouverts à la négociation, et qu’ils sont, dans une certaine mesure, dépendants des théories, que l’on conçoit que ce qui existe est ouvert de même à la négociation humaine, et relatif à la théorie. Ce qui est relatif à la théorie est ce que les théories assertent exister et, de façon différente, ce à l’existence de quoi elles sont engagées, et non pas ce qui existe. (La confusion est similaire à celle, déjà notée, des applications sous-jacentes au rasoir d’Occam). Bien sûr, ce qui existe et ce qu’une théorie soutient exister sont connectés à travers la vérité, une fois de plus. Si une théorie est vraie et asserte que c’s existe (ou bien si elle est engagée envers l’existence de c’s), alors c’s existe[27]. Mais la vérité ne peut pas être réduite ici à la façon du pragmatisme à l’acceptabilité et consorts, sans que cela n’affaiblisse par contrecoup la conclusion. C’est pourtant précisément ce que Quine et beaucoup d’autres ont tenté de faire.
Quine a divisé la question « Quelles choses ou sortes de choses existent ? » en deux questions : (1) Qu’est-ce qui, selon une théorie donnée, existe ? (En termes quiniens : quels sont les engagements ontologiques d’une théorie donnée) ; (2) Quelles théories avons-nous de bonnes raisons d’accepter comme vraies ? (Chiara [20] ; selon Gochet [5], p.142, « ceci rend fidèlement compte des conceptions de Quine »).
Cette division n’est pas légitime. Lorsque (2) s’écarte tellement de l’exigence de la vérité, ce que disent (1) et (2) n’est pas ce qui est donné, mais plutôt : Quelles choses avons-nous de bonnes raisons d’accepter comme existantes ?
Le pragmatisme fait passer, de manière illicite, d’une certaine flexibilité que nous pouvons trouver dans ce que nous avons de bonnes raisons d’accepter comme existant (et similairement, comme vrai) à une flexibilité touchant ce qui existe (ce qui est vrai). La réduction ontologique proprement dite, par opposition à la reformulation d’une théorie, présuppose une telle flexibilité. Une grande part de la question de ce qui existe a été amalgamée avec la question des engagements ontologiques des théories et des discours, et donc la réduction à ce qui existe (qui peut difficilement être seulement théorique) a fait l’objet d’une (con-)fusion avec une réduction « ontologique » théorique. Affecter en ce sens la réduction ontologique consiste à « éliminer les objets superflus dans l’ontologie d’une théorie sans affecter les valeurs de vérité des phrases qui la constituent » ([5], p.169). Ce que produit une telle réduction ontologique est précisément une réduction aux termes sujets primitifs d’une théorie, qui est reflétée en retour dans le domaine d’objets et d’entités requis par la théorie, ce n’est pas une diminution de ce qui existe. Pour cette raison il n’y aurait pas de débâcle ontologique, pas de débâcle au regard de ce qui existe, même si l’ontologie ultime de Quine à la théorie des ensembles purs pourrait être écartée. La réduction ontologique n’est pas l’élimination existentielle[28]. L’ontologie ne cesse pas de compter.
Appendice
Tant que le paradigme référentiel prévaudra, des objections « fatales » aux théories des objets et à la théorie de Meinong continueront de sortir des imprimeries. Un autre exemple récent est donné par Cargile qui soutient que le meinongianisme, au moins en tant qu’il est appliqué à des phrases de la forme sujet-prédicat, est une « doctrine absurde » ([19], pp.175-76). Il donne pour raisons i) « le que fait que les ‘‘objets impossibles’’ tels que ‘‘la forme du carré rond plat au sommet de Berkeley college’’ sont logiquement intolérables » et ii) qu’il y a « des questions à jamais sans réponse » portant sur des objets tels que le roi de France et le grand et sage roi de France, comme par exemple celle de savoir s’ils sont le même. Pour ce qui est de Linsky et Kenny, les raisons présentées, venant de Russell en passant par Quine, ne supportent pas strictement cette thèse et, ce qui est plus important, elles ne résistent pas à l’examen. Pour ce qui est de i), des objets tels que ceux qui ont été mentionnées ne sont pas logiquement intolérables : ils peuvent être inclus dans le domaine de la logique de la quantification neutre sans rencontrer de difficulté sérieuse. Pour ce qui est de ii), le caractère incomplet des objets n’est pas un trait dommageable, mais au contraire quelque chose qui devrait faire l’objet d’attentes normales. Toutefois, ce caractère incomplet ne fait pas se distinguer les entités et les non-entités de manière radicale, et cela ne fait pas non plus autant de ravages que ne le suppose Cargile. Les deux rois de France, par exemple, diffèrent en vertu de propriétés différentes. En fait, bien qu’il rejette vigoureusement le meinongianisme, Cargile n’a pas d’arguments décisifs contre lui. Le plus souvent, ce qu’il présente consiste dans ses propres conceptions référentialistes en tant qu’elles sont opposées à des alternatives logiques viables (par exemple p. 185) et à des caricatures de Meinong (par exemple p.178 : « Meinong lui-même n’aurait pas dit qu’il est vrai que ‘‘le carré rond est rond’’ ») et des alternatives meinongiennes.
(Traduction Bruno Langlet)
Texte original : "On what there is not", Philosophy and Phenomenological Research 43 (2):151-177 (1982).
[1] W. V. Quine, From a Logical Point of View, Second Edition, Revised, Harvard University Press, 1961.
[2] R. Routley, Exploring Meinong's Jungle and Beyond, Research School of Social Sciences, Australian National Uni- versity, 1979.
[3] R. Routley, 'Some Things Do Not Exist', Notre Dame Journal of Formal Logic, 7 (1966), 251-76.
[4] L. Goddard and R. Routley, The Logic of Significance and
Context, Scottish Academic Press, Edinburgh, 1973.
[5] P. Gochet, The Ascent to Truth: An Exposition and Defense
of Quine's Philosophy, typescript, Liege, 1981.
[6] Concise Oxford English Dictionary, Fourth Edition, Clarendon Press, Oxford, 195 I.
[7] A. Meinong, On Emotional Presentation, translated by M. L. Schubert Kalsi, Northwestern University Press, Evanston, 1972.
[8] A. Kenny, Descartes: A Study of His Philosophy, Random House, New York, 1968.
[9] K. Lambert, 'On "The Durability of Impossible Objects"', Inquiry 19 (1976), 251-54.
[10] W. V. Quine, Word and Object, MIT Press, Cambridge, Mass., 1960.
[11] T. Parsons, 'A Prolegomenon to Meinongian Semantics', Journal of Philosophy, 71 (1974), 561-80.
[12] R. L. Cartwright, 'Ontology and the Theory of Meaning', Philosophy of Science, 21 (1954), 3 I 6-25.
[13] W. V. Quine, Ontological Relativity and Other Essays, Columbia, New York, 1969.
[14] N. Rescher, Topics in Philosophical Logic, Reidel, Dordrecht, 1968.
[15] I. Scheffler and N. Chomsky, 'What Is Said to Be', Proceedings of the Aristotelian Society, n.s, 59 (1958), 71-82.
[16] R. Routley, 'Existence and Identity in Quantified Modal Logics', Notre Dame Journal of Formal Logic 10 (1969), 113-49.
[17] P. T. Geach, A. J. Ayer, W. V. Quine, 'Symposium: On What There Is', Aristotelian Society Supplementary Vol. 25 (1951), 125-60.
[18] R. Routley, 'The Choice of Logical Foundations', Studia Logica 39 (19791, 76-96.
[19] J. Cargile, Paradoxes: A Study in Form and Predication, Cambridge University Press, 1979.
[ 2o] C. S. Chihara, Ontology and the Vicious Circle Principle, Cornell University Press, Ithaca, I973.
[21] W. V. Quine, 'Facts of the Matter', in Essays on the Philosophy of W. V. Quine, (ed. R. W. Shahan and C. Swoyer), University of Oklahoma Press, Norman, 1979, 155-69.
[22] W. V. Quine, Methods of Logic, Revised edition, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1959.
[23] L. Linsky, Names and Descriptions, University of Chicago Press, 1977.
[24] M. Bunge, Ontology I: The Furniture of the World, Reidel, Dordrecht, 1977.
[25] J. L. Austin, Sense and Sensibilia, Clarendon Press, Oxford, 1962.
[26] G. Frege, The Foundations of Arithmetic, translated by J. L. Austin, Blackwell, Oxford, 1950.
[1] Beaucoup d’arguments de cette sorte sont rassemblés dans [2], où est présentée une défense complète de la théorie sous-jacente, le nonéisme. Le nonéisme est une élaboration de la théorie de l’objet, de laquelle Meinong a peut-être donné la présentation la mieux connue. L’article présent est une extension du chapitre 3 de [2].
[2] En particulier en tant qu’elle est réimprimée dans [1], ma référence principale ici. Toutes les citations des pages, sans précisions supplémentaires, renvoient à [1].
[3] L’ontologie n’est pas non plus exactement indépendante de la lexicographie, de la manière dont Quine le suggère – une suggestion sapée par son propre discours subséquent sur la relativisation de « l’ontologie » au discours.
[4] C’était la thèse de Meinong que tout objet existant a une localisation plus ou moins définie dans l’espace et le temps. Que les objets abstraits n’existent pas en est un corollaire (voir, pour approfondir, [2], chapitre 9).
[5] Cette supposition, qui est expliquée ci-dessous, est critiquée de manière détaillée dans [2], I. 3.
[6] La légende philosophique est que Wyman renvoie à Meinong comme à son modèle, mais les incohérences sérieuses entre la position de Wyman et une position relevant seulement du ouï-dire sur Meinong jette un doute sur la légende. Wyman est d’une certaine manière plus similaire au Russell des Principes des mathématiques.
[7] La position de Meinong diverge du courant du nonéisme ici suivi : car selon Meinong, des possibilia tels que Pégase subsistent. Pour autant que cela implique plus que les possibilia sont possibles – dans l’un ou l’autre des sens communément confondus, par exemple qu’ils puissent exister ou que la supposition de leur existence n’entraine pas de contradiction ou que leur caractérisation n’amène pas à des contradictions – cela doit être rejeté comme égarant.
[8] Observons que les résultats ainsi obtenus à partir du premier critère divergent de ceux obtenus lorsque l’on applique l’autre critère quinien, mieux connu, d’engagement ontologique, selon lequel l’engagement ontologique est déterminé par l’état de préparation à la quantification (p.12). En ces termes, le nonéisme est ontologiquement engagé envers ce qu’il soutient ne pas exister, par exemple les possibilia, les abstractions, et ainsi de suite. Un corollaire est le caractère inadéquat du critère quantificationnel « être c’est être la valeur d’une variable liée » (p.15). Ceci est discuté plus bas.
[9] Le dilemme que Wyman est supposé rencontrer est représenté de manière colorée dans [22], p 202 : « après avoir déjà encombré l’univers avec un lot implausible de possibles non-actualisés, allons-nous ajouter un royaume d’impossibles non-actualisés ? La tendance à ce point est de choisir l’autre branche du dilemme supposé et de décider que ces expressions sont dépourvues de sens ». Ce n’est certainement pas la tendance historique principale, et c’est une tendance contre laquelle il y a de sérieuses objections (voir [4]). Le supposé dilemme n’est pas un dilemme, non pas pour les raisons présentées par Quine selon qui « aucun mystère n’est requis à propos du fait d’attribuer de la non-existence là où il n’y a rien (d’existant) à quoi l’attribuer » (et nous avons observé le caractère inadéquat des réductions des discours à propos des non-entités à des discours en termes d’entités), mais parce que la première option peut être rétablie de manière neutre. Il n’y a pas et il n’y a pas besoin d’avoir d’ajouts de nouveaux royaumes à l’univers (des entités) : la population, ou le nombre des éléments, de l’univers-entité reste inchangés. Parler d’« encombrement » , de « lot implausible », etc., reflète une pensée référentielle inappropriée.
[10] Par exemple, dans le texte Mathematical Logic de Quine, qui inclut une théorie des descriptions de style frégeen, très inférieure (en tout, sauf la facilité technique) à la théorie de Russell, les non-entités ont les propriétés les plus surprenantes. Par exemple, Pégase est identique avec l’ensemble vide – le concept d’identité est donc certainement applicable – et possède les mêmes propriétés, par exemple que Pégase existe, mais n’a pas de membres, Pégase étant un sous-ensemble de tout ensemble quel qu’il soit, et tous les nombres naturels sont des simples constructions logiques de Pégase. Les données à propos des non-entités sont un peu flexibles (soft) – mais elles ne le sont pas autant que cela.
[11] En général, les réfutations acclamées des théories des objets et de la théorie de Meinong ne sont en rien des réfutations : voir [2], chapitre 4, et l’appendice.
[12] Dans une perspective alternative privilégiée, ils sont tous identiques avec l’ensemble nul (ou entité nulle), qui ne se trouve dans aucune embrasure de porte. Le résultat est similaire au précédent. Mais d’autres explications venant des écuries classiques sont différentes, par exemple celle de Hilbert ne fournit aucune réponse, et la théorie de Russell, strictement appliquée, ne donne pas de réponse aux questions qui incluent l’adjectif « possible ». Il ne peut donc pas être tenu pour une objection aux approches non-classiques que différentes théories fournissent différentes réponses à ces questions.
[13] C’est la réponse à la question de Quine, dans sa version originale, à laquelle aboutit [2]. Il semble maintenant que ce soit une réponse à une question différente, mais avec laquelle on peut facilement la confondre, (2b).
[14] Cela peut aisément être admis comme les embrasures de porte de Parsons, qui dépendent de la théorie de ce dernier et qui ont les propriétés que fournit la théorie. Autrement dit, une embrasure de porte de Parsons est comme le Londres de Holmes – seul le livre d’origine pour un tel objet est la théorie de Parsons, non pas le groupe requis d’histoires de Sherlock Holmes. Il y a plusieurs questions intéressantes que l’on pourrait poser, et y répondre, à propos des embrasures de porte de Parsons, par exemple : est qu’il en existe ? La réponse est non ; car si c’était le cas, un objet simplement possible pourrait se trouver dans des relations entièrement physiques avec une entité, ce qui va contre la thèse de Brentano. Est-ce qu’un objet existant, par exemple Parsons, peut se trouver dans une embrasure de porte de Parsons ? Dans la théorie de Parsons, la réponse est oui, en admettant que Parsons soit assez enrobé (en fait, une embrasure de porte de Parsons contiendra, dans la théorie, autant d’hommes obèses existants que ceux qui se tiennent dans une embrasure de porte donnée. Mais en fait (c’est-à-dire dans la théorie élaborée ici), la réponse est, de nouveau, non ; car Parsons devrait se tenir dans l’embrasure de la porte à côté de divers objets simplement possibles, ce qui va de nouveau contre Brentano. Toutefois, le Parsons de Parsons, c’est-à-dire l’ensemble contenant exactement les propriétés nucléaires de Parsons, pourrait se trouver dans une embrasure de porte de Parsons (c’est-à-dire dans le monde de la théorie de Parsons) ; mais ici la thèse de Brentano n’est pas violée, notamment parce que l’ensemble corrélé à Parsons n’existe pas.
[15] Ceci est seulement vrai d’une histoire plus vaste contenant la vérité de la fiction et du storystelling. Certes il est vrai que M. Pickwick portait des guêtres, que Sherlock Holmes vivait à Londres, et que le phlogiston est la substance calorifère ; et il est vrai que James Bond se tenait dans diverses embrasures de porte, ou à tout le moins qu’il les traversait ; et tout cela n’exige pas d’entrer en conflit avec le fait qu’aucun de ces objets n’existe. La réconciliation (comme tente de l’expliquer le chapitre 7 de [2]), en premier lieu, se fait au moyen des différences contextuelles – les énoncés fictionnels sont contextuellement intensionnels – et en deuxième lieu, qui lui est associé, au moyen de sujets dupliqués, par exemple Bond se tient sur l’embrasure de la porte que dépeint le film (ce qui est vrai si et seulement si dans le monde du film, il se trouve dans une embrasure de porte donnée), et en troisième lieu, le plus important, à travers ce que l’on appelle les relations réduites.
[16] Bien sûr, lorsqu’il s’agit de tenter de discréditer les non-entités, l’inverse se produit aussi : les caractéristiques des entités, telles que la fidélité de la caractérisation, sont de manière inappropriée transférées, en restant intactes, aux non-entités.
[17] Pour l’occurrence référentielle d’un sujet, la transparence référentielle et l’engagement ontologique sont tous deux requis. Et la vérité peut alors être entièrement évaluée dans les termes de la référence. D’après la Théorie de la Référence, tous les sujets authentiques apparaissent de manière référentielle. Une grande partie de [2] est dédiée à la réfutation, au démantèlement et au remplacement de la Théorie de la Référence.
[18] Bien sûr, des différences peuvent être inventées, par exemple que l’identité référentielle est (trivialement) caractéristiques des entités.
[19] Notons que ce critère est formulé dans les termes des engagements ou présuppositions ontologiques des gens (notamment des philosophes), non pas comme dans le travail subséquent de Quine, en termes de théories ou de discours. Même à l’intérieur d’un cadre référentiel, en vue de quoi l’usage qui en est fait est lourdement biaisé (car le discours intensionnel détruit son opération), le critère rencontre de sérieux problèmes. Par exemple, la clause modale en italiques ne peut pas être effacée sans que le critère (et ses variantes extensionnelles non triviales) n’appelle des résultats non voulus et insatisfaisants, et pourtant la qualification modale requise – comme l’ensemble des conditions portant sur la traduction du discours dans un langage canonique approuvé pour faire office de test pour l’engagement ontologique – va au-delà des ressources référentielles acceptables (voir [12]et [15],
[20] Un argument connecté en faveur de l’engagement ontologique est suggéré dans [17], pp.152-53. Mais tout ce que les arguments montrent est qu’un test ne peut simplement pas être donné en termes de termes singuliers, non pas parce que les termes singuliers n’ont aucun rôle ou bien qu’en écartant les termes singuliers, la question de l’engagement se résume aux « parcours de valeur des variables de quantification », d’une sorte ou d’une autre. Il en va ainsi seulement pour un segment de discours très limité.
[21] Pour les raisons mises en avant dans [2], chapitres 10 et 11.
[22] Une telle position, qui a des racines historiques substantielles, est développée dans [2].
[23] Quine est maintenant parvenu à une conclusion similaire ([22], p.169), mais à partir de bases entièrement différentes. Considérant la manière dont cela affecte son point de vue logique antérieur, le terme de « débâcle » n’est pas entièrement inapproprié.
[24] Pour Quine, les trois principes qui gouvernent le domaine des entités sont, d’après Gochet ([5], p.181), un critère d’individuation (« pas d’entité sans identité »), un principe nominaliste d’économie enraciné dans un principe d’empirisme relatif (« Ne vous hasardez pas plus loin que nécessaire de l’évidence sensorielle »), et un principe selon lequel il faut préserver la science, c’est-à-dire les lois scientifiques ; « il est nécessaire de faire des économies mais sans appauvrir la science ». Mais nous ne choisissons pas ce qui existe, pas plus que ce que nous disons exister en toute honnêteté ; et bien que d’aucuns puissent tenter d’imposer des exigences comme ci-dessus à propos ce qu’une théorie bien construite tient pour existant, la procédure serait malencontreuse car, par exemple, une théorie digne de confiance pourrait, comme nombre de théories scientifiques, inclure parmi ses objets beaucoup d’objets qui n’existent pas, et d’une manière qui n’est pas gouvernée par des considérations telles que l’économie ou l’empirisme relatif ([2], chapitres 10 et 11).
[25] Et elles sont souvent (fautivement) assimilées l’une à l’autre, en particulier dans le cas des propositions.
[26] Voir [18], où il est soutenu que les facteurs pragmatiques ont plutôt peu de poids. Ayer présente une partie de qu’il faut dire, assez joliment : « lorsque Quine et Goodman renoncent aux entités abstraites, pensaient-ils seulement que ce serait plus commode … n’y avait-il pas une suggestion que leur raison pour renoncer à celles-ci était qu’ils ne croyaient pas en leur existence ? » [17], p.148).
Quine insinue qu’il n’y a pas de méthodes argumentatives ou dialectiques rationnelles pour choisir un cadre conceptuel, et que nous sommes » renvoyés à des considérations pragmatiques ou à des considérations qui n’ont pas encore été proposées » ([17], p. 159), le dernier cas étant immédiatement écarté. L’argument manque, de toute évidence, de solidité sur de nombreux points. Il y a des méthodes venant de la théorie du choix qui en aucune façon ne se réduisent à des considérations pragmatiques.
[27] Une relation converse vaut pour les théories achevées.
[28] Voir ci-dessus la discussion de l’engagement ontologique.