La
Non-Identité d’une Chose Matérielle et de sa Matière
Kit FINE (NYU)
Bien des philosophes
pensent qu’une chose matérielle est ou peut être identique à sa matière –
qu’une statue, par exemple, peut être la même chose que l’argile à partir de
laquelle elle est faite ; ou une rivière, la même chose que l’eau qui
s’écoule en elle. Il semble qu’un puissant argument aille à l’encontre de ce
type de conception, car dans chaque cas, la chose paraît avoir des propriétés
que ne possède pas sa matière. Ainsi, l’argile d’une statue peut exister, même
si la statue elle-même a cessé d’exister, et la rivière peut être composée
d’une eau différente à différents moments alors que ce ne peut être le cas de
l’eau qui la compose. Cependant, ces philosophes ont rétorqué que l’apparente
différence au niveau des propriétés ne représente pas une différence au niveau
des objets eux-mêmes, mais une différence qui se situe au niveau des
descriptions sous lesquelles ils peuvent être considérés. Nous pouvons
concevoir une chose donnée comme une statue ou de l’argile, une rivière ou un
plan d’eau, par exemple, et, en fonction de la façon dont l’objet est conçu,
nous dirons de lui une chose plutôt qu’une autre.
L’objectif de cet
article est de montrer que cette contre-réponse n’est pas valide, et que
l’argument original défendant la non-identité doit par conséquent être
maintenu. Ce n’est pas une tâche facile, tant il semble qu’il n’y ait rien dans
les données linguistiques immédiates, qui permette de trancher la question en
faveur de l’une ou l’autre des deux positions. Néanmoins, si l’on étend la
contre réponse à l’ensemble du langage et qu’on l’étudie dans toutes ses
conséquences, je pense qu’il est possible de démontrer son caractère
extrêmement peu vraisemblable. L’article est constitué de deux parties
principales. La première (§§ 1-4) est largement consacrée à la mise en place du
problème. Nous y caractérisons les différentes formes que peut prendre la thèse
de l’identité (§1), nous y expliquons comment l’argument en faveur de la
non-identité peut en principe s’effondrer (§2), nous présentons les versions
les plus vraisemblables de ce type d’arguments (§3), et considérons alors la
contre réponse la plus crédible qui peut leur être faite (§4). La seconde
partie (§§5-8) entreprend une investigation détaillée des difficultés
impliquées par la contre-réponse. Celle-ci se révèlera incapable de rendre
compte d’une large variété de données linguistiques différentes, vaguement
classées en fonction de la manière de faire référence à une chose matérielle.
Quatre principaux types de cas seront considérés : ceux dans lesquels une sorte est explicitement invoquée (§5),
ceux dans lesquels elle est implicitement invoquée (§6), ceux dans lesquels la
notion de référence est elle-même utilisée pour garantir la référence (§7), et
ceux dans lesquels on réfère à une pluralité de choses (§8).
Je vais commencer par
quelques mots d’avertissement concernant l’étendue et les limites de mes
remarques. Premièrement, il se trouve que certaines questions apparaissent de
façon similaire à propos de l’identité des évènements et des actes. Est-ce que
l’avalanche est identique à la chute des pierres ? Est-ce que l’acte de
tirer au fusil, perpétré par Oswald, est identique à son acte de tuer
Kennedy ? Bien que je n’aie pas discuté ces questions, je crois qu’elles
donnent lieu à des considérations similaires, et que des arguments très proches
peuvent être utilisés pour défendre la théorie selon laquelle dans de tels cas,
les évènements et les actes ne sont pas identiques. Deuxièmement, je n’ai pas
pris en considération certaines conceptions radicales concernant la nature de la
relation d’identité. Certains philosophes ont nié qu’il y ait une notion
intelligible de l’identité absolue. D’autres ont pu penser qu’une telle notion
existait mais ont nié qu’elle puisse avoir une application dans toutes les
catégories – on ne pourrait pas raisonnablement se demander si un nombre est
identique à un œuf frit ou si une chose matérielle est identique à sa matière.
D’après ce que j’ai compris, selon ces philosophes, la question de l’identité
ne devrait même pas être posée. Cela dit, je n’ai pas cherché à savoir si la
question devait se poser, ni à savoir de quelle façon on pourrait reformuler
les problèmes si ce n’était pas le cas.
Troisièmement, il y a des philosophes qui ont des positions non orthodoxes à
propos de la question concernant quelles choses matérielles existent. Les
idéalistes croient qu’il n’en existe tout simplement pas. Cependant, même
certains des philosophes qui croient en l’existence des choses matérielles
nient qu’elles soient com-plexes,
ou qu’elles soient à la fois complexes et non-vivantes.
Je n’ai pas tenté de prendre en compte ces considérations. Mon adversaire est
quelqu’un qui admet notre ontologie ordinaire des choses matérielles, mais qui
nie que cela implique une distinction entre une chose et sa matière. Mon adversaire
peut au final avancer plusieurs arguments en faveur de l’identité. Selon moi,
le plus puissant d’entre eux est l’argument méta-physique : si une chose
et sa matière ne sont pas les mêmes, alors en quoi peut bien consister la
différence entre eux ? Un autre argument, qui semble populaire, est celui de la
dispensabilité théorique ; dans la mesure où nous n’avons pas besoin de
ces coïncidents (chose/matière) pour des objectifs théoriques, il n’y a aucune
raison de supposer qu’ils existent. Je crois que l’on peut répondre à tous ces
arguments. Cependant, mon but ici n’est pas de fournir de telles réponses,
et le présent article doit par con-séquent être considéré comme une partie
seulement de la justification totale de ma position.
Pour finir, je précise
que les considérations présentées dans cet article sont à peu près toutes de
nature linguistique : je ne me suis pas penché sur les choses matérielles
elles-mêmes mais sur le langage que nous utilisons pour en parler. A vrai dire,
je me sens un peu embarrassé d’écrire un article à ce point orienté
linguistiquement et à propos d’un sujet métaphysique, étant donné que ma
position générale est que ce n’est pas la meilleure façon d’aborder la
métaphysique que de le faire à travers l’étude du langage. Néanmoins, nous
sommes en présence d’un cas très spécial. Une position dans ce débat présente
un argument non-linguistique en faveur de la non-identité, l’autre camp l’accuse
alors de confusion linguistique, et afin de ne pas tomber lui-même sous cette
accusation, il doit alors montrer que son utilisation du langage n’est sujette
à aucune confusion. Les questions linguistiques de cette sorte pourraient se
poser dans n’importe quel domaine d’enquête, et bien qu’elles puissent être
spécialement courantes – peut-être même endémiques – en métaphysique, je ne
crois pas que de telles questions épuisent le sujet ni qu’elles le constituent
principalement.
1/
Monisme
Mon adversaire pense que
les choses matérielles coïncidentes sont identiques. Cela dit, « coïncidentes »
peut vouloir dire un nombre con-sidérable de choses, et en fonction de ce que
l’on entend par « coin-cidence », nous obtenons forcément différentes
versions de la théorie.
Nous devons distinguer en premier lieu
entre coïncidence spatiale et matérielle. Deux choses coïncident spatialement à un moment donné quand la
région spatiale exacte qu’elles occupent à ce moment donné est la même. Deux
choses coïncident matériellement à un
moment donné quand leur matière sous-jacente à ce moment donné est la même.
Ma théorie est que les coïncidents
matériels n’ont pas besoin de coïncider spatialement, et que les coïncidents
spatiaux n’ont pas non plus besoin de coïncider matériellement. Ainsi, une
miche de pain et le pain qui la compose sont matériellement coïncidents mais
sans l’être spatialement, et une miche de pain mouillée et la miche de pain
(qui est mouillée) sont spatialement coïncidentes mais sans l’être
maté-riellement. Mais nous n’avons pas besoin de prendre parti sur cette
question. Le partisan de l’identité peut se contenter de jouer la sécurité et
considérer que deux choses sont coïncidentes à un moment donné si elles sont à
la fois spatialement et matériellement coïncidentes à ce moment donné.
Il existe des
correspondances entre coïncidence mondaine et nécessaire. Nous pouvons dire que
deux choses coïncident dans un monde
si elles existent aux mêmes moments (et à un moment au moins) dans le monde et
coïncident à chacun des moments auxquels elles existent. De façon similaire,
nous pouvons dire que deux choses coïncident nécessairement si elles existent dans les mêmes mondes (et au moins
dans un), et coïncident dans chacun des mondes dans lesquels elles existent.
Le monisme extrême peut alors être considéré comme
la théorie selon laquelle deux choses matérielles qui coïncident à un moment
donné sont les mêmes, le monisme modéré
comme la théorie pour laquelle deux choses matérielles qui coïncident dans un
monde sont les mêmes, et le monisme faible
comme la théorie qui veut que deux choses matérielles qui coïncident
nécessairement sont les mêmes (Ou peut-être devrions-nous considérer chaque
forme de monisme comme la position affirmant qu’il est nécessaire que les coïncidents d’une sorte pertinente soient
identiques).
Là où un pluraliste voit
plusieurs choses – une statue, l’argile à partir de laquelle elle est faite, le
morceau d’argile – le moniste ne voit qu’une seule chose. On pourrait l’appeler
une « chose simple », puisqu’elle n’est vraisemblablement pas
considérée comme étant en elle-même une de ces choses plus spécifiques
reconnues par le pluraliste.
Les monistes peuvent être en désaccord, comme par exemple au sujet de
l’identité « intrinsèque » de la chose simple. Le moniste extrême
pourra considérer qu’elle est une matière (éventuellement trouée), ou une
tranche temporelle instantanée de cette matière, ou quelque chose dont
l’identité à travers le temps est indéterminée. D’un autre côté, un moniste
modéré, peut considérer que la chose simple est un « contenu »
spatial/matériel trans-temporel, ou une part d’un tel contenu liée au monde, ou
quelque chose dont l’identité à travers les mondes est indéterminée. Pour la
plupart, nos critiques ne porteront pas sur ces différences internes au
monisme.
Les conceptions monistes
sont de force variable : la position extrême implique le monisme modéré,
et le monisme modéré implique le faible. Un moniste modéré qui n’est pas
extrême peut être considéré comme strictement
modéré, et un moniste faible qui n’est pas modéré, comme un moniste strictement faible. Ainsi, un moniste strictement modéré accepte qu’il puisse y
avoir des coïncidents distincts à un moment, bien qu’il n’accepte pas qu’il
puisse y avoir des coïncidents distincts à l’intérieur d’un monde.
Pour beaucoup de gens,
le monisme strictement modéré passe pour une espèce de juste milieu
raisonnable. Il évite le mystère métaphysique de coïncidents mondains distincts
et admet pourtant la preuve intuitive forte en faveur de la distinction entre
coïncidents dans le temps. Cependant, sous certains rapports décisifs, le
monisme extrême est la position la plus défendable. En effet, beaucoup des
arguments les plus forts en faveur du monisme et des plus puissantes répliques
aux arguments dirigés contre lui présupposent la vérité de la version extrême.
Il est par exemple parfois affirmé que le fait que nous puissions dire avec
raison que l’argile est une statue constitue une preuve que la statue et
l’argile sont identiques. Cela dit, dans la mesure où cela constitue
effectivement une preuve en faveur de l’identité, c’est une preuve de
l’identité entre coïncidents dans le temps, et cela reste par conséquent
incompatible avec une position strictement modérée. Ainsi, le moniste modéré se
trouve face au dilemme embarras-sant d’avoir à choisir entre les forces
métaphysiques de la position strictement modérée d’un côté, et les forces
dialectiques de la position extrême de l’autre.
Je ne souhaite pas
préjuger de la manière de résoudre au mieux ce dilemme dans cet article, et
j’ai par conséquent essayé de développer des critiques qui soient également
valables contre chaque position. A cette fin, supposons qu’une statue et un
alliage soient simultanément créés en versant du cuivre et de l’étain en fusion
dans un moule, et que l’alliage et la statue soient simultanément détruits à un
moment ultérieur. Les deux sont alors mondainement coïncidents,
et en prouvant qu’ils ne sont pas identiques dans les circonstances en
question, nous pouvons démontrer que chacune des formes de monisme est dans
l’erreur. Certains monistes pourraient faire une objection à cet exemple en se
fondant sur le fait que « l’alliage » ne réfère pas de manière
singulière à un matériau (stuff),
mais de manière plurielle à ses constituants (peut-être de la même façon que
l’expression « le comité » peut être considérée comme référant de
manière plurielle à ses membres).
Cependant, même ces philosophes concèderont qu’il existe une chose telle que la
pièce d’alliage, et la plupart de mes
arguments fonctionneront avec « pièce d’alliage » à la place
d’ « alliage ».
Tout au long de cet
article, l’accent a été mis sur les formes extrêmes et modérées du monisme.
Mais, je crois que la version faible du monisme est également dans l’erreur –
deux choses matérielles, mêmes des choses de la même sorte, peuvent coïncider
nécessairement et pourtant être encore distinctes. Cependant, dans ce cas, la
question donne lieu à une difficulté spéciale. En effet, il n’est pas si facile
de trouver, ne serait-ce que des contre-exemples présumés à la conception moniste faible. Si, comme je le crois,
on peut néanmoins le faire, alors les considérations présentes devraient être
tout aussi valables que dans le cas des autres formes de monisme afin
d’infirmer l’accusation selon laquelle les contre-exemples putatifs
n’établissent pas authentiquement la non-identité.
2/
Opacité
Il existe un argument
standard contre le monisme extrême : une statue et l’alliage dont elle est
faite peuvent avoir des propriétés différentes – ils peuvent par exemple
exister à différents moments. Il suit donc de la Loi de Leibniz, c’est-à-dire
du principe selon lequel les choses identiques ont les mêmes propriétés, que
les deux ne sont pas identiques. Il existe un argument similaire contre le
monisme modéré. Deux coïncidents mon-dains ne différeront évidemment pas en
regard du temps de leur existence actuelle,
mais ils peuvent différer au regard du temps de leur existence possible. L’alliage peut continuer à
exister en prenant la forme d’une balle, par exemple. Par contre, la statue ne
peut plus exister en prenant la forme d’une balle. Etant donné qu’ils diffèrent
quant à leurs propriétés modales, la statue et l’alliage ne sont pas
identiques.
Il existe cependant une
réponse classique à ce type d’arguments. En effet, on pourrait soutenir que
l’apparente différence au niveau des propriétés reflète simplement une
différence dans la façon dont on décrit un simple objet.
Considérons l’exemple courant de Quine [61] : il est
nécessaire que 9 soit plus grand que 7 mais il n’est pas nécessaire que le
nombre des planètes soit plus grand que 7. Nous n’irions pas conclure de cela
que le nombre des planètes n’est pas identique au nombre 9. De la même façon,
nous ne devons pas conclure des vicissitudes temporelles ou modales de
l’alliage et de la statue qu’ils ne sont pas les mêmes.
Nous pouvons présenter
l’argument de façon plus générale. Supposons que φ(s) soit une phrase contenant une
occurrence donnée du terme singulier s.
Disons que le contexte φ(—), désigné en donnant
l’occurrence de s dans φ(s), est transparent s’il permet
l’inférence allant de s = t et φ(s) à φ(t).
Autrement, il est opaque.
La réponse est alors que les contextes employés dans ces arguments en faveur de
la non-identité sont opaques.
On pourrait essayer de
contrer cette réponse en cherchant des contextes pouvant être admis comme
transparents et qui suffisent malgré tout à distinguer les coïncidents. En
effet, il y a une façon standard de convertir tout contexte opaque φ(—)
en un contexte transparent : parce qu’au lieu de dire φ(s)
nous pouvons dire « s est tel que φ(il) » (ou, plus
formellement, « s est un x tel
que φ(x) »).
Si nous appliquons cette transformation à la paire de phrases modales, nous
obtenons :
(і)
l’alliage est tel qu’il peut exister quand il est en forme de balle ;
(іі)
la statue est telle qu’elle peut exister quand elle est en forme de balle.
De façon similaire, en
appliquant la transformation à la paire de phrases temporelles, nous obtenons :
(і)’
l’alliage est tel qu’il existe au temps t ;
(іі)’
la statue est telle qu’elle existe au temps t.
L’opposant au monisme
affirmera alors que le premier membre de la paire est vrai, le second faux, et
le contexte transparent. Sur cette question, mes intuitions vont du côté de
l’anti-moniste, mais le moniste soulèvera une objection. Il admettra peut être
que la transformation garantit une lecture transparente, mais il maintiendra
que dans ce cas, ou bien les phrases sont dépourvues de valeur de vérité (étant
donné que la « chose simple » est dépourvue d’identité
trans-temporelle ou trans-mondaine déterminée), ou bien leur valeur de vérité
est la même (étant donné que la chose simple possède une identité
trans-temporelle ou trans-mondaine déterminée). Sinon, il peut soutenir que la
transformation ne réussit pas à assurer une lecture transparente. Cette
dernière réponse est plus vraisemblable dans le cas du moniste croyant que la
chose simple est dépourvue d’identité trans-temporelle ou trans-mondaine
déterminée, puisqu’il pourra avancer que même si la construction « tel
que » fournit généralement une lecture transparente, elle ne le fera pas
aisément dans le cas présent, car nous tendrons à favoriser l’interprétation
intelligible opaque plutôt que celle qui est transparente, mais à peine
intelligible. (C’est à peu près pour la même raison, qu’il pourrait suggérer,
qu’il est si difficile d’obtenir une lecture transparente de « Boston est
telle que ‘cette ville’ a six lettres ».)
Il semble, par conséquent,
que nous soyons dans une impasse. Quel que soit le contre-exemple que
l’opposant au moniste présentera, le moniste criera à la
« faute » ! Et c’est là qu’en restent actuellement les choses.
Dans cet article, je
souhaite essayer une autre stratégie afin de sortir de l’impasse. Au lieu de
tenter de trouver des contextes transparents qui pourraient servir à distinguer
les coïncidents, nous explorerons les conséquences dues au fait de considérer
comme opaques certains des contextes présumés transparents. En d’autre termes,
nous considérerons la conception du moniste disant que ces contextes sont
opaques comme une hypothèse sérieuse portant sur le fonctionnement de notre
langage, et nous essayerons alors de voir si elle peut être maintenue au regard
de ses implications pour le reste de notre langage.
La question de savoir si
ces contextes peuvent effectivement être opaques n’a pas été proprement
abordée. Les philosophes de tendance moniste se sont satisfaits de montrer que
nous pouvions parler comme si leurs théories étaient correctes, plutôt que de
montrer que nous le faisons effectivement. Ainsi, ils se sont contentés de
construire des langages et une sémantique formels pour ces langages qui sont
suffisamment expressifs et cohérents avec leurs conceptions.
Selon la traduction que l’on donne des phrases du langage naturel dans ces
langages, les arguments anti-monistes en faveur de la non-identité se révèlent
alors invalides et les contextes où ils sont employés opaques. Mais ceci est
sans rapport avec la question de savoir si les arguments sont valides ou si les contextes sont opaques, à moins que l’on puisse montrer que sous les rapports
pertinents, la traduction est fidèle à notre usage réel du langage.
Une fois que l’on prend
en compte cette autre question, je pense que l’on découvre que les contextes ne
peuvent vraisemblablement pas être consi-dérés comme opaques, et qu’il faut
accorder que les contre-exemples originels conservent leur force. Cependant, je
dois reconnaître d’emblée que je ne connais aucun moyen de démontrer que le
moniste jusqu’au-boutiste est dans l’erreur. Les difficultés qu’il y a à le
faire peuvent être mises en relief en considérant sa contrepartie
extrême : le mono-référentialiste
fanatique.
Il s’agit de quelqu’un qui affirme que toute expression référente singulière
réfère à la même chose exactement, l’ « Un » (qui est par conséquent l’analogue sémantique de
l’Absolu). Lorsqu’on lui fait remar-quer que Bush a gagné les élections et que
Gore ne les a pas gagnées, et que par conséquent Bush et Gore ne sont pas
identiques, il répond que «
a gagné l’élection »
forme un contexte opaque : « Bush » et « Gore »
réfèrent tous deux à l’Un, mais dire
que Bush a gagné l’élection, c’est dire que l’Un
a gagné l’élection d’une manière Bushéènne, et dire que Gore n’a pas gagné
l’élection, c’est dire que l’Un n’a
pas réussi à gagner l’élection d’une façon Goréènne. Nous n’avons donc rien
d’autre que l’Un gagnant ou perdant
l’élection d’une manière plutôt que d’une autre. Il est clair qu’une réponse de
ce genre peut être élaborée de manière à s’étendre par ramification à
l’ensemble du langage : ce que nous prenons pour une différence de
référence à l’intérieur d’un contexte transparent, il le prend pour une
différence dans la manière de référer à l’intérieur d’un contexte opaque, et ce
que nous voyons comme une quantification sur différents objets, il le voit
comme une quantification adverbiale sur différents modes de l’Un, et ainsi de suite. Il semblerait
donc qu’il n’y ait raisonnablement aucune chance de démontrer qu’il est dans
l’erreur.
Maintenant, certains philosophes peuvent
penser que l’hypothèse du mono-référentialisme fanatique nous fournit une
nouvelle forme de l’indétermination de la référence, à placer aux côtés des
formes multi-référentielles les plus usuelles, et qu’il n’y a par conséquent
aucun intérêt à savoir si le langage est mono-référentiel ou bien
multi-référentiel. Pourtant il est certain que cela en a un, et assurément, il
faudrait rejeter la position mono-référentialiste comme un sommet de
l’absurdité. Mais pour ceux d’entre nous qui sont disposés à suivre les normes
ordinaires de justification, sur quelles bases cette position doit-elle être
précisément rejetée ? Répondre à cette question nous placera en meilleure posture
pour évaluer les raisons de rejeter les autres formes de monisme moins
extrêmes.
Commençons par
distinguer deux versions de la position fanatique : une position
relativement conservatrice et une autre plus radicale. Le partisan de la
position radicale affirme que nos jugements ordinaires selon lesquels Gore
n’est pas identique à Bush, ou que le nom « Gore » ne réfère pas à
Bush, sont erronés, et c’est seulement en écartant ces jugements que sa
position peut être soutenue. Mais on pourrait objecter que même si nous
considérons ces jugements comme discutables pour les besoins du débat, il y
aura d’autres juments connexes qui devront être également écartés. En effet,
notre radicaliste acceptera probablement que Bush a gagné les élections tandis
que Gore ne l’a pas fait. Mais nous avons une intuition forte de la validité de
l’inférence concluant que Bush n’est pas identique à Gore, ainsi que de
l’autorisation qu’elle reçoit du contexte « a
gagné l’élection ». Notre radicaliste doit par conséquent rejeter
l’affirmation voulant que l’inférence soit valide ou le contexte transparent.
Ainsi, non seulement il doit abandonner les jugements particuliers d’identité
ou de référence, mais il doit aussi faire de même pour les jugements
particuliers et défendus avec vigueur qui concernent la validité de certaines
inférences et la transparence de certains contextes.
D’un autre côté, le
représentant conservateur de cette position accepte nos jugements ordinaires
disant que Gore n’est pas identique à Bush ou que le nom « Gore » ne
réfère pas à Bush. Il doit par conséquent considérer que l’identité et les
contextes référentiels sont opaques. Mais on pourrait objecter à cela que le
contexte « ‘u’ réfère à » est paradigmatique
pour les contextes transparents : dans la mesure où un contexte
transparent f ( ) est un contexte dans lequel la valeur-de-vérité de f (t)
dépend de ce à quoi t réfère : alors il est évident que le contexte
« u réfère à » devrait être transparent. En outre, il y aura une
notion d’identité, corrélative à la notion de référence, pour laquelle : ‘u’ réfère à t ssi u = t (en admettant que les termes ‘u’ et ‘t’ réfèrent tous les deux). Mais si la référence est transparente,
alors la notion corrélative d’identité l’est aussi, puisque étant donné que u = t,
il s’ensuit par la corrélation que ‘u’
réfère à t, donc étant donné que t =
s, par la transparence de la référence il suit que ‘u’ réfère à s, et ainsi
encore par corrélation, u = s.
Ainsi, la position du conservateur sera en conflit avec nos jugements de
transparence à la fois dans les cas d’identité et dans ceux de référence.
Il y a cependant une
difficulté associée. En effet, le moniste conservateur souhaite maintenir que
les noms « Gore » et « Bush » réfèrent tous les deux à l’Un (et nullement à autre chose), et
ainsi que « Gore » réfère à Bush et que Gore est le même que Bush.
Mais, comment cela peut-il être compatible avec notre jugement ordinaire que le
nom « Gore » ne réfère pas à Bush ou que Gore et Bush ne sont pas les
mêmes ? Nous devons clairement considérer que les notions de référence et
d’identité, dans les termes utilisés pour formuler sa position, sont distinctes
de nos notions ordinaires de référence et d’identité. Mais, on ne voit pas
alors clairement comment il faut comprendre ces notions.
Pour qu’une telle
position du moniste soit d’un quelconque intérêt, il doit soutenir qu’il
utilise la notion d’identité au sens de la stricte identité numérique (et qu’il
utilise la notion de référence de manière corrélée), et il doit par conséquent
soutenir qu’il ne s’agit pas de la notion ordinaire d’identité. Mais il est
vrai que nous utilisons parfois les termes « même » ou
« identique » dans un sens relativement approximatif : nous
pouvons dire de manière correcte « cette voiture est la même que
celle-là » pour signifier par exemple que ce sont des voitures de même
modèle. Mais on suppose normalement que la notion d’identité numérique stricte
peut être identifiée à cette notion d’identité corrélative à la notion de
référence. De la sorte, même s’il peut être correct de dire que cette
voiture-ci est la même (c’est-à-dire du même modèle) que cette voiture-là, il
n’est pas correct de dire que « cette voiture-ci » réfère à cette
voiture-là. Le moniste doit par conséquent nier que sa notion d’identité
corresponde à la notion ordinaire de référence. Il ne peut cependant fournir
aucune raison à son démenti, il n’y a pas de critère indépendant – aucune
conception alter-native de la référence par exemple – auquel il puisse faire
appel pour identifier la notion : sa prétention d’avoir délimité la notion
d’identité numérique stricte parait alors complètement dépourvue de fondement.
C’est « transcendantal » dans le sens négatif où l’on va au-delà de
tout moyen paraissant à notre disposition et permettant de comprendre ce qu’est
la notion. Même si nous accordons que la conception mono-référentialiste peut
constamment rendre compte des données, il y a d’autres problèmes d’ordre
purement théorique. En effet, si nous com-parons sa conception avec la
conception ordinaire, nous voyons qu’elle souffre d’une complexité superflue.
La multiplicité des référents avancée par la conception ordinaire se reproduit
pour lui au niveau des « modes », tandis que l’Un lui-même ne fait rien. Il est peut être le rouage central d’une
vaste machine sémantique, mais il est complètement déconnecté de toutes les
parties actives. C’est donc strictement en fonction de principes de simplicité
théorique que nous devrions abandonner l’Un,
et considérer que la relation référentielle principale est celle que l’on
trouve entre un terme et les modes. Mai les soi-disant « modes » ne
sont alors pas à proprement parler des modes de quoi que ce soit, et dans tous les cas, ils seront
indiscernables de ce que l’on conçoit ordinairement comme les référents des
termes. Bien qu’elle semblait à première vue en être si éloignée, la conception
mono-référentialiste se réduira simplement à la conception
multi-référentialiste ordinaire.
Nous voyons par
conséquent qu’en dehors des jugements particuliers de référence et d’identité
que sa position exige qu’il produise, il y a au moins deux raisons de ne
pas prendre les conceptions du fanatique au sérieux : premièrement, il n’est
pas capable de rendre compte de certains cas paradigmatiques de validité et de transparence,
si ce n’est en faisant appel à une notion « transcendantale » de l’identité
et de la référence ; deuxième-ment, sa théorie est inutilement compliquée
et se réduit à la conception ordinaire une fois que la complication inutile est
écartée. Les positions du moniste à propos des choses matérielles peuvent être
moins extrêmes que celles du fanatique, puisqu’il dispose d’une pluralité de uns différents à la place d’un unique Un, mais nous allons voir que de manière
assez similaire, les conséquences de sa position sont absurdes et qu’elles nous
fournissent des raisons comparables pour préférer la laisser de côté.
3/
Choix d’exemple
Nous allons considérer
un éventail de conditions ou de contextes au moyen desquels le pluraliste
souhaite tracer une distinction entre les coïncidents. Les conditions standard
de cette sorte ont déjà été mentionnées. Elles incluent des conditions
temporelles, telles que « existant au temps t », des conditions
modales, telles que « pouvant être en forme de balle », et des
conditions de constitution, telles que « constitué de tel et tel
matériau ». Malheureusement, toutes ces conditions souffrent d’un défaut
ou d’un autre. Les conditions temporelles ne fonctionnent pas contre le monisme
modéré. L’utilisation des conditions modales requiert de faire appel à des
intuitions modales de re de taille,
or quelle que soit la conception que l’on a de l’intelligibilité ou de la
disponibilité de telles intuitions, il serait préférable de ne pas avoir à
faire appel à celles-ci. Les conditions de constitution ont une application
trop limitée. Bien que le point soit souvent négligé, ce n’est pas une pièce d’alliage mais seulement l’alliage lui-même qui peut à proprement
parler être dit constituer ou composer une statue. Mais cela signifie alors que
le moniste peut affirmer que dans l’argument correspondant en faveur de la
non-identité, le terme – comme « l’alliage » – qui est utilisé pour
la matière constituante n’est pas une authentique expression singulière
référente et qu’il remplit une autre fonction linguistique.
Dans le but d’éviter ces
nombreux problèmes qui accompagnent les conditions standard, nous utiliserons
des exemples quelque peu différents. Heureusement, nombre d’entre eux sont
disponibles. Ainsi dans le cas familier de la statue, il y aura un sens clair
selon lequel la statue peut être défectueuse,
de qualité inférieure, bien ou mal faite,
précieuse, laide, Romane, échangée, assurée, ou admirée, même si ce n’est pas le cas de l’alliage qui la compose.
Ces exemples ont une efficacité identique contre le monisme modéré et le
monisme extrême, ils ne font pas appel à des intuitions modales de re, et ils fonctionnent tout aussi
bien avec « la pièce d’alliage » à la place de
« l’alliage ». Nous les utiliserons donc - pour la plupart d’entre
eux - afin de tenter de distinguer la statue de l’alliage (ou de la pièce d’alliage corres-pondante).
Le fait qu’il y ait une
gamme aussi large de prédicats au moyen desquels les deux peuvent être
distingués est d’une signification plus générale pour notre argument ainsi que
pour la métaphysique des choses matérielles. En premier lieu, ces prédicats ne
sont pas modaux ou temporels, bien qu’ils puissent impliquer un élément modal
ou temporel. Les modèles formels qui se concentrent sur la dimension modale ou
temporelle des choses matérielles sont donc d’une pertinence douteuse dans ces
cas. En effet, les exemples suggèrent plus généralement que la préoccupation
portant sur les caractéristiques temporelles ou modales des choses matérielles
peut être égarante, et que la question de l’identité peut probablement être
résolue en même temps que d’autres problèmes, sans avoir à prendre en compte de
telles caractéristiques.
Deuxièmement, les
monistes comme les pluralistes manifestent une tendance générale à exagérer le
degré auquel les coïncidents mondains sont semblables. De tels coïncidents ont
toutes leur propriétés physiques et spatiales sous-jacentes en commun, et on
pense généralement que les seules différences qu’il y a entre eux sont des
différences de nature et de constitution. Différences considérées comme
marginales, et d’une façon ou d’une autre insaisissables. C’est la raison pour
laquelle l’idée que les coïncidents sont identiques semble presque
irrésistible. Donc, si nous pouvons rendre raison des contre-exemples
apparents, nous aurons alors une explication simple et pleinement satisfaisante
de l’accord entre propriétés : les objets s’accordent au niveau de leurs
propriétés parce qu’ils sont le(s) même(s).
Cette conception est
gouvernée par une représentation des choses matérielles comme objets in extenso, ne possédant rien au-delà
des dimensions qu’ils occupent – qu’il s’agisse de dimensions de l’espace ou du
temps, ou du plenum modal. Mais, si nous prêtons attention à la façon dont sont
décrites les choses matérielles, nous nous apercevons que la conception tient
du mythe du philosophe. En plus des différences mentionnées au-dessus
(défectueuse, de qualité inférieure etc.), il peut y avoir des différences de
type plus exclusivement physique. Ainsi, un alliage peut être léger, stable ou
multicolore, même si la statue qu’il compose ne l’est pas ou, pour utiliser un
exemple de Fine (2000), deux lettres coïnci-dentes peuvent différer en fonction
du côté de la feuille de papier qui constitue leur face et de celui qui
constitue leur dos. Les différences prédicationnelles entre coïncidents sont
nombreuses, d’une ampleur consi-dérable, et ne peuvent d’aucune manière
évidente être rapportées à des différences dans l’extension spatiale – ou
spatio-temporelle.
Troisièmement, ces
différences prédicationnelles représentent ou reflètent souvent le fait de
posséder des objets d’une sorte donnée dans notre ontologie. Sous ce rapport,
il vaut la peine de souligner que ces différences ne reposent pas simplement
sur l’application correcte des
prédicats, mais aussi sur leur application signifiante.
Une chaise peut de façon significative être dite confortable ou inconfortable,
bien que cela ne soit pas le cas du bois avec lequel elle est faite ; une
statue peut significativement être dite Romaine
ou Romane, bien qu’on ne le dise
pas de l’argile ou de l’alliage même ; et on peut significativement dire
que l’on dépense un penny ou un
dollar, mais pas un métal ou un papier.
A chaque sorte peut être associée une gamme caractéristique de prédicats
s’appliquant de manière signifiante aux objets de la sorte en question – ce que
nous pouvons appeler son « domaine de discours ». Le domaine de
discours associé à chaque sorte implique alors – ou, au moins, en partie –
qu’il y ait des objets de la sorte concernée dans l’ontologie. Les chaises sont
faites pour que l’on s’assoie dessus et c’est pourquoi elles peuvent être dite
confortables ou inconfortables de façon significative ; les statues sont
faites pour l’appréciation esthétique et, pour cette raison, elles peuvent être
décrites comme étant d’un style plutôt que d’un autre ; l’argent est une
unité d’échange et en tant que tel, il peut être gagné ou dépensé. Ainsi, toute
tentative pour comprendre le rôle que les objets de ces différentes sortes
jouent dans notre vie quotidienne doit tenir scrupuleusement compte de ces
différences catégoriales dans la prédication.
4/
Déplacement Prédicatif
Considérons un des
contextes au moyen duquel l’opposant au monisme souhaite affirmer que deux
coïncidents ne sont pas les mêmes. En argumentant contre son adversaire, le
moniste ne peut alors se contenter de simplement affirmer que le contexte est
opaque. Il doit fournir quelque raison de penser qu’il est opaque. Et, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, il doit
fournir une explication à propos de sa
manière d’être opaque. Concentrons nous sur le deuxième de ces deux défis
(le premier sera étudié plus tard). Comment l’argument en faveur de la
non-identité se révèle-t-il faux selon le moniste ?
Considérons de manière
précise quelles peuvent être ses options pour répondre à cette question.
L’argument de la non-identité a la forme générale suivante :
φ(s),
non - φ(t)
s ≠
t
(les prémisses étant
inscrites au-dessus de la ligne et la conclusion au-dessous). Celui qui croit
en la transparence possède la justification suivante pour considérer que
l’argument est valide. Le terme singulier s réfère en dessous de la ligne à un
objet particulier x, et de la même
façon, le terme singulier t réfère au-dessous de la ligne à un objet
particulier y. Le terme singulier s réfère au-dessus de la ligne (à
gauche) à un objet particulier x’ qui
est le même que l’objet auquel il réfère en dessous de la ligne ; et de la
même façon, le terme singulier t réfère au-dessus de la ligne (à droite) à un
objet particulier y’ qui est le même
que l’objet auquel il réfère au-dessous de la ligne. Le contexte φ( ) signifie sur la gauche une
certaine propriété P ; et, de la
même façon, le contexte φ( ) signifie sur la droite une certain propriété P’ qui est la même que la propriété
qu’il signifie sur la gauche. A ce moment là, la première prémisse est vraie
seulement si l’objet x’ auquel s
réfère au-dessus de la ligne a la propriété P
signifiée par le contexte φ( ) sur la gauche, et la seconde prémisse est vraie
seulement si l’objet y’ auquel réfère
t au-dessus de la ligne n’a pas la propriété P’ signifiée par le contexte φ( ) sur la droite. Puisque P et P’ sont les mêmes,
il s’en suit, étant donnée la vérité des prémisses, que x’ et y’ ne sont pas les
mêmes, et puisque l’objet x auquel
réfère s en dessous de la ligne est le même que x’ et que l’objet y
auquel réfère t en dessous de la ligne est le même que y’, il s’en suit également que x
et y ne sont pas les mêmes. Donc,
puisque les objets auxquels réfèrent s
et t en dessous de la ligne ne sont
pas les mêmes, la conclusion est vraie.
Le moniste devrait par
conséquent préciser exactement où échoue cette justification de l’argument.
Il y a justement des façons très radicales de contester la justification. On
peut affirmer qu’un des termes n’est pas effectivement utilisé pour référer, ou
pour référer à une chose particulière, que ce soit au-dessus ou en dessous de
la ligne. Même en acceptant que les termes réfèrent à des choses particulières,
on peut affirmer que le contexte φ( ) n’est pas utilisé
pour signifier une propriété, à gauche comme à droite. Cependant, je crois que
de telles ruptures pathologiques dans le raisonnement ne sont pas pertinentes
dans le cas présent. En outre,
étant donné que chaque terme, dans chacun de ses usages, réfère à une seule
chose et que le contexte, dans chacun de ses usages, signifie une propriété,
les conditions de vérité fixées ne peuvent raisonnablement pas être remises en
cause : φ(s)
sera vrai seulement si x’ a la
propriété P’ (similairement pour φ(t))
et s ¹ t sera vrai si x et y ne sont pas les mêmes.
Nous nous retrouvons par conséquent avec
deux options : un des termes s
ou t au moins, dans chacun de ces
deux usages, ne réfère pas à la même chose, ce qui revient à dire que x n’est pas le même que x’, ou que y n’est pas le même que y’. Ou encore, le contexte φ( ), dans chacun de ses deux usages, ne signifie pas la même propriété,
ce qui revient à dire que P n’est pas
la même que P’. En d’autres termes,
soit il y a un déplacement dans la référence, puisque nous allons du dessus
vers le dessous de la ligne, soit il y a un déplacement dans ce qui est
prédiqué, puisque nous allons de la gauche vers la droite. Nous pourrions
nommer le premier d’entre eux, déplacement référentiel,
et le second, déplacement prédicationnel.
Ainsi, en dépit de la forme syntaxique commune (le même terme ou le même
contexte), il n’y a pas de fonction sémantique commune.
Appelons référence standard la référence d’un terme en tant
qu’elle apparaît dans une affirmation d’identité. La référence standard d’un
terme est naturellement considérée comme sa référence simpliciter, exception faite de tout contexte. Un partisan du
changement référentiel doit concevoir un des termes s ou t qui se trouve dans
un contexte opaque φ(-) comme ayant une référence
non-standard. Un exemple classique d’une telle conception est la théorie
Frégéenne de la référence indirecte. Dans le processus d’inférence depuis
« le Roi George souhaitait savoir si Scott était l’auteur de
Waverley » et « le Roi George ne souhaitait pas savoir si Scott était
Scott » jusqu’à « L’auteur de Waverley n’est pas Scott», les termes
« Scott » et « l’auteur de Waverley » renvoient dans la
conclusion à leurs référents standards, mais renvoient dans les prémisses à
leurs sens (habituels). D’un autre côté, un exemple familier de déplacement
prédicatif est l’exemple de Quine concernant Giorgione. Dans le processus
d’inférence depuis « Giorgione est appelé ainsi à cause de sa
taille » et « Barbarelli est appelé ainsi à cause de sa taille »
jusqu’à « Giorgione n’est pas Barbarelli », le contexte « est
appelé ainsi à cause de sa taille » sert probablement dans la première
prémisse à signifier la propriété d’être appelé « Giorgione » à cause
de sa taille et, dans la seconde prémisse, à signifier la propriété d’être
appelé « Barbarelli » à cause de sa taille (tandis que les termes
singuliers, puisqu’ils apparaissent dans les prémisses, sont probablement
utilisés pour référer à leurs référents standards).
Le changement
référentiel ne constitue donc pas vraiment une option ici, quels que soient ses
mérites au regard de l’explication de l’opacité pour d’autres cas. Et ceci
parce que le moniste ne propose pas simplement une doctrine sémantique disant
que certains contextes sont opaques. Il propose également la conception
métaphysique selon laquelle tous les coïncidents sont les mêmes et en effet,
c’est probablement uniquement à cause de la conception métaphysique qu’il se
sent obligé de défendre la doctrine sémantique. Mais à présent, le danger est
que l’explication de l’opacité en termes de déplacement référentiel entre en
conflit avec la conception métaphysique. En effet, pour les mêmes termes
exactement, est-ce que les référents non-standard auxquels l’explication fait
appel ne seront pas à la fois distincts des référents standard et pourtant
coïncidents avec eux?
Considérons un cas
particulier. Nous souhaitons être capable d’affirmer que la statue est mal
faite et que la pièce d’alliage n’est pas mal faite, sans pour autant inférer
que les deux sont identiques. Le partisan du déplacement référentiel soutiendra
que « la statue » dans « la statue est mal faite » a un
référent non-standard. Il est donc clair que le référent non-standard de la
statue est distinct du référent standard. Mais il y a également de bonnes
raisons pour le considérer comme une chose matérielle coïncidant avec le
référent standard. En effet, nous pouvons dire de manière correcte que
« la statue mal faite est composée de bronze » ou que « la
statue mal faite repose sur le sol ». Tout a l’air de fonctionner comme si
le référent non-standard avait absolument les mêmes attributs physiques
sous-jacents que le référent standard. Et s’il en va ainsi, il est difficile de
voir comment le référent non-standard pourrait ne pas être une chose matérielle
ou ne pas coïncider avec le référent standard.
Il y a deux points à
partir desquels ce raisonnement pourrait éventuel-lement être battu en brèche.
Premièrement, on pourrait affirmer que l’assertion selon laquelle « la
statue mal réalisée est faite de bronze » est un cas de métonymie :
le référent non-standard n’est pas proprement composé de bronze, malgré
l’assertion disant qu’il l’est, laquelle est utilisée pour exprimer qu’un objet
étroitement associé, la « chose simple », est composée de bronze.
Cependant, contrairement aux cas standards de métonymie (comme dans « la
couronne est lasse de son règne »), nous n’avons pas du tout le sentiment
que l’assertion n’est pas vraie au sens littéral. De plus, nous pouvons
affirmer que la statue est là-bas et très mal faite, sans que soit palpable le
changement de la référence en milieu de phrase (comme il l’est dans « la
couronne est cloutée de diamants et lasse de son règne »).
Deuxièmement, on
pourrait admettre que les référents standard et non-standard ont les mêmes
attributs physiques sous-jacents et qu’ils sont donc coïncidents, tout en niant
que le référent non-standard est une chose matérielle. En effet, on pourrait
penser que c’est seulement dans un sens dérivé que le référent non-standard a
telle et telle composition matérielle ou telle et telle position, et que la
matérialité et la spatialité dans ce sens dérivé ne suffisent pas à garantir
que le référent non-standard soit une chose matérielle. Mais il est à présent
difficile d’identifier le désaccord entre le moniste et le pluraliste. En
effet, même le pluraliste peut accorder que c’est seulement de manière dérivée
que les choses matérielles ordinaires sont matérielles ou spatiales, et que la
doctrine moniste peut être valable lorsqu’elle est restreinte à une classe
d’objets fondamentaux qui ne sont ni matériels ni spatiaux de façon dérivée.
Il semble donc que le
déplacement prédicatif soit la seule option viable pour le moniste. Lorsque
l’on asserte que la statue est mal faite mais que la pièce d’alliage
coïncidente ne l’est pas, il doit y avoir un déplacement au niveau de la propriété
attribuée à la même chose. Dans le premier cas, nous devons être en train
d’affirmer que la chose est mal faite en tant que statue, et dans le second cas, de nier qu’elle soit mal faite en
tant que pièce d’alliage. Il y a de
plus une explication naturelle de la manière dont advient le déplacement. La
condition « est mal faite », dénuée de tout
terme-sujet, signifie une relation à deux places – avec une des places
d’argument à remplir par la chose qui est dite être mal faite, et l’autre à
remplir par l’aspect sous lequel elle est dite mal faite. Les termes « la
statue » ou « la pièce d’alliage », de l’autre côté, référent
tous les deux à une certaine chose, et font tous deux appel à un certain
aspect, qu’il s’agisse de statue ou
de pièce d’alliage. Une phrase, telle
que « la statue est mal faite », est alors utilisée pour signifier
que le référent du terme-sujet est mal fait relativement à l’aspect auquel il
fait appel. Ainsi l’aspect fourni par le terme-sujet est « correspondant »
ou « coordonnée » à l’aspect visé par le terme-prédicat.
Par conséquent, la
question à laquelle nous faisons face est de savoir si une explication de
l’opacité présumée en termes de déplacement prédicatif peut être maintenue.
5/
Invocation Explicite de Sortes
Nous allons considérer
une série de cas qui soulèvent des difficultés pour l’hypothèse du déplacement
prédicatif. Ils sont classés selon le mécanisme qui pourrait sembler être en
jeu lors de l’appel aux sortes, pertinentes ou non. Dans la présente section,
nous considérons les cas où la sorte est explicitement donnée par le
terme-sujet, et nous considérons quel rôle pourraient jouer les descriptions
auxiliaires, la relativisation par le prédicat, ou le contexte
non-linguistique, à propos de la détermination de la sorte appropriée. Nous
considérons alors les cas dans lesquels la sorte est donnée
implicitement ; et finalement les cas dans lesquels une pluralité de sortes pertinentes doit
être donnée d’une façon ou d’une autre. L’argument global a un caractère
cumulatif : on soulève des difficultés successives face auxquelles les
réponses du moniste ne peuvent que rendre sa conception de plus en plus
arbitraire et compliquée, jusqu’à ne qu’elle ne puisse plus paraître
soutenable. Je considère que les arguments venant de la référence (donnés en
§7) sont à cet égard particulièrement dévastateurs.
Nous commençons par des
cas où l’on a explicitement recours à la sorte pertinente. Le moniste souhaite
soutenir qu’une phrase sortale comme « la statue », est capable
d’invoquer la sorte pertinente et en terme de laquelle une phrase donnée doit
être comprise, comme pour « la statue est mal faite ». C’est un fait
remarquable que le matériel descriptif correspondant ne soit pas capable de
faire appel de manière similaire à la sorte pertinente.
Supposons qu’au lieu d’utiliser la phrase « la statue », on utilise
la phrase « la pièce d’alliage qui a été modelée dans telle et telle forme
à des fins artistiques, placée sur un piédestal dans un musée etc. ». En
disant alors « la pièce d’alliage qui a été modelée dans telle et telle
forme… est mal faite » nous dirions que la pièce d’alliage a été mal faite
plutôt que la statue. En effet, nous pouvons incorporer dans la clause
caractérisante ce qui serait exactement exigible pour que quelque chose soit
une statue, ou encore dire explicitement « l’alliage à partir duquel la
statue est formée » ou « la pièce d’alliage qui coïncide avec la
statue ». De plus, le matériel qualifiant additionnel n’aura aucune
tendance à altérer le rapport sous lequel la chose est dite être mal faite. En
général, lorsqu’on utilise une phrase sortalement déterminée, telle que
« la statue qui… » ou « la pièce d’alliage qui… », la sorte
qui pourrait être pertinente pour les prédications subséquentes est simplement
une fonction du terme sortal directeur (« statue » ou « pièce
d’alliage »), mais pas de la caractérisation résultante.
La non-pertinence du matériau non-sortal
est quelque chose que le pluraliste peut aisément expliquer — le terme sortal
directeur détermine à quel type de chose nous faisons référence, et c’est tout
ce dont nous avons besoin pour l’application des prédicats en question. Mais
cela tient du mystère pour le moniste. En effet pourquoi se soucier de la façon
dont est présentée l’information pouvant servir à recourir à un aspect
pertinent ? Le moniste pourrait soutenir qu’un terme sortal tel que
« statue » ou « pièce d’alliage » n’a pas seulement un sens
prédicatif (prédiquant un trait temporel de la chose pour le moniste extrême et
un profil temporel de la chose pour le moniste modéré), mais qu’il sert
également à repérer un critère pertinent d’identité (d’identité à travers le
temps pour le moniste extrême et d’identité à travers les mondes pour le
moniste modéré). Le matériau non-sortal, au contraire, a simplement – ou est
simplement utilisé dans – le sens prédicatif. Mais, même si un terme sortal a
ces deux sens, le sens critériel est sans doute une fonction de son sens
prédicatif (ce sont aux choses avec tel et tel trait temporel ou tel et tel
profil temporel que s’appliquent les critères d’identité correspondants à
travers les temps et les mondes), et on ne voit toujours pas clairement
pourquoi le matériel caractérisant serait incapable de jouer un rôle lors du
recours à l’aspect pertinent. Le mystère métaphysique des entités disparates au
niveau ontologique est ainsi reproduit au niveau linguistique chez le moniste,
sous la forme du mystère d’une fonction sémantique disparate. Le com-portement
des termes sortaux n’est pas seulement quelque chose qui tient du mystère pour
le moniste, mais est aussi anormal en tant qu’espèce d’opacité. En effet, tous
les cas familiers d’opacité sont tels qu’ils peuvent être provoqués par un
matériel descriptif adapté. Ainsi, au lieu d’utiliser les noms
« Hesperus » et « Phosphorus » dans les exemples standards
d’attitu-des propositionnelles, nous pouvons utiliser les descriptions
« l’étoile du matin » et « l’étoile du soir » , et au
lieu de dire « Clark Kent est entré dans la cabine téléphonique » et
« Superman est sorti » (comme dans les exemples de Saul [97]), nous pouvons dire
« l’employé insignifiant est entré dans la cabine téléphonique » et
« le sauveur du monde est sorti ». Le fait que l’opacité supposée par
le moniste n’ait pas ce caractère général devrait nous rendre méfiant à propos
de son authentique existence.
L’absence d’un
déclencheur descriptif affaiblit encore plus la position du moniste d’une autre
manière. En effet, cela le prive de la possibilité d’établir de manière indiscutable
l’opacité des contextes qui l’intéressent. Le moyen le plus direct - et peut
être le plus convaincant - pour montrer qu’un contexte donné est opaque est de
montrer que la substitution de termes clairement co-référentiels à l’intérieur
du contexte peut induire un changement dans la valeur de vérité. Une façon de
le faire est d’utiliser deux descriptions définies, comme « le φ »
et « le ψ »,
pour lesquelles il est évident qu’exactement le même objet uniquement satisfait
les deux conditions φ et ψ.
Mais si les descriptions définies ne satisfont pas cet objectif, il est alors
difficile de savoir quels autres exemples pourraient y parvenir à leur place.
Il apparaît ainsi que le moniste sera incapable de trouver une preuve linguistique
directe en faveur de l’opacité des contextes discutés, et en l’absence d’une
telle preuve, nous devons à nouveau être très prudents lorsque nous supposons
que les contextes sont effec-tivement opaques.
Il y a d’autres
déclencheurs potentiels d’opacité qui ne semblent pas fonctionner non plus
comme ils le devraient dans le présent contexte. Nous pouvons mettre ceci en
relief au moyen d’une comparaison avec d’autres prédicats, clairement relatifs
aux aspects, et dont le comportement est celui que le moniste conçoit comme
devant caractériser ses prédicats relatifs aux sortes. « Approprié »,
« qualifié », « pertinent », et « important » en
sont des exemples évidents. Il se peut que la personne faisant une demande pour
un poste de professeur soit qualifiée, tandis que la personne qui postule pour
un travail de concierge ne le soit pas. Mais nous ne serions pas tenté d’en
conclure qu’il ne s’agit pas de la même personne. De plus, ce qui peut
probablement expliquer l’opacité dans ce cas, c’est que le prédicat
« qualifié » est relatif à un aspect : il est vrai d’une
personne relativement à un aspect pertinent. Ainsi, en disant
que la personne qui postule pour le poste de professeur (concierge) est
qualifiée, on dit qu’elle est qualifiée pour
ce poste, où l’aspect pertinent selon lequel la personne est dite être
qualifiée est fourni par le terme-sujet.
Ainsi, pour les
prédicats de ce type, on s’attendrait à pouvoir être capable d’indiquer
l’aspect pertinent directement au sein du terme-prédicat lui-même. En effet, en
indiquant l’aspect à l’intérieur du prédicat – plutôt qu’à l’intérieur du terme-sujet,
on le ramène vers ce à quoi il appartient le plus naturellement. Pour les cas
évidents de prédicats relatifs aux aspects, ceci peut en effet être réalisé. On
peut ainsi dire qu’une personne qui postule pour le poste de professeur n’est
pas qualifiée pour le poste de concierge
– ou est également qualifiée ou supérieurement qualifiée pour le poste
de concierge. Ici, dans le premier exemple, le terme-sujet ne joue aucun rôle
dans la reconnaissance de l’aspect pertinent, tandis que dans les deux autres
exemples, il joue bien ce rôle, bien que ce soit de concert avec la
relativisation explicite donnée par le terme-prédicat.
Mais, de telles
constructions ne sont pas aisément disponibles dans le cas sortal. On ne peut
pas vraiment dire que la statue n’est pas endommagée en tant que pièce
d’alliage, ou qu’elle est plus endommagée en tant qu’alliage ou en tant que
pièce d’alliage, ou que l’alliage ou la pièce d’alliage n’est pas bien fait en
tant que statue, ou qu’il est mieux fait en tant que statue, ou que l’alliage
ou la pièce d’alliage n’est pas Romane ou plus Romane en tant que statue. Bien
sur, il est possible de comprendre quelque chose à ces affirmations. Mais, cela
sera uniquement en devinant ce que le locuteur pourrait avoir tenté de
communiquer de manière mal à propos. Le fait que ces divers prédicats ne
puissent pas être directement relativisés n’entraîne pas non plus de
difficulté. Nous pouvons en effet parler des aspects sous lesquels une chose
peut être endommagée, bien faite, ou Romane. Il se trouve simplement que l’on
ne considère pas que ces aspects contiennent le statut sortal de la chose.Jusqu’ici,
nous avons suivi le moniste en supposant que nous pouvions raisonnablement
parler de quelque chose qui soit endommagé en tant qu’alliage, ou bien fait en
tant que pièce d’alliage, ou Romane en tant que statue : c’était en effet
au moyen de telles phrases que nous explicitions la relativité des prédicats
sous-jacents à une sorte donnée. Nous voyons à présent que ces phrases sont une
invention philosophique et qu’elles n’ont aucun fondement dans l’usage
ordinaire. Il n’y a probablement aucun danger à les utiliser en ce sens. Mais
on ne doit pas estimer que l’interprétation proposée et relative aux sortes
s’autorise de l’usage ordinaire, et afin d’éviter tout soupçon à cet égard,
nous utiliserons dorénavant le terme quasi-technique « qua », à la place des prépositions
ordinaires comme « sous » ou « en tant que ».
Un autre déclencheur
d’opacité ne fonctionnant pas comme il le devrait est le contexte non
linguistique. Supposons qu’une tentative désespérée pour trouver des candidats
qualifiés au poste de professeur nous conduise à chercher parmi les candidats à
un autre poste. Il serait alors tout à fait approprié de dire « la
personne qui a postulé pour le poste de concierge est qualifiée », en
voulant dire par là qu’elle est qualifiée pour le poste de professeur. Ou
encore, supposons que je délibère avec moi-même au sujet des mérites des divers
candidats. Je peux alors utiliser la forme suivante : « la personne
qui a postulé au poste de concierge est qualifiée » pour signifier qu’elle
est qualifiée pour le poste de professeur, si ce que j’ai à l’esprit en disant
qu’elle est qualifiée est qu’elle l’est pour le poste de professeur. Dans tous
ces cas, la sorte introduite par le contexte (non-linguistique) peut supplanter
la sorte associée au terme-sujet.
Est-ce que quelque chose
de similaire peut arriver dans le cas sortal ? Supposons que je dise
« l’alliage (la pièce d’alliage) est Roman » ou « l’alliage (la
pièce d’alliage) est mal fait » (d’autres exemples auraient pu être
utilisés). Puis-je utiliser de façon appropriée ces mots pour signifier que la
statue est Romane ou qu’elle est mal faite ? Ce ne sera pas facile, bien
qu’il y ait des cas pour lesquels il semble qu’on puisse le faire. Supposons
que je décrive les styles de statues faites de différents matériaux. Je
pourrait alors dire « l’alliage (ou même la pièce d’alliage) est
Roman » pour signifier que la statue est Romane, et de même pour le prédicat
« mal fait ».
Le pluraliste ne mettra
pas ce cas sur le compte du renchérissement contextuel mais fournira plutôt une
autre explication. Il pourra dire, par exemple, qu’il y a une ellipse
(« alliage » est compris en tant que « alliage de statue »)
ou une métonymie (la pièce d’alliage représente par procuration l’alliage
statue) ou un usage spécial de « pièce » dans lequel elle signifie pièce d’art. Nous pouvons
« contrôler » ce type de facteurs pouvant se retrouver au centre
d’une dispute entre le moniste et le pluraliste, en changeant légèrement
l’exemple. Au lieu de dire « l’alliage » ou « la pièce
d’alliage », disons « l’alliage à partir duquel la statue est
faite » ou « la pièce d’alliage qui a été faite en même temps que la
statue ». Supposons que nous demandions maintenant si nous pouvons
utiliser de manière correcte les mots « l’alliage à partir duquel la
statue est faite est Roman (ou mal fait) » afin de signifier qu’il est
Roman (ou mal fait) qua statue ?
Je pense que la réponse est « non ».
S’il demeure quelques doutes à propos
des exemples, je soupçonne qu’ils proviennent du phénomène de « glissement
prédicatif », au moyen duquel l’application d’un prédicat peut être
étendue jusqu’à inclure des objets étroitement liés à ceux auxquels il s’applique
(peut-être est-ce de cette façon qu’une personne peut être dite « en panne
d’essence » lorsque sa voiture n’a plus d’essence).
Étant donné le glissement prédicatif, nous pourrions dire qu’un alliage est mal
fait, ou Roman, dans la mesure où il constitue une statue qui est mal faite ou
Romane. Nous pouvons contrôler ce facteur additionnel en compliquant encore
plus l’exemple. Supposons donc qu’il y ait deux statues et que la première soit
mal faite (sans que ce soit le cas de son alliage), tandis que pour la seconde,
ce soit l’alliage qui soit mal fait (sans que ce soit le cas de la statue
elle-même). Admettons, avec notre adversaire, qu’il soit correct de dire :
« l’alliage de la première statue est mal fait ». S’il y avait un
glissement prédicatif, il serait alors correct d’ajouter « et ainsi en
est-il de l’alliage de la seconde statue », puisque « mal fait »
aurait une extension large, incluant indifféremment les statues et leurs
alliages ; tandis que s’il y avait eu, comme il le pense, une relativisation
implicite vers la sorte statue, il
serait alors incorrect d’ajouter « et ainsi en est-il de l’alliage de la
seconde statue ». Mais il me semble qu’on ne peut pas comprendre la
remarque « l’alliage de la seconde statue est mal fait et il en est ainsi
de l’alliage de la seconde statue » de manière à ce que la première partie
de la conjonction soit vraie et la seconde fausse. Étant donné que la première
statue est mal faite, et que l’alliage de la seconde statue est également mal
fait, comment pouvons nous alors comprendre de cette manière la remarque disant
qu’il est vrai que l’alliage de la première statue est mal fait, mais pourtant
faux pour celui de la seconde statue?
La tentative du moniste
de tenir compte de la relativisation contextuelle dans ces cas n’est par
conséquent pas satisfaisante, et la morale générale à retenir de la discussion
présente demeure identique à la précédente. Premièrement, le comportement des
prédicats supposément relatifs aux aspects est anormal et ils ne se comportent
pas de la même manière que les prédicats qui sont quant à eux clairement
relatifs aux aspects. Deuxièmement, leur comportement relève du mystère et on
ne sait pas comment expliquer son anormalité, car il ne correspond pas à la
conception générale indiquant à quoi on peut s’attendre à propos du
comportement des prédicats relatifs aux aspects.
Toujours est-il que ces
critiques ne sont pas complètement dévastatrices. En effet, le type de
prédicats relatifs aux aspects postulé par le moniste pourrait être vu comme sui generis
et sujet à des principes spéciaux qui lui sont propres. Cependant, si le
moniste adopte cette voie, il doit expliquer ce que sont ces principes
spéciaux. Il ne peut pas simplement soutenir que le contexte n’est jamais
approprié pour la détermination de la sorte. En effet, supposons que
j’aperçoive quelque chose dans le coin et que, pensant qu’il s’agit d’une
simple pièce d’alliage, je dise « cette chose là-bas est mal faite »,
en voulant dire que c’est une pièce d’alliage mal faite. Nul doute que ce que
je dis est vrai uniquement si la pièce d’alliage est mal faite. Mais cela
signifie alors pour le moniste que le contexte peut aider à déterminer pièce d’alliage comme sorte appropriée
(pour le pluraliste, au contraire, il aidera à déterminer ce à quoi je me
réfère).
En essayant de tenir
compte du rôle possible du contexte, le moniste devrait adopter quelque chose
comme les trois principes suivants : premièrement, on peut seulement
spécifier une sorte appropriée (sorte qui pourrait être saisie par un prédicat
relatif à la sorte) au moyen du contexte ou du terme-sujet, et jamais à travers
la qualification du prédicat ; deuxièmement, la sorte spécifiée par le
terme-sujet (s’il y en a un) doit être saisie par le prédicat (s’il est relatif
à la sorte) – de préférence à toute sorte qui pourrait autrement avoir été
spécifiée par le contexte ; et troisième-ment, la sorte spécifiée par une
phrase sortale (telle que « la statue que… ») est fournie par son
terme sortal directeur (« statue ») et non par son « corps ».
On ne peut admettre l’idée que les prédicats relatif à la sorte ne doivent pas
être traités comme un cas spécial de prédicats relatifs aux aspects, et les
principes sont eux-mêmes ad hoc d’une
manière ou d’une autre. Mais une fois que les principes sont acceptés, on peut
rendre compte des anomalies apparentes décrites ci-dessus.
Dans ce qui suit nous
nous concentrerons donc sur la question de savoir s’il est possible de soutenir
un théorie spéciale de ce type.
6/
Invocation Implicite des Sortes
En considérant la
théorie spéciale de la relativité sortale du moniste, il sera particulièrement
utile de considérer les cas dans lesquels la sorte appropriée n’est pas
explicitement spécifiée dans le terme-sujet. Nous considérerons trois cas
principaux de cette sorte dans chacune des sections suivantes. Il y a tout
d’abord les cas dans lesquels le terme-sujet est une anaphore et
« hérite » sa sorte de son antécédent, ou dans lesquels la sorte
appropriée est spécifiée dans le terme-sujet via un prédicat relatif à la
sorte. Il y a ensuite les cas dans lesquels la sorte appropriée est invoquée à
travers l’usage explicite de la notion de référence. Et il y a enfin les cas
dans lesquels un assortiment de sortes est invoqué à travers la référence à une
pluralité de choses différentes. Les premiers cas sont relativement clairs et
servent principalement à indiquer la direction dans laquelle la théorie doit
être développée. Les deuxième et troisième cas sont selon moi beaucoup plus
sérieux et rendent le type de théorie que le moniste a besoin de développer
complètement intenable.
Commençons par
l’anaphore. L’intérêt de l’anaphore dans le présent contexte vient du fait
qu’elle fournit une formule naturelle pour « se débarrasser de »
l’opacité. En effet, nous pouvons déplacer le terme donné qui est impliqué dans
la lecture opaque pour nous débarrasser du contexte opaque et le remplacer par
une anaphore. Étant donné que l’anaphore est comprise référentiellement, ceci
devrait alors nous fournir un contexte transparent pour le terme transporté.
Ainsi, au lieu de dire « Ralph croit que Ortcutt est un espion »,
nous pouvons dire « Ralph croit de
Ortcutt qu’il est un espion » ou « Ortcutt est tel que Ralph croit
qu’il est un espion », ou encore « il est vrai de Ortcutt que Ralph
croit qu’il est un espion ».
Cependant, dans les cas
sortaux, ces formules ne font rien pour « adoucir» la soi-disant lecture
opaque. Supposons qu’au lieu de dire « l’alliage à partir duquel la statue
est formée est mal fait », je dise « il est vrai de l’alliage à
partir duquel la statue est formée qu’il est mal fait ». La reformulation
ne s’avère pas plus susceptible d’une lecture transparente que la phrase
originale. L’interprétation de la phrase n’est pas laissée « en suspens »
(faute d’un aspect pertinent), et n’est pas non plus susceptible de voir
l’aspect approprié fixé par le contexte.
Bien sûr, il en va de même pour les prédicats standards relatifs aux aspects –
il n’y a pas de différence essentielle entre « la personne qui postula
pour le poste de concierge est qualifiée » et « il est vrai de la
personne qui a postulé pour le poste de concierge qu’elle est qualifiée »,
mais c’est parce que la phrase originale permet déjà une lecture
transparente.
Un
type de cas apparenté est celui dans lequel la sorte appropriée est
implicitement fournie par un prédicat relatif à la sorte, comme pour des termes
sujets tels que « l’item qu’Al créa » ou « l’item que Bo
admira ». Supposons que l’item créé par Al et admiré par Bo soit une pièce
d’alliage (elle dit « quelle jolie pièce d’alliage ! », peut
être sans même réaliser qu’elle a une statue entre les mains).
En disant alors « l’item qu’Al a créé est mal fait » ou « l’item
que Bo admira est mal fait », nous disons quelque chose dont la vérité
requiert que la pièce d’alliage soit mal faite. Que l’interprétation reste en
suspens ou soit fixée par le contexte semble ne pas être plus possible dans ce
cas que dans celui où la sorte est rendue explicite.
Ces résultats sont plus
perturbants que précédemment, car il serait naturel de penser qu’au plus on
s’éloigne d’une spécification explicite des sortes, au moins l’interprétation
fournie par la spécification est contraignante. Ainsi, que l’interprétation de
ces phrases ne soit pas plus flexible que ce qu’elles permettent en réalité à
cet égard est un autre point victorieux contre le moniste. Mais à nouveau, il
pourrait essayer d’adapter sa théorie de façon à ce qu’elle soit conforme aux
faits. Il dira, comme précédem-ment, que tout aspect spécifié par le sujet
devra être capturé par le prédicat relatif à la sorte. Mais il travaillera
alors avec une conception plus large des aspects pouvant être spécifiés par le
terme sujet. La sorte n’est pas seulement capable d’être explicitement
spécifiée par un terme sortal, elle peut aussi être « transmise » à
partir d’une expression antécédente et mise en jeu à travers une description
appropriée de la chose (bien qu’il ne s’agisse pas d’une description qui
explique clairement ce que c’est que d’appartenir à la sorte !).
Si la théorie du moniste
doit être développée dans cette voie, il y a alors deux questions à se poser :
premièrement, quels sont les autres moyens de spécifier une sorte ?
Deuxièmement, pourquoi est-ce que la sorte ainsi spécifiée devrait être
appréhendée par le prédicat, ou prendre le pas sur une sorte trouvant son
origine dans le contexte ? La forme générale que doit prendre la réponse à
ces deux questions est claire. Il doit y avoir un type de mécanisme sémantique
à l’œuvre. Ce mécanisme explique alors comment la sorte peut être déterminée.
Il explique également pourquoi l’interprétation est de ce fait fixée, puisque
ce sera une affaire sémantique que de savoir ce que doit être la sorte
spécifiée par le terme-sujet et qu’elle doit en outre s’accorder avec la sorte
requise pour l’interprétation du terme-prédicat. Ainsi, ce qui rend compte de
l’inflexibilité de l’interprétation est qu’elle est sémantiquement mise en
œuvre. Il y a une façon naturelle d’expliquer ce que peut être ce mécanisme.
Nous pouvons supposer que certains termes singuliers sont attribués à la fois à
un référent et à une sorte, et que certaines expressions-prédicats sont
seulement assignées à une extension relative à une sorte (ou plusieurs sortes,
une pour chacun des nombreux arguments). Il y a alors des règles systématiques
pour déterminer la façon dont ces sortes opèrent lors de l’évaluation
sémantique d’expressions plus complexes. Supposons, par exemple, que φ(x) soit une expression prédicative relative à une sorte. Alors, lorsque t est un terme auquel ont été assignés
le référent r et la sorte s, φ(t)
sera vrai ssi φ(x)
est vrai de r relativement à s (c’est-à-dire que φ(x) est vrai sous l’attribution
de r et s, en tant que référent et sorte, à la variable x). Ou bien, le
référent r et la sorte s peuvent être assignés à la description
définie « le x tel que φ(x) »
uniquement dans le cas où (r, s) est l’unique paire consistant en un
objet et une sorte pour laquelle φ(x) est vrai de r relativement à s. Ou encore, « quelque x est tel que φ(x) »
sera vrai ssi φ(x) est
vrai de quelque objet r relativement
à une sorte s.
Sur la base de ce type
de règles, il est maintenant clair pourquoi « l’item que Bo admira est mal
fait » est vrai uniquement dans le cas où la pièce d’alliage est mal
faite. Puisque par la seconde règle, « l’item que Bo admira » se
verra assigner une chose simple comme référent et pièce d’alliage comme sorte, et qu’ainsi, en vertu de la première
règle, la phrase « l’item que Bo admira est mal fait » sera vraie si
et seulement si la chose simple est mal faite qua pièce d’alliage. Se
posent encore les questions de savoir pourquoi ces interprétations diverses
devraient s’imposer à nous et pourquoi, en particulier, il ne serait pas
possible que le contexte détermine quelles devraient être la ou les sortes
pertinentes. Il faudrait soutenir que de la même façon qu’une connexion
sémantique relie « non-qualifié » et « candidat au poste de
professeur » dans « candidat non-qualifié pour le poste de professeur »,
et empêche que « non-qualifié » soit compris com-me autre chose que non-qualifié pour le poste de professeur,
une connexion sémantique moins resserrée quoique tout autant
« reliante » existe entre « admira » et « mal
fait » dans la phrase « l’item que Bo admira est mal fait ».
Mais qu’une telle connexion étroite doive être trouvée dans ces cas-là est
déconcertant, et le besoin de la postuler amène la conception moniste à
encaisser un nouveau coup.
Il existe une variante à
ce mécanisme qui mérite d’être mentionnée. Un prédicat tel que
« admira » est conçu comme ayant un sens à la fois indépendant des
sortes et relatif aux sortes, Qu’un objet soit admiré dans le sens indépendant
des sortes revient à ce qu’il soit admiré relativement à telle ou telle sorte.
Ainsi le sens indépendant des sortes est-il la contrepartie
« existentielle » du sens dépendant des sortes. Les conditions de
vérité de la phrase « l’item que Bo admira est mal fait » sont donc
essentiellement données par la reconstruction suivante : « l’item que
Bo admira relativement à une sorte est mal fait en regard de la sorte sous
laquelle il fut admiré par Bo ». Ainsi une description de la sorte
pertinente est construite à partir du terme-sujet et est insérée dans le
terme-prédicat.
Il y a, je crois, des
raisons pour que le moniste préfère le premier des mécanismes proposés plutôt
que le second. Cela dit,
nous voyons qu’il sera capable de rendre compte de l’invocation implicite des
sortes dans tous les cas. Sa théorie n’est peut être pas la meilleure et il est
difficile de se départir de l’impression que l’invocation systématique des
sortes est simplement une formule ad hoc
pour éviter la référence à une ontologie pluraliste de choses non-coincidentes.
Mais, on doit encore concéder que lorsque la théorie est développée de cette
façon, elle devient alors capable de rendre compte de notre stock de cas
courants.
7/
Invocation Implicite via la Référence
Je souhaite maintenant
soutenir que la théorie moniste est en échec dès que nous considérons les cas
pour lesquels la notion de référence est elle-même employée afin de garantir la
référence. Nous allons nous intéresser à deux ensembles de problèmes. Un premier
concerne le problème de la sous-production, la production de certaines lectures
faisant appel à l’adoption inopportune d’une notion de référence relative aux
sortes. Le second est un problème de surproduction, l’adoption moniste d’une
notion de référence indépendante des sortes générant certaines lectures
superflues. Je suis amené à être particulièrement sévère à cause des
difficultés, et je ne crois pas qu’une quelconque modification de la conception
moniste permettrait de l’adapter.
Supposons que Al fasse
un inventaire des items qu’il considère comme bien faits : sa seule entrée
est « l’alliage » (ou « l’alliage à partir duquel cette statue
est faite »). Je dis alors
« une entrée dans l’inventaire de Al réfère à un item mal fait » ou
de façon plus idiomatique « Al faisait référence à un item mal
fait ». Supposons
que Al soit dans le vrai : l’alliage est bien fait, bien que la statue
(coïncidente) qui est formée par l’alliage soit mal faite. Alors, en regard de
la manière la plus naturelle de comprendre mes remarques, elles sont fausses.
Après tout, à travers le seul accès de son inventaire, Al réfère à l’alliage,
lequel n’est pas mal fait.
Si le prédicat
« réfère » n’est pas relatif aux sortes, il est alors difficile de
voir comment le moniste peut rendre compte de ces lectures. En effet, le sens
attendu de ma seconde remarque est que Al faisait référence à un item mal fait
en regard d’une sorte relativement à laquelle il est mal fait, ou de manière
équivalente, que AL faisait référence à un item mal fait relativement
à une sorte sous laquelle se fait la référence. Mais,
quand « réfère » n’est pas compris d’une manière relative aux sortes,
il est difficile de voir comment on peut obtenir la coordination requise dans
les sortes. Parce que premièrement, étant donné que « réfère » n’est
pas relatif aux sortes, il ne peut être destinataire d’une sorte (à partir du
prédicat « mal fait »), excluant de ce fait la première explication.
Si « réfère » reçoit une lecture existentielle, on pourrait concevoir
qu’il soit capable d’être la source d’une sorte. Cependant, en vertu de sa
position syntaxique, il est à exclure qu’il soit la source d’une sorte (pour le
prédicat « mal fait »). Étant donné qu’il fonctionne comme un verbe,
la sorte devra trouver son origine dans la phrase quantificatrice « un
item mal fait » qu’elle gouverne.
Ainsi, la seconde explication est également exclue. Et, étant donné l’échec de
chaque explication, on ne voit pas bien ce que l’on pourrait utiliser d’autre à
leur place.
Afin d’obtenir la
lecture désirée nous devons par conséquent supposer que « réfère »
est relatif aux sortes. Et en effet, à partir de là, les difficultés
disparaissent. Ainsi, selon la première version de la sémantique moniste, la
phrase quantificatrice « un item mal fait » couvre les paires
sorte-objet (r, s) pour lesquelles il est vrai que r est mal fait qua s ; pour toute sorte s, le prédicat « Al référait à - »
aura pour extension l’ensemble d’objets r
qui sont tels que Al référait à r
relativement à s, et ainsi la phrase
« Al référait à un item mal fait » sera vraie ssi il y a une paire
sorte-objet (r, s) telle que r est mal
fait qua s et Al référait à r
relativement à s (ce qui correspond à
la lecture recherchée). Ou encore, selon la seconde version de la sémantique moniste,
la phrase peut simplement être considérée comme ayant les mêmes conditions de
vérité que « Al référait à un item mal fait relative-ment à la sorte eu
égard à laquelle il est mal fait », le prédicat de la réfé-rence étant
relativisé à la description « la sorte eu égard à laquelle il est mal
fait » qui est tirée de la phrase « un item mal fait ».
Cependant, l’imputation
au prédicat « réfère » d’un sens relatif aux sortes ne va pas sans
poser de problèmes. On peut admettre que le prédicat est capable de supporter
un sens relatif – ainsi nous pouvons raisonnablement dire que Al référait à
telle et telle chose en tant que statue
ou en tant que pièce d’alliage, et
nous pouvons également concéder que dans le cas analogue impliquant
« qualifié », nous pouvons dire « il faisait référence à un
candidat qualifié » pour signifier qu’il se référait à un candidat
qualifié relativement au poste pour lequel il était qualifié. Néanmoins, la
notion de référence relative aux sortes, qui est en général requise pour obtenir
l’interprétation voulue dans le cas sortal, n’est pas une notion ordinaire.
Supposons que la seule entrée dans l’inventaire de Al soit « le référent
de la seule entrée dans l’inventaire de Bo », et que la seule entrée dans
l’inventaire de Bo soit « l’alliage à partir duquel la statue est
faite ». Alors encore une fois, l’interprétation naturelle de la phrase
« Al faisait référence à un item mal fait » est une interprétation où
cela est faux (et de façon similaire pour des chaînes référentielles plus longues).
Cependant, nous ne dirions ordinairement pas qu’Al faisait référence à ce à
quoi il faisait référence comme à un alliage,
mais plutôt qu’il faisait référence à cela comme à un référent. La notion requise de référence relative aux sortes est un
genre d’ancêtre de la notion ordinaire, et étant donné son caractère artificiel
et le fait que le terminus d’une chaîne référentielle puisse être si éloigné du
contexte actuel, on ne voit pas clairement pourquoi la sorte qu’il invoque
devrait si naturellement entrer en jeu. La sorte n’est certainement saillante
d’aucune manière évidente ou simple, et en effet, dans le cas analogue
impliquant « qualifié », l’aspect correspondant n’entre pas en jeu de façon naturelle. Supposons
que je dise « Al faisait référence à une personne qualifiée » et
qu’il y ait une longue chaîne référentielle se terminant par une expression de
la forme « la personne qui postula pour le poste de professeur ».
C’est seulement en faisant alors un effort considérable que nous pouvons
interpréter la phrase comme requérant que la personne doive être qualifiée en
regard de l’aspect invoqué par le terminus de la chaîne référentielle, c’est-à-dire
le poste de professeur.
Mais même si nous nous
conformons à la notion ancestrale, il n’est pas évident qu’elle nous fournisse
l’explication correcte de la façon dont la lecture donnée est rendue
accessible. En effet, considérons la phrase « il faisait référence d’une
façon ou d’une autre à un item mal fait ».
On penserait naturellement que même si « réfère » dans la phrase
originelle recevait une lecture relative aux sortes, la qualification
« d’une façon ou d’une autre » exigerait que la phrase qualifiée
« réfère d’une façon ou d’une autre » ait une lecture existentielle.
Ainsi, ce qu’on dirait est qu’il y a un item mal fait, c’est-à-dire une chose
simple qui est mal faite eu égard à une sorte, et qu’Al s’y référait
relativement à une sorte, bien que cela ne soit pas nécessairement une sorte
relativement à laquelle il est mal fait.
Mais alors la phrase devrait paraître vraie, puisque la chose simple à laquelle
il se référait est mal faite qua statue. Et pourtant la lecture la plus
naturelle est sûrement encore une lecture dans laquelle ceci est faux : il
fit référence, à sa manière, à un alliage, et l’alliage n’était pas mal fait.
L’autre difficulté
majeure pour le moniste vient du fait qu’il doit adopter une notion de
référence indépendante des sortes. Il est clair qu’il ne peut se satisfaire de
la notion relative aux sortes, puisqu’elle est requise pour formuler ses thèses
référentielles caractéristiques – que « la statue », par exemple,
réfère à la pièce d’alliage coïncidente, ou « la pièce d’alliage » à
la statue coïncidente. Le moniste pourrait formuler
sa conception uniquement au moyen d’identités, affirmant simplement que la
statue et l’alliage ne font qu’un. Mais il est difficile de voir comment il
pourrait souscrire à de telles identités sans être également disposé à
souhaiter qu’il y a un sens corrélatif de « réfère » dans lequel la « statue »
réfère à l’alliage ou « l’alliage » à la statue, et il est difficile
de voir comment le terme ordinaire « réfère » pourrait ne pas avoir
ce sens corrélatif qui, après tout, est le sens le plus naturel que le terme
puisse possiblement avoir. Cependant, lorsque « réfère » est utilisé
dans son sens relatif aux sortes, il ne sera pas vrai que « la
statue » réfère à la pièce d’alliage, puisque le terme « la
statue » ne réfère pas à la pièce d’alliage comme pièce d’alliage. Ainsi, c’est uniquement en utilisant le terme
« réfère » dans son sens indépendant des sortes qu’il y a une chance
que ses thèses référentielles caractéristiques soient vraies.
Néanmoins, la
reconnaissance d’une notion indépendante des sortes amène à des difficultés qui
lui sont propres (dont certaines sont pires que toutes celles que nous avons
rencontrées jusqu’ici). Premièrement en effet, il est difficile de croire qu’il
y ait un sens de « réfère » dans lequel il soit vrai que « la
statue » réfère à l’alliage et aussi un sens dans lequel cela soit faux. À
première vue, qu’elle soit vraie ou fausse, la phrase est vraie sans ambiguïté ou fausse sans ambiguïté.
Mais, les difficultés
que je souhaite souligner sont celles qui apparaissent sans que l’on ait à
supposer que le moniste reconnaisse également un sens de
« réfère » relatif aux sortes. Étant admis qu’il y a une notion de
référence indépendante des sortes, il devrait probablement être possible de
comprendre le prédicat « réfère » tel qu’il apparaît dans la phrase « Al
référa à un item mal fait », comme étant indépendant des sortes. Comment
la phrase entière pourrait-elle être alors construite, étant donné que le
prédicat est compris de cette manière? Nous avons vu que le prédicat
« réfère » ne peut être ni le destinataire ni la source de la sorte.
Se pose alors la question de savoir ce qu’il faut faire de la sorte qui semble
être solidaire du prédicat « mal fait ». Il me semble que le moniste
ne peut ici rien répondre.
Une des possibilités est
que la sorte attachée au prédicat « mal fait » soit donnée par le
contexte. En disant que « Al référait à un item mal fait », je peux
avoir en tête que la chose est d’une sorte donnée, et utiliser la phrase pour
signifier qu’Al référait à une chose simple qui est mal faite qua cette sorte. En particulier, je peux
avoir à l’esprit la sorte statue
plutôt que la sorte alliage, et
utiliser la phrase de cette manière afin d’exprimer la proposition vraie
selon laquelle Al faisait référence à une chose simple qui est mal faite qua statue.
Je ne crois cependant
pas que mes mots puissent être adéquatement utilisés dans les circonstances en
question pour exprimer quelque chose de vrai. Al faisait référence à un
alliage, et ma phrase est vraie seulement si l’alliage est mal fait, ce qu’il
n’est pas. Bien que je ne fasse aucune référence explicite à la sorte
appropriée, il ne me semble pas que ma phrase soit plus à même d’être vraie que
son explicite contrepartie « l’alliage (à partir duquel la statue est
faite) est mal fait ».
Cependant, quelqu’un
sous l’emprise de la position moniste peut avoir une conception différente du
problème. Attentif au fait que « l’item auquel il faisait référence »
fait référence à une seule chose, qui en elle-même n’est ni une statue ni un
alliage, il peut affirmer que la phrase « il faisait référence à un item
mal fait » peut, avec les
intentions linguistiques appropriées, être comprise comme transportant l’idée
que l’item est mal fait qua statue.
J’incline à penser qu’un tel moniste a mis ses intuitions linguistiques au
service de sa métaphysique. Peut être est-il possible de se laisser tenter par
un glissement prédicatif et d’utiliser ainsi le prédicat « mal fait »
en considérant qu’un alliage peut être dit mal fait, lorsque la statue qui est
constituée de l’alliage est mal faite. Mais, quand nous considérons une phrase
– telle que « il faisait référence à un item qui était mal fait mais formé
d’un alliage qui était bien fait » – qui est expressément destinée à
exclure le glissement prédicatif, il semble alors entièrement possible de la
comprendre comme transmettant quelque chose de vrai.
De plus, en dehors des
difficultés qu’il y a à considérer que la phrase soit vraie, il y a également
des difficultés à accepter les différentes façons d’après lesquelles, eu égard
à l’interprétation proposée, la phrase pourrait être fausse.
Si je peux interpréter la phrase en faisant référence aux sortes statue et alliage, je devrais alors aussi être capable de l’interpréter en
faisant référence aux sortes gratte-ciel
et porte-savon. Mais même si je crois
que l’item auquel Al faisait référence est un gratte-ciel ou un porte-savon, il
est difficile de comprendre comment mes mots pourraient être utilisés de
manière appropriée afin de communiquer l’idée que l’item était un gratte-ciel
ou un porte-savon mal fait. Le simple fait que l’item auquel Al faisait
référence n’était pas un gratte-ciel ou un porte-savon peut-il être suffisant
pour rendre faux – ou à tout le moins non vrai – qu’il faisait référence à
quelque chose de mal fait ?
Une autre possibilité
d’interprétation est que la phrase soit utilisée pour transmettre l’idée que Al
faisait référence à une seule chose, mal faite en regard de telle ou telle
sorte. C’est l’interprétation qui découle de la première version de la
sémantique moniste. En effet, le quantificateur « un item mal fait »
portera au-delà des paires (r, s) pour lesquelles r est mal fait relativement à s,
et « il faisait référence à un item mal fait » sera vrai ssi pour une
paire telle que (r, s) il est vrai qu’Al faisait référence à
r. Comme je l’ai dit, je ne crois pas
que la phrase puisse proprement être construite comme étant vraie (excepté peut
être à travers le glissement prédicatif). Mais l’explication de la manière dont
elle peut être vraie est particuliè-rement choquante dans ce cas. Elle semble,
en effet, mener à des contradictions réelles. Il est vrai que Al faisait
référence à un item (globa-lement) mal fait, puisqu’il faisait référence à une
seule chose qui est (globalement) mal faite qua
statue. Il est également vrai que Al
faisait référence à un item (globalement) bien fait, puisqu’il faisait
référence à une seule chose (globalement) bien faite qua alliage. Mais Al
faisait référence à un seul item. Donc, il s’en suit logiquement que la chose à
laquelle Al faisait référence est à la fois (globalement) mal faite et
(globalement) bien faite. Pour des raisons similaires, il sera vrai que l’item
auquel Al faisait référence est plus mal fait que (et moins mal fait que et
juste aussi mal fait que !) l’item auquel Al faisait référence – ou, si
nous souhaitons éviter la répétition dans la description, il sera vrai que le
premier item auquel Al faisait référence est plus mal fait que le dernier item
auquel Al faisait référence, même si le premier et le dernier item auxquels il
faisait référence sont les mêmes dans son inventaire à entrée unique. Ou
encore, quand bien même il ne faisait référence qu’à une seule chose, et qu’il
soit vrai qu’il faisait référence à un item mal fait, il ne sera pas vrai pour
autant qu’il ne faisait référence qu’à des items mal faits, c’est-à-dire que
chaque item auquel il faisait référence était mal fait.
Nous devons également
noter que le moniste doit faire face à une difficulté tout à fait singulière
quand le prédicat « réfère » est indépendant des sortes, et ce même en
considérant que « Al faisait référence à un item mal fait » a les
mêmes conditions de vérité que « un item auquel Al faisait référence était
mal fait ». En effet, l’expression quantificatrice « un item auquel
Al faisait référence » dans la seconde phrase couvre les choses simples
auxquelles Al faisait référence, et ainsi, l’attribution de la sorte nécessaire
à l’évaluation du prédicat « mal fait » est laissée en suspens.
Supposer que « mal fait » puisse être interprété de façon à signifier
« mal fait qua une sorte
quelconque » n’est d’aucun secours. En effet, comme nous l’avons vu,
« mal fait » peut recevoir une lecture non-existentielle et,
l’équivalence semblerait possible indépendamment du fait de savoir comment la
phrase est interprétée. La seule façon d’obtenir l’équivalence requise, me
semble-t-il, est de faire l’hypothèse improbable que l’invo-cation de sortes
est un trait de notre langage tellement institutionnalisé qu’une sorte est
automatiquement invoquée alors même qu’il n’y a aucun mécanisme particulier
pour effectuer cela. Ainsi, une phrase-quantificatrice telle que « un item
auquel Al faisait référence » couvrira des paires sorte-objet (r, s),
où r est un objet auquel Al se
référait et s une sorte qu’il
possède, bien que la sorte s soit
sans rapport avec l’application du prédicat « réfère ».
Une dernière
interprétation possible est que la phrase « Al faisait référence à un item
mal fait » soit utilisée pour véhiculer l’idée qu’Al faisait référence à
une seule chose, relativement à une sorte particulière, bien que non spécifiée.
En d’autres termes, la sorte est laissée en suspens, et selon cette
interprétation, la phrase serait dépourvue de valeur de vérité. Comme je l’ai
indiqué, je ne pense pas que la phrase puisse
être construite de façon à empêcher qu’elle soit fausse. Cependant, même si
nous admettons la validité de cette interprétation, il devrait sûrement être
alors possible de fixer la sorte au moyen du contexte – auquel cas l’ensemble
de difficultés vu plus haut se présenterait.
Il apparaît par
conséquent que toutes les manières possibles de construire le prédicat
ordinaire « réfère » de façon à ce qu’il soit indépendant des sortes
échouent - aucune d’entre elles ne correspond à une lecture existant
effectivement. Le moniste devrait par conséquent conclure que le prédicat
ordinaire est incapable de supporter un sens indépendant des sortes et que le
seul sens qu’il peut tolérer est relatif aux sortes. Mais cela signifie que
chaque notion d’identité corrélative avec la notion ordinaire de référence doit
également être relative aux sortes. Et, puisqu’une telle notion d’identité
semble être impliquée par le jugement ordinaire que la statue est identique
avec la pièce d’alliage (coïncidente), le moniste devrait conclure avec le pluraliste
que tous ces jugements sont faux.
Comment se
distingue-t-il alors du pluraliste ? Il doit affirmer que les notions de
référence et d’identité, qu’il souhaite employer ont été « promues »,
ce sont des notions purement théorétiques, dépourvues de tout équivalent dans
le langage ordinaire. Mais, si nous demandons alors : « de quel droit
affirme-t-il s’être procuré les notions authentiques
de stricte identité numérique ou de référence indépendante des
sortes ? », il n’y aucune réponse qu’il puisse donner. Sa position
est sous ce rapport exactement analogue à celle du conservateur
mono-référentialiste. Aucun d’entre eux ne peux fournir un quelconque soutien
conceptuel aux affirmations qu’ils souhaitent faire. Leurs positions devraient
par consé-quent être écartées comme inintelligibles ou absurdes.
8/
Invocation Plurielle des Sortes
La conception moniste a des conséquences
bizarres supplémentaires qui sont liées à la référence aux pluralités, et ces
difficultés rendent sa position encore plus semblable à la forme fanatique du
monisme.
Considérons la phrase
suivante « il était fait référence à une collection diverse d’items
(assurée, admirée etc.) ». Pour un moniste, la phrase-quantificatrice
« une collection diverse d’items » couvre les collections de choses
simples (j’affirme qu’il est ici uniquement question d’objets maté-riels). Mais
la question de savoir si une collection de choses simples est diverse ne dépend
pas simplement de ses membres, mais aussi de la façon dont ils sont
« donnés ». Si par exemple tous les membres sont donnés en tant que
statues, la collection pourrait ne pas être diverse, tandis que si certains
sont donnés en tant que statues, d’autres en tant que morceaux de matériel, et
d’autres encore comme simple matériau (plain stuff), alors elle pourrait
l’être. Ainsi, la question de savoir si une collection est diverse sera
relative aux sortes par lesquelles ses membres sont donnés. Cependant, il ne
suffit pas de simplement se voir donner la collection correspondant de sortes.
En effet, si dans la collection une seule chose était donnée comme pièce
d’alliage, une autre comme morceau d’alliage et le reste en tant que statues,
alors elle pourrait ne pas être considérée comme étant diverse, tandis que si
plus ou moins le même nombre d’items étaient donnés comme pièces d’alliage,
comme alliages, et comme statues, la collection pourrait alors être considérée
comme étant diverse. (Pour des raisons similaires, il est également insuffisant
que soit donné l’ensemble multiple des sortes). Ainsi, la question de savoir si
une collection est diverse sera relative à une corrélation entre les membres de
la collection et les sortes (où, bien sûr, un membre particulier pourrait être
corrélé à plus d’une sorte).
Appelons un aspect de
cette sorte un aspect pluriel. Le
possible recours à de tels aspects apparaîtra à chaque fois que des pluralités
seront en question. Ainsi tout prédicat non-distributif d’une collection– tel
que « divers » ou « intéressant » ou « se réfère
à » – devra être considéré comme étant relatif à un aspect pluriel. La
même chose est vraie des prédicats distributifs – tel que « sont mal
faits » ou « sont Romanesques » – aussi longtemps qu’ils sont
considérés comme étant des prédicats de pluralités plutôt que d’individus, et
aussi longtemps que les prédicats d’individus correspondants sont relatifs aux
sortes. La quantification sur des collections – comme dans l’exemple ci-dessus
– doit généralement être considérée comme étant accompagnée par une
quantification sur un aspect associé. Et la désignation d’une pluralité, telle
que la « collection de Fs »
ne doit pas simplement être considérée comme référant à la collection de choses
simples qui sont F, mais elle doit
également être considérée, quand le prédicat F est relatif aux sortes, comme appelant l’aspect pluriel associé,
c’est-à-dire la corrélation qui lie tout objet r qui est un F à
n’importe quelle sorte s pour
laquelle il est vrai que F est vrai de r
qua s.
Ce qui est frappant
concernant le dispositif des aspects pluriels est que le dispositif concomitant
des référents est sans rapport avec son opération. En effet, à partir de
n’importe quel aspect pluriel, nous pouvons saisir la pluralité de choses
simples avec laquelle il doit être associée, et étant donné la nature
« corrélante » de l’aspect, la pluralité associée sera sim-plement la
pluralité d’items dans le domaine de la corrélation. Il ne semble pas non plus
possible d’ « affaiblir » l’aspect de façon à réaliser une
authentique division du travail entre la collection de choses simples et
l’aspect. Ainsi, même si nous avons traité les prédicats relatifs aux aspects des
pluralités comme s’ils étaient vrais d’une pluralité relative à un aspect,
l’appel à la pluralité est oiseux et pourrait aussi bien être supprimé. Ceci
suggère que l’aspect lui-même est le vrai référent et qu’à partir d’une
collection de choses incarnées sortalement, du type privilégié par le
plu-raliste, l’aspect a été métamorphosé en une corrélation entre choses
simples et sortes.
Une autre conséquence
bizarre concerne la relation d’appartenance qui se trouve entre un individu et
une pluralité à laquelle il appartient. On supposerait naturellement que cette
relation n’est pas relative aux sortes, mais le moniste doit la considérer
comme étant relative à une sorte et à un aspect pluriel. Dés lors, elle aurait
lieu selon lui entre un individu qua
sorte et une collection qua aspect
pluriel. Considérons la phrase « chaque membre de la collection d’items
auxquels Al se référait est bien fait » (elle est de la forme « tout
ce qui est F est G », où F est un
« membre de la collection d’items auxquels Al se référait » et G est « mal fait »). L’alliage
est alors un membre de la collection d’items auxquels Al se référait. Selon le
moniste, la statue est identique à l’alliage. Donc, étant donné que l’appartenance
n’est pas relative à un aspect (et induit ainsi un contexte transparent), nous
pouvons inférer que la statue est un membre de la collection d’items auxquels
Al se référait. Mais, cela implique que la statue soit bien faite (nous faisons
ici appel au principe selon lequel si tout ce qui est F est G et que t est un F, alors t est un G).
La conclusion de
l’argument disant que la statue est bien faite est fausse. De même,
certainement, la prémisse de l’argument disant que tous les membres de la
collection d’items auxquels Al se référait sont bien faits est vraie. En effet,
il est certainement vrai que chacun des items auxquels Al se référait était
bien fait (souvenons-nous qu’un item auquel il faisait référence était bien
fait et qu’il se référait à un item seulement), et à partir de cela, il suit
certainement que chaque membre de la collection d’items auxquels Al se référait
est bien fait. Où se trouve donc le défaut dans le raisonnement ? Étant
donnée la vérité des prémisses, il est difficile de voir comment il est
possible de nier que si la statue est un membre de la collection d’items
auxquels Al se référait, alors elle est bien faite. Et ainsi, cela laisse
uniquement en suspens la question de l’indépendance sortale de l’appartenance.
Nous voyons par conséquent
deux autres rapports sous lesquels le moniste sera conduit à embrasser les
mêmes types d’invraisemblances que le mono-référentialiste fanatique.
Premièrement, quand il en vient à la référence et à la quantification sur des
pluralités, la référence aux différents uns
(ou leurs collections) sera oiseuse, tout comme la référence au Grand Un est oiseuse pour le mono-référentialiste. En effet, tout ce que
nous disons pourrait être formulé en termes d’appartenance. Ainsi, au lieu de
dire qu’un item est mal fait, nous pouvons dire qu’il appartient à la
collection des items mal faits. Et formuler ainsi les choses rend la référence
complètement hors de propos pour le moniste sortal, tout comme pour le moniste
fanatique. Deuxièmement, le moniste est obligé d’adopter la relativité aux
aspects de l’appartenance (et des notions liées), en plus de la relativité aux
sortes de la référence et de l’identité elle-même. Encore une fois, certains
paradigmes de la transparence doivent être éliminés comme étant opaques.
Les difficultés qui
assaillent le moniste sont celles qu’on s’attendrait à voir apparaître si on
assimilait des entités qui sont en fait distinctes et, ces difficultés sont
illustrées sous leur forme la plus extrême à travers la doctrine du
mono-référentialisme. Les formules standards pour déclen-cher l’opacité ou
obtenir la transparence ne fonctionneront pas, les contextes dont on
s’attendrait normalement à ce qu’ils soient transparents seront opaques, et le
mécanisme par lequel l’opacité est obtenue reflètera simplement le mécanisme
standard de la référence. Le fait que ces difficultés puissent si facilement
être comprises comme étant le produit de l’assimilation fournit encore une
autre raison de préférer la conception du pluraliste. Nous pouvons conclure que
la tentative du moniste visant à saper l’argument de la loi de Leibniz
relativement à la non-identité des coïncidents est un échec cuisant. L’argument
doit être maintenu, et nous pouvons alors éviter à la fois la mauvaise
métaphysique provenant du refus de sa conclusion et la mauvaise linguistique
naissant du besoin de le considérer comme non valide.
(Traduction Laurent Iglesias)
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