Barry Smith (Buffalo)
Kevin Mulligan (Genève)
Peter Simons (Leeds)
Lorsque
je parle d’un fait, … j’entends
l’espèce
de chose qui rend une
proposition vraie ou fausse.
1/ Rendre vrai.
Lors du renouveau réaliste
des premières années de ce siècle, des philosophes de divers horizons
s’impliquèrent dans la recherche d’une ontologie de la vérité. Que le point de
vue de la vérité-correspondance ait été retenu ou non, ils s’y intéressèrent
dans la mesure où il était requis de supposer l’existence d’entités jouant un
rôle pour rendre compte de la vérité des phrases. Certaines de ces entités,
comme les Sätze an sich de Bolzano, les Gedanken de Frege, ou les
Propositions de Russell et
Moore, étaient conçues comme porteurs des propriétés de vérité et de
fausseté. Cependant, quelques penseurs comme Russell, Wittgenstein dans le Tractatus ou Husserl dans les Recherches logiques,
arguèrent qu’en plus ou à la place de ces porteurs de vérité, il fallait
supposer l’existence de certaines entités en vertu desquelles les
phrases ou les propositions sont vraies. Plusieurs noms ont été utilisés pour
désigner ces entités, comme « fait », « Sachverhalt »,
et « état de choses ». Afin de ne pas préjuger
de la pertinence de ces termes, nous allons employer une terminologie plus
neutre et appeler vérifacteurs toutes les entités candidates pour ce
rôle.
Le déclin de l’intérêt pour
l’ontologie de la vérité a été solidaire de la perte d’attrait qu’a connu le
réalisme logique. Les notions de correspondance et avant tout de vérité
elle-même en sont venues à apparaître obscures et « métaphysiques ».
Ainsi, alors même qu’il réhabilitait l’idée de vérité, le travail de Tarski
semblait contenir le rejet d’une correspondance pure. Dans son sillage, les
philosophes et les logiciens se sont largement détournés des difficultés
complexes et déroutantes inhérentes aux relations entre le langage et le monde
réel, pour se consacrer plutôt à la recherche de substituts plus maniables liés
à la théorie des ensembles. Dans cette veine, les recherches se sont
développées jusqu’à pouvoir traiter d’une large variété de phrases modales,
temporelles, contrefactuelles, intentionnelles, déictiques, et d’autres types.
Toutefois, bien qu’elles aient permis certaines découvertes à propos des
structures du langage, de telles recherches évitaient le problème de la
clarification de la relation basique de vérité elle-même. Au lieu
d’explications substantielles de cette relation, nous nous trouvons en présence
de pâles pseudo-éclaircissements, à l’image de ceux que le Tractatus ou
le chapitre II des Principia Mathématica, proposent : par
exemple, une prédication monadique ‘Pa’ est vraie si et seulement
si a est un membre de l’ensemble qui est l’extension de ‘P’. Quels que soient leurs avantages
formels, des approches de cette sorte n’expliquent en rien comment des phrases
portant sur le monde réel sont rendues vraies ou fausses. Car l’extension de ‘P’
est simplement l’ensemble des objets tel que si on remplace ‘x’ dans ‘Px’
par un nom de l’objet en question, on obtient une phrase vraie. Les
explications ensemblistes de la relation basique de vérité ne peuvent pas,
semblerait-il, nous conduire plus loin.
Putnam a affirmé qu’en raison
de son caractère inoffensif et de son exclusion des notions
« indésirables », la théorie de la vérité de Tarski échoue à
déterminer le concept qu’elle visait à saisir, car sa caractérisation formelle
s’accorde encore avec, par exemple, la réinterprétation de la signification de
« vrai » par « ce que l’on peut asserter de manière
garantie », si l’on ajuste notre interprétation des constantes logiques de
manière conséquente. Putnam en conclut que si l’on veut une
explication de la vérité, le travail de Tarski demande à être complété
par une théorie de la correspondance qui ne soit pas philosophiquement neutre.
Notre article porte sur une telle théorie. Si nous avons raison de penser que
l’approche de Tarski néglige précisément les phrases atomiques, alors son
indétermination [ontologique] n’a rien de surprenant. Si, comme nous le
suggérons, la nature de la vérité est sous-déterminée par des théories de ce
genre, alors une explication adéquate de la vérité doit inclure des
considérations autres que purement sémantiques au sens couramment accepté.
Notre présente suggestion – formulée dans l’esprit du réalisme – est qu’une
telle théorie passe par l’examen direct du lien entre porteurs de vérité ou
matériel logique et vérifacteurs, c’est-à-dire ce en vertu de quoi, dans le
monde, les phrases ou propositions sont vraies.
La gloire de l’atomisme logique
tenait à ce qu’il montrait qu’il n’est pas requis que chaque sorte de phrases
ait une sorte de vérifacteur propre. Etant donné que l’on peut rendre compte de
la vérité et fausseté des phrases atomiques, il est possible de se dispenser de
vérifacteurs spéciaux pour, par exemple, les phrases négatives, conjonctives,
disjonctives et d’identité. Comme l’indique clairement Wittgenstein :
Ma pensée
fondamentale est que les « constantes logiques » ne représentent pas.
Que la logique des faits ne peut pas en elle-même avoir de représentant. (Tractatus,
4.0312)
Cette découverte est un réquisit
indispensable pour les explications récursives modernes de la vérité. Elle
renforce l’idée qui nous invite à nous tourner vers les phrases atomiques. En
fait, nous allons nous concentrer sur celles qui prédiquent quelque chose d’un
ou plusieurs objets spatio-temporels. Ici, nous n’avons pas besoin de décider
si cela représente ou non une sérieuse limitation, du fait qu’une théorie
réaliste doit à tout le moins pouvoir rendre compte de telles phrases.
Le terme neutre
« vérifacteur » nous autorise à séparer de la question générale
concernant le besoin de vérifacteurs la question plus particulière qui porte
sur la sorte - ou les sortes - de chose qu’ils sont. Dans la partie principale
de l’article, nous allons étudier la capacité d’une classe d’entité, que nous
appelons moments, à jouer ce rôle. Comme les moments, pourtant courants
dans les ontologies philosophiques, ont été relativement négligés dans la
période récente, nous allons à la fois expliquer en détail ce qu’ils sont et
proposer des arguments en faveur de leur existence, qui sont indépendants de
leur rôle possible de vérifacteurs. Nous envisagerons alors le genre de lumière
que cette discussion des moments jette sur des théories mieux connues des
vérifacteurs – notamment sur la théorie du Tractatus.
2/
Moments
Un moment est un objet
existentiellement dépendant ou non auto-suffisant, c’est-à-dire un objet qui
est d’une nature telle qu’il ne peut pas exister seul, mais requiert
l’existence d’un autre objet hors de lui-même. Cette caractérisation mérite
d’être précisée, mais elle sera utile pour fournir des exemples préliminaires
de types de moments, ainsi que des indications sur le pedigree honorable de ce
concept dans la tradition philosophique.
Considérons, dans un
premier temps, cette liste d’objets décrits au début du roman de Robert Musil, L’homme
sans qualités :
Une dépression au-dessus
de l’Atlantique,
Un anticyclone au-dessus
de la Russie,
Les masses sombres de
piétons,
Le rythme de Vienne,
Un
dérapage,
Un accident de
circulation,
L’inattention d’un
piéton,
Les gesticulations du
conducteur du camion,
Le gris de son visage,
La rapidité
d’intervention de l’ambulance,
Son avertisseur strident,
La propreté de son
intérieur,
Le transport de
l’accidenté dans l’ambulance.
Admettre des expressions
telles que « l’inattention de a » ou « la propreté de b »
comme des expressions dénotantes pourrait à première vue paraître étrange. Il y
a, parmi les philosophes contemporains, une profonde tendance à tenir ces
formules pour de simples façons de parler devant être proprement
éliminées de tout langage en accord avec les buts de l’analyse
philosophique ; ceci afin de privilégier un discours plus robuste qui
implique par exemple de ne faire référence qu’à des choses matérielles.
Cependant, nous souhaitons ici revenir à une tradition plus ancienne, qui
puisse accorder de bonne grâce que le type d’expressions dont nous avons donné
une illustration désigne des objets spatio-temporels, bien que ceux-ci
présentent comme particularité de dépendre d’autres objets pour exister. Un
dérapage, par exemple, ne peut pas exister sans que quelque chose ne dérape et
sans une surface sur laquelle cela dérape. Une bouche souriante ne sourit
que sur un visage humain.
Le concept de moment a fait sa
première apparition dans la littérature philosophique à l’occasion des Catégories
d’Aristote, au chapitre 2. Aristote y introduit une quadruple distinction parmi
des objets, selon qu’ils sont ou non dits d’un sujet, et selon qu’ils
sont ou non dans un sujet :
|
Non dans un sujet
(Substantiel)
|
Dans un sujet
(Accidentel)
|
Dit d’un sujet
(Universel,
Général)
|
(Substances
secondes)
Homme
|
(Universels
non substantiels )
Blancheur, savoir
|
Non dit d’un sujet
(Particulier,
individuel)
|
(Substances
premières)
Cet homme, ce cheval,
cet esprit, ce corps
individuels
|
(Accidents
individuels)
cette blancheur
individuelle, ce savoir
individuel de la grammaire
|
Dans notre perspective,
un accident individuel est un genre particulier de moment tel que, pour
reprendre les termes d’Aristote, « il est impossible qu’il ait une
existence séparée de ce dans quoi il est » (Cat. ;
Ia25). Cet « être dans » ne relève pas de la relation traditionnelle
de tout-partie ; car les parties d’une substance sont elles-mêmes
substances (Met. 1028b 9-10), et les entités « dans » une
substance sont ses accidents individuels. Si nous acceptons de suivre Aristote
et plusieurs médiévaux en considérant que de la même manière que les substances
individuelles correspondent à des prédicats substantiels, il y a des
particuliers qui correspondent à plusieurs prédicats non-substantiels, alors nous
captons une source précieuse de moments. La rougeur individuelle d’un
cube de verre, numériquement distincte de celle d’un autre cube exactement
similaire qualitativement, est un moment, tout comme la camusité du nez
de Socrate et le savoir individuel de la grammaire grecque que possédait
Aristote à une période donnée.
Bien que les accidents ou les
qualités particularisées soient les espèces de moments le plus couramment
trouvés dans la tradition, il doit être mis en relief que plusieurs autres
objets tombent sous notre définition. Un ensemble d’exemples qui n’est pas
étranger à Aristote est celui des limites (la surface de l’alliance de miss
Anscombe, le bord d’une feuille de papier, le solstice d’hiver). Des exemples
supplémentaires sont fournis par toutes les sortes de configurations et de
perturbations qui requièrent un support, comme le sourire sur la visage de
Mary, un nœud sur un bout de ficelle, des ondes sonores, des cyclones, etc..,
et plus généralement, tous les
évènements, actions, processus, états et conditions qui impliquent d’une
manière essentielle des choses matérielles : la collision de deux boules
de billards ou les carrosses de l’Etat Impérial, les coups et parades
d’escrimeurs qui combattent, l’explosion d’un gaz, l’air renfrogné persistant
du visage de Mary, le fait que John ait la malaria, le voisinage de deux boules
de billard au repos, ainsi que d’innombrables autres.
Nous ne faisons ici aucune
tentative pour répartir tous ces exemples dans des catégories exhaustives et
mutuellement exclusives. En regard du but que nous visons, la seule chose
importante à réaliser est que des moments peuvent être des parties d’autres
moments, et que, comme les substances, ils peuvent être divisés en simples et
complexes. Les moments temporellement étendus illustrent particulièrement bien
cela. Le premier plissement du front de John est une partie de son froncement
de sourcils, le premier engourdissement lancinant une partie de sa migraine,
l’accord final en do majeur une partie de l’exécution de la cinquième symphonie
de Beethoven. D’une manière peut-être plus sujette à discussion, nous
inclinerions à penser que certaines sortes de moments spatialement étendus sont
des parties d’autres moments, comme la rougeur de la moitié d’un cube de verre
est une partie de la rougeur du cube total.
Bien que notre filet ait été jeté
de manière ample, nous savons a priori que tout ne peut pas être un
moment : le monde n’est pas un moment, car s’il l’était, quelque
chose hors de lui-même serait requis pour qu’il existe, auquel cas il ne serait
pas le monde.
Les moments réapparaissent dans
la philosophie post-scolastique à travers les modes de Descartes, Locke
et Hume. Pour Descartes, un mode est ce qui n’est pas une substance, car
« Lorsque nous
concevons la substance, nous concevons seulement une chose qui existe en
telle façon qu’elle n’a besoin que de soi-même pour exister »(Principes de la Philosophie, livre I § 51).
Bien que transposée dans
l’idiome des idées, la définition de Locke reste en accord avec celle de
Descartes :
« J’appelle modes
les idées complexes qui, si composées soient-elles, ne renferment pas la
supposition de subsistance par soi-même, mais sont considérées comme
dépendances ou comme affections des substances ; ainsi les idées signifiées
par les mots triangle, gratitude, meurtre, etc.. » (Essai, livre II, chap. 12, §4,).
Hume, même s’il a moins
de choses à dire sur eux que Locke, affirme que ce que sont les modes est très
connu, et il donne en guise d’exemple la danse ou la beauté (Traité,
livre I, partie I, chap. 6).
Toutefois, c’est dans la
philosophie germanophone que l’ontologie aristotélicienne a été plus
systématiquement préservée, notamment au regard de
la théorie des substances et des accidents. La doctrine des moments ayant des
applications directes en psychologie, elle était fondamentale pour plusieurs
étudiants de Brentano. Carl Stumpf distinguait explicitement entre les actes
mentaux au contenu dépendant (« partiel ») et indépendant (1873, p.
109), une distinction que son étudiant Husserl a raffinée et généralisée à tous
les objets. Dans sa première
ontologie, Meinong considérait comme admis que les propriétés et les relations
sont des particuliers, et non pas des universaux.
Dans la philosophie anglo-saxonne
moderne, l’engagement envers des entités de ce genre est plus rare, un nageur à
contre-courant notable étant Stout avec ses « caractères ». Hormis
cela, la notion a reçu un soutien seulement sporadique et jamais enthousiaste,
venant souvent de philosophes là encore familiarisés avec la notion scolastique
d’accident
Nous avons tiré le terme « moment » de l’étude
magistrale et minutieuse qui a été menée par Husserl sur les notions de
dépendance et d’indépendance ontologique et sur les problèmes qui leur sont
associés dans la théorie du tout et de la partie. Un moment est un objet
dont l’existence est dépendante de celle d’un autre objet. Cette dépendance
n’est pas un trait contingent du moment mais quelque chose qui lui est
essentiel. Une théorie adéquate des moments doit donc impliquer un appel à la
notion de nécessité ontologique ou nécessité de re, différente à la fois de
la nécessité de dicto (logique) et de la nécessité causale. Les objets
desquels dépend un moment peuvent être appelés ses fondements. Ainsi, un
objet dont l’une de ses parties propres lui est essentielle (comme son cerveau
est essentiel à un homme) est dans un sens dépendant de cette partie, et cette
dépendance est de l’ordre de la nécessité. Cependant, le tout contient la
partie dont il a besoin ici. Il est donc déjà auto-suffisant en relation à
cette partie, et cela par opposition aux autres parties – les organes autres
que le cerveau, par exemple – qui ne peuvent exister ensemble dans un tout que
pour autant qu’elles sont reliées au cerveau (pour autant qu’elles en sont des
moments). Donc, nous précisons que les fondements d’un moment ne peuvent être
entièrement contenus en lui en tant que parties propres ou impropres. Cela
exclut la conséquence indésirable disant que n’importe quoi peut figurer comme
son propre fondement, et par suite comme un moment de soi-même. Les moments
peuvent alors être définis comme il suit : a est un moment si et
seulement si a existe et a est de re nécessairement tel
que soit il n’existe pas, soit
existe au moins un objet b qui est, de re, un objet tel qu’il
peut ne pas exister, et qui n’est pas une partie propre ou impropre de a.
Dans un tel cas, b est un fondement de a, et on dit aussi que b
fonde a ou que a est fondé sur b. Si c est n’importe quel objet
contenant un fondement de a en tant que partie propre ou impropre, mais
ne contenant pas a en tant que partie propre ou impropre, alors nous
disons en suivant Husserl que a est dépendant de c. Donc, les
moments sont dépendants de leurs fondements par définition. Les objets qui ne
sont pas des moments sont appelés des objets indépendants ou substances.
Rien dans cette perspective n’amène à conclure par avance que, du fait de leur
caractère, les fundamenta ne peuvent
pas être aussi des moments, ni que deux moments ou plus ne peuvent pas se
fonder mutuellement l’un par l’autre.
De manière évidente, les moments
se présentent par espèces, comme les substances, ce qui inclut les
espèces naturelles. Et de la même manière
que l’engagement envers des substances ou choses individuelles n’implique ni
d’accepter ni de rejeter une ontologie des universaux ou des espèces qui sont
exemplifiés, nous pouvons aussi distinguer entre l’option nominaliste et
l’option réaliste à propos des espèces de moments. Un réalisme fort, comme
celui de Thomas D’Aquin ou peut-être d’Aristote, voit à la fois les substances
et les moments comme exemplifiant des universaux. De l’autre côté, un nominalisme intransigeant, qui ne
s’écarte que d’un pas – mais d’un pas important – du réisme, accepte seulement
les substances individuelles et les moments en affirmant que l’existence de
notre discours sur les espèces de moments ne repose que sur des relations de
ressemblance naturelle entre exemples de moments donnés dans l’expérience.
On peut ici s’épargner de fournir
des détails supplémentaires sur les espèces de moments et de substances. Il
suffit de noter que tous les exemples intuitifs donnés plus haut entrent
pleinement dans notre spécification, car dans chaque cas, des objets existent sans
être des parties de ceux dont il est question, et leur existence est un
réquisit pour celle de leurs moments respectifs. Dans la plupart des exemples,
il est évident que les moments n’entrent pas strictement dans la catégorie des
parties même possibles de leurs fondements, ce qui renforce la remarque
d’Aristote selon laquelle les accidents ne sont pas dans les substances en tant
que parties. En même temps, le « dans » qu’il emploie est souvent
inapproprié ; car, par exemple, un duel n’est « dans » aucun des
escrimeurs, pas plus qu’il n’est « dans » la paire qu’ils forment ou
« dans » l’agrégat qu’ils constituent.
3/ Les moments comme vérifacteurs.
L’idée que ce que nous
appelons moments puissent servir de vérifacteurs est peut-être inhabituelle
mais elle n’est pas sans précédent. Si nous revenons à Russell, nous constatons
que parmi les exemples de faits qu’il donne, il y a la mort de Socrate,
« une certaine occurrence physiologique qui a eu lieu il y a longtemps à
Athènes » (Loc. Cit.). A partir de cela nous inférons que, pour
Russell, il existe au moins des états et des évènements qui sont des
vérifacteurs. Cela indique qu’il ne se conforme pas à l’usage ordinaire du
terme « fait » ; puisque ce qui est normalement dit être un
fait, ce n’est pas la mort de Socrate, mais que Socrate est mort. La mort de Socrate a eu
lieu à Athènes et fut causée par la prise de ciguë. Nous ne disons toutefois
pas que c’est la mort de Socrate qui est
vraie. Par contraste, que Socrate mourut est vrai, mais cela n’avait pas de
cause, n’a pas eu lieu quelque part ni à un quelconque moment. Cette tension
fut signalée par Ramsey qui en tira la conclusion que les faits n’ont pas à
être distingués des propositions vraies. Nous prendrons donc ici
nos distances vis-à-vis de l’usage de Russell mais pas de sa théorie.
Un soutien pour la distinction de Ramsey
- et de façon surprenante en faveur d’une conception posant certains moments
comme vérifacteurs - provient d’autres horizons. Davidson, qui n’est pas connu
comme un ami des faits, dit d’une phrase comme « Amundsen vola vers le
Pôle Nord en 1926 » que, « si elle est vraie, alors il y a un évènement
qui la rend vraie » (1993 (tr. fr.) p. 165) et maintient que « le
même évènement rend vrais les énoncés : "John s’est excusé" et
"John a dit ‘Je m’excuse’" » (Op. cit., p. 229).
L’indice suggérant que
les moments peuvent servir de vérifacteurs vient initialement de considérations
linguistiques. La plupart des termes décrivant des moments, ou sous lesquels
tombent des moments, sont en fait des noms formés par nominalisation de verbes
et de locutions verbales. Ceux-ci sont morphologiquement variés : quelques
uns ont des formes séparées mais liées (« naissance », « vol »,
« mort »), d’autres sont simplement des gérondifs (« overturning
[renversement] », « shooting
[tir] »), d’autres sont
homéomorphes aux verbes correspondants (un aller, un dire, un faire, un
pouvoir ), d’autres encore sont
formés en utilisant à cette fin des morphèmes particuliers (la générosité, la
rougeur, la grossesse, l’enfance, etc.). Parmi tout ceci, la forme la plus
neutre et la plus universellement applicable est la forme au
gérondif « ---‘ing », qui, quand elle est appliquée non
pas à un verbe mais à un nom ou un complément adjectival, s’attache à la copule
pour donner des expressions de la forme « l’être-x [being (a)…]
». Les expressions au gérondif sont souvent équivalentes à d’autres formes
morphologiques : il n’y a aucune différence dans notre conception (ou
celle d’Aristote) entre l’être-blanc [being white] d’un cube et sa
blancheur, ni non plus entre la collision de deux objets et leur
être-en-collision [their colliding]. Toutes ces formes sont cependant
radicalement différentes des nominalisations construites au moyen de la
conjonction « que » ; une chose qui n’est pas toujours appréciée
dans la littérature analytique traitant des propositions, des faits, des états
de choses, etc.
Ainsi, suivant la suggestion de
Russell, nous prendrons ici en considération la théorie issue de la position
selon laquelle ce qui rend vrai que Socrate est mort, c’est la mort de Socrate,
que ce qui rend vrai qu’Amundsen a atteint le Pôle Nord en avion, c’est son
vol, que ce qui rend vrai que Mary est en train de sourire, c’est son sourire
(présent), et ainsi de suite. Ou bien en d’autres termes : pour nombre de phrases simples au sujet
d’objets spatiotemporels, les vérifacteurs pour ces phrases sont des moments
extraits par des gérondifs ou d’autres expressions nominalisées qui sont
étroitement liés aux verbes principaux des phrases en question. A la place de
biconditionnels tarskiens de la forme :
« Ce cube est blanc » est vrai si et seulement
si ce cube est blanc,
nous obtenons donc – du
moins dans les cas simples – des phrases de la forme :
Si « Ce cube est blanc » est vrai, alors cela
est vrai en vertu de l’être-blanc (la blancheur) de ce cube, et si une telle
blancheur n’existe pas, alors « Ce cube est blanc » est faux.
Parce que la blancheur en question ici
est un particulier dépendant du cube et non pas une blancheur universelle
partagée par toutes les choses blanches, son existence ne fait rien pour rendre
vraies ou fausses les phrases au sujet d’autres choses qui se trouvent être
blanches.
Si toutes les phrases
atomiques contiennent un verbe principal et si toutes les nominalisations
dénotent des moments, il s’ensuivrait alors, en fait, que tous les vérifacteurs
sont des moments ; que ce qui rend vrai que a est F est
l’être-F-de-a, ce qui rend vrai que aRb est le R-de-a-par-b,
et ainsi de suite. Cette version possible et plus simple de la théorie est
néanmoins, comme telle, inadéquate.
Non pas seulement parce que,
comme nous le verrons, il y a certaines phrases dont la non atomicité n’est pas
évidente (par exemple les phrases d’identité et d’existence) et qui sont
récalcitrantes à l’analyse mais aussi, et le point est plus important, parce
que la théorie qui propose que l’on désigne par nominalisation le vérifacteur
pertinent peut difficilement se présenter comme un éclaircissement substantiel
de l’opération de rendre vrai. Cela semble dépendre d’un tour de passe-passe
linguistique autant que la théorie de Tarski.
En fait, le procédé de
nominalisation nous donne seulement le cœur d’une théorie. L’idée que cette
base demande une considérable extension peut être appuyée par certaines
considérations intuitives relatives au statut des moments comme entités dans le
monde et existant indépendamment de nos actes d’utilisation des phrases.
Puisque nous voulons affirmer avec certitude que si un moment a rend la
phrase p vraie, et b est un moment contenant a comme
partie, alors b rend p vraie tout autant. Que « la tête de
John le faisait souffrir entre 13h et 13h 10 » est rendu vrai non pas
seulement par ce segment de 10 minutes de sa migraine, mais par chaque partie
de migraine que contient ce segment. Donc p peut avoir un vérifacteur
minimal sans en avoir un seulement. De plus, une phrase
peut être rendue vraie, non par un unique vérifacteur, mais par plusieurs
réunis, ou bien encore, par plusieurs séparément. Ainsi nous savons qu’il y a
deux sortes d’hépatite virale : l’infection aiguë ou hépatite A et le
sérum homologue ou hépatite B. Si le malheureux Cyril a l’hépatite A et
l’hépatite B simultanément, alors qu’il a une hépatite virale est rendu vrai à
la fois par le (ou les) moment(s) qui rend (ou rendent) vrai qu’il a une
hépatite A, et par le (ou les) moment(s) qui rend (ou rendent) vrai qu’il a une
hépatite B ; bien que l’un ou l’autre (les uns ou les autres) seul(s)
aurai(en)t suffit. La phrase « Cyril a une hépatite virale » a, en de
telles circonstances, au moins deux vérifacteurs. Il n’est en général pas
garanti que la simplicité logique d’une phrase assure l’unicité ou la
simplicité ontologique (atomicité) de son (ou ses) vérifacteur(s) possible(s)
ou actuel(s).
Il y a bien sûr la tentation d’affirmer
que la phrase « Cyril a une hépatite virale » n’est pas logiquement
simple mais implicitement disjonctive ; sa forme logique n’étant pas
adéquatement reflétée dans sa forme grammaticale qui est celle d’une phrase
logiquement simple. Mais nous pensons que la phrase donnée est bel et bien
logiquement simple : elle ne contient pas de constantes logiques ou
d’expressions - « hépatite virale » inclus - qui soient introduites
dans le langage par définition en tant qu’expression contenant une constante
logique.
En empruntant cette voie, nous
nous écartons sciemment d’un dogme qui a fortement caractérisé la philosophie
analytique depuis son commencement : le dogme de la forme logique.
Celui-ci a des manifestations nombreuses. Une des versions apparaît dans les Principes
des mathématiques où Russell, alors que d’un côté il considère toute
complexité comme indépendante de l’esprit, maintenait néanmoins que cette même
complexité était susceptible d’être logiquement analysée. Cette idée d’un
parfait parallélisme entre la complexité logique et la complexité ontologique
est le supplice de l’Atomisme logique ; conduisant Russell à une
métaphysique des sense-data et Wittgenstein à des simples
supra-expérientiels. Ici, par contre, nous
défendons l’indépendance de la complexité ontologique vis-à-vis de la
complexité logique : les objets ontologiquement complexes (ceux ayant des
parties propres) ne sont pas - pour cette raison aussi et en quelque manière
que ce soit - logiquement complexes ; pas plus qu’il n’y a de raisons de
supposer qu’à une phrase (vraie) logiquement complexe corresponde une entité ontologiquement complexe qui la rend
vraie.
Une seconde version du dogme, plus
subtile, jouit d’un appui plus large. Elle inclut la position
Russell/Wittgenstein comme cas particulier, mais n’est pas restreinte à
l’Atomisme logique. Grossièrement parlant, elle dit que si une phrase a ou peut
avoir plus d’un vérifacteur, alors elle est logiquement complexe. Si,
néanmoins, la phrase apparaît de forme simple, sa complexité est cachée et doit
être dévoilée par un processus d’analyse.
Un argument possible en faveur de cette
optique peut être transposé dans les termes des vérifacteurs de la façon
suivante : puisque les phrases disjonctives ou existentielles peuvent
avoir plus d’un vérifacteur, et que les phrases universelles et conjonctives
doivent, sauf dans des cas dégénérés, en avoir plus d’un, les phrases qui
peuvent ou doivent avoir plus d’un vérifacteur sont, de façon implicite, soit
disjonctives ou existentielles, soit conjonctives ou universelles. Tel qu’il se
présente cet argument est manifestement invalide, étant de la forme « Tous
les A sont B, donc tous les B sont A » ; mais d’autres raisons ont
fait que la position a été trouvée attractive. Ici, cependant, nous
nous en tiendrons à notifier notre désaccord par rapport à elle. Bien que
« Cyril a une hépatite » peut être logiquement équivalent à (c’est-à-dire avoir les mêmes
conditions de vérité que) « Cyril a une hépatite A ou Cyril a une hépatite
B » ; cela n’est pas quelque chose qui peut être établi par une
analyse lexicale, grammaticale ou logique de la signification de la phrase
mais, au mieux, par une recherche empirique. Cette recherche ne découvre pas
une ambiguïté cachée dans le terme « hépatite » ; nous
découvrons simplement que le terme est déterminable.
Puisque nous sommes réalistes à
propos des moments et considérons leur investigation comme une question
substantielle - et le plus souvent
empirique - nous disons qu’il est pour nous parfaitement normal de savoir
qu’une phrase est vraie sans pour autant totalement savoir ce qui la rend
vraie. Ainsi la caractérisation comme « réaliste » (Dummett, ch.13)
de cette théorie pour laquelle la signification d’une phrase est donnée par ses
conditions de vérité est, pour nous, ironique. Une connaissance des conditions
de vérité nous fait au mieux gravir une marche vers la réalité : on peut
tout à fait envisager de comprendre une phrase (connaître sa signification)
tout en n’ayant, au même moment, qu’une connaissance seulement partielle de ses
possibles vérifacteurs. Ceux qui utilisaient le terme « hépatite »
avant la découverte de ses variétés ne manquaient pas de comprendre le
terme ; ils étaient simplement (partiellement) ignorants à propos de
l’hépatite. Que l’investigation de ce qui rend une phrase particulière vraie ne
soit donc pas fondamentalement une investigation philosophique mais empirique,
cela n’est pas contredit par le fait que pour nombre de phrases, nous pouvons
extraire les vérifacteurs pertinents par nominalisation. Généralement parlant,
il n’y a pas de manière facile et économique pour déterminer les vérifacteurs,
même au moyen de transformations linguistiques pour des phrases descriptives
simples.
Tous les vérifacteurs sont-ils des
moments ? Pour trois sortes de phrases, la question peut se poser. De la
première sorte sont les prédications qui sont, dirait Aristote, dans la
catégorie de la substance : des prédications comme « John est un homme »,
« Tibbles est un chat », etc. Les phrases qui nous disent ce qu’est
une chose. Puisque celles-ci sont des phrases atomiques vraies, mais
logiquement contingentes, nous devrions attendre d’elles qu’elles possèdent des
vérifacteurs. En vertu du statut spécial de telles phrases, ne se pourrait-il
pas que ce soit les choses elles-mêmes, John et Tibbles, qui jouent le rôle de
les rendre vraies ? Ou encore : Y a-t-il certains moments de John et
de Tibbles qui leur sont essentiels, en tant qu’homme ou en tant que chat, qui
servent à rendre vraies les phrases en question ? Une raison pour pencher
vers la seconde option est que, si John rend vraie la phrase « John est un
homme », alors il rend également vraie la phrase « John est un
animal » ; ce qui signifie que ces deux phrases, qui ont le même
vérifacteur, ont les mêmes conditions de vérité et sont logiquement
équivalentes. Cette objection n’est toutefois valable que si l’équivalence
logique et la synonymie sont une seule et même chose. Nous concevons comme en
principe possible qu’un seul et même vérifacteur puisse rendre vraies des
phrases qui ont des significations différentes : cela a lieu de toute
manière si on prend en compte les phrases non atomiques. Et il ne se présente
aucun argument suggérant que cela ne puisse également avoir lieu pour les phrases atomiques. Un point
plus important est que, si John rend vrai, à la fois que « John est un
homme » et que « John est un animal » et, de même, que Tibbles
rend vrai, à la fois que « Tibbles est un chat » et que
« Tibbles est un animal » alors, il n’y a pas de façon non circulaire
de rendre compte, au moyen des vérifacteurs, du fait que tous deux sont des
animaux mais que l’un est un homme et l’autre un chat. On peut alléguer un tel
argument s’il y a des moments caractéristiques de l’humanité et de la félinité
qui sont tous deux des caractéristiques de l’animalité.
Le second groupe de phrases à problèmes
est celui des existentielles singulières telles que « John existe ».
Elles sont assurément logiquement contingentes, peut-être atomiques, et donc, à
première vue, elles doivent avoir des vérifacteurs ; mais alors surgit la
question de savoir ce qu’ils sont. Nous nous sommes refusés, pour des raisons
familières issues de la tradition, à pourvoir John d’un moment spécial d’existence.
Le recours à la phrase « $ a & a = John »,
largement tenue pour équivalent de « John existe », n’est pas un
progrès puisque nous sommes abandonnés à la question de savoir ce qui rend vrai
– s’il y a quelque chose qui le fait – la phrase « John = John » ;
et de telles phrases appartiennent à notre troisième groupe. Une échappatoire
naturelle est, encore une fois, d’élire John lui-même comme vérifacteur de la
phrase en question, ce qui nous conduirait de nouveau vers une position selon
laquelle il y a au moins quelques vérifacteurs qui ne sont pas des moments.
Ainsi, un réiste qui reconnaît le besoin de vérifacteurs n’aurait d’autres
options que de prendre les choses pour assumer, dans chaque cas, ce rôle. D’un
autre côté, quelqu’un qui a un engagement envers les moments se trouverait face
au problème de rendre compte des phrases exprimant l’existence de ces moments
et, une fois encore, le moment en question lui-même semblerait être le candidat
le plus évident au poste de vérifacteur.
Les phrases d’identité constituent la
troisième espèce de phrases posant problème. Une voie envisageable est de dire
que celles-ci aussi sont rendues vraies par les objets en question, par
exemple, que « Phosphorus = Hesperus » est rendue vraie par Vénus.
Cela a pour conséquence que l’identité est équivalente à « Vénus
existe », telle que cette phrase a été conçue plus haut. Une solution
différente est requise dans l’optique des logiciens et métaphysiciens pensant
qu’une identité de la forme « a = a » peut-être vraie
même s’il n’existe aucun objet désigné par le terme « a ».
L’alternative ici est de s’engager envers des objets non existants pouvant être
pris comme vérifacteurs des phrases en question même dans les cas où « a
existe » est faux. Ceux qui proposent une telle vue auront besoin
d’embrasser une entité nouvelle, tel que le moment d’existence, comme
vérifacteur pour les phrases vraies de la forme « a existe ». Nous pensons que la
perspective mérite d’être suivie, bien que nous ne le fassions pas ici. Il y a
une autre position qui maintient que, dans quelques cas, « a »
peut ne rien désigner bien que « a=a » soit vraie. Ici nous ne
pouvons rien imaginer qui puisse servir de vérifacteur. Cela suggère en effet
la solution la plus plausible : il n’y en a pas. Ce qui fonde la croyance
que « a=a » est vraie même quand « a » est vide c’est que
la phrase est une constante logique, c’est-à-dire que l’identité est une
constante logique. Cet argument est ainsi en accord avec le principe de
l’atomisme logique, principe selon lequel il n’y a pas d’objets spéciaux qui
correspondent aux constantes logiques. Comme dans le cas des existentielles
singulières, le statut spécial des phrases d’identité se reflète dans leur
position spéciale au regard des vérifacteurs.
Qu’il soit ou non correct que les choses
-aussi bien que les moments- peuvent être des vérifacteurs, la possibilité met
en avant un mérite de la présente théorie par rapport aux théories rivales de
la vérité comme correspondance, qui invoquent une catégorie spéciale d’entités
non objectuelles pour servir de vérifacteurs : les faits, les états de
choses ou autre. Car si pour d’autres raisons nous sommes convaincus que les
choses et les moments existent, et si – comme nous le dirons plus bas – on peut
dire que nous avons de ceux-ci une expérience directe, par exemple en les
percevant, alors la théorie des vérifacteurs qui en découle est à la fois plus
économique et plus forte que les théories rivales (dont les vérifacteurs
cadrent moins nettement avec notre ontologie et notre épistémologie).
La relation de rendre-vrai doit
être distinguée de la relation de désignation, mais aussi de celle qui existe
entre un objet et un prédicat ou concept sous lequel tombe l’objet. Dans notre
théorie les vérifacteurs ne peuvent pas être les designata des phrases
qu’ils rendent vraies, même si nous nous restreignons aux phrases atomiques.
Ceci n’est bien sûr pas une nouveauté pour ceux qui pensent (tout comme nous)
que les phrases ne désignent rien du tout. Mais pour ceux enclins à penser le
contraire, il est seulement besoin d’insister sur le fait que les phrases à
plus d’un vérifacteur devraient être traitées, dans leur optique, soit comme
ambiguës, soit comme désignant de manière multiple. Les deux solutions ne sont
pas plausibles. Nous avons argumenté contre la première plus haut. Quant à la
seconde, nous ne sommes pas contre la désignation multiple ou plurielle en tant
que telle – bien au contraire – mais il n’y a pas de distinction
entre les termes qui désignent de façon multiple ou plurielle qui corresponde à
la distinction entre les différents objets rendant conjointement une phrase
vraie (conjonctive), et ce qui le font de façon multiple (disjonctive).
Une autre difficulté se présente
pour toute position dans laquelle les phrases atomiques (vraies) désignent
leurs vérifacteurs : si nous avons raison à propos des existentielles
singulières qui sont rendues vraies par leurs sujets, alors à la fois « a »
et « a existe » ont le même designatum. Se pose alors
le problème d’expliquer leur diversité sémantique et syntaxique. Puisque les
nominalisations considérées plus haut peuvent légitimement apparaître comme
désignant tout aussi bien des expressions que d’autres noms communs, les
vérifacteurs sont désignables. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont désignés
par les phrases qu’ils rendent vraies. C’est d’autant plus évident que les
vérifacteurs ne tombent pas sous des phrases comme les objets tombent sous des
prédicats. Les relations sémantiques de désignation, celle de subsomption et
celle de rendre-vrai sont toutes différentes. Ce qui rend vrai « John a
mal à la tête » - un moment de John – est quelque chose qui tombe
sous le prédicat « être un mal de tête » et qui est désigné par
« le mal de tête (actuel) de John ». Mais du fait que ces phrases,
ces termes et ces prédicats ont des rôles sémantiques et syntaxiques
différents, il ne s’ensuit pas qu’il y ait trois sortes d’entités qui leur font
face. Le fait que les vérifacteurs soient désignés par des phrases et tombent
sous des prédicats n’implique pas non plus que ces rôles sémantiques et
syntaxiques se fondent les uns dans les autres.
Puisque les vérifacteurs sont
désignables, il est possible de les quantifier. De « Le chant [the
singing] de John existe », on peut inférer « $ a & a est un chant et John fait a » ou, de façon plus idiomatique, « John chante »,
et réciproquement. L’idée que nombre de phrases normales à propos d’évènements
soient équivalentes à des phrases existentielles a déjà été affirmée par Ramsey
(tr. fr. (2003) p. 216). Davidson (op.
cit, p. 165) a également adopté cette idée. Il est assurément vrai que ce
n’est pas « Amundsen a volé
jusqu’au Pôle Nord » mais
plutôt « le vol d’Amundsen
vers le Pôle Nord a eu lieu » qui implique que seulement une expédition a
eu lieu. A partir de cela, Ramsey et Davidson concluent tous deux que des
phrases comme la dernière citée sont des phrases existentielles dans lesquelles
les évènements sont quantifiés. Mais voilà un exemple du dogme de la forme
logique dans ses œuvres. La phrase est sans doute logiquement équivalente à une
telle généralisation existentielle ; mais cela nous dit uniquement
qu’elles ont les mêmes conditions de vérité. Malgré cela, et bien qu’elles
aient le même évènement comme vérifacteur, les deux sont de forme assez
différente. La position Ramsey/Davidson se fait peut-être l’écho de la fausse
perspective voulant que les vérifacteurs soient désignés par leurs phrases.
Réalisant que l’unicité n’est pas garantie, ils passent de la désignation à la
meilleure chose du voisinage, la quantification. Il ne fait aucun doute que les
évènements rendent vraies les phrases exprimant la quantification ainsi que des
phrases équivalentes à celles exprimant la quantification ; mais ils le
font pour d’autres phrases, et tout autant pour celles n’exprimant pas la
quantification.
4/ Les
Moments comme Objets de Perception
La plupart des
philosophes reconnaîtront les certifications d’une partie des objets que nous
avons appelés moments. Cependant, beaucoup des énoncés des types de ceux que
nous avons considérés requièrent, dans notre théorie, des vérifacteurs dont
l’existence est contestée, comme des entités particularisées. Puisque les
moments doivent jouer le rôle que nous suggérons, il est impératif que nous
proposions une défense générale de leur existence incluant aussi les cas
controversés, et que celle-ci soit autant que possible éloignée et indépendante
de leur statut supposé de vérifacteurs. Ceci semble le plus important, puisque
nous nous sommes démarqués de l’argument de Ramsey-Davidson, en passant par la
forme logique, laquelle est considérée par beaucoup comme la raison principale
de croire aux événements.
Les défenseurs des moments peuvent se
voir offrir un nombre conséquent d’arguments contre les sceptiques. Nous nous limiterons à
un seul qui tourne autour du fait que les moments, comme les choses, peuvent
être des objets d’actes mentaux, en particulier des actes de perception. Si
nous admettons qu’il y a des actes mentaux épisodiques, comme des voir [seeings], des entendre [hearings] ou des respirer [smellings] qui
ont pour objet des choses telles que Mary ou une table, alors l’argument
fonctionne, et des actes d’espèces similaires qui prennent pour leurs objets de
tels moments doivent être reconnus : la rugosité de la table, le sourire
de Mary, la démarche de John ou le hurlement de Rupert. Le philosophe
qui scrute l’image de deux personnes se battant à l’épée peut penser que seuls
des objets indépendants sont dépeints - les deux combattants, leurs épées. Mais
qui observe des escrimeurs dans le monde réel ne voit pas seulement ceux-ci et
leurs épées, mais encore leurs coups et parades particuliers, et encore
beaucoup plus. Ceci est aussi dépeint dans les manuels d’escrime, et c’est la
perception que nous avons de tout cela, et non pas seulement celle des
duellistes, qui forme la base de nos jugements à propos de la compétence d’un
épéiste.
De même, le cri [howling] de Rupert est ce que sa mère
entend, et c’est cela, ou peut-être la hauteur particulière de ce cri qui monte
subitement, qui est la cause du lever de celle-ci afin de le nourrir. Ce
dernier point rend évident qu’en considérant les événements comme des moments,
nous acceptons que ces moments puissent se tenir dans des relations causales
mutuelles. Le cri de Rupert cause l’entendre [hearing] de Susan et
cela (selon les conditions neurales dominantes qui sous-tendent son inquiétude
maternelle) cause le lever de Susan. Les perceptions épisodiques sont
elles-mêmes des moments qui se tiennent dans des relations causales avec
d’autres évènements.
Un tel argument a l’avantage de
pouvoir revendiquer sa neutralité au regard des diverses théories de la
perception. Le défenseur des moments demande seulement que quelle que soit la
connexion entre la perception et ses objets, cette connexion demeure, que
l’objet soit un moment, une pensée ou la combinaison des deux. Ceci inclut des
théories qui prêtent un rôle central à la connexion entre l’objet et l’acte
perceptuel. Toute appréciation du rôle des sensations dans la perception des
choses aura, selon nous, son parallèle dans la perception des moments. Les
problèmes de perspective et de « profils » se présentent de la même
manière pour la perception des choses et des moments (Est-ce que je vois l’escrimeur
ou uniquement le profil qui m’est présenté ? Est-ce que je vois une parade
facile ou seulement la phase décisive non cachée par l’épaule
interposée ?). De surcroît, les problèmes posés par l’interaction entre
cognition ou l’arrière-plan cognitif et la perception, et par l’intentionnalité
(l’opacité) de la perception sont - assez raisonnablement - envisagés comme se posant à la fois
pour les choses et les moments. Ainsi celui qui plaide en faveur des moments ne
soutient pas que nous percevons les sortes de moments en question, mais
seulement que ce que nous percevons dans de tels cas sont des
moments. Qui voit un éclair voit un moment : une décharge énergétique
qui dépend de la charge magnétique de l’air et des molécules d’eau par où elle
prend corps. Mais il peut bien ne pas savoir qu’il s’agit d’une telle décharge,
et il y a assurément un sens dans lequel
il ne voit pas ses fondements.
De nombreux philosophes sont
prêts à accepter que les porteurs de vérité sont des entités abstraites et
voudraient soutenir que cela pare au besoin de vérifacteurs, car les
prédications sur les vérifacteurs peuvent, prétendent-ils, être reprises par
des prédications sur les porteurs de vérité, sans que cela ne change rien ou
peu de chose. Un trait distinctif de l’argument de la percevabilité des moments
tient à ce qu’il empêche un déplacement de ce genre. Car les moments que nous
avons donnés en exemple peuvent être des objets d’actes perceptuels, ce qui n’est pas le cas
des porteurs de vérités qui leur sont associés.
L’objection principale contre les
moments a toujours été que n’importe lequel de leur rôle peut être rempli par
des objets indépendants, avec (selon une option faible) les sens des
expressions de prédicat et la relation de tomber sous, ou (selon une
option forte) avec des universaux et la relation d’exemplification. Mais
quiconque veut rejeter les moments doit bien sûr rendre compte des cas où il
nous semble les voir et les entendre, ce que nous faisons en utilisant des
descriptions définies comme « le sourire qui vient d’apparaître sur le
visage de Rupert ». Cela signifie que le contempteur des moments doit
soutenir qu’en de telles circonstances, nous ne voyons pas seulement des choses
par elles-mêmes indépendantes, mais aussi des choses qui tombent sous
certains concepts ou qui exemplifient des universaux. Dans certaines
perspectives (Bergmann, Grossmann), il est même affirmé que nous voyons les
universaux dans la chose. Mais le défenseur des moments trouve cela
contre-intuitif. Lorsque nous voyons le sourire de Rupert, nous voyons quelque
chose qui est tout autant spatio-temporel que Rupert lui-même, et non pas
quelque chose d’aussi absurde qu’une entité spatio-temporelle qui contiendrait
d’une façon ou d’une autre un concept ou un universel. Le défenseur des moments
peut simplement prendre pour évidentes les descriptions ordinaires, ce qui
signifie que sa perspective prend le pas en terme de naturalité.
Confronté à des exemples prima
facie de perceptions de moments, comme le fait que John entende le ton
colérique de la voix de Mary, le fait que Tom voie le coup de pied que Dick
donne à Harry, ou le fait que Susan voie le sourire de Rupert, l’adversaire des
moments peut réagir de plusieurs manières différentes. Un stratagème est de
soutenir que les expressions nominales qui désignent apparemment des moments
peuvent être remplacés salva veritate par des expressions qui ne
désignent que des choses indépendantes ; par exemple, « Susan voit le
sourire de Rupert » par « Susan voit Rupert souriant ». En ce
qui concerne les moments de moments, comme dans notre premier exemple, ou les
moments relationnels, comme dans le second, les remplacements devront être plus
compliqués. « John entend le ton colérique de la voix de mary » ne
sera pas adéquat, car la voix est elle-même un moment, et serait plutôt requis
quelque chose comme « John entend Mary-parlant-de-façon-colérique [the
angrily-speaking Mary] », ou de façon encore moins plausible, « John
entend Mary-parlant–avec-un-ton-de-voix-colérique [the-with-an-agrily-edged-voice-speaking
Mary] », où l’expression reliée par des traits d’union est traitée comme
un prédicat non analysé. En ce qui concerne l’exemple relationnel, nous avons
besoin de deux actes perceptuels : «Tom voit Dick donnant un coup de
pied et Harry recevant le coup de pied », ou, comme nous n’avons
visiblement qu’un seul acte ici : « Tom voit le complexe de deux
personnes qui consiste en Dick donnant un coup de pied et Harry recevant le
coup de pied ».
En laissant de côté les
tracasseries comme celle de la nature précise de la relation entre Rupert
lui-même et Rupert souriant, ainsi que les questions
de savoir s’il y a des choses comme les complexes de personnes, de telles
tentatives se heurtent tout de même à des problèmes d’opacité. Car Susan peut
bien sûr voir Rupert souriant sans voir son sourire, John peut entendre Mary,
et, devrions-nous ajouter, sa voix colérique, tout en n’apercevant pas son ton
colérique, et Tom peut voir les deux hommes et manquer le coup de pied. En
disant cela, nous utilisons délibérément le verbe perceptuel « voir »
de manière transparente. Il se peut qu’on pense qu’une voie plus longue vers la
reconnaissance de la catégorie séparée des moments puisse passer par la
distinction entre ce sens transparent et un sens opaque et phénoménologique, i.e. en indiciant le verbe
respectivement par « t » et « p ». Mais même si l’on tente
de saisir « Susan voitt le sourire de Rupert », i.e.
au moyen de « Susan voitp Rupert souriant », ou « Susan voitt Rupert souriant et voitp quelqu’un souriant », on manque
toujours le but. Par exemple, Susan peut voirp Rupert souriant alors
qu’il a en réalité un air désapprobateur – elle se trompe sur son expression-
ou bien elle peut voirt quelqu’un qui sourit et le prendre par
erreur pour Rupert.
Des problèmes similaires touchent
les tentatives qui font usage de paraphrases impliquant des compléments
propositionnels : « Susan voit que Rupert sourit » (elle peut
voir le sourire, mais échouer à reconnaître son porteur) ; ou des
compléments du genre de « comme
» [as] : « Susan voit Rupert comme souriant » (elle le
pourrait, mais il peut avoir un air désapprobateur).
Pour sauver sa position,
l’adversaire des moments peut avoir recours à une série de prédicats de re
perceptuels, « voit-être-souriant » [sees-to-be-smiling],
« entend-être-parlant-avec-colère » [hears-to-be-angrily-speaking],
etc.., ce qui permet de dire que Susan peut par exemple
« voir-être-souriant »(Rupert) sans reconnaître qu’il s’agit de lui,
i.e., en prenant les termes pour les fondements hors du champ du verbe
intentionnel et en les plaçant dans des positions extensionnelles. Mais cette stratégie ne
peut s’accommoder de situations comme celles qui suivent. Tom pense à tort que
le coup de pied que Dick donne à Harry constitue une attaque de sa part, alors
qu’il s’agit en réalité de leur manière quelque peu inhabituelle de se saluer.
Le théoricien des moments peut accepter que Tom voiet le coup de
Dick, et comme il s’agit de son salut, que Tom voiet le salut que
reçoit Harry. Mais l’adversaire des moments ne peut pas saisir cette
équivalence matérielle vraie, car son « Tom voit-frapper (Dick,
Harry) » - où toutes les places d’argument sont extensionnelles - est
vrai, mais son « Tom voit-se-saluer (Dick, Harry) » est faux,
car Tom ne reconnaît pas le coup de pied comme salut. L’adversaire des moments
ne peut en aucune manière s’accommoder de cela, à moins qu’il ne crée une
nouvelle position extensionnelle pour un terme désignant quelque chose (i.e., un moment) qui soit à la fois un
coup de pied et un salut, ce qui revient à concéder la défaite.
Il se peut que des réserves d’ingéniosité puissent amener de nouveaux
stratagèmes afin de mettre les moments en échec, mais nous osons avancer qu’ils
n’auront pas plus de succès que ceux qui précèdent. Les autres tentatives
visant à rendre compte des cas mentionnés sans impliquer d’engagements envers
les moments seront, suggérons-nous, soit non adéquates, soit plus complexes
d’un point de vue épistémologique et ontologique, et moins plausibles.
5/ Le rendre-vrai et le Tractatus.
Nous avons dit qu’il était possible de
ménager une place à l’existence des moments et à leur rôle comme vérifacteurs,
du moins pour des classes de phrases étendues et importantes. Dans ce
paragraphe nous souhaitons compléter ces arguments par une brève discussion sur
ce qui demeure certainement à ce jour l’exposé le plus sophistiqué au sujet du
rendre-vrai : la théorie de l’isomorphisme du Tractatus.
La structure des objets qui
rendent une phrase vraie n’est pas, avons-nous dit, quelque chose qui peut être
dégagé à partir des phrases elles-mêmes par des moyens purement logiques.
Déterminer cette structure pourrait être une affaire au moins aussi difficile
et aussi empirique que la détermination de la valeur de vérité des phrases en
question. Pour Wittgenstein, au contraire, la détermination de la structure des
vérifacteurs n’est ni du ressort de l’ontologie ni de celui de disciplines
matérielles diverses, mais de la logique ; pour laquelle rien n’est
accidentel. Il n’aurait donc pas pu inclure les vérifacteurs parmi les objets
qu’on trouve dans l’expérience quotidienne et qui sont traités par les
différentes sciences. Pour jouer le rôle de rendre-vrai, il élit à leur place
une catégorie spéciale d’entités non-objectuelles, qu’il a appelé les Sachverhalte.
Il y a toutefois davantage de choses à tirer de sa théorie du Sachverhalt.
Nous avons déjà pris à cœur la doctrine qui sous-tend la théorie selon laquelle
il est erroné de postuler des vérifacteurs spéciaux correspondant aux phrases
logiquement composées. Nous aurons l’occasion - plus bas dans le §.6 - de
réfléchir à propos de l’ingénieux développement de cette doctrine de la part de
Wittgenstein (avec sa théorie du Tatsache).
La théorie des Sachverhalte peut
être rapidement résumée comme suit : les objets simples qui, aux yeux de
Wittgenstein, constituent la substance du monde sont configurés ensemble de
façon diverse. Une phrase élémentaire est vraie si et seulement si les objets
simples désignés par les noms simples qui la constituent sont configurés
ensemble dans un Sachverhalt dont les constituants sont en
correspondance biunivoque avec ceux de la phrase, la configuration des objets
étant reflétée dans la structure de la phrase. On dit alors que la phrase et le
Sachverhalt ont la même logische (mathematische) Mannigfaltigkeit (4.04).
Wittgenstein ne nous dit pas
grand-chose à propos de la nature des objets qui sont configurés ensemble dans
les Sachverhalte. Mais il fait quelques allusions, en 2.0131 par
exemple, où on nous dit :
« Une tache dans le champ visuel
n’a certes pas besoin d’être rouge mais elle doit avoir une couleur : elle
porte pour ainsi dire autour d’elle l’espace des couleurs. Le son doit avoir une hauteur, l’objet du tact doit avoir une
dureté, etc. »
Considérons une phrase comme : « Cette
tache (là maintenant devant moi) est rouge ». Cette phrase est rendue
vraie, semble-t-il, par un Sachverhalt qui est une combinaison de deux
objets, la tache elle-même et sa couleur. Une des interprétations des Sachverhalte
les considère comme enveloppant à la fois des particuliers spatio-temporels,
des propriétés universelles et des relations (couleur, hauteur, dureté, se
tenir entre, etc.) De plus, on comprend mal
comment des particuliers et des universaux peuvent être, en même temps, des
constituants d’une entité singulière. Une interprétation plus prometteuse peut
être bâtie à partir de quelques remarques de Wittgenstein lui-même sur les
formes et les natures des objets simples au début de 2. Wittgenstein nous dit
qu’il n’est pas accidentel pour un objet d’avoir une occurrence dans les Sachverhalte
dans lesquels il a une occurrence. Chacune de ses possibilités d’occurrence
dans des états de choses doivent faire partie de la nature de l’objet lui-même,
elles doivent être inscrites dans les objets dés le commencement même (2.012,
2.0121, 2.0123). Wittgenstein appelle la « forme » d’un objet les
possibilités qu’il a d’avoir occurrence dans des états de choses (2.0141). Des
objets différents peuvent exhiber des formes différentes, peuvent être
localisés, pour ainsi dire, dans des espaces différents d’états de choses
possibles (2.013). Des objets sont tels
qu’en vertu de leur forme, ils en appellent d’autres par nécessité. Un son doit
avoir une hauteur, les objets du tact doivent avoir des degrés de dureté, et
ainsi de suite. C’est-à-dire que des objets sont fondés sur d’autres objets
dans le sens de notre discussion précédente.
Nous suggérons l’idée que c’est
parce qu’il leur a manqué une théorie des relations de fondation latérale
(relations qui peuvent lier ensemble des objets individuels), que les
interprètes du Tractatus - dans la tradition de la philosophie
analytique - ont été contraints d’avoir recours à des perspectives du genre de
celles qui envisagent les Sachverhalte comme enveloppant des individus
et des propriétés universelles. Ici s’ouvre cependant à nous la possibilité de
développer une vision des Sachverhalte comme n’enveloppant que des
individus liés ensemble par des relations de fondation. « Cette tache est
rouge » pourrait être rendu vrai, dans une telle perspective, par un Sachverhalt
de deux objets liés par une relation de fondation mutuelle comprenant la tache
et le moment individuel de rougeur. Une phrase comme « L’atome a
frappe (à un instant donné du temps) l’atome b » pourrait être
rendue vraie par un Sachverhalt de trois objets (comprenant a, b
et cet évènement ou moment individuel c qui est leur impact momentané)
liés par des relations de fondation unilatérale : entre c et a
et entre c et b. Ici le moment d’impact est différent dans sa
forme ontologique des objets indépendants avec lesquels il est configuré, mais
il n’est pas moins particulier que ces objets. Une sémantique réaliste
de type non trivial, devant être établie sur la base d’une investigation des
champs de formes et d’espèces possibles d’objets (dépendants ou indépendants),
ne semble donc pas après tout être en désaccord complet avec une sémantique du
genre de celle qui est présentée dans le Tractatus. Nous sommes reconduits
à une différence importante qui est que Wittgenstein croyait qu’une théorie
sémantique adéquate devait épouser un engagement envers des objets absolument
simples, alors que nous souhaitons nous contenter de la question d’une
simplicité relative, par exemple de la simplicité qui est déterminée par les
phrases élémentaires des diverses sciences matérielles. Une investigation au
sujet des natures des objets dépendants et indépendants traités par ces
sciences se révèle être une investigation d’objets à la lumière de leurs
configurations possibles dans des Sachverhalte, et une taxinomie
d’objets est vue, dans notre perspective, comme donnant naissance à une
taxinomie des différentes sortes de Sachverhalt exactement
correspondante - quelque chose comme la zoologie de faits mentionnée par
Russell dans ses conférences sur l’atomisme logique (op.cit. pp. 375 sq).
Cependant, en tant
qu’interprétation du Tractatus, et même du Tractatus modifié par
l’admission de la possibilité de notre saisie des natures des objets
(relativement) simples et des configurations d’objets (relativement) simples,
une théorie de la sorte est toujours loin d’être adéquate. Car ce que sont
ces sortes de configurations d’objets les plus simples n’a pas été
éclairci ; il a été simplement dit que, pour exister, ils devaient
envelopper des objets manifestant une distinction de forme, quelque chose de
l’ordre de la distinction entre les moments et les objets indépendants défendue
plus haut. Comme on l’a noté, Wittgenstein lui-même appuyait ardemment l’idée
que les Sachverhalte sont des entités d’une espèce particulière,
entièrement différente de celle des objets. Et cette vision a acquis le statut
d’orthodoxie parmi les philosophes contemporains, en dépit du fait que
Wittgenstein lui-même ne fournissait rien de plus que des indications lâches,
métaphoriques au regard de la
différence en question. Mais comment un Sachverhalt tel que, par
exemple, celui qui enveloppe les trois objets a, b et r
peut-il être distingué de l’objet complexe correspondant (a-se-tenant-dans-la-relation-r-avec-b) ? Wittgenstein semble s’être contenté de
voir cette distinction comme ne pouvant pas être davantage explicitée, et a
embrassé un mysticisme d’une espèce qui a peut-être fait beaucoup de mal à
l’entreprise d’une théorie correspondantiste de la vérité. Pouvons-nous faire
mieux ? Une voie possible serait de développer une vision des Sachverhalte
comme distingués des complexes correspondants en incorporant les phrases ou les
actes d’utilisation des phrases – ou en étant en un sens dépendant de ces
derniers - à travers lesquels ils se découvrent : par exemple, et plus
naïvement, en traitant les Sachverhalte comme des paires ordonnées
comprenant l’objet complexe pertinent et une phrase quelconque appropriée. Une
telle démarche est toutefois équivalente au fait de sacrifier la conception des
Sachverhalte comme entités du monde existant indépendamment de l’esprit
et du langage. Traiter les Sachverhalte de cette manière, ou comme des
fictions logiques de quelque type que ce soit, c’est abandonner le projet d’une
sémantique réaliste.
Nous souhaitons ici laisser ouverte la
question de savoir si un exposé plus acceptable de la distinction entre le Sachverhalt
et le complexe peut être développé. C’est une implication de
nos arguments précédents, selon lesquels au moins quelques-unes des
considérations qui ont été présentées pour motiver la distinction manquent de
force. Mais y a-t-il d’autres raisons pour que la différence logique entre le
nom et la phrase élémentaire doive être posée comme reflétant une différence
ontologique correspondante entre des objets et des Sachverhalte, qui
sont en quelque sorte non-objectuels et intrinsèquement impropres à être la
référence d’un nom ? Ou bien la supposition de catégories spéciales
d’entités pour jouer le rôle du rendre-vrai n’est-elle pas une indication
supplémentaire de la marche main dans la main de la logique et de l’ontologie,
si caractéristique de la philosophie analytique ?
( Traduction par Bruno Langlet
et Jean-François Rosecchi)
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Nous pouvons appeler ce vérifacteur
minimal le vérifacteur, faisant ainsi un usage non russellien des
descriptions définies. Sharvy (1980) a montré comment les descriptions peuvent
saisir [pick out] des maxima plutôt que des objets uniques.
« Le café dans cette pièce », par exemple, saisit la quantité totale
de café dans cette pièce. Que les descriptions peuvent saisir aussi des minima
est montré, non seulement par l’exemple suggéré dans le texte, mais
également par « le lieu où l’accident s’est produit », qui saisit la
plus petite étendue spatiale voisine de l’accident.
Envisager a comme vérifacteur de
« a existe », c’est à coup sûr prendre à contre-pied la position frégéenne établie selon
laquelle toutes les assertions existentielles pourvues de sens sont des
assertions à propos de concepts. (Grundlagen, § 53). Dans le même temps,
une lecture de Kant à la lumière de nos conceptions doit mettre en doute
l’hypothèse courante disant, qu’avec sa doctrine selon laquelle
« l’existence n’est pas un prédicat », il a simplement anticipé
Frege. Si l’existence de Dieu est rejetée, écrit Kant, « nous rejetons la chose
en soi avec tous ses prédicats ; d’où peut venir alors la
contradiction ? » (Critique de la raison pure, A595/B623. Les
italiques sont de nous). Pour Kant, les énoncés existentiels singuliers sont
pourvus de significations (car synthétiques), tandis que pour la ligne
frégéenne officielle, ils en sont dépourvus (voir par exemple, son « Uber
den Begriff der Zahl. Auseinandersetzung mit Kerry »). Même quand
Frege se décarcasse pour leur donner une signification (dans le « Dialog
mit Punjer über Existenz »), ils en sortent soit comme nécessairement
vrais, soit comme des énoncés métalinguistiques déguisés.
De manière significative, Meinong
nomme ce qui fait la différence entre l’existence d’un objet et sa
non-existence, un « moment modal » (Cf. Meinong (1915), pp. 266
sq. ; Findlay (1963), ch. 4). Il y a d’autres moments de la sorte ;
parmi eux il y en a un marquant la factualité ou la subsistance [Bestehen]
d’un objectif ou d’un état de choses. La doctrine des moments modaux a été affinée
et considérablement développée par Ingarden (1964/65 ; le volume I tout
particulièrement).
Toutes les alternatives discutées
ici ne sont pas compatibles les unes avec les autres. La tétrade suivante est
inconsistante :
(1) « a = a » est
vrai mais n’a pas de vérifacteurs.
(2) Si « E !a » est
vrai, alors a le rend vrai.
(3) « $x & Fx » est rendu vrai par n’importe quelle
chose rendant vrai toute instance de « Fa ».
(4) « E !a » et
« $x & x = a » sont logiquement équivalents.
Il se présente divers moyens pour résoudre cette inconsistance. Ceux
qui sont les plus proches de la logique classique rejetterons (1) et ferons de a
le vérifacteur de « a = a » ; il faudra alors
considérer « a = a » comme faux ou dépourvu de
signification si a n’existe pas. La solution plus proche de la logique
libre rejettera (3) qui sera remplacé par :
(3*) « $x & Fx » est rendu vrai par toute paire a,
b telle que a rend vrai « E !a » et b
rend vrai « Fa ».
Si nous introduisons un quantificateur particulier non-standard avec
lequel on poserait l’équivalence de (3) en remplaçant « $ »
par « S », alors « $x & Fx » et « Sx & E !x∧Fx » sont logiquement équivalents. Un tel
quantificateur existe déjà dans l’œuvre de Lesniewski (Cf. Simons (1981a)).
Tout comme Ramsey, nous disons que
les évènements existent, bien qu’il serait plus juste linguistiquement de dire
qu’ils ont une occurrence [occur] ou arrivent [happen].
Pareillement nous utilisons « existe » pour les états de choses,
plutôt que « être le cas [obtain] » ou « se tenir [hold] »
qui sont plus courants.
Ad hominem, la propre théorie
de l’identité psycho-physique de Davidson n’autorise qu’un seul évènement
rendant vrai deux phrases non synonymes, une dans le vocabulaire mental,
l’autre dans le vocabulaire physique (Davidson (1993), pp. 289 sq.)
Il y a deux lectures possibles de
Wittgenstein quand il parle d’ « états de choses possibles »
dans le Tractatus. Pour la première, meinongienne, on peut dire qu’il y
a des états de choses possibles en plus des états de choses actuels ; pour
la seconde, plus sobre, nous disons qu’il y a seulement des états de choses
actuels, bien qu’il soit possible que d’autres aient pu être actuels. Ici et
dans ce qui suit nous adoptons la seconde lecture. Les termes qui dénotent en
apparence des états de choses possibles doivent donc être traités dans chaque
cas comme syncatégorématiques.
Plus précisément, ce que nous avons
ici est une fondation générique dans le sens du § 4 ou de Simons (1982).
Déterminer quelles sont les espèces
les plus simples d’objets constituant le sujet d’une discipline matérielle
donnée, c’est déterminer aussi les Sachverhalte qui rendent vraies,
comme un wittgensteinien pourrait concevoir les choses, les phrases
élémentaires de cette discipline. Wittgenstein lui-même embrassa quelque chose
dans le genre de ce projet eu égard à la psychologie dans son injustement
négligé « Quelques remarques sur le forme logique » de 1929. Une conséquence de nos arguments est
que l’idée wittgensteinienne d’un langage directement dépeignant, ou d’une
famille de langage de la sorte, peut s’offrir à la possibilité d’une
résurrection. Puisque, comme nous avons insisté plus haut, il y a un manque
d’isomorphisme entre les phrases logiquement simples du langage naturel
et leurs vérifacteurs, un langage directement dépeignant nécessiterait l’emploi
de mécanismes qui ne ressembleraient pas étroitement aux procédés linguistiques
qui nous sont familiers ; il peut éventuellement approcher les
langages-images employés dans la chimie organique. Cf. Smith (1981), Smith et
Mulligan (1982, § 6), (1983).