Motto : Crapula ingenium offuscat. Traduction : "le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net" (Pascal).

Ce blog est ouvert pour faire connaître les activités d'un groupe de recherches, le Séminaire de métaphysique d'Aix en Provence (ou SEMa). Créé fin 2004, ce séminaire est un lieu d'échanges et de propositions. Accueilli par l'IHP (EA 3276) à l'Université d'Aix Marseille (AMU), il est animé par Jean-Maurice Monnoyer, bien que ce blog lui-même ait été mis en place par ses étudiants le 4 mai 2013.


Mots-clefs : Métaphysique analytique, Histoire de la philosophie classique, moderne et contemporaine,

Métaphysique de la cognition et de la perception. Méta-esthétique.

Austrian philosophy. Philosophie du réalisme scientifique.

samedi 23 septembre 2023


 

Sentience et givenness : C. A. Strong et le double aspect du panpsychisme


 

Fabien Cayla

 


« Sentir commence, précède, accompagne et achève tout. Et donc, est tout », Paul Valery, Cahiers, I, Paris, Gallimard, 1973, p. 1206.



Bien des efforts ont été déployés pour tenter de «naturaliser » ou de «  fonctionnaliser » les états subjectifs, de façon à les rendre, selon la formule en usage, compatibles avec le matérialisme. Récemment, plusieurs auteurs ont noté que l’on pouvait en fait renverser la question, en se demandant quel type de matérialisme était compatible avec la réalité de ces états subjectifs.

Le moment est ainsi bienvenu d’évoquer le disciple critique et ami de William James et le fidèle camarade de Santayana Charles Augustus Strong (1862-1940)1. Son premier ouvrage, et le seul qu’avait pu connaître James2se présentait comme une défense de Fechner et de Clifford, et avait comme eux la thèse du parallélisme psychophysiologique comme point de départ. Une solution séduisante consistait à n’y voir qu’une sorte d’illusion d’optique produisant un dédoublement apparent de ce qui n’était en fait qu’une seule et même réalité. Cette solution moniste se présentait elle-même sous trois versions distinctes que Strong3 nommait théorie de la « substance –une », matérialisme psychophysique et panpsychisme « affirmé ». La première est la théorie du double aspect, où l’état de conscience est l’aspect subjectif de l’état cérébral , la seconde le matérialisme, où l’état psychique doit être réductible à l’état cérébral, et la troisième le spiritualisme panpsychiste, où c’est l’état neurophysiologique qui devient l’apparence extérieure de l’état psychique : « …l’événement cérébral est la forme sous laquelle l’état psychique se révèle lui-même à un observateur extérieur » (Origin, p. 25).

Ce monisme panpsychiste, d’abord défendu comme solution du problème corps-esprit, est alors étendu à l’ensemble de la réalité . On peut ainsi en distinguer une version « restreinte » ou psychophysiologique et une version « généralisée » ou cosmologique, bien que la logique du panpsychisme semble aller vers sa généralisation . Mais il faut choisir entre la théorie du double aspect, qui postule l’existence d’un élément psychique en tout être matériel, et le panpsychisme « affirmé », où il n’y a que l’apparence matérielle d’une réalité en elle-même psychique. Or, cette dernière conception était bien celle du « mind stuff » de Clifford, que Strong a toujours défendue, même après avoir abandonné son idéalisme de départ.


 1/ Choses en soi et mind-stuff chez William Kingdon Clifford et Morton Prince


On ne peut guère conjecturer la forme définitive que le génie de Clifford, décédé à trente quatre ans, eût donné à la théorie du mind stuff , qu’il avait exposé dans trois articles.

Dans l’essai « Body and Mind » 4, il présentait ainsi le vrai parallélisme psychophysiologique : dans la perception, il y a correspondance point par point entre l’objet physique et le cortex cérébral, de même, le feeling ou l’image que j’ai à l’esprit doit aussi correspondre point par point à la réalité extérieure. Il en résulte que


« …la réalité qui sous-tend la matière, la réalité que nous percevons comme matière, est le même élément qui, composé d’une manière particulière, produit l’esprit » (p. 42).


Dans « The Unseen World »5, il indiquera que c’est la théorie de la sensation qui fournit la clé du problème. La sensation éprouvée, le feeling, nous indique « la contrepartie non phénoménale du monde matériel ou phénoménal » :


« …la succession des feelings qui constituent la conscience d’un homme est la réalité qui produit dans nos esprits la perception des mouvements dans son cerveau »( p. 288).


Dans « On the Nature of Things-in-Themselves »6, il introduit la théorie des « objets » et des « éjets » ( « objects » et « ejects ») : il doit y avoir correspondance entre l’ordre « objectif » et l’ordre « éjectif ». Donc, à la représentation objective imparfaite de l’objet par l’image cérébrale doit correspondre la représentation « éjective » imparfaite de la chose en soi par la perception de l’objet comme « complexe de feelings en moi ». Selon Clifford, 


« une telle représentation imparfaite est nommée un univers matériel. C’est une image dans l’esprit humain de l’univers réel du mind-stuff »( p.66).7


Au même moment, un médecin neurologue, Morton Prince, qui allait devenir célèbre pour ses études sur les personnalités multiples, défendait, mais sans en avoir eu connaissance, exactement le même spiritualisme panpsychiste que Clifford. Publiée en 18858, sa thèse défendait, assez curieusement, un matérialisme et un déterminisme stricts, mais il apparaissait vite que la « matière » de Prince n’était autre que celle de Berkeley…Seul existe l’esprit, le corps matériel n’étant que la perception d’ un esprit par un autre. 

Prince posait alors la question qui allait tant inspirer Strong, et, à la suite de celui-ci, Feigl9 :


« Supposez que par un dispositif adéquat [les processus neuraux] puissent nous être présentés objectivement…comment nous apparaîtraient-ils ?  » ( p. 36).


En réalité, 


« C’est seulement lorsque nous étudions le problème d’un point de vue physiologique que nous observons deux processus – physique et mental »( p. 48).


Si donc je pouvais observer au microscope votre cerveau,


«  Au moment où vous éprouvez une sensation de douleur, je deviens conscient de vibrations neurales que je localise ( mais erronément ) dans vos cellules cérébrales…[ alors qu’elles font ] réellement partie de ma conscience, et la seule chose qui se produise en vous est le feeling de douleur » ( p. 58).


Le vrai parallélisme est donc celui-ci :


« votre conscience de la douleur est le corrélat de monappréhension de cette conscience comme vibration neurale » ( p. 59). 


C’est donc un parallélisme entre les états de conscience d’un sujet et ceux d’un autre sujet, et non, comme le supposent les neurophysiologistes, entre les processus mentaux d’un sujet et les processus neuraux de son cerveau. Impliquant nécessairement un observateur extérieur – ou, nous allons voir, le même sujet de conscience observant son propre cerveau --, le parallélisme dans son interprétation psychophysiologique se dissipe comme un mirage :


«  Il n’y a pas deux choses se produisant simultanément dans un organisme. Seul se produit le feeling, le mouvement ondulatoire n’est que l’expression subjective de la perception de ce feeling par une autre personne » (pp. 86-7).


Prince, par la suite, a eu l’idée d’appliquer le véritable parallélisme dans le cas où un seul sujet puisse simultanément tenir les deux rôles que nous venons de décrire 10 . Observant son propre cerveau, le sujet voit en fait son état subjectif sous l’apparence d’un état cérébral : 


«  Ainsi doit-il en être selon l’hypothèse que le processus cérébral est un mode d’appréhender la conscience qui est la chose en soi » ( p. 449). 


Mais le panpsychisme, soutient Prince, est métaphysiquement équivalent à un pan-matérialisme, même s’il s’en distingue au point de vue gnoséologique. Et Strong a lui aussi envisagé la possibilité que le panpsychisme soit au fond un matérialisme « modifié ».


 2/  L’évolution de Strong : de l’idéalisme psychophysique au monisme du double aspect


 « [ L’idéalisme] me semble correct lorsqu’il   affirme que les objets matériels, comme les états mentaux, existent comme feelings » Strong, 1905, p. 39511

 

« La métaphysique est celle de Spinoza, avec de légers changements » Strong, 1939, p. 39512


L’intuition centrale de la théorie de Strong n’a pas varié :


« L’essence de cette théorie est l’identification de l’existence que nous connaissons dans la perception des sens, lorsque ce que nous percevons est le processus cérébral, à l’existence connue dans l’introspection »13.


Mais dans la première théorie de Strong, la perception des sens ne pouvait nous faire connaître une existence extérieure. C’est en modifiant sa théorie de la perception qu’il a abandonné son idéalisme subjectif. Il a pu alors soutenir que c’est bien une seule existence qui est connue dans la perception des sens comme physique et dans l’introspection comme psychique. Le « double aspect » est en réalité double accès à l’existant, l’accès « interne » ne nous en donnant pas la spatialité et l’extériorité des parties, l’accès « externe » ne nous en donnant pas la nature intrinsèque, c’est-à-dire psychique. Alors il pourra dire que


« Rien ne nous empêche donc de supposer, et même l’origine de l’esprit à partir de ce qui apparaît comme matière nous oblige à le supposer, que les choses extérieures sont dans leur être intime de la même nature que la psyché » (p.125).


Dans Why the Mind has a Body, Strong proposait ce qu’il nommait idéalisme psychophysique comme solution du problème corps/esprit, tout en notant que cet idéalisme se heurtait à un paradoxe lorsqu’il était associé à la thèse du parallélisme psychophysiologique. Car l’objet physique perçu – le seul qui existe pour l’idéalisme subjectif – devait alors aussi être cause de l’événement cérébral concomitant à la perception même de cet objet. L’objet paraissait ainsi se dédoubler entre la cause et le datum de perception . Il y a là comme un nœud où la perception se lie à elle-même : 


« nous sommes face…à ce mystérieux phénomène de doublage, cette curieuse répétition du monde physique sur un plan différent…La psychologie physiologique, en corrélant nos perceptions à des événements cérébraux, semble avoir engendré deux mondes physiques là où un seul existait auparavant » (p. 248). 


Naturellement, un tel paradoxe – « illusion métaphysique », dit Strong – n’apparaît que lorsque le parallélisme cesse d’être dualiste pour être traduit dans les termes de l’idéalisme subjectif. La solution de Strong reprend celle de Clifford et de Prince : combiner l’idéalisme subjectif au réalisme de la chose en soi, et rétablir le quatrième terme manquant, de façon à faire apparaître le parallélisme « vrai » : la chose en soi cause de la modification mentale qui apparaît, « de l’intérieur », comme perception déformée de celle-ci, et « de l’extérieur » -- c’est-à-dire pour un observateur extérieur, mais aussi, théoriquement, pour le sujet de conscience lui-même--, comme processus cérébral


Strong expose alors en détail l’expérience de pensée même qu’avait imaginée Prince14, dans laquelle la loi de corrélation psychophysiologique apparaît sous son vrai jour : 


« …son apparent matérialisme étant converti comme par magie en idéalisme » ( p. 338).


Dans le cas supposé d’une personne observant son propre cerveau, on verrait alors 


«  Cet heureux mortel… si l’hypothèse paralléliste est correcte, simultanément conscient d’un feeling et du processus neural accompagnateur » ( p. 340).


Mais, en réalité, ce processus cérébral accompagnateur n’existe tout simplement pas. La personne ressent un feeling et, avec l’écart temporel nécessaire que Strong décrit subtilement, perçoit ce même feeling sous l’apparence d’un processus cérébral qui le « symbolise » mais qui en réalité lui est identique. Le supposé parallélisme entre événements mentaux et cérébraux s’évanouit :


« …l’une des deux séries n’est pas réelle, mais seulement phénoménale. Le lecteur sera peut-être réconforté qu’il n’y ait pas deux séries se déroulant en ce moment en lui » (p. 343).


On a là tous les éléments du panpsychisme de Strong, même s’il en modifiera considérablement l’agencement par la suite. Dans la théorie idéaliste de 1903, que Strong nommait déjà « réaliste critique », le monde phénoménal était intégralement doublé par celui des choses en soi. Ainsi en va-t-il de l’évolutionnisme : 


« …la lutte de l’organisme physique avec l’environnement physique est seulement le symbole de la lutte de l’organisme mental avec l’environnement réel » (pp. 280-1) ;


et de même pour la causalité psychophysiologique : 


« Comme l’événement perceptif cérébral est une sorte d’ombre projetée sur le cerveau par un objet extérieur corporel, de même la perception est une sorte d’ombre projetée sur l’esprit par une chose en soi » (p. 283). 


Le parallélisme « vrai » est ainsi intégral, mais comme le remarquera Raymond Ruyer 15, entièrement virtuel. Ruyer nommera fort justement épiphénoménisme inversé une telle conception, que le philosophe américain d’origine française C. J. Ducasse baptisera hypophénoménisme16.

Les états psychiques ne sont donc pas l’apparence subjective(perçue de « l’intérieur ») des états cérébraux, ce sont les états cérébraux qui deviennent l’apparence objective (perçue « de l’extérieur ») des états psychiques. Ducasse notera que cette théorie est


« …assez exactement celle de Schopenhauer …que les instruments constituant les divers mécanismes du corps sont les produits objectifs de pulsions [cravings] obscures vers des pouvoirs correspondants »17.


Strong, même lorsqu’il répudiera son « idéalisme du feeling », ne renoncera jamais à l’ atomisme psychique, qu’il étendra à toute la réalité physique. La conscience deviendra une fonction mentale de « cognition », fonction secondaire dans l’ordre de l’évolution, mais qui dérive de la composition des feelings élémentaires qui constituent toute la réalité.

Lorsque Strong reprendra l’expérience de pensée de Prince en 1930, il ne confondra plus dans la perception la donnée des sens, le « sense datum » et l’ « intent », la visée ou intention :


« la donnée des sens et la chose apparente ne sont pas identiques. La chose apparente est la vision de la chose réelle qui se produit lorsque la donnée des sens est prédiquée de l’existant présent à l’ « intent » » ( Essays, p. 17 n.1)


Strong crédite Santayana de cette distinction « essentielle » entre intuition des données des sens ou image sensible de l’objet et « intent » ou référence mentale à cet objet. Il ne confondra plus, de même, la conscience ou awareness, fonction secondaire de « cognition », et l’état de sentience, réalité de toutes choses18. Il en résulte que le mystérieux « doublage » d’une réalité en soi mentale par une apparence physique phénoménale s’évanouit comme un rêve : il n’y a plus qu’un seul monde psychique-matériel, que nous percevons directement, quoique sous un revêtement « fantasmatique », celui des données des sens

Que voit alors la personne qui observe, par un montage de miroirs, ses propres processus cérébraux au moment où précisément elle perçoit visuellement ces derniers ? Pour le matérialisme, la personne doit voir la réalité cérébrale dont ses sensations sont l’apparence subjective, mais pour le panpsychisme, c’est exactement l’inverse : ce que la personne percevra sera, sous l’apparence d’un processus cérébral que lui présentent ses données des sens, un état complexe de sentience constitué d’innombrables atomes de feeling. Avec le léger décalage temporel que nécessite l’expérience, le processus cérébral qu’elle percevra 

 

« …sera celui corrélé à une vision antérieure », de sorte que


« ce que [la personne] voit, sous la forme partiellement erronée d’un processus physique, est l’état d’elle-même au moyen duquel [elle] voyait un moment auparavant »(p. 188)

Ainsi,

« …l’existant qu’un anatomiste verrait comme processus neural est l’âme »(p.189).


Il suffit pour cela de traduire les faits physiologiques


« … dans le langage de la sentience […] L’assertion, apparemment requise par les faits, que l’esprit dépend de la matière laisse place à l’énoncé inoffensif selon lequel la matière est telle seulement pour la conscience [awareness] et la conscience une fonction de l’âme active » (pp. 190-1).


Nous avons deux modes d’acquaintance , de « contact » avec la réalité. Ces deux modes de « contact » sont celui de la perception des sens, en partie erroné mais cependant fiable, et celui de l’introspection, bien plus proche de son objet parce qu’utilisant le même « véhicule » sensoriel, celui des feelings. C’est cette différence de statut que nous devons examiner, puisque c’est elle qui justifie que


« …le moi ou âme, qui est l’objet de l’introspection, est le même existant qui, pour les sens, apparaît comme processus neural corrélé » (p. 160).


Mais il faut alors admettre un dualisme entre l’état du moi qui apparaît comme processus cérébral et le reste de l’organisme : de quoi celui-ci est-il alors l’apparence ? Strong est constamment ambigu sur ce point : l’âme, le moi, est la réalité qui apparaît comme processus cérébral, et aussi comme organisme19. Mais si tout est sentience, pourquoi la sensation visuelle n’apparaîtrait-elle pas au niveau rétinien plutôt qu’au niveau cortical ?20 En fait, la distinction radicale que fait Strong entre awareness et feeling l’a conduit à faire l’hypothèse que la sentience sensorielle serait localisée dans l’organe sensoriel lui-même et que le rôle du cortex cérébral serait la fonction de l’awareness comme telle, liée aux centres moteurs de celui-ci. Ainsi, les états neurophysiologiques des organes sensoriels auraient eux-mêmes leur corrélat psychique, ce qui est d’ailleurs la logique même du panpsychisme « restreint » ( Essays, pp.263-67). Strong est toutefois très conscient que la généralisation de la thèse panpsychiste à tout l’organisme paraît être un argument décisif contre elle. Lorsque nous tentons


« …la traduction des faits neurophysiologiques en termes psychiques, nous nous confrontons aux plus graves difficultés[…] Si les difficultés de la traduction sont grandes dans le cas des cellules et des centres en repos, combien plus grandes sont-elles lorsque nous tentons de calculer la forme psychique correspondant à l’approvisionnement sanguin et à l’oxygénation – proches auxiliaires de la conscience ; aux tissus-supports ; aux fonctions contributives non cérébrales ! » Origin, p. 248).


On comprend pourquoi la méthode « physiologique » -- selon laquelle la structure cérébrale doit fournir le plan de base de l’esprit -- est essentielle pour Strong, puisqu’elle permet de traduire les faits neurophysiologiques en faits psychiques. Si nous supposons que


«… les feelings sont l’existant ou une partie de l’existant qui apparaît comme processus neural central » (Essays, p. 13),


nous pouvons alors légitimement transférer les relations observables « de l’apparent au réel ». 


3/ La psychologie évolutionniste de Strong : la théorie « véhiculaire » de la cognition21 


L’ambition de Strong était de constituer une théorie évolutionniste de l’origine de la conscience, ou de la « cognition » qui pour lui en est la face objective. Ce sera la théorie « véhiculaire » de la cognition22, qui vise à répondre à la question suivante : comment des états internes à l’organisme – ou à ce qui apparaît comme organisme – peuvent-ils être perçus par celui-ci comme extérieurs . C’est la conscience ou « awareness » commefonction de « transcendance ».

La perception consciente est « la vue de l’intérieur » de la cognition23. Certains états psychiques, en eux-mêmes  non cognitifs, acquièrent une fonction cognitive d’ « awareness » en vertu des relations externes par lesquelles ils deviennent « véhicules » des données des sens, mais en eux-mêmes ce sont des états de sentience, et non des états de conscience. Les états psychiques deviennent cognitifs lorsqu’ils sont « employés » comme véhiculesdu « mode de donation » ( givenness) du donné. Ce donné est en lui-même – c’est-à-dire indépendamment du fait d’être donné – ce que Strong, après Santayana, nomme une essence, qu’il concevra d’abord comme universelle, puis finalement comme particulière, puisqu’il faut attribuer au datum une localisation spatio-temporelle : l’ « essence » qui s’y révèle ne peut plus alors être universelle.

La conscience est une fonction « transitive » de certains états du moi – elle n’est jamais, comme nous verrons, une fonction « réflexive ». Pour survivre, l’animal doit être en « contact » avec les objets extérieurs et avec ses états internes. Le mécanisme de cette « cognition » est la projection « intentionnelle » ou fictive de certains états psychiques là  où ils ne sont pas, projection qui résulte du fait que la réaction ou « intent » de l’organisme évoque pour celui-ci les actions appropriées, non à l’état psychique lui-même, mais à l’objet extérieur ou au corps propre. Cette  projection  est le donné, qui n’existe donc que comme donné au sujet ou moi, et cette relation est la conscience. Mais cette relation, comme « mode de donation », n’est pas elle-même donnée.

La question est comment est engendré ce donné à partir de certains états du moi, états qui, comme tous les états psychiques, ont un caractère commun d’ « attention vivante »[vivid] – un équivalent serait l’ « élan vital » de Bergson, mais Strong lui préfère finalement l’ « animation » de Spinoza. C’est à quoi répond la théorie « véhiculaire » : les états psychiques, véhicules de la perception des sens, transmettent une essence, c’est-à-dire, la font apparaître – c’est la fonction de la conscience. Comme ce qui est donné est la chose elle-même telle qu’elle apparaît, on peut aussi dire que ce que transmettent les états psychiques est la chose extérieure, et que la perception met le moi en « contact » avec celle-ci.. L’état psychique, qui porte l’ « empreinte »[impress] de l’objet, est « employé » pour le signifier, il en devient le symbole, mais c’est parce que d’abord il en est l’index. L’évolution de Strong le conduira à considérer, non plus que l’objet est donné comme essence, mais qu’il est donné par une essence

L’état psychique n’est conscient que comme véhicule d’une visée de l’objet, d’un « intent », c’est-à-dire seulement comme symbole de l’objet. Cette visée  est une action, un comportement (ou l’ébauche d’un comportement) qui est cause du fait qu’un état interne du moi, ou plutôt le fantasme qu’il engendre, apparaisse à ce dernier comme extérieur. Ce fantasme est le donné objet d’intuition : l’action fait surgir en apparence à l’extérieur les données des sens en simplifiant et projetant les états de sentience. L’awareness primitive est ainsi intuition d’une donnée projetée sur les choses extérieures par l’acte d’ « intention ». Cette donnée possède toujours une intensité, une luminosité, qui en est l’être temporaire, et qui révèle la nature du moi. Cette luminosité est en réalité

 

« …l’être de la sensation employée comme un signe – car les données des sens, comme la lune, ne brillent pas par leur lumière propre » (Essays, p. 17). 

 

Alors que les feelings sensoriels  véhiculent  une essence « prédicative », les feelings musculaires  véhiculent eux la référence à l’objet, l’ « intent ». Les données des sens sont ainsi lesfeelings extériorisés ou  projetés, et modifiés du fait de cette extériorisation ou  projection . Par exemple, la structure atomiste des feelings élémentaires sera transformée dans les données des sens en qualités inanalysables comme les couleurs 24.

C’est pourquoi la perception des sens est directe : il y a contact ou  acquaintance avec les choses extérieures. Mais, comme ce contact implique une projection des feelings sous la forme des données des sens, nous nous imaginons avoir une intuition des choses extérieures au lieu des données des sens. La perception des sens est donc à la fois directe et « précaire » : elle ne saurait nous donner qu’une intuition virtuelle du monde extérieur :


«  La perception est un contact [acquaintance] faillible et, pour autant qu’elle soit vraie, une intuition virtuelle » ( Essays, p. 104). 


L’essentiel est ainsi le couplage de l’intuition et de l’ « intent », deux notions que Strong, on l’a vu, doit à Santayana. ( Essays, p.92 n.1). Cette intuition, c’est-à-dire le « mode de donation » 25concerne directement la donnée et est ce qui demeure si l’on 


«…élimine de la perception l’aspect de l’ intent ou référence au réel extérieur, et ne considérons que ce qui est une donnée effective des sens -- ce qui est « évident », comme dit Santayana » (p. 97).


La perception des sens est celle de l’objet, mais l’intuition toujours celle de la donnée. Cette perception des sens est partiellement inadéquate parce qu’elle ne présente pas les choses extérieures dans leur nature intrinsèque, c’est-à-dire apparentée au psychique. Il y a, dit Strong, 

« …une disparité entre la chose perçue et le système neural par lequel elle est perçue », de sorte que la perception des sens nous laisse croire que les choses extérieures n’ont pour être intérieur que la force :


« Ainsi surgit la conception de ce qui est purement physique comme antithétique du moi non seulement dans son arrangement mais dans sa nature intrinsèque » (p. 118).


Pourtant, si tout existant est composé de feelings, on pourrait penser que les « véhicules » de la perception, eux-mêmes constitués de feelings, lui sont bien apparentés, et que la disparité dont parle Strong ne concerne que les systèmes neuro-sensoriel et neuro-moteur qui nous le font percevoir, puisqu’ils sont l’apparence physique des états de sentience. Mais Strong maintient que la chose extérieure est présentée dans la perception des sens par un état du moi 


« …si différent de la chose réelle dans sa constitution, que la connaissance qu’elle[ la perception] permet d’en prendre est nécessairement largement symbolique » (p. 117).


Les feelings sont au plan évolutif d’abord employés pour « signifier » les choses extérieures en engendrant les données des sens, et seulement ultérieurement dans l’évolution, objets possibles d’intuition interne. En ce cas, les  véhicules qui les transmettent, étant eux-mêmes des feelings, révèlent adéquatement leur objet, via la donnée de l’intuition. La fonction primitive des feelings n’est d’ailleurs pas leur emploi dans la perception elle-même, mais dans la « référence indicative ». Comme ces impressions co-varient avec leurs causes externes, elles indiquenten conséquence la nature et position de celles-ci. Cette « référence indicative » est l’élément primitif de la relation « cognitive », mais elle n’est pas seulement physique, elle est aussi « sentie » puisque les stimuli musculaires et kinesthésiques, orientées vers l’objet extérieur, donnent à l’animal les feelings correspondants. Parce que l’attention de l’animal

 

«…n’est pas dirigée vers l’impression sensorielle elle-même, mais est entièrement monopolisée par l’existant extérieur qui en est la cause, ce qui lui apparaît et lui devient présent de façon sensible ne seront pas les caractères subjectifs de cette impression sensorielle, mais les caractères objectifs qu’elle lui permet de supposer dans sa cause externe » (p. 22). 


Ainsi les sensations, objets possibles de l’intuition interne, sont d’abord et avant tout véhicules de la perception des sens – et, pour les animaux primitifs, ne sont d’ailleurs que cela.

En elle-même purement interne, la sentience visuelle acquiert ainsi la fonction de transmettre ou présenter les choses extérieures, en se transformant, par « simplification » et par « projection » en données des sens : 


« …la sentience visuelle révèle l’extérieur mais demeure elle-même dissimulée, comme feeling, mais en aucun cas comme fait ».


Car cette révélation


« …est si liée au feeling qui la produit, que celui-ci apparaît lui-même comme extérieur » (p. 7).


Toutes les données ont une sorte d’être particulier, leur « évidence » [obviousness], par où il faut entendre


«  …l’être de ce qui est évident (quelque chose de donné) »,


et non pas une évidence pour le moi, une relation non donnée. Ce caractère doit être une contribution du moi lui-même : cette


« …évidence est produite par l’emploi des feelings…c’est-à-dire par le fait que nous réagissons comme si un feeling qui porte l’empreinte d’une chose extérieure était la chose. L’évidence, en bref, est la nature du moi projeté » (p. 37).


Ainsi, dans la perception comme dans l’introspection, l’objet est présenté ou transmis sous la forme d’un substitut, le donné (given ) ou la donnée (datum). Cette dualité du donné et de l’objet permet d’entrevoir que l’objet de la perception des sens soit moins physique qu’il le paraît et que celui de l’introspection soit moins mental qu’il le semble. Dans ce dernier cas, en effet, les éléments de sentience composent bien une étendue spatiale, comparable à celle du cortex cérébral qui est la manière dont cette sentienceapparaît à la perception des sens.


4/  La psychologie naturaliste de Strong : l’introspection du psychique


Dans l’introspection, la donnée de l’intuition n’est pas l’état psychique lui-même, c’est-à-dire le feeling. Celui-ci peut exister – et existe en fait – sans être objet de conscience : lorsqu’il le devient, c’est toujours par l’intermédiaire d’une donnée d’intuition – et, en ce cas, d’une donnée de sensation 


« Cette conception rend possible le fait que les sensations visuelles, auditives ou tactiles existent en nous non perçues lorsqu’elles sont nos moyens de percevoir les objets »26.


Comme nous confondons aisément les sensations comme données d’intuition et les sensations comme états du moi, il nous semble qu’une sensation non ressentie est une notion contradictoire. Cette confusion a engendré la notion d’état de conscience, c’est-à-dire d’un état psychique tel qu’il n’existe pas sans conscience, soit qu’il soit en quelque manière réflexivement  conscient de lui-même , soit que le sujet de cet état en ait nécessairement conscience. Strong rejette ces deux possibilité: la notion traditionnelle de conscience 


« …sous-entend que la pensée, hormis d’avoir un objet, disons, dans le monde extérieur, a aussi elle-même pour objet secondaire[…] Aucun feeling, au moment où il existe, n’est conscient de lui-même. Cette absence de conscience de lui-même ne l’empêche pas d’être un feeling – c’est-à-dire d’être ce que découvre l’introspection, et d’avoir la nature que découvre l’introspection »27 .


Notre illusion est de croire que


« …ce dont nous avons conscience et notre conscience de cette chose sont donnés ensemble en un unique datum »,


alors qu’en fait il n’y a rien


« …qui soit à la fois ce dont nous sommes conscients et notre conscience de cette chose »(pp. 296-7). 


En réalité il y a des états psychiques, 


« c’est-à-dire des états qui sont parfois conscients d’autres choses, et dont nous sommes parfois conscients, mais qui ne sont jamais conscients d’eux-mêmes » ( Origin, p. 207). 


Les feelings en eux-mêmes ne doivent pas être conçus en terme de conscience [awareness] :

« …la conscience est une fonction externe, qui toujours (même dans l’introspection) transporte le moi connaissant au-delà de l’état par lequel il connaît, et dans la présence de l’objet, quel qu’il soit, qui est connu »(p.302). 


C’est ce que Strong nomme la conception « transitive » de la conscience. Les états internes par lesquels nous sommes conscients – les états de feeling, qui ne sont jamais donnés en même temps que ce dont ils nous donnent conscience – demeurent ce qu’ils sont indépendamment de leur fonction , comme « véhicules », de transmettre un objet pour le sujet. Cette différence entre état et fonction des processus psychiques est parallèle à celle entre état et fonction de leurs corrélats « apparents » -- les processus neuraux, en eux-mêmes « simple danse d’atomes » », mais dont la fonction finale est d’ajuster l’organisme aux objets extérieurs.

L’état subjectif lui-même n’est pas donné, il est  ce qui donne le « datum » ou « given » . Comme Strong y insiste toujours, le « mode de donation » n’est pas donné (givenness is not given) : il est la « donation » non donnée du donné, et dans la donnée de la conscience, celle-ci n’apparaît pas. La fonction transitive de la conscience est d’illuminer l’objet via le donné, mais elle ne s’illumine pas elle-même, tout comme les états de sentience sont en eux-mêmes non ressentis.28. Toute conscience est donc une relation « bi-polaire » entre le moi et ce qui lui est présent, mais elle n’apparaît jamais donnée elle-même. Cette relation 

« …étant une transcendance de l’espace ou du temps, ou des deux à la fois, par notre vie propre, est essentiellement non physique dans sa nature » ( Essays, p. 123).


Elle ne peut donc pas être réduite à quelque chose de plus fondamental :


« Ce que nous entendons pas « conscience » est cette relation de symbolisme en tant qu’exercée par un état psychique. Cette théorie n’analyse pas la conscience en quelque chose de plus simple – car le mode de donation [givenness] demeure toujours le mode de donation, une conception ultime » ( Origin, p. 123).


Strong distingue ainsi « l ’âme », c’est-à-dire le moi dont la nature est sentience, et « l’esprit »[mind] comme


«… la totalité des fonctions de transcendance de soi par lesquelles l’âme a conscience de son environnement » ( Essays, p. 233).


Cette spiritualité des fonctions de transcendance de soi, qui sont l’ « esprit », doit pourtant avoir une origine naturelle – et donc pouvoir être « naturalisée »-- et c’est justement les mécanismes de l’ « âme », qui apparaissent à la perception des sens comme mécanismes sensori-moteurs, qui doivent donner cette explication.

Toute conscience est ainsi transcendance comme présentation (givenness) de l’espace, dans la perception, ou comme re-présentation ( re-givenness )du temps, dans la mémoire – la première étant conscience d’une présence et la seconde d’une absence 29 -- et cette transcendance


« …doit être entièrement expliquée au moyen de réactions présentes à des feelings présents » (p. 194). 


Tel était le cas pour la perception des sens puisque


« …les éléments de sentience…en nous incitant à répondre comme si la cause extérieure était là, nous permettent non seulement de viser [intend] cette cause, mais aussi de décrire son caractère – la donnée des sens étant la description que la sensation, lorsqu’elle est employée comme signe, nous donne de la chose extérieure » (p. 192).


Pour ce qui est de la conscience représentative, il faut expliquer la référence au passé ou au futur via un datum « imageant » , en employant un mécanisme, analogue à celui de la projection (apparente) dans l’espace pour la perception des sens, celui d’une projection temporelle :


« …notre théorie …admet seulement des processus neuraux présents, qui dans leur nature intrinsèque sont des feelingsprésents » (p. 204),


pour rendre compte de la référence transcendante au passé ou au futur. La donnée représentative de l’imagination a donc le même statut que la donnée présentative sensorielle dans la perception des sens et la donnée présentative psychique dans l’introspection :


« …une donnée des sens, selon notre théorie, présuppose un état de sentience à partir duquel elle est formée par simplification et projection ; et la même chose sera vraie de la donnée de l’imagination » (p. 195).


Mais la théorie de la conscience de Strong n’est pas seulement « fonctionnelle », elle est aussi « sensori-motrice » : ce seront en fin de compte 


« …les sensations musculaires qui sont une révélation de l’acte inobservable de la conscience »(p. 246).


Nous savons que l’ « âme » est composée d’autant de parties qu’il y a en elle d’éléments de sentience, et autant de parties en elle seront activées qu’il y a de parties dans la donnée de conscience, que cette donnée soit présentative ou représentative, par exemple quand nous avons conscience du champ visuel – c’est-à-dire de la donnée des sens complexe -- comme consistant en parties unifiées en un tout. Or, toute appréhension d’une donnée implique un acte d’ « intent », d’ « intention », qui est avant tout d’ordre musculaire, et cela doit être vrai aussi pour la donnée représentative et la conscience, non plus d’une présence, mais d’une absence : la théorie « sensori-motrice » de la conscience devrait pouvoir expliquer 


« …toute la pensée au moyen de liaisons entre processus dans l’intégralité des arcs sensori-moteurs »(p. 225).


En effet le moi – ou plutôt certaines parties du moi – ne peut engendrer les données de conscience que par des mécanismes non conscients que Strong qualifie d’ « instinctifs ». La sentience ou sensation au sens de Strong30 est intrinsèquement non consciente, mais elle doit être d’une nature telle pour le moi


« …que les choses extérieures puissent lui apparaître dans la perception et qu’il puisse s’apparaître à lui-même dans l’introspection » (p . 193). 


C’est ce dernier point qu’il nous reste à considérer.


La dernière pièce du savant assemblage de Strong est en effet l’élément majeur de l’introspection, et elle semble à première vue l’aspect le plus discutable de sa théorie naturaliste de la conscience. L’emploi que fait Strong du terme de « conscience » avait été remarqué à son époque, par exemple par Samuel Alexander31, et il est directement inspiré de James32. L’état subjectif n’est plus « auto-illuminant » ou self-intimating, mais, si l’on peut dire, obscur à lui-même. La conscience, l’ awareness , est une fonction, spirituelle et non physique comme nous avons vu, de  transcendance  ou de  référence  à l’objet par laquelle un état subjectif, une fois  projeté  et  simplifié , devient le  datum  ou given , substitut de l’objet qu’il transmet dans sa fonction de  véhicule .Cette donnée  est donc un état de sentience simplifié et projeté – ou, dans l’introspection « introjeté » -- qui est « référé » à une chose extérieure – ou, dans l’introspection, à un état du moi — par des mécanismes moteurs et les sensations kinesthésiques corrélées, lesquelles revêtent les sensations précédentes


« ….d’une signification ou leur permettent de produire un effet extérieur » ( Essays, p. 235).


Mais la conscience est plus que l’  awareness primitive, elle est aussi le sens d’être conscient :


« Le sens d’être conscient n’est pas la seule existence de la conscience [awareness], mais la conscience que nous sommes conscients – la réflexion qu’il y a une relation entre le champ [de conscience] et nos feelings (chacun alternativement saisi cognitivement [cognized] ) telle que nous soyons conscients du champ » ( Essays, p. 270). 


C’est là une conscience « élevée à la seconde puissance » (p. 272), produite par la réflexion, et qui présuppose l’introspection du « moi sentant » -- ce moi sentant qui n’est autre que 


« …l’existence psychique entière qui réagit et s’ajuste elle-même » ( Origin, p. 246). 


Il en va de même pour la dimension temporelle du champ de conscience qui, du fait de l’emploi introspectif de la mémoire immédiate, « recule » dans le passé : seule l’introspection la fait apparaître. Ainsi naît la « plénitude » de la conscience : 


« …notre sens d’être conscient de tant de choses – non seulement du champ visuel, mais aussi de la signification des objets qui y sont présents , et, entre autres, qu’ils impliquent un moi qui les voit » (p. 246).


Ce qui semblait inexplicable n’est donc pas


 « …la conscience existante, mais la conscience connue – la conscience du fait de la conscience »(p. 272).


De plus, le champ de conscience comme « essence totale » contient aussi les objets de pensée, qui sont des données non perceptives, mais également non introspectives : les objets de pensée sont toujours objets d’intention 


« La pensée a partout affaire au visé [intended] » ( Essays, p. 223). 


Mais, nous le savons, toute « intention » ou visée consciente d’objet,  transcendante dan sa fonction,


« …doit être entièrement expliquée au moyen de réactions présentes à des feelings présents »(p. 210), 


c’est-à-dire par des mécanismes moteurs. Ces réactions motrices « au sens large » incluent la réaction de l’attention, la réponse pratique ou comportement, la réponse émotionnelle et enfin la réponse associative. C’est la conjonction de ces réponses « motrices » qui permettent de désigner sans ambiguïté la chose pensée. L’image, comme donnée de conscience, disparaît presque entièrement, et sa fonction représentative est prise en charge par ces mécanismes de réaction :


« …la réaction peut en venir à jouer un si grand rôle en définissant l’objet de pensée, que l’image s’évanouit pratiquement de la conscience » (p. 198).


Lorsque nous avons conscience d’un acte psychique, par exemple de l’acte de voir, 


« …ce dont nous avons conscience… n’est pas de l’acte de voir, mais de la sentience visuelle qui est le sujet (ou la partie concernée du sujet) de cet acte »(p. 37).

Nous avons donc conscience en réalité du sujet de cet acte, c’est-à-dire des états de sentience qui en constituent l’être. La sentience est


 « …ce par quoi les choses sont apparentes – non pas seulement dans la perception et l’introspection, mais également dans la mémoire, l’anticipation et la pensée. Mais c’est seulement dans l’introspection que cette sorte d’être est discernée comme ce par quoi les feelings existent et ont droit à ce nom » (p. 259).


En effet, 


« …l’idée de sentience est dérivée seulement de l’introspection » (p. 257),


c’est-à-dire des sensations qui, comme « modes du feeling », ont en commun une nature, « une même sorte d’être » . Cette sentience, contrairement à la conscience, est donc existante et observable et elle constitue ce que nous prenons pour  l’état de conscience  (distinct de ses objets), sa « diaphanéité » ou « transparence », 


« …cette intensité ou vivacité [vividness] que les choses acquièrent par l’attention » Origin, p. 142).


Mais ce caractère psychique est celui de la sensation ou de l’image mentale, non comme sentie (ou consciente) mais comme sentante ou sentir, surexposée en quelque sorte par l’acte d’attention . Celui-ci engendre un accroissement de vivacité et d’intensité des objets de conscience, qui nous donne l’illusion d’observer la conscience en elle-même. Pour saisir cognitivement cet acte d’attention, il faut un acte subséquent d’introspection, mais ce qui est alors saisi


« …n’est évidemment pas la conscience, mais seulement l’état psychique ou un élément de l’état psychique qui est le véhicule de la conscience »(p. 145).


Cet accroissement d’intensité et de vivacité est facilité par les ajustements moteurs et les sensations corrélées impliqués dans le mécanisme neurophysiologique de l’attention : ce sont donc les sensations musculaires liées à l’attention qui engendreraient ce caractère diaphane et transparent supposé appartenir à l’observation de la conscience en elle-même. 

Les feelings saisis cognitivement sont, pour Strong comme pour Bergson, une 


« …sommation d’une infinité de parties instantanées par la mémoire primaire »,

et leur « véhicule » est l’image mémorielle primaire mais

« …dans la mémoire primaire l’objet est pratiquement présent – puisqu’il nous est présenté par des images mentales aussi vivantes que les sensations » (p. 201).


L’attitude motrice doit donc être semblable à celle de la perception des sens, mais dirigée vers l’intérieur et non plus vers l’extérieur. Comme le feeling est transmis par une image mémorielle primaire qui en conserve la vivacité, celle-ci est parfaitement adaptée pour donner un « extrait » -- une notion que Strong ici encore reprend de Bergson33 – du feeling lui-même. Cette réverbération du feelingdans la mémoire primaire, que rend possible le changement d’attitude motrice lié à l’introspection, serait ainsi la réalité de ce que nous croyons saisir comme transparence ou diaphanéité de la conscience. 

L’introspection du psychique est, nous le savons, la clé de voûte du panpsychisme : elle seule nous fait accéder à la réalité intrinsèque des choses :


« …l’être réel d’une chose perçue, en tant qu’existant autre que le moi, ne peut être décrit [pictured], mais peut seulement être objet d’intention [intended] ou signifié » Essays, p. 16).


Car si le donné de la perception des sens reflète toujours quelque chose de l’aspect vivant des états de sentience qui le transmettent, cet aspect n’est  connu comme tel que dans l’introspection :


« En tant que projetée, cette sentience forme l’être apparent des objets et, lorsque nous percevons sans introspection, nous oublions ou ignorons sa nature comme sentience : lorsque nous tenons compte de cette nature, nous reconnaissons que c’est nous-mêmes qui percevons » (p. 120). 


Dans l’introspection seulement nous prenons « contact » avec la réalité en soi des choses : elle nous montre 


«… au moins en un point de l’univers, comment est la réalité » ( Origin, p. 234).


Le problème, comme Strong le reconnaît, c’est que cette faculté d’introspection n’apparaît pas explicable en termes évolutionnistes – ce qui, pour le moins, est une difficulté pour une théorie naturaliste-- : l’introspection est


« …une application artificielle du mécanisme de la perception des sens à un nouveau type d’objet »(p. 234). 


C’est là ce qui pourrait expliquer que Strong, dans son dernier ouvrage, n’emploie plus le terme d’introspection et lui substitue celui de perception interne. Or, précédemment, la perception interne était bien reconnue par Strong, mais elle n’était pas identifiée à l’introspection. Au contraire, elle correspondait à la perception des sens interne, et, à ce titre, était absolument nécessaire à la survie de l’organisme, contrairement à l’introspection.

Dans l’ouvrage de 1918, Strong caractérisait la perception des sens interne comme perception du psychique sans introspection – une fonction éminemment explicable au plan évolutif !-- : elle était la sensation sentie et, en ce sens, était 


« …proprement conçue comme perception des sens interne »(p. 81). 


Elle concernait les états psychiques « non cognitifs » de plaisir, de douleur, d’émotion et de volition, tous résolubles en sensations et images –ou sensations « faibles » --, lesquelles peuvent être comprises comme « cognitions » de processus intra-corporels. Les sensations corporelles ont évidemment pour fonction de permettre l’ajustement de l’organisme à des états intra-corporels , comme la perception des sens externe a celle de l’ajuster aux états de l’environnement. D’ailleurs, note Strong, les deux formes de « cognition » sont fréquemment conjointes. Mais les sensations composant les émotions et volitions sont différentes : elles ont cette intensité ou vivacité caractérisant « une quantité de vie psychique ». Il faut donc distinguer 


« …les sensations en lesquelles ont été résolus les états affectifs et conatifs [ et] les sensations qui sont  cognitions  des états intra-corporels »(p. 85).


Ces dernières ont à coup sûr une fonction évolutive, mais Strong admet que les premières n’en ont apparemment pas . C’est là l’introspection 


« comme simple cognition des états psychiques » ou « perceptions de nos états internes »(p. 195), 


qu’il faut donc distinguer de


« …la cognition des processus [events] ayant lieu à l’intérieur du corps […] évidemment aussi utile à son possesseur que la perception des sens »(p. 202).


Nous croyons qu’il fallait maintenir cette distinction, faute de laquelle la théorie naturaliste de Strong s’orientait évidemment vers le réductionnisme. Dans ses derniers textes, il distingue seulement perception externe et perception interne, et les traite quasiment à égalité, l’une et l’autre faisant connaître leurs objets – respectivement les choses extérieures et les états sensibles et émotionnels du moi – via un substitut « fantasmatique » qui est la donnée de conscience. C’est que sa théorie « sensori-motrice » de la conscience est devenue au fil du temps plus nettement behavioriste , de sorte que l’introspection lui serait apparue, comme nous disons de nos jours, insuffisamment « naturalisable » -- puisque évoquant encore la « transparence » ou « diaphanéité » de la conscience reconnue par G.E. Moore et les réalistes dualistes.

C’est en effet dans un article de 1905 que Strong – idéaliste convaincu à cette époque – avait tenté de réfuter la fameuse analyse de Moore visant à distinguer introspectivement entre la sensation et la conscience de celle-ci, conscience qui se manifesterait alors justement par sa « diaphanéité » et sa « transparence ». Selon Strong, il est impossible de distinguer entre la qualité sensible et l’élément de conscience lui-même : les « pouvoirs logiques hors-normes » de Moore n’excusaient pas un manque d’introspection . En réalité, nous sommes directement en « contact » avec nos états de feeling, ils sont éprouvés  : 


« …dans le feeling nous sommes immédiatement conscients de la nature concrète du feeling lui-même »(p. 180).


La conscience n’est plus alors seulement transparente et « diaphane », elle devient comme telle absolument invisible . Mais peut-être était-ce, non le « logicien » Moore, mais le psychologue « rationnel » Strong lui-même qui avait manqué ici de pouvoirs, sinon introspectifs, du moins phénoménologiques, car il semble bien que la présence sensorielle, affective ou mentale que donne la conscience soit  ipso facto conscience de cette présence phénoménale, même si seules sont données à la conscience la pensée, la sensation ou l’affection elles-mêmes.


5/  La cosmologie rationnelle de Strong


« Notre thèse sera celle de Spinoza, que omnia quamvis diversis gradibus animata sunt »34


Comme chez Leibniz, c’est pour Strong la nature du moi qui doit fournir la clé de la réalité. Comme toute la nature, le moi est « animation », sentience aveugle dans son actualité, et force persistante dans sa potentialité :


« Le feeling qui est non conscient, et la force qui est éternelle, sont…les deux constituants formant ce que nous percevons comme matière »35.


Comme l’atomisme physique dont il est la traduction, l’atomisme psychique peut et doit se généraliser : le substratum de toute la nature est ainsi constitué par les éléments infinitésimaux d’une sentience universelle. Ces éléments de sentience sont tels


« …que nous avons deux modes d’accès à leur égard, deux conceptions divergentes de ce qu’ils sont » ( Essays, p. 39). 


Mais nous ne pouvons avoir ce double accès cognitif que dans la situation très particulière précédemment décrite où le sujet observe ses propres processus cérébraux – dans tous les autres cas, notre seul mode d’accès aux choses extérieures est la perception des sens. Il faut donc que cette dualité leur soit en quelque sorte inhérente. Mais alors, le double aspect devient ontologique : ce n’est plus alors un double accès. C’est ce que devrait justifier le passage à la physique et à la cosmologie.

Strong note que 


« … la physique ne tente pas de définir la nature intrinsèque de l’existant qu’elle nomme énergie, mais seulement de décrire les relations entre ses parties »(p. 3).


 Elle réhabilite ainsi d’une certaine façon la distinction entre les choses telles qu’elles apparaissent et telles qu’elles sont en soi.. Il y a donc un sens


« où seule existe la matière…Car seule la matière est force. Mais elle n’est pas seulement force, elle est aussi lumière. Je ne veux pas dire la lumière physique … »36.


Cette « luminosité » de la matière est le flux psychique qui en est l’être en soi, essentiellement spatial, dont les constituants ultimes sont les « sensations-forces » occupant chaque « point-instant »37.

La cosmologie de Strong emprunte beaucoup à Leibniz – même s’il se réclame du monisme de Spinoza. C’est le cas pour sa théorie du point et de l’instant . La conception de l’espace comme infinité de points est issue, comme l’avait noté Broad, d’une considération parallèle du temps comme infinité d’instants. Si nous concevons durées et instants comme mutuellement extérieurs, les instants étant les bornes des durées infinitésimales – comme les points sont les bornes des extensions infinitésimales --, nous nous heurtons au dilemme suivant :


« …nous sommes forcés soit de cantonner le réel dans les instants, et ainsi de le priver du bénéfice de durer, soit de le cantonner dans les durées, et alors de le priver du pouvoir d’être présent » ( Essays, p. 132).


Mais ce dilemme renferme un sophisme, qui est de concevoir les instants (comme les points) comme des bornes, d’où le préjugé qu’on ne peut constituer le temps avec une infinité d’instants (ou l’espace avec une infinité de points).

Mais, en réalité, la relation « à côté de » ou « le plus proche »[nextness]38 est

« un lien qui unit, non une borne qui sépare »(p. 136) : 

elle définit les « jonctions » entre instants (ou entre points). Appliquons cette conception à l’espace, alors


« …si ce qui est réel peut et doit exister dans les instants, malgré l’absence en eux de durée, pourquoi n’est-il pas concevable que, dans le cas de l’espace, ce qui est réel soit dans les points ? »(p. 135).


La véritable division du temps ( et de l’espace) se fait aux« jonctions » (entre instants ou entre points) : si donc temps et espace sont infiniment divisibles, une infinité de divisions aboutirait à des points sans extension et à des instants sans durée. Mais chaque vraie division en une « jonction », parce qu’elle supprime la continuité entre instants (ou entre points) en cette jonction, est déjà un processus d’abstraction par rapport à la continuité de cette durée (ou de cette extension). Bergson a donc raison de concevoir le continu comme indivisible, conception avancée


« …en fait seulement pour le temps mais sûrement applicable à l’espace […] au sens où ses parties ne sont pas séparables les unes des autres sans détruire la continuité réelle »(p. 137).


Comme les séries de points constituent l’espace, une série d’instants constitue le temps. Mais, tandis que l’extension minimale est entre deux points existant simultanément, la durée minimale est entre deux instants existant successivement, et il semblerait alors que la jonction entre deux instants ne puisse pas avoir lieu. Mais c’est là demander que le temps soit lui-même dans le temps. En réalité, la relation temporelle de « nextnes »s ne peut être qu’une séquence. De même donc que l’extension minimale consiste en deux points adjacents ou contigus, la durée minimale consiste dans la séquence immédiate de deux instants ou présents successifs.

La durée est donc essentiellement relationnelle et les termes en sont les instants. Strong applique alors le même raisonnement à l’espace : toute extension est une pluralité de « locations », et la réalité doit résider dans chaque « location » ou point. Mais les points constituant l’espace ne sont que formels : leur réalité ne peut consister que dans des distributions d’énergie. La sentience peut alors être identifiée à l’énergie potentielle en chaque point à un instant, ces unités d’énergie se déplaçant de points en points joints par la relation de « nextness » , chaque potentialité s’actualisant à chaque nouvel instant. C’est la doctrine du synéchisme de Peirce. Mais Strong a reconnu que son analyse de l’espace était très imparfaite — sinon incorrecte, comme Broad le maintenait. Car,


« …comme le temps est supposé être uni-dimensionnel ,il n’y a là rien d’analogue au cas d’une pluralité de lignes dans diverses directions…Même si la théorie du Prof. Strong pouvait être acceptée pour le temps, cette différence entre l’espace et le temps est fatale à son application à l’espace »39.


C’est que le génie de Strong était celui d’un psychologue rationnel, comme le qualifiait Santayana40, même s’il eût voulu aussi être cosmologue rationnel. Santayana notait également (p.596) qu’après avoir perdu sa foi chrétienne, Strong 


« …avait transféré sa totale conviction dans la Révélation au naturalisme et à l’évolution darwinienne ».


Dans son dernier livre, en effet, Strong indiquait avoir très tôt pensé que


« …si je pouvais expliquer l’origine de la conscience comme [Darwin] a expliqué l’origine des espèces, je complèterais la théorie de l’évolution et rendrais service au monde » ( A Creed for Sceptics, p. v).


Et, de ce point de vue, il nous semble que sa réussite reste exemplaire.


1 Une excellente présentation se trouve dans Krzysztof Piotr Skowronski, « C.A.Strong and G.Santayana in Light of Archiv Material », Overheard in Sevilla, Bulletin électronique de la société Santayana, vol.24, 2006.


2 Charles Augustus Strong, Why the mind has a body, NewYork, MacMillan, 1903.


3The Origin of Consciousness, Londres, Macmillan, 1918, p.12 (abrégé Origin). Le monisme psychophysique sous ses trois formes est nommé par Strong « cosmologique » pour le distinguer du monisme « ontologique » : non pas une seule réalité, celle du Tout, mais une seule nature de la réalité. 

4 Fortnightly Review ,1874, repris dans Lectures and Essays, Leslie Stephen et Frederick Pollock eds. vol.2, Londres, Macmillan, 1879.

5 Fortnightly Review, 1875, repris dans Lectures and Essays, vol.1.

6 Mind, vol.3, n.9, 1878, pp.57-67, repris dans Lectures and Essays, vol.2. C’est, dit Strong, « …l’essai fondateur du mind-stuff , évangile des adhérents ultérieurs à la doctrine », Essays on the Natural Origin of the Mind, Londres, Macmillan, 1930, p.254 (abrégé Essays).

7 La ressemblance de l’idéalisme du mind –stuff de Clifford avec la philosophie de Schopenhauer avait été notée à l’époque. Voir, par exemple, Thomas Whittaker, « Mind-Stuff from the Historical Point of View », Mind, 1881, vol.6, 24, pp.498-513.

8 The Nature of Mind and Human Automatism, Lippincott, Philadelphie. Sur les théories psychologiques de Prince, renvoyons à l’excellent ouvrage de Dermot Cassey, La théorie de subconscient de Morton Prince , Paris, P.U.F., 1940.

9 “J’ai été beaucoup renforcé dans mes vues par mon contact très tôt avec le remarquable réaliste critique C.A.Strong ( à Fiesole en Italie, 1927 et 1928) », Herbert Feigl, de la physique au mental,. Bernard Andrieu dir., Paris, Vrin, 2006, p.14.

10 « Hughlings Jackson on the Connexion between the Mind and the Brain », Brain, vol. 14, 1891, pp.250-69, et “The Identification of Mind and Matter”, The Philosophical Review, vol. 13, 1904, pp.444-51. Les citations sont de ce dernier article. 

11 « Has Mr Moore refuted Idealism ? », Mind, vol.14, n.54, pp.174-89.

12 « The Sensori-Motor theory of Awarenesss », The Journal of Philosophy, vol.36, n.15, p.393-405.

13 Origin, p.12.

14 Mais en ayant oublié l’avoir lu dans l’ article de Prince de 1891 ( cité n.13). Cet « oubli » de Strong donnera bien plus tard lieu à un amusant échange entre les deux dans la revue Mind, Prince notant que sa théorie du subconscient expliquait très bien les choses. Strong reconnaîtra sa dette envers Prince dans Essays,, p .187, n.1.

15Raymond Ruyer, La conscience et le corps, Paris, P.U.F., 1937, p.8. Ruyer renvoyait aux Essays, où Strong, dans l’essai « The Soul and its Bodily Presentment », défendait le parallélisme “vrai” contre la critique qu’avait faite Bergson de tout parallélisme psychophysiologique , lors d’une communication orale en 1904, « Le parallélisme psychophysiologique » ( repris dans L’énergie spirituelle, Paris, P.U.F.,1919, sous le titre « Le cerveau et la pensée »). Strong dit avoir été présent à cette occasion et se rappeler du trouble et de la consternation qu’elle suscita parmi ses collègues français, dont beaucoup étaient parallélistes. 

16 Curt John Ducasse, Nature, Mind and Death, La Salle, The Open court, 1951, p.457, et The Belief in a Life after Death, Springfield, Charles Thomas, 1961, pp.81-99. Ducasse était lui-même favorable à la version biologique de l’hypophénoménisme, mais refusait son extension cosmologique. De même, Herbert Feigl, qui sympathisait avec les premiers écrits de Ruyer, mais critiquait son évolution vers un « néo-vitalisme spéculatif».

17 Nature, Mind and Death, p.457.

18 « …j’emploie le mot « sensation » pour les parcelles de sentience --…non, comme c’est l’emploi ordinaire, pour la conscience [awareness] d’une qualité …la conscience de la qualité est due à la simplification et la projection d’un état de sentience » (p.67, n.1).

19 Par exemple, dans son dernier ouvrage, A Creed for Sceptics, Londres, Macmillan, 1936, à quelques pages d’intervalle, Strong écrit que « Seul l’organisme comme tout, ou moi, est ce qui voit » (p.42) et «  Ce qui nous engage à l’atomisme est, bien sûr, le fait que l’âme ou moi apparaît comme le cerveau » (p.45).

20 Strong, il est vrai, préfère souvent dire « nervous process » plutôt que « cerebral process » et il est soucieux d’inclure dans sa théorie de la perception les processus afférents d’« imprinting » et les processus efférents d’« imputing »( A Creed for Sceptics, p.23).Mais même si le moi est l’ensemble de ce qui apparaît comme processus sensori-moteurs, il se distingue néanmoins toujours du reste de l’organisme, à moins que ce soit, et Strong le dit explicitement, l’organisme dans sa totalité qui soit, en fin de compte, l’apparence ou présentation du moi. 

21 Rappelons que « Cognition en anglais, comme cognitio en latin, traduisent l’un et l’autre l’action d’apprendre à connaître, le processus intellectuel qui permet d’acquérir la connaissance par la perception ou les idées » Marc Jeannerod, Le cerveau-machine, Paris, Fayard, 1983, p.224,n.9.

22 Il en avait donné une première version, nommée alors théorie substitutionaliste, dans un recueil d’essais dédiés à James, Essays Philosophical and Psychological, Longmans, Green and Co, 1908, pp.167-90. Mais cette théorie était « représentationniste » alors que toute l’évolution de Strong allait vers le « réalisme direct » et l’acquaintance ou « contact » avec la réalité.

23 A Creed for Sceptics, p.55: “Ce n’est pas la conscience…qui résulte de l’évolution, mais la cognition, dont la conscience – la présence de données fantasmatiques au moi – est seulement la vue de l’intérieur ».

24 Strong (Essays, p.30, n.2) revendique sa dette à l’égard des analyses de Matière et mémoire de Bergson, en particulier la notion de contraction ( « ..la « subjectivité » des qualités sensibles consiste surtout dans une espèce de contraction du réel, opérée par notre mémoire » Henri Bergson Matière et mémoire, 7ème éd., Paris , P.U.F., p.31. Origin renvoie aussi à Bergson p.200 n.1 : « Je dois à Bergson la présente conception de l’unité d’un feelingcomme étant due à la sommation mémorielle » et p.316, n.1 pour la notion d’extrait, mais , dit Strong, Bergson « …l’emploie pour exprimer la différence dans la perception sensible entre ce qui est perçu et la totalité de l’objet existant, alors que je l’emploie pour exprimer la même différence dans l’introspection ».

25 “”Intuition” est un nom pour cet aspect de la perception par lequel quelque chose est devant le moi de façon sensible – c’est un mot pour le « mode de donation »[givenness] de la donnée des sens » (p.93). .

26 A Creed for Sceptics, p.3.

27 Essays,, pp.302-3.

28 Santayana y fait allusion, avec son style insurpassable, dans The Realm of Spirit : l’esprit «  …peut être conçu analytiquement et dissous en une multitude – nulle part assemblés – de data séparés, ou une série de feelings chacun s’éprouvant lui-même, et aucun n’en éprouvant un autre. Ou, au lieu de data, qui après tout sont pensables et donnés, l’esprit peut être dissous en une substance inconsciente diffuse paradoxalement encore nommée feeling, de laquelle corps organiques et centres d’appréhension peuvent être composés » George Santayana, The Realm of Spirit , Londres, Constable, 1940, p.viii. 

29 Seule la première est donc acquaintance, « contact », avec l’objet dans la présentation perceptive, avec le moi dans la présentation introspective, la caractéristique de l’acquaintance « …étant que la chose réelle avec qui nous sommes en contact est effectivement  présente », ibid. p.192.

30 Rappelons que par sensation, il faut entendre, dit Strong, « …non pas une qualité sentie, ou l’expérience d’une qualité, mais l’état du moi, la portion de sentience, qui en évoquant le juste type de réponse motrice est cause que nous soyons conscients de la qualité » (p.193).

31 Alexander l’emploie pour signifier « …la qualité de l’acte mental ou l’acte mental lui-même. Mais il est souvent, et peut-être le plus souvent, employé pour la relation de l’esprit à son objet. Cet usage est adopté par Mr C.A.Strong dans son récent Origin of Consciousness…Il conduit toutefois au résultat problématique que soit nous n’avons pas conscience de notre propre esprit soit il est un objet pour nous », Samuel Alexander, Space, Time and Deity, Londres, Macmillan, 1920, vol.2, p.87, n.1.

32 William James,  Essays in Radical Empiricism, 1912, nouvelle impression, Cambridge, Harvard U.P., 1976, essai 1. Antérieurement au fameux essai « La conscience existe-t-elle ?», James avait proposé en 1885 une théorie de la « cognition » comme fonction qui a été fondamentale pour les idées de Strong : « La cognition, du point de vue de James, est une fonction externe exercée par le feeling », Essays , p.12, n.1. Strong note que « James, il est vrai, la propose [cette théorie] comme théorie de la cognition, non comme théorie de la conscience », Origin, p.130, n.1.

33 Voir n.24.

34 “L’être et le devenir”, Recherches philosophiques, Paris, Boivin, 1933-34, repris dans A Creed fot Sceptics, p.72.

35 A Creed for Sceptics, p.40.

36 A Theory of Knowledge, Londres, Constable, 1923, p.49.

37 Les « sensations-forces » sont l’expression en français qu’emploie Strong dans « L’être et le devenir ».

38 Strong reprend le terme et la notion des essais « Body and mind » et « The Unseen World » de Clifford.

39Charlie Dumbar Broad, Examination of McTaggart Philosophy, vol.1, Cambridge, The University Press, 1933, p.338.

40 « C’étaient des arguments rationalistes appliqués à des questions de fait, et ils impliquaient un dogmatisme conceptuel comme celui de Leibniz » , The Philosophy of George Santayana , Paul Arthur Schilpp ed ., Evanston, North Western University, 1940, p.597.

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