Recension de G. Belgioioso
(éd.), Descartes. Tutte le lettere.
1619-1650, Bompiani, Milan, 2005[1].
Lynda Gaudemard (2011)
Cette nouvelle édition critique de la correspondance de
Descartes, résultant d’une longue et fructueuse collaboration entre les
chercheurs du Centro interdipartimentale
di studi su Descartes e il Seicento de Lecce, se démarque des précédentes
publications par sa présentation mais surtout par les nouvelles informations
textuelles et outils heuristiques qu’elle fournit à l’intérieur d’un même
volume. Outre le fait qu’elle présente l’avantage de réunir en un seul volume
732 lettres classées chronologiquement (la première publication de la correspondance
de Descartes de Claude Clerselier de 1657 à 1667 se présentait en 3 volumes et
contenait seulement 352 lettres), elle offre la première traduction en italien
des textes en français, latin et flamand[2]. Mais cette nouvelle édition innove considérablement en
insérant et réunissant dans un même volume des lettres qui ne figurent pas dans
l’AT. Citons par exemple deux lettres de Descartes adressées à Mersenne qui ont
été extraites de la correspondance de ce dernier[3] et qui dateraient respectivement de l’été 1625[4] et de février 1626[5]. Sept autres lettres déjà publiées dans diverses revues
ont été également ajoutées[6].
Ce volume est enrichi d’une table de concordance entre
les principales éditions de la correspondance de Descartes[7] qui permet de comparer l’emplacement des lettres de la
présente édition avec les éditions précédentes. Trois autres tables, plus
restreintes, contiennent les concordances relatives d’une part à celle The Correspondence of René Descartes. 1643[8], et d’autre part à celle de The Correspondence between Descartes and Henricus Regius[9] ; et surtout nous trouvons une table des variations
entre la présente édition et celle d’Adam et Tannery qui signale les
modifications opérées sur la datation et l’identité des destinataires (ou des
auteurs) de certaines lettres : pas moins de 45 « variations » y
apparaissent avec parfois des écarts chronologiques considérables[10] ; mais si cette nouvelle édition infirme certaines
des hypothèses émises dans celle d’AT au sujet de la datation et/ou du
destinataire de certaines lettres de Descartes[11], elle en précise et en confirme aussi quelques-unes[12]. Enfin, même si le mystère persiste pour certaines d’entre
elles[13], l’identité des
destinataires de quelques lettres qui était encore totalement inconnue, nous
est enfin révélée[14].
Ajoutons que, bien sûr, les imprécisions d’AT sont
connues depuis longtemps et ont déjà été dénoncées par d’autres éditions de la
correspondance de Descartes (sans compter les articles) ; mais cette
nouvelle édition ne s’est pas contentée de reprendre les propositions de
datation déjà émises par les précédentes : quand elle ne les confirme pas,
elle les corrige le plus souvent en les datant très précisément ou du moins de
manière beaucoup moins approximative.
Cette nouvelle édition comprend également un regroupement
par ordre alphabétique des correspondants de Descartes où les références aux
lettres dont ils sont soit les auteurs, soit les destinataires, sont citées. A
la suite, nous trouvons une biographie de Descartes qui retrace le parcours
intellectuel du philosophe illustré par de nombreuses références à la
correspondance qui en marquent les différentes étapes. Puis nous découvrons un
index biographique de ses correspondant(e)s rappelant les circonstances dans
lesquelles ils sont entrés en contact avec lui, ainsi que la date de la première
lettre reçue par le philosophe et la première occurrence de leur nom dans la
correspondance. Cet index permet un accès clair et concis au débat scientifique
et philosophique qui alimentait l’Europe du XVIIème siècle. Une bibliographie
des travaux des philosophes antiques, médiévaux et modernes cités dans la
correspondance et des études ayant traité de certaines lettres vient compléter
cette partie consacrée aux correspondant(e)s de Descartes. Le volume est clôturé
par un lexique des concepts employés par le philosophe et par un index nominum. Ce minutieux travail de
traduction, de classification et d’annotation de toutes les lettres de
Descartes est une référence indispensable pour le chercheur en histoire de la
philosophie moderne.
[1] La présente recension précède la
publication d’une nouvelle édition des œuvres complètes de Descartes réalisée
sous la direction de Giulia Belgioioso ; Le Opere di René Descartes, Giulia Belgioioso (éd.), Bompiani:
Milan, 2009.
[2] La première lettre rédigée
partiellement dans cette langue est celle de Descartes à Waessenear 1er février 1640 (AT III, pp.
21-28) dont les parties en flamand ont été traduites en français dans les
éclaircissements pp. 28-30 ; puis celle de Descartes au Magistrat d’Utrecht 6 juillet 1643 (AT IV, pp. 8-12)
dont la version française a été perdue et qui est traduite dans les additions
du même tome, pp. 645-648 ; enfin celle de Descartes à Brandt 18 juillet 1643 (AT IV, pp. 17-18) traduite en
français dans le même volume p. 649.
[3] Marin Mersenne, Correspondance
du P. Marin Mersenne, religieux minime, 17 vols., CNRS, Paris, 1932-1988.
[4] Lettre n°11, pp. 26-27, in G.
Belgioioso (éd.), René Descartes. Tutte
le lettere, 1619-650, Bompiani, Milan, 2005.
[5] Ibid., lettre n°12, pp. 28-29.
[6] Descartes à Marguerite Ferrand 24 février 1634
(parue d’abord dans « Revue d’histoire littéraire de la France », 79,
1979, pp. 745-746), lettre n°64, pp. 260-261 ; Descartes à Hogelande fin 1639 - début 1640 (parue dans le
« British journal of history of philosophy », XII [2004], pp.
380-382.), lettre n° 237, pp. 1118-1121 ; Descartes à Wicquefort 2 octobre 1640 (parue dans « Studia
Leibnitiana », XXXIV/1 (2002), pp. 100-109), lettre n° 273, pp.
1292-1293 ; Descartes à Regius entre
le 2 et 16 février 1642 (parue dans « Acta Litteraria Academiae
Scientiarum Hungaricae », 15, 1973, pp. 230-244), lettre n° 346, pp.
1610-1611 qui avait été présentée d’abord comme faisant partie d’une autre
lettre inédite de Descartes à Regius 6
février 1642 (parue dans les mêmes actes), lettre n° 347, ibid ;
Bourdin à Descartes octobre 1640
(datation signalée par les éditeurs comme incertaine), lettre n°729, pp.
2804-2805 ; Descartes à Jeanne Sain
12 mai 1605-1609, lettre n°730, pp. 2804-2806. Mais cette dernière pourrait
être une lettre de Pierre Descartes.
[7] Ces éditions sont celles d’AT
(nouvelle présentation, 1969-1974), de Clerselier (1657, 1659, 1667), Elzevier
(1668 et 1683), Cousin (1824-1826), Roth (1926), Ch. Adam et G. Milhaud
(1936-1963). Notons que l’édition de La
Correspondance du Père Marin Mersenne, éditée par E.J. Bos fait aussi
partie de cette table des concordances.
[8] The Correspondence of René Descartes. 1643, éd.
Theo Verbeek, Erik-Jan Bos, Jeoren van de Ven, Zeno, 2003.
[9] The Correspondence between Descartes and Henricus Regius, éd. Erik-Jan Bos, Zeno, 2002.
[10] Ainsi, par exemple, la lettre de
Descartes à [Boswell ?],
[1646 ?] (AT, IV, pp. 684-691 et pp. 705-711) serait en fait une
lettre adressée à Mersenne et datant de 1635-1636.
[11] Par exemple, la lettre de Descartes [au Marquis de Newcastle ?],
[mars ou avril 1648], AT V, 133-139 est présentée dans cette nouvelle
édition comme étant destinée à Silhon (ce qu’avait néanmoins déjà proposé Adam
dans Vie et Œuvre de Descartes) et datant de mars ou avril 1648, p.
2535-2539 ; ou encore la lettre de Descartes
à Huygens du [5 octobre 1646], AT IV 515-519 devient une lettre de Descartes à Colvius d’octobre 1646,
lettre n° 574, pp. 2301-2303.
[12] Par exemple la lettre de Descartes [au Père Noël] [octobre 1637],
AT I, pp. 454-456.
[13] L’identité du destinataire de la
lettre de Descartes à *** [octobre 1637],
AT I, pp. 458-460 n’est par exemple toujours pas établie.
[14] La lettre de Descartes sans
destinataire connu de [novembre-décembre 1638] AT II, 451-455, serait une
lettre destinée à Debeaune de novembre-décembre 1638, pp. 935-937 ; ou
encore la lettre d’ [août 1638 ?], AT II, pp. 345-348 aurait été rédigée
pour Hogelande en août 1638, lettre n° 182, pp.821-823.