L’objet
intentionnel : attracteur étrange (*)
Jean-Maurice Monnoyer (2018)
Je parlerai surtout
dans ce qui suit — mais de manière assez générale et peu spécifique — de l’objet
intentionnel, parce que l’expression même d’« objet intentionnel »
peut sembler discutable et reste hautement contestée : elle pourrait,
selon certains interprètes, ne pas appartenir à une théorie de l’objet entendue
au sens strict ; selon d’autres auteurs, elle n’a de vraie portée qu’herméneutique
et présuppose les intuitions d’Avicenne et leurs reformulations chez Thomas d’Aquin.
Franz Brentano, qui a donné à cette dénomination un sens fort, aurait ainsi
laissé en friche un terrain ouvert à une certaine indétermination qui a provoqué
des réactions très diverses depuis sa grande Psychologie de 1874, tant chez ses élèves que chez ses adversaires,
à cause de l’emploi d’expressions comme objet
immanent, ou in-existence
intentionnelle (Inexistenz). Rappelons
le texte princeps maintes fois interprété :
Ce qui caractérise tout phénomène mental,
c’est ce que les Scolastiques du Moyen-âge appelaient l’in-existence
intentionnelle (ou encore mentale) d’un
objet, et que nous décririons plutôt, bien que telles expressions ne soient pas
dépourvue d’ambiguïté, comme la relation à un contenu, la direction vers un
objet (sans qu’il faille entendre par là une réalité [Realität]) ou encore une objectivité immanente. Tout phénomène
psychique contient en soi quelque chose à titre d’objet (Objekt), mais chacun le contient à sa façon.
Le lien entre Inhalt
(contenu) et Objekt est ainsi laissé
dans une sorte d’indécidabilité. Die Beziehung auf einen Inhalt (la référence
à un contenu) et Die Richtung auf ein
Objekt (la direction vers un objet) sont apposées et considérées comme équivalentes.
Mais il n’y a pas (littéralement) de référence à un objet, ni de direction vers
un contenu. L’objectivité immanente (Gegenständlichkeit,
dans le texte cité ci-dessus) constitue néanmoins le caractère intrinsèque déterminant
la phénoménalité du phénomène psychique, quel qu’il soit : perceptif, judicatif,
volitif ou affectif. Dans le même sens, est-il indiqué ensuite que l’objet (Objekt), auquel se rapporte ce sentiment
ou cette intention— par exemple le chagrin d’avoir perdu un ami, pour reprendre
l’exemple de Brentano — « n’est pas toujours » un objet extérieur (Gegenstand) (id. p.103). Le flottement sémantique
est semble-t-il voulu par Brentano lui-même, qui ne cesse pas toutefois de
rappeler que l’inexistence intentionnelle « se rapporte à un objet »
contre ceux qui prétendraient que tout est « subjectivement subjectif »,
par ex. la douleur et le plaisir (Hamilton). Par la suite, Brentano niera que la relation psychique
intentionnelle (intentionale Beziehung)
soit assimilable à une relation (Relation)
entendue au sens strict, puisque la pensée ne peut être en relation ou se référer
à quelque chose qui n’existe pas, ou n’est pas Real. Mais l’influence qu’il a eue dans l’intervalle (entre 1874 et
1901), bien que considérable, de suite a soulevé des interprétations problématiques,
entre elles souvent contradictoires, chez ses étudiants et disciples. Les
premiers sans doute qui aient compris à quel titre ce point était délicat sont
Meinong et Höfler, en 1890 : la citation de leur Logik, qui fait partie de leur Propédeutique
Philosophique, est bien connue. Ils distinguent alors le contenu,
qui est dans le sujet en tant que s’y reporte l’acte du jugement, et l’objet existant en soi (an sich bestehende) sur quoi se « dirige »
notre représenter, qui est supposé lui être « indépendant de la pensée » :
ils ajoutent que le contenu est bien « l’objet
immanent ou intentionnel de ces phénomènes psychiques ». En dépit de
la complication du sens de bestehen
qui peut signifier « subsister », deux sens du mot objet se distinguent, et le sens 2 est donc
identifié par eux au terminus du contenu
qui est « an » uns bestehende,
c’est-à-dire « subsistant en nous ». On peut dire que cette dualité a
persisté dans l’interprétation jusqu’aujourd’hui. Cette « équivocité »
sera néanmoins critiquée par Adolf Reinach un élève de Husserl, pour qui il
semble impossible que le contenu soit dans la conscience et ce vers quoi se
dirige la conscience : Reinach a sans doute raison de repenser les « états de
choses » comme référents du jugement, mais Höfler entend bien que l’objet
du sentiment et du vouloir sont à comprendre dans la même acception qui sépare
objet et contenu. Brentano et Meinong reviendront sur cette opposition à des étapes
critiques de leur carrière en donnant une portée très diverse à cette différence
d’acception.
Je m’intéresse principalement dans ce qui suit à éclairer une
telle différence entre objet et contenu, sur le plan historique et
conceptuel, afin de montrer qu’elle est productive plutôt qu’anecdotique ou
superflue. Ces questions sont apparemment de moindre importance — mais, comme
on va le voir de suite, l’état de la recherche prouve exactement le contraire.
On
distinguera ainsi, dans le fragment cité plus haut de 1874, lequel est en effet
trop court pour donner lieu à une exégèse libérale : 1/ se référer à un contenu ; 2/ être dirigé vers
un objet (qui éventuellement peut ne
pas être réel) ; 3/ avoir un objet
intentionnel. Ces trois expressions ne sont pas substituables terme à terme.
Beaucoup d’interprètes se sont notamment focalisés sur le point 2, et se sont
demandés comment internaliser cette
direction, ou même pluraliser la « direction
(as) of-ness itself » (comme si la directivité de la
conscience suffisait pour soutenir un monisme de la réalité mentale, en dépit
de la variété de ses objets). La meilleure lecture dissipant cette difficulté
est celle que fournit Meinong dans la seconde édition de Über Annahmen (1910) au § 38, sur laquelle nous ne pouvons pas nous
prononcer dans le cadre de cet article.
1/ L’hyperglose de l’intentionnalité
« revisitée »
Mais le fait est
que plus d’un siècle après la mort de Brentano, « l’objet-intentionnel-de-Brentano »
suscite toujours de nombreux dérapages, captations et autres déformations :
c’est un attracteur étrange. Il anéantit et déréalise tout ce qui tombe sous
cette appellation. Les uns parlent d’équivoque, les autres de maladresse, référence
intentionnelle et relation réelle sont systématiquement identifiées à tort ;
d’autres ont développé un intentionalisme « perceptif » comme A.
Byrne par une sorte d’hypallage du contenu transparent de l’expérience, prenant
la place de l’objet ; plus récemment, on a parlé d’un « intentionalisme
cognitif » du contenu étroit,
avant de remplacer cette théorie par une intentionalité phénoménale. Des auteurs comme C.McGinn (1991), T. Horgan (2003) et U. Kriegel
(2003, 2007, 2013, 2018) ont défendu ce même point de vue avec plus ou moins de
bonheur. Les propriétés intentionnelles surviendraient sur les propriétés phénoménales
ou sont injectées dans le monde, mais
leurs contenus ne sont pas dérivés d’autre chose que de cette sui generis phenomenal directedness (Kriegel,
2013, p.6-18). Comme on sait
que le « contenu étroit » est ineffable et n’est pas transposable
linguistiquement, le pas est vite franchi : cette direction peut viser un
objet hallucinatoire ou inconscient, sans que cela fasse aucune différence. Plus
récemment Mark Textor (2017, op.cit.)
a donné un relevé presque
complet des lectures
qui ont fleuri ces dernières années, mais en insistant lui aussi sur cette
directivité qu’il juge « métaphysique » et mystérieuse, renvoyant à
elle-même de façon ambiguë. Ce qu’il intitule le primitivisme de l’intentionnalité : c’est-à-dire le fait qu’elle
ne soit pas analytiquement réductible à une relation de comparaison (p.72), signifie
seulement qu’aucune caractérisation langagière ne la résume, et en particulier qu’aucune attitude propositionnelle ne correspond
à cet enveloppement relationnel de l’objet (p. 85-86) : un autre point
toujours très discuté. Denis Seron pense le contraire ; estimant que nous
devrions aboutir à une « conception phénomenologico-réductive de l’intentionnalité ». Bien qu’elle soit supposée « introspectivement accessible »,
cette version de la notion d’une intentionnalité consciente conduit Mark Textor,
lui aussi, à déréaliser l’objet immanent
au bénéfice de l’objet perçu. L’équivoque porte en ce cas sur l’objet de
la perception interne. L’expression « avoir un objet » lui paraît énigmatique,
bien que Brentano l’utilise dans sa philosophie pratique, comme en maints endroits
de son œuvre avant de la distribuer entre ce qui est représenté, ce qui est jugé,
ce qui est ressenti et voulu : « La
perception ne nous montre pas ce qui spatialisé ou spatialement étendu, mais
des processus psychiques à l’œuvre comme avoir la conscience de quelque chose (etwas
zum Gegenstand habend) : ce qui veut
dire que nous nous percevons nous-mêmes comme ayant quelque chose pour objet.
Nous pouvons en effet de trois façons différentes avoir quelque chose pour objet
(etwas zum Gegenstande haben) : soit
simplement en nous le représentant ou encore en le jugeant, ou enfin en y
prenant intérêt que ce soit en le ressentant ou en le voulant ». Le concept « Etwas-zum-Gegenstand-zu-haben »
a pour signifié : Bewusstsein von
Etwas. Textor a pour cela raison de dire que si nous faisions exister un corrélat intentionnel : soit un objet « de » l’intention,
ce serait admettre un « mode de présentation de l’acte mental qui viserait
à la présentation d’un objet » (p.52) — paraphrase douteuse — ; nous aurions en pareil cas à
internaliser la relation qu’il y a entre l’objet immanent et l’objet présenté
par lui. Le cercle se ferme sur cette difficulté. Le second chapitre de son livre : Brentano’s Mind (2017) examine alors ce que devient la « thèse »
de Brentano ; l’affirmation qu’un objet serait « contenu » intentionnellement n’implique évidemment
pas qu’il faille réifier à sa place un contenu de signification, un contenu d’attitude
ou un contenu jugeable et l’hypostasier tel que si nous avions affaire à un
objet dont nous ferions l’expérience (p.87). L’aporie qui se dessine ici est qu’être un état mental et avoir un objet seraient quasiment
incompatibles. On retrouve cette lecture dans la thèse (T2) exposée par Guillaume
Frechette dans Brentano’s Thesis
(revisited) et qu’il traduit en la reformulant : « l’objet (d’un phénomène mental) n’est pas une réalité.
» Lynda McAlister dans The Philosophy of
Brentano, Duckworth (1976, p.153) avait noté la même amphibologie :
eine Realität ne signifie pas la même chose que « quelque chose qui existe »,
car quelque chose peut être réel et n’exister pas
Dans cette dispute terminologique, le but serait de « re-phénoménologiser »
l’intentionnalité, si je peux m’exprimer ainsi. Il est évidemment exact d’affirmer
que « l’objet du phénomène mental ne devrait pas ici être compris comme
une substance individuelle » (Frechette, op.cit. p. 97). Mais peut-on en conclure que l’objet présenté est « le corrélat (non réel) de l’acte (réel)
[et devrait] être assimilé au contenu »,
autrement créant une manière de hiatus qui le sépare de l’objet intentionnel ?
Plutôt que de dénoncer un tour de passe-passe chez Brentano (Brentano’s own confusing terminology), il
ne semble pas absolument nécessaire ici de confronter un corrélat et un objet
immanent ou de les faire cohabiter. « Si l’inexistence intentionnelle n’est
pas une forme diminuée d’existence, alors il y a une distinction à faire entre
l’être-objet des objets intentionnels et leur existence : l’objet intentionnel « est-un-objet »
indépendamment de l’acceptation ou du refus de son existence ». Husserl a dit quelque chose de semblable, à peu de choses près. Mais
que se passe-t-il si le contenu vécu
(dans l’acte) n’est pas lui-même l’objet perçu, et plus encore que se passe-t-il
si l’être-objet n’inexiste pas et échappe
à toute perception ?
Certes, pour entendre les choses à la lettre, nous sommes
conscients de ce que nous percevons : ainsi de ce qui est vu, de ce qui est entendu (ce sont des objets
solides ou transitoires, des parties colorées du champ visuel, des mélodies ou
des bruits qui se détachent de l’environnement sonore, des marques sur le
papier, des signes sur un visage) — ce qui ne permet pas d’induire que les
objets perçus qui nous semblent « spatialisés » dans l’esprit, ne
sont que la « matière » de la visée et n’existent pas comme objets ou ne sont pas réels sous prétexte que « ce
que » ou « ce qui » ne seraient que des prothèses
propositionnelles et non point des termes de la relation. Cet irréalisme est indéfendable. S’ils sont d’abord présentés à la conscience, parce que nous devrions
considérer l’objet vu et l’objet entendu comme radicalement distincts des
objets ordinaires et des objets abstraits (p. 46), ils ne sont pas des objets fictifs, ni de pseudo-objets que nous pourrions
halluciner ou transcendantaliser à loisir. Ils ne sont pas non plus des « objets
de sensation ». Car, ils sont présentés, mais aussi reconnus (c’est-à-dire
accompagnés par un relatum mental),
et donc de certaine façon « modifiés » dit Brentano, sans rien perdre
de leur caractère d’objet. Le sujet percevant ne voit pas l’objet « visé »
dans le monde physique comme s’il était destiné à être remarqué dans un halo de
lumière : ce que serait un objet-cible, voire une apparition phantasmatique
— mais il peut justement (en raison de cette distinction ontologique) le
visualiser sur un mode intentionnel en tant qu’objet primaire. Primaire
veut dire d’abord, qui est dénué de toute attribution représentationnelle. — La direction vers l’intentum
objectif est dissective par la nature
de son opération. Rot et vorgestelletes Rot sont tels que Rot est l’objet primaire du second, par
exemple si je dis que « ce rouge que je me représente » est « chaud ». Brentano ne cessera pas de défendre
cette même relation à l’objet in-existant : intégré dans l’acte, c’est-à-dire aussi pour lui « séparable »
de l’objet distal, quoique cette séparation « distinctionnelle » ne
soit pas réelle. Les objets extérieurs ne sont pas dupliqués dans l’expérience que
nous en formons par une sorte de neutralisation ontologique. Ils ne subissent qu’une
modification représentative : la même couleur, la même séquence de notes
sont à la fois présentés et secondarisés (la couleur vue est intégrée à la perception des franges chromatiques dont
parlent Goethe et Johannes Müller dans un sens qui n’a rien d’une affabulation
optique ; la diffraction des sons entendus est identifiée à l’audition, et
ne résulte pas d’une synthèse bi-aurale tel que le croyait Stumpf). Comme l’explique
Mauro Antonelli, les objets colorés ou entendus subissent une inversion prospettica : l’attention se déporte
du donné extérieur, mais ne se tourne pas vers un spectacle privé qui serait
celui d’ombres chinoises, plutôt est-ce « la convexité objective du monde [qui]
s’inverse en une figure concave où la spatialité est inversée ». L’objet qui n’est pas
perçu — l’objet qua talis — ajoute M.
Antonelli, entretient une relation extrinsèque avec le sujet connaissant, tandis
que l’intégration cognitive de la sensation modifie la nature de l’objet, sans
rien lui ajouter pourtant, si ce n’est « en mettant en lumière le caractère
indéniablement concret de l’acte psychique ». On n’entend pas deux fois la
note jouée et reconnue, fût-ce quand l’audition devient consciente. Plus encore, si ce dernier (l’objet de l’acte)
se confondait avec un contenu (un corrélat intentionnel), « il ne serait
plus un objet mais un concept, cet ens
rationis qui n’est pas une entité réelle » (id. p.66). C’est comme si
l’on disait « la noire à la mesure 134, je ne l’entends pas jouée »
(la noire dans la partition est un objet syntactique : une entité pure, en
tant que telle inaudible). Mais l’influx de l’empirisme esthésiologique d’Aristote
reste constamment prévalent chez Brentano, ce qui nous ramène vers une lettre
souvent citée à Anton Marty du 17 mars 1905, mais tronquée de son « corrélat
linguistique », ce qui explique qu’il y a maldonne :
Quand Aristote dit que l’aistheton
energeia est dans le sujet sentant, il parle de ce que vous [Anton Marty]
appelez simplement « objet » (Objekt),
mais que moi (à cause de l’expression « dans l’esprit » qu’on a l’habitude
d’utiliser de cette façon, je me suis permis de nommer « objet immanent »
(Immanentes Objekt), non pas pour
dire qu’il est […] car qu’il soit un
objet — même si rien ne lui correspond dans le monde extérieur —, est le
corrélat linguistique de ce qu’il est en tant que le sujet sentant l’a pour
objet, en d’autres mots, qu’il se représente sentir.
Aristote dit aussi que l’aisthesis
(la sensation) accueille l’eidos (la Gestalt, la forme) sans la hylé (de même naturellement que l’entendement
le fait pour l’eidos noeton par abstraction
de la matière).
(ibid. p.120).
Est-il souhaitable à ce stade de nier le caractère mental de l’objet
intentionnel (l’eidos noeton) ? Faut-il
encore soutenir qu’un surrogat psycholinguistique représente cet objet, mais
sans impliquer aucun engagement ontologique à l’égard de ce qu’on se représente
sentir ? En fait, l’esse objective avait
déjà été étudié par Brentano dans sa thèse de 1867, consacrée à la Psychologie d’Aristote et au Nous poietikos (Franz Kircheim, Mainz) ;
il correspondait alors à un type d’appréhension où le sujet sentant n’intègre
pas en lui la propriété même stimulant les sens externes (les reflectances de
la couleur ou les vibrations du son en termes modernes), et cependant il les
connaît ces entités perçues comme des affects
formellement identifiés. Il ne les identifie pas comme des sources causales
de l’information : car ces aestheta
sont engendrés comme des actes par un
sujet, et ne sont que des actualisations de l’energeia. Le détachement d’Aristote
(plus tardif) s’effectue là où Brentano s’intéresse à la portée gnoséologique
de la perception, quand il considère que les sensibles propres sont en quelque
façon illusoires. Si l’existence effective des objets extérieurs n’est pas en
question (ni mise en question), c’est précisément parce qu’ils n’ont d’existence
qu’intentionnelle. Seuls les « fondements » sont réels ; les
sons ne sont qu’entendus relativement : et par suite de cette assertion qu’il
confirme en 1911, les fondements des sonorités sont effectivement des termini acoustiques ; ils sont dans
le sujet qui est affecté par l’écoute. L’émancipation psychologique de l’objet suppose
une bipolarité de l’energeia dont je
ne peux parler ici.
Ce qui compte pour l’instant est de
retenir que si l’objet psychologique a un pedigree cognitif et affectif, la présentation
primaire lui reste indispensable et ne
présuppose pas pour autant le dénigrement de l’objet immanent. On ne
comprendrait pas sinon pourquoi Brentano aurait élaboré une théorie du jugement
existentiel dégagé de toute forme catégorique si ce n’était pour étayer sa
conception psychologique où les prédicats jouent le rôle de participes
nominalisés : ils figurent alors explicitement au titre de noms d’objets. Barry Smith (1994) a ainsi
donné une excellente restitution de l’enseignement des leçons de 1888-1890 regroupées
sous le titre Deskriptive Psychologie
— qui n’ont été disponibles qu’en 1982 — : sa conviction est que le « corrélat
objectuel » n’est plus représentationnel ; il est résident dans l’acte
(Einwohnendes) ; l’acte
conscient (Bewusstseinakt) se
rapporte alors à cet objet immanent diversement instancié : Gesehenes, Vorgestelltes, Gewolltes,
Geliebtes, etc. (1994, p.56). Textuellement, B. Smith a raison sur Dummett
et également sur Dennett qui soutenait que la relation intentionnelle se
rapporte directement à des objets extérieurs. Mais sa défense de l’immanentisme
qui ouvre à une ontologie de l’esprit (justifiée selon nous au regard de l’évolution
de Brentano) a suscité quelques réactions d’hostilité chez certains lecteurs husserliens
orthodoxes que je dirai simplement « mal-intentionnés ». Nous
retiendrons que pour B. Smith, l’intentionnalité est toujours une relation véridique,
quand bien même l’acte est dirigé vers un objet qui serait imaginaire ou
impossible. Le problème résiduel est pourtant alors que l’objet présenté et l’objet
immanent sont compris comme une seule entité duale (l’objet est présenté, parce
qu’il est présent à l’esprit ; l’objet
est « en acte » dans l’esprit parce que celui-ci le contient) ; ainsi,
puisque l’objet immanent est celui auquel se rapporte l’acte, la tentation est grande
d’inverser la direction pour la détourner à toute force de l’objet présent et
actualisé vers ce qui fait que je me le représente. Or, la direction ici n’est
pas strictement psychique au sens d’une adresse analytique (aboutness) qui serait son subject-matter. Mark Textor n’a donc pas tort de remettre en doute, pour de bon, la
notion du « corrélat intentionnel » quand celui-ci fonctionne comme
un objet postiche. Les versions qu’il
suspecte une à une dans Brentano’s Mind
subiraient l’effet d’un « prompteur métaphorique » : nous sommes
incités à prêter une signification de trop, tantôt à l’intention, tantôt au
contenu. Certes, les nuances de Brentano contenues dans sa Deskriptive Psychologie et ses écrits posthumes amènent à moduler
ou à superposer des lexies d’époques
différentes, en sorte qu’il serait pratiquement inévitable de soumettre les mots
du philosophe à de coupables torsions (« twisting the Brentano’s words »,
comme avait écrit B. Smith en 1994, p.40). Ainsi Dale Jacquette de son côté a-t-il affirmé que l’intended object est « inclus »
dans l’intended act : ce qui est
l’admettre en tant qu’une partie dans un tout, mais en plaçant alors le definiendum dans le definiens. L’éventail des gloses que je ne peux même pas résumer ici est un
symptôme de l’attraction de l’objet intentionnel transformé en un piège
philosophique redoutable.
2/ Retour sur la première réception critique
Pour se rendre compte de cet écart para-textuel
qui n’a cessé de se creuser dès les années 1970, puis dans la dernière partie
du XXe siècle, et singulièrement dans la première décade du nôtre, l’origine
est à chercher bien plus haut, dans ce que Husserl écrit dans un premier temps,
à peine vingt ans après la parution de la grande Psychologie de Brentano en 1894, dans ses notes inédites intitulées :
« Objets intentionnels », éditées en partie dans le volume XXII des Husserliana et reprises amendées par K.
Schuhmann dans les Brentano-Studien
en 1990 (III), à partir des notes de 1898. Lors de la reparution des Recherches Logiques en 1913 (II,1), la
condamnation sera encore plus nette :
Une représentation a un objet vrai, c’est-à-dire, il lui correspond
un objet. Une représentation a un objet intentionnel, c’est-à-dire : elle
représente un objet. Une représentation a un objet simplement intentionnel, c’est-à-dire
elle n’a pas d’objet vrai, elle représente simplement. […] « Une représentation
représente simplement un objet »
doit alors vouloir dire : l’objet lui-même ou en soi n’est pas donné dans la représentation, seul l’est plutôt l’objet
pensé ou l’objet en tant que pensé. « La représentation a un objet (pas simplement
intentionnel) mais aussi vrai » signifie : elle porte son objet lui-même
en soi.
[…] Parler d’objets simplement intentionnels : « d’objets
représentés en tant que tels » est à proscrire dans ce contexte. Cela
sonne comme si, dans la représentation qui n’intuitionne pas, en tant que vécu
subjectif, l’objet représenté, celui-ci était présent comme quelque chose de propre,
quoique sous la forme de l’ombre d’une image, tel un spectre auquel
on aurait droit de contester l’existence « vraie ». Or l’objet représenté
et l’objet vrai sont identiquement le même.
[…] Si nous disons « la représentation lion représente un objet », ce n’est pas alors la représentation
subjective mais la représentation « objective » qui figure comme
support de la relation ; […] la relation à l’objet est dans chaque représentation
médiatisée par son « contenu », c’est-à-dire par sa signification (1894)
[…] Tout ce que l’objet est pour notre connaissance se ramène à
certains jugements valables « corrects » que nous portons sur lui.
Ils contiennent notre savoir tout entier de l’objet. Les contenus de jugement
correspondants sont des vérités objectives. […] Nous pouvons donc dire : l’être
objectif (Objektiv) de l’objet (Gegenstand) se déploie où s’exprime dans
le système des vérités idéales qui lui appartiennent (1898).
Pour Husserl, la relation à l’objet est
médiatisée par son « contenu » ; elle se produit en fonction de
l’acte psychique qui pose ce même contenu comme porteur d’une signification
objective. L’amphibologie du mot « contenu »
— que Meinong va dissoudre —, est posée ici pour elle-même. Malgré le risque de
circularité qui affleure déjà dans la désignation des teneurs (Gehalte), puisqu’on met en balance un « contenu
de la réprésentation » et un « contenu de la signification », il
est clair que — contre Twardowski —, Husserl affirme l’idéalité de la relation (qui transcende la variété des actes intentionnels)
et l’unité de l’objet. Un arbre est
un objet vrai, si n’importe quel arbre existe
qui est représentable pour nous à travers la variété de ses aspects ou la
diversité numérique de ses occurrences. A la différence, un dragon est un objet
simplement intentionnel, dont je n’ai
pas d’acquaintance. Tout objet
intentionnel, s’il n’est pas un objet vrai,
n’est qu’un être fantomatique de même espèce. Or, c’est la signification des
deux noms (arbre, dragon) qui fait cette différence. Le
mode de pensée de Husserl — qui se réfère à des signifiés — est d’abord purement
mathématique : à ses yeux la représentation
correspond, par ex. à l’équation : x3 – 5x2 + 4x – 20
= 0, et l’objet qui lui correspond est
5 (id. p. 321). Parler d’une
existence mentale de l’objet serait « déplacé »,
dit-il alors en ce sens. Cette démarche a été correctement analysée sur le plan
historique de la querelle, et il est admis par de nombreux exégètes que l’on va
des représentations sans objet de
Bolzano, via Robert Zimmerman (élève de Bolzano) et Twardowski (élève de
Zimmerman) vers une théorie de l’objet « ineffectif » —représenté dans une représentation ou par une représentation — qui ne devient
ensuite un objet noématique qu’une fois qu’il aura été « méréologiquement »
fondé à partir des Recherches Logiques :
Husserl donne lui-même après coup cette explication plausible . Twardowski écrit plus
sobrement dans Zur Lehre von Inhalt und
Gegenstand der Vorstellungen (1894) : « Ce qui devient représenté
dans une représentation, est son
contenu, ce qui devient représenté par
une représentation est son objet ». Quand le contenu existe mais que l’objet
n’existe pas, c’est que le jugement négatif « vrai » nie l’objet, pour le dire dans le
langage du sens commun. Il faut bien noter cependant au passage, que la distinction
que marque Twardowski entre Vorstellungsinhalt
et Gegenstand (au § 6) a souvent été
escamotée. Elle n’est pas « logique », dit-il, mais réelle. Un cercle parfait n’existe nulle
part comme objet, mais nous pouvons le décrire par différents contenus de représentation
géométriques et algébriques (ce qui n’est pas le nier, comme pour la montagne d’or).
Toutefois cette discussion sur la dénomination et la fonction attributive du
nom, reprenant Kerry après Bolzano, ne fait qu’accuser le déficit psychologique
de l’objet puisque celui-ci, au final, est pensé par (ou à travers) son contenu
conceptuel : L’objet du concept
devient pensé par le contenu de ce dernier (§ 12) ; il est représenté
par lui . J.-F. Courtine peut ainsi légitimement imputer à Twardowski cette
dissociation de l’objet et de l’existant au bénéfice d’un « objet de
concept » qui serait non-réel.
Dès cette époque donc, le déficit psychologique de l’objet (Gegenstand) est consommé et il le sera
durablement : après Twardowski, Brentano a été lu, et il continue toujours
d’être lu par la plupart des glosateurs de sa doctrine, avec les lunettes de
Husserl qui, dans les Recherches (Ve,
§§ 9-11), nie pourtant déjà clairement l’inexistence
intentionnelle de l’objet immanent tout autant que son caractère « mental » (l’exemple que retient Husserl — qui n’est pas exempt d’un certain pédantisme
— est celui de Jupiter, parce qu’aucun
vécu ne peut jamais selon lui s’attacher à la représentation de Jupiter, dont il est dit ensuite pourtant que cette représentation, à
laquelle rien ne répond, ne m’est pas donnée
différemment de celle de Bismarck). Ce
qui probablement constitue un trait d’humour. Pour Husserl, les objets « apparaissants »
ou perçus ne sont pas des objets :
seuls les actes sont expérimentés. Husserl assimile d’ailleurs ici « intentionnel » au
verbe intendieren (p. 374), comme
plus tard Davidson et D. Jacquette font pour « intending ». L’interprétation
académique et pseudo-chronologique s’est donc imposée : Brentano aurait
commis une équivocation « nuisible » du contenu de conscience (pour citer encore Husserl, aux yeux de qui
Brentano aurait succombé au vertige du psychologisme). Selon cette leçon, très largement admise,
venant après la recension peu amène de la Philosophie
de l’arithmétique de Husserl par Frege — et sous l’influence supposée du
second chez Husserl — c’est par le contenu
seul qu’on accède à l’objet : ce que Frege appellera le « mode de
donation » correspondrait ici à la saisie de l’acte, du moins dans la
reconstitution déformée qu’on en fait à partir des lettres de Frege. Il en résulte que le susdit objet n’a plus (en droit) de réalité
autre qu’idéale ou essentielle dans la conception husserlienne : il est fixé
par une relation et dans une direction qui le déterminent en soi. Si cette
interprétation était juste, il est clair que le Fundament pourrait se confondre avec le Terminus de l’objet (ce que dénonce ensuite nettement Brentano :
Psychologie, op. cit. p. 353). Il n’est pas difficile de conclure chez nombre de
commentateurs que la directionnalité de la définition brentanienne se trouve identifiée
à un caractère mental sui-référentiel (nous avons vu plus haut que ce débat
reste très actuel, chez M. Textor et U. Kriegel) : il y aurait une entité sui generis de l’objet relationnel dont
on prend conscience, et dans quelques cas sur le mode « introspectif »
(malgré les protestations de Brentano). Toutes ces déformations de l’interprétation
ont donné lieu à une doxographie qui pèse sur notre compréhension de l’objet
intentionnel.
Car, même
si ce n’est pas forcément dans un Drittes
Reich (un 3e monde frégéen au-delà de la représentation
subjective et du signifiant linguistique), cet objet n’est plus
psychologiquement appréhendé, ni valorisé comme quelque chose auquel se
rapporte la conscience, et qui n’est pas elle. Il s’est volatilisé. Il
ne serait que pure apparence : on interprète alors l’objet comme phénomène,
ce qui constitue le même paralogisme que de prendre le phénomène pour l’objet. Par ex. prendre l’éclair qui frappe ma rétine pour la raison de la
foudre, au lieu de la décharge électrostatique. Ou l’anxiété qui m’étreint pour
un déficit de transmission de sérotonine. Je me représente l’éclair après qu’il
m’ait ébloui sur la rétine comme un événement perceptif ; et je subis
cette anxiété panique, dans des circonstances tout différentes, cela sans
percevoir leurs causes (physique et organique) directement, c’est-à-dire sans
avoir conscience de ces dernières. Je ne suis pas justement pas « en
relation » avec leurs causes. Une note de ré-édition de la Psychologie, en 1911, est instructive en
la matière :
A la place du terme intentionnel,
les Scolastiques emploient bien plus fréquemment encore le terme objectif. Il importe en effet que, pour
l’agent psychiquement actif, quelque chose soit objet et, comme tel, en quelque
façon présent à la conscience, qu’il
s’agisse de pensée pure ou également de désir ou d’aversion, ou d’autre
sentiment. Si j’ai cependant préféré le terme intentionnel, c’est qu’à mon avis le danger du malentendu eût été bien
plus grand encore, si j’avais appelé objectif ce qui est simplement pensé comme
tel, alors que les Modernes emploient ce terme pour désigner ce qui existe
effectivement, par opposition aux phénomènes purement subjectifs, auxquels ne
correspond aucune réalité effective (PPE, p.199).
L’objet intentionnel affectif n’aurait plus d’esse objective. Et pourtant, l’objectif psychologique de chacun de ces états, — qui n’est pas un
contenu de pensée — m’est cependant intrinsèquement distinct : l’un se
rapporte au monde (l’éclair) ; l’autre à mon organisme (la réaction
anxieuse). Arriverait-il dans d’autres cas : une démangeaison persistante,
un spasme dépressif, un accès de rougeur au visage, une prémonition dont on se
souvient, une mélodie que l’on reconnaît, ce motif de jalousie suscité par un détail,
tel moment où s’exacerbe l’envie de fumer, la survenue de quelque joie secrète,
un « bourdonnement » dans une oreille (Brentano prend cet exemple ) —
ici j’associe, comme lui, assez ouvertement les phénomènes somatiques, psycho-somatiques,
les états d’humeur, les émotions cognitives et d’autres réactions affectives et
morales, — arriverait-il donc que l’objet ainsi intentionné me paraisse
inscrutable et sans référence dans le monde « effectif » extérieur, qu’il
soit différé ou spontané, sensitif, imaginaire ou conceptuel : son caractère
n’en est pas moins défini et descriptible psychologiquement comme un événement et un état, ou comme un épisode
psychologique incontestablement identifiable qui ne doit rien au contexte,
ni à la phrase qui le décrit pour le rapporter, ni à la « matière »
de l’acte. Comme l’écrit Courtine : « l’inesse objective se distingue ainsi radicalement de l’esse au sens de l’inhérence matérielle »
(op. cit. p. 59). En tant que tel, chacun
de ces cas est individuel en effet, tel que le serait un point coloré, mais cet
événement psychologique (quel qu’il soit) ne résulte pas tant d’une intuition
que d’une projection dans le monde
ambiant. Certaines formulations de Brentano font saisir cette extraversion
paradoxale du sujet de la perception
interne, qui n’accorde aucune évidence à la perception externe. Ainsi du
son que je perçois comme phénomène physique
mais qui est aussi simultanément présent « à lui-même comme son propre
contenu » (PPE, p.139), puisque le son n’est pas physiquement présent deux
fois. Il y aurait alors fusion entre la représentation et l’objet (id.§10,
p.144). A l’inverse, le bourdonnement que j’entends dans l’oreille droite et
non dans l’oreille gauche me situe, à l’image d’autres acouphènes et d’autres
bruits incongrus et gênants, dans un espace étranger à l’espace analogique de
Stumpf, où les directions qualitatives ne sont pas relatives. Quel est alors le
hic de ce hic et nunc — se demande Brentano ? Le bourdonnement est « délocalisé »,
comme l’anxiété, comme la démangeaison (ce qui prouve que l’objet immanent n’est
pas figé, ni capturé dans l’esprit) : chacun de ces phénomènes psychiques
se présente pour soi in modo recto, en
dépit de « l’universalité de l’intuition externe » de l’espace. Il n’y
a pas d’inflation des objets immanents, mais une vraie perception de la différence
epistémologique existant entre les sensations, les jugements de valeur et les
concepts ou les universaux. Les dernières dictées de Brentano en novembre 1917
sont particulièrement troublantes sous ce rapport, récusant l’accès direct de l’intuition,
elles affirment l’acception métaphysique — et radicalement non-subjectivisable — du Reales
individuel. Je n’ai plus besoin alors d’une traduction intensionnelle, pour évoquer
cette aboutness, au sens où l’anglais
invoque un intending object pour
les verbes d’attitude : ce ne serait alors qu’un être de raison ou une
croyance dirigée que j’imposerais pour l’accoler au jugement et l’ajuster à la
réalité. Le premier terme de la relation est toujours le Fundament ; le second terme sémantique reste un ens rationis . — Quel est au juste ce « fondement » ?
De quel objet fondateur — un quoddam,
ein gewisses Ding — voulons-nous parler toutefois (Psychologie, p. 334) ? Pouvons-nous nous placer du point de
vue réiste avec une innocence feinte pour échapper à l’attraction étrange de l’objet
intentionnel ?
3/ Réalité de la distinction
objet/contenu
Ce Fundament objectif n’est certainement pas
une variable neutre idéalement posée comme le serait « l’objet » du trois et « l’objet » du triangle que je projette ensuite dans le
monde réel pour percevoir que le triangle a trois côtés, trois sommets et trois
angles. Ce n’est pas un objet avicennien. Ce n’est pas, non plus, une partie de
l’acte de visée, parce que dans une situation de pure passivité rien ne nous
prouve qu’il y ait un acte de perception « analogue » à celui du
jugement ou de la protension émotionnelle. Brentano se réfère toujours nous l’avons
vu précédemment au verbe paschein d’Aristote,
évoqué dans le De Anima (II, 5 et III,
2) pour faire entendre cette « présentation » de l’objet que je subis
en quelque sorte, y compris dans sa « résonance » en parergo. Il en va de même pour le voir simple où toute destination épistémique
est écartée. On saisit bien quel clivage reste ici opérant entre objet et
contenu, quoique l’objet en tant que « contenu fondé » puisse demeurer défendable dans toute ontologie
formelle qui se respecte, à condition d’être défini comme tel. Dans le cadre phénoménologique
classique, l’objet haissable ou aimable n’est
pas celui que je ressens directement dans l’affect émouvant, comme s’il n’était
qu’une apparition adverbiale d’un vécu d’amourosité ou de détestation que je
ferais exister indépendamment : dans une phase de trouble bi-polaire, par
ex. en passant de l’un à l’autre de ces états (Psychologie, p. 337). Les jugements d’assentiment et de rejet ne
sont pas du même ordre quand ils s’appliquent au domaine affectif : « ce
qui est aimé ou haï » in modo recto,
se distingue de ce qui est jugé aimable ou haissable « à juste titre »,
en fonction des modi obliqui, qui
peuvent faire différer le jugement de la présentation des premiers. Il y a bien
effectivement sous ce rapport un concept formel de l’objet et un objet formel
de l’émotion. L’expression contenu fondé est de Meinong ; il l’abandonnera
ensuite , substituant justement « objet fondé » à « contenu ». Pour Brentano, « jamais
le contenu n’est représenté comme constituant l’objet de la représentation, ni
reconnu comme l’est un objet » (Appendice
de 1911, Psychologie p. 304). Tout
au contraire chez Husserl : contenu de signification et objet « se co-appartiennent »
: leur connexion mutuelle est pour lui indiscutable, comme celle qu’il y a chez
Frege entre fonction et objet, puisque l’objet dépend de la fonction chez Frege
et n’est jamais en lui-même un objet « vrai ».
On
peut accepter ou contester ce raccourci historique, même passablement embrouillé.
Toutefois, nous sommes maintenant très loin, dans ce cadre, de la filiation
brentanienne de la psychologie descriptive. De plus, la lecture de Husserl, dans
sa discussion de Twardowski et de Bolzano, est radicalement dépourvue de tout
ancrage ontologico-descriptif, du moins à ce même niveau — avant les Recherches Logiques — et la notion réellement
novatrice du moment (cf. sur ce point
le § 11 de la Veme Recherche).
Sans cet ancrage ontologique néanmoins, dont Husserl se dispense au bénéfice de
l’objet vrai, la description est
aveugle aux yeux de Brentano : car l’objet auquel on pense — ou avec
lequel l’esprit est en contact, qui est donc pour lui in praesentia — n’est pas une pensée de l’objet : celle-ci ferait écran à son appréhension ;
et c’est bien là en effet la raison qui explique ensuite le passage
spectaculaire de Brentano au réisme. Le
malentendu a été dénoncé par lui avec certaine véhémence. Le refus d’accréditer
la notion de l’objet représentationnel
est effectivement central dans la lettre déjà citée plus haut à Marty, bien
avant les précisions de la seconde édition de la psychologie en 1911, qui lèvent
toute équivoque, auquel il conviendrait d’ajouter les autres lettres à O. Kraus
d’octobre et novembre 1914 qui sont saisissantes de vérité.
Ce que vous me dites au sujet des remarques de Höfler sur le « contenu »
et « l’objet immanent » de la représentation m’est demeuré étranger.
Quand j’ai parlé d’objet immanent, j’ai ajouté l’expression « immanent »
pour éviter le malentendu, parce que, pour la plupart des gens, ce qui est extérieur
à l’esprit, prend le nom d’objet. Je parle au contraire d’un objet de représentation
quand celui-ci advient de cela même qu’aucun objet extérieur à l’esprit ne lui
correspond.
Il n’a jamais été de mon opinion qu’un objet immanent = « objet représenté »
(Vorgestelltes Objekt). La représentation
ne l’a pas comme une chose qu’on se représente, mais telle une chose (Ding), et ainsi par exemple la représentation
d’un cheval n’a pas pour objet immanent (c’est-à-dire proprement, en tant que
nom d’objet) [un] « cheval représenté », mais bien plutôt [un] «
cheval »
Or cet objet n’est pas. Celui qui se représente a quelque chose pour
objet, sans que cet objet pour autant
soit
Il est pourtant devenu habituel de dire : les universaux en tant
qu’universaux sont dans l’esprit, non
dans la réalité effective, et autres choses du genre, ce qui ne veut pas dire
que ce qui est ainsi nommé « immanent » soit [un] « cheval pensé »
ou [un] « universel pensé ». Car le cheval pensé en général serait
alors un cheval pensé par moi hic et nunc,
le corrélat en vis-à-vis de moi qui suis un
sujet pensant individuel, et en tant
qu’individu ayant pensé cette pensée. On ne pourrait pas dire dans ce cas
que l’universel comme universel est
dans l’esprit si l’on entend dire que à objet étant dans l’esprit appartient la
détermination « pensé par moi » .
Outre sa déclaration explicite : il n’y a pas (il
n’existe pas) d’objet représenté (Vorgestelltes
Objekt ), ce que veut dire Brentano à ce moment-là est que le « cheval
pensé » (gedachtes Pferd), qui
viendrait prendre la place de l’objet représenté, joue dans ce cas le rôle d’un
universel ; or de son point de vue le penseur individuel identifie — en esprit
(im Geist) —, soit en tant qu’objet
primaire, son corrélat « cheval »
qui n’est pas un autre individu corrélatif de ce qui est perçu comme phénomène
psychique, et c’est tout ce que signifie objet
immanent (ibid. p.120). L’objet immanent n’a rien qui lui corresponde au-dehors (ohne dass etwas draussen korrespondierte).
Ce qui est nommé « objet pensé » (Objekt)
est cela même qui deviendrait Gegenstand
pour la perception interne, si l’universel était vu comme l’objet perçu. Les
deux corrélats sont indépendants l’un de
l’autre, confirme Brentano (ibid.).
Le corrélatif (sprachliches Korrelat)
n’est donc pas perceptible en tant que tel (ou bien il est reçu dans la
sensation, ou il est pensé tel un universel) : il ne devient Gegenstand que devant la perception
interne, comme objet secondaire. Mais il n’est pas un objet de pensée, doté de cette
aboutness qui a fait couler beaucoup
d’encre, sans quoi il ne serait plus immanent, proteste Brentano. Il ne s’agit
donc pas d’une mise entre parenthèses de l’objectiv
brentanien, comme on le lit ici ou là, quand on cherche à tirer Brentano vers l’idéalisme,
car il y a bien lieu de dire qu’un mode particulier d’existence se manifeste, chaque
fois qu’une forme extérieure à l’esprit est transmise à l’esprit et dématérialisée,
selon la lettre du texte d’Aristote dont s’inspire librement Brentano. On devrait cependant ajouter pour être honnête que dans sa dernière
période, sa théorie de l’évidence est
une mise en question de la version correspondantiste du jugement vrai.
Il a été ainsi longtemps
admis que l’intentionnalité, telle que Brentano a essayé de la structurer, était
une notion dépassée. Dans l’interprétation récente, sous la pression des
sciences de l’esprit et le poids des exégèses on s’aperçoit que le tripode
acte/objet/contenu qu’a fixé Twardowski devrait être sérieusement remanié. Les
raisons sont multiples. Plusieurs confusions se rencontrent d’abord au même
endroit : 1/ en premier, celle qui concerne l’identité de l’objet pensé,
qui est pensé comme dépendant du contenu ;
lequel serait plutôt dépendant de l’objet. Si le fond de la pensée brentanienne
est le pros ti, alors en effet le
contenu d’une pensée dépend de sa référence objective, et si la référence
mentale est bien une relation, la distinction pertinente n’est plus entre Objekt et Gegenstand (ce qui vaut en gros de 1874 à 1901), mais bien entre Objekt et Inhalt. 2/ la seconde confusion fréquente porte sur le relatum de l’intention, perçu comme une
direction autocentrée. Dans ce cas le contenu n’est plus l’objet et il supporte
ce que l’on veut (des croyances, des pensées, des souvenirs). 3/ La troisième
confusion porte sur le subjectum de
la relation mentale : dans la période pré-réiste, puis dans sa période réiste
(à partir de 1908), la relation mentale n’est plus une relation au sens propre ;
le contenu est métaphysiquement
considéré comme le type de tous les irrealia. Il n’est plus le subjectum
métaphysique, mais un parasite de l’objet primaire. Pour Brentano, dans ce
dernier moment, peu de choses y font exception : les Urteilsinhalte, les propositions en soi, les états de choses, les Objektive de Meinong, les Korrelative de Husserl sont des entités
de raison qu’on ne peut jamais singulariser dans un acte d’appréhension. C’est à
ce moment-là, et très nettement, que Brentano se sépare de Husserl et de
Meinong.
Afin de s’éviter
ce genre de méprises (prendre le contenu pour l’objet, prendre l’acte-même pour
le relatum et le corrélat pour
sujet), on devrait se rappeler que l’objectiv
— en minuscule — qui est (dès 1867) psychologiquement et génétiquement emprunté
à un aristotélisme « inoxydable » (selon le mot d’Alain De Libera), installe
la relation du savoir à son objet. Telle est la racine catégorielle de sa pensée.
Pour Brentano, les inhérences, les affections, les entités accidentelles, les
circonstances, ne sont toujours que des attributions de la substance quand
elles n’en sont pas des parties : le sens locatif de l’inesse constitue pour cette raison le
noyau formel de l’in-existence intentionnelle. Les actes mentaux sont pensés
comme des parties séparables de façon unilatérale par rapport à la conscience
de celui qui pense (Der Denkende). Le
chat est un Real corrélé à moi ;
mais la rousseur du chat est un Irreale,
ce qui n’implique pas que ce soit un universel, car cela voudrait dire que les
universaux sont des parties in rebus
des objets. Donc la rousseur du chat n’est aucunement le contenu d’une représentation,
de même que si je me représente voir l’Opéra de Sydney.
L’opéra de Sydney n’est pas visé intentionnellement de cette manière.
La référence à un contenu, ne fait pas de ce contenu (mental) un objet. Si on a
pris la mauvaise habitude de penser que le contenu sert de médiateur pour présentifier
l’objet transcendant (ou le représenter), c’est qu’on est victime de la même
confusion entre objet immanent et contenu. Toute la métaphysique de Brentano
repose sur cette prévention centrale. L’objet immanent n’est pas dans l’esprit
un representamen qui correspondrait à
un « corrélé objectif du jugement ». La représentation est en
principe modificatrice de l’objet,
mais elle n’est pas déterminante de
son contenu. Seule l’auto-représentation telle que l’a définie plus tard
Meinong échappe à cette proscription, car elle ne peut être sans objet.
Die immanente Gegenständlichkeit
(question vexante) pose, il est vrai, un problème technique, puisque cela vaut
aussi épistémiquement et non seulement psychologiquement. Comme l’a indiqué Federico
Boccaccini, « l’immanence n’est pas quelque chose d’intérieur à celui qui
pense ou se réfère au monde […] c’est l’objet
extérieur saisi par la perception interne. D’une certaine façon, l’objet
immanent, n’est ni à l’extérieur, ni à l’intérieur de nous […] Un contenu se réfère
au monde (par une relation sémantique), mais il n’en dépend pas (relation métaphysique ) ». Donc si l’objet
immanent n’a pas tel un référent dans le monde, il n’est pas non
plus un substitut sémantique ou une réalité éidétique opposable au donné
sensoriel. De même l’intention n’est
pas une relation arbitraire caractéristique d’une attitude propositionnelle en
attente d’un remplissement éventuel, par ex. une information fournie par le
contexte (ce qui ferait dire alors que l’intentionalité d’une croyance est plus
forte que l’intentionalité d’une expérience perceptive). Nous avons maintenant dissipé les confusions les plus répandues. Le
caractère psychique du phénomène ne saurait aucunement se dissoudre dans une
manière d’extrapolation des formes de la conscience phénoménalisée, cette consciensosité que Leibniz a pointé comme une entité superficielle.
Il reste
frappant, selon nous, que de nombreux interprètes aient surenchéri sur cette
première réception critique. Admettre des corrélats
psychiques qui feraient la commutation entre objet de pensée et objet réel
(entre « objet immanent » et « objet effectif »), devait
servir à dénoncer l’équivocité du langage de Brentano pourtant si « univociste »
en ce qui concerne l’être ou l’existence. La relation nous aide à concevoir et à capturer le corrélat
sensible, qui est (comme l’a soutenu en effet Brentano) das Empfundene ohne die Materie : ce qui est ressenti sans la
matière, donc sans que la quantité du stimulus n’intervienne.
Quelles conséquences
tirer de cette dispute ? Quand on relit Brentano en épousant le point de
vue de ses adversaires, tout se brouille : l’objet intentionnel devient
purement apophatique et nous savons de fait qu’il cesse d’être un esse objectivum, à partir de 1911. La
floraison des corrélats intentionnels, surdéterminés dans ce label husserlien, auraient
remplacé les objets, quand ils ne les dédoublent pas. Cette lecture est exactement, selon moi,
la moins fidèle à la leçon de Brentano. Elle conduit à dire que le cheval
auquel je pense (que Brentano appelle toujours « objet immanent » dans
sa seconde et dernière période — à la
fois aurait un corrélat intentionnel
et resterait un objet intentionnel (il y aurait d’un côté le cheval pensé, de l’autre
le cheval réel qui hennit et frappe des sabots), à la différence de la licorne
qui ne possède que le premier de ces caractères (un cheval ayant la propriété
unicorne auquel je pense). Comme le pensait dans son contexte Husserl, les corrélats sont en
pareil cas les seuls médiateurs entre les objets du monde et les actes de
donation du sens. Brentano a eu beau se défendre vigoureusement contre Marty et
inventer un réisme des accidents. Rien n’y a fait : l’« entité »
même du modus représentationnel subjectif
— cette fameuse for-me-ness — a
absorbé toute intentionnalité ; elle n’a plus cessé de se prononcer jusqu’au
XXIe siècle. Est « mental » eo ipso ce qui est représentationnel. Ce qui revient au final, à l’époque
contemporaine, et par une curieuse extrapolation à projeter les verbes d’attitude
sur les phénomènes intentionnels conscients comme le propose hardiment Uriah
Kriegel dans Subjective Consciousness
(2009, p.108 et 189) — la correction ou l’adaptation consciente de ce dont j’ai
la représentation opérerait une réduction latérale, en parergo, du caractère qualitatif auto-centré dans un genre d’intimacy. Certes, U. Kriegel, qui offre
un dispositif compliqué centré sur la représentation de soi, adopte en passant
l’hypothèse qu’il y a des corrélats neurologiques, des grappes de neurones avec
leur vibrato, qui eux n’ont plus rien
à voir ni avec Husserl ni avec Brentano, mais l’idée que les contenus sont prévalents
et transparents a bien été une sorte d’option sémantique dominante, psycho-sémantique
ou téléo-sémantique peu importe. L’intentionnalité phénoménale devient dans ce
cadre beaucoup plus difficile à comprendre.
Je ne me prononcerai pas sur cette
interprétation, ainsi globalement résumée (caricaturée peut-être) qui rejette
celle de Chisholm et de l’éditeur de Brentano qu’était Oskar Kraus dans son édition
de la Psychologie du point de vue
empirique en 1924. Pour ces deux auteurs, l’objet intentionnel est bien une
entité indépendante de la visée (sans lui, il n’y aurait pas de visée). L’arbitre
de cette dispute entre le subjectum l’être
objectif présumé de cet objet — qui n’est pas rien qu’un verbum mentis — et le suppositum
(le mode d’attribution irréel à la conscience) suppose probablement qu’on
articule savamment une érudition et un contexte, comme l’ont fait Alain de
Libera et Jean-François Courtine dans leurs minutieuses excavations archéologiques.
Il n’est pas nécessaire d’en dire plus à ce stade. Ce qui frappe est simplement
la disparition de l’objet et la subjectivation croissante des attributions de
contenu.
4/ Dans quel sens percevoir un
objet extra-psychique ?
En France,
c’est Fréderic Nef — dans l’Objet quelconque
(Vrin, 1998, pp. 225-231) — qui a le premier expliqué cette filiation de
Brentano à Meinong, qui dérive justement de l’admission d’objets inexistants, vers
lesquels se dirige l’acte (comme on perçoit ceux qui existent), mais à partir
de l’analyse des jugements existentiels négatifs
qui déplacent l’intentionnalité « hors de la relation », au-delà de la relation, faudrait-il
dire. Par exemple, si je disais « il n’y a pas de palmier dans mon bureau »
pour faire entendre que je pourrais en voir un de ma fenêtre, ce n’est pas
comme si je disais « il n’y a pas d’herbe rouge ». La différence
statutaire entre objets de nos représentations se fait entre jugements d’existence
et jugements prédicatifs. Si pour Frege, l’objet est indéfinissable et ne peut
figurer que comme l’argument d’une fonction, il y a chez Meinong des types d’objets :
c’est pourquoi il y a des Objectifs
qui se rapportent à des états de choses, et des Objets d’ordre supérieur, qui sont fondés sur leurs bases représentationnelles.
Mais Meinong dans Über die
Erfahrungsgrundlagen unseres Wissens (1906) admet aussi des « aspects »,
des objecta psychiques qui n’ont rien
à voir avec la cause de leur perception : il distingue ainsi dans l’expérience
(Erfahrung) des strates judicatives construisant
des Objectifs perceptuels qui ne correspondent pas nécessairement toujours à
des objets existants dans le monde (I, §§ 3-5), car les jugements de perception
s’assimilent déjà à des Objectifs. Il faudrait plus de place que je n’en ai
pour faire le détail de cette analyse, où pour lui les jugements prédicatifs
sont fondés sur des jugements
existentiels.
Pourtant, l’intérêt premier de l’œuvre
de Meinong est de situer au-delà du clivage objet/contenu et de chercher à le dépasser,
ce qui lui a été extrêmement difficile : il eut l’honnêteté de s’en
expliquer. Au § 38 de Über Annahmen,
il défend le point de vue de l’Aussersein
en une forme d’auto-critique. Mais ce soi-disant affaiblissement (Abschwächung) de l’objectualité n’est qu’apparent,
parce que l’expression « avoir un objet » dont on a vu qu’elle caractérise
la direction représentative ne peut certes pas s’appliquer naïvement à tout ce
qui est fictif ou fabulaire, et qu’il faut ainsi invoquer des représentations sans objet (comme le carré rond ou la
montagne d’or). D’autres incitations nous y poussent et comment nier qu’un objet impossible — tel qu’ «un bonheur
humain sans nuages », une « machine à mouvement perpétuel », dit
Meinong — ne soit pas que de simples fantaisies absurdes, alors que leur évocation
est pensable et n’est pas moins habituelle que s’ils faisaient partie du monde
de tous les jours (ce sont des Stück Wirklichkeit,
ajoute-t-il : je dirais des attributions publicitaires, politiques ou idéologiques
du même type que « la croissance partagée » ou « la voiture de l’année »).
Ce détachement de la factualité de l’objet de pensée (Gegenstandsgedanken) permet notamment un autre genre de saisie (Erfassen) : elle est appréhensive
parce que l’objet est intercepté en propre dans une présupposition qui se
distingue de notre façon de nous rapporter, par exemple, aux sense-data, à partir desquels nous nous
faisons de représentations aussi abstraites, que ne sont les impossibles, quoique
dénuées de toute saisie. C’est également le cas bien sûr de nos représentations
imaginaires. Cette définition de l’absistence,
se superposant à (et se greffant sur) l’existence
ou la subsistence (celle des objets
mathématiques idéaux, entre autres), a beaucoup fait pour déconsidérer Meinong,
prophète maudit du nonéisme ou de la méontologie (l’ontologie du non-être). Il
est clair que le contenu étant purement
mental, et pouvant —au plan représentationnel des actes — se rapporter à l’interception
d’objets très différents, la corrélation semble relâchée, et le contenu se
transformer en un pseudo-contenu, même eu égard à la dignité du meinen (le vouloir-dire) qui se réfère à
des contenus de signification en principe valides. Il faut de suite mentionner
pourtant ici que ce principe d’indépendance
à l’égard de l’être effectif est lié à une exigence technique, puisque l’existence
est vue par Meinong telle un ersatz d’attribution,
de telle sorte que seuls les jugements existentiels caractérisent ce genre d’appréhension
ou de visée. L’existence n’est donc certainement pas « contenue » en
propre dans le contenu. A la déréalisation de l’objet immanent, Meinong a préféré
la direction vers un objet (ein
Gerichtetsein auf einen Gegenstand). Aurait-il, vraiment, comme le dit méchamment
Anton Marty, repris les vieux habits que son maître avait délaissés dans son
passage au réisme ? Sa réponse
est la suivante et elle est très sérieuse :
Le concept de contenu doit […] rester lié à l’appréhension
intellectuelle des objets. Dans toute expérience d’appréhension intellectuelle
d’un objet, je nomme donc contenu, ce dont la coordination avec l’objet se
reconnaît en ceci que son caractère qualitatif varie (ou demeure constant) en rapport — toutes
choses égales d’ailleurs — avec la caractéristique de l’objet à connaître (Über Inhalt und Gegenstand, op.cit.)
Meinong n’a
pas trahi le Brentano de son époque et le désir d’une science empirique de l’esprit.
Les « actes objectivants » (ceux de l’émotion, du souvenir de l’imagination,
par exemple) sont opposés à des contenus réifiés, qui seraient « la matière
de l’acte », comme le défend pour sa part Husserl. La disposition à l’appréhension
est relative, et chaque fois « manifestée », quoique tous les objets
me soient universellement donnés y compris ceux qui n’existent pas. Classiquement
l’esse objective est ce qui dépend de
l’esprit, et chez certains philosophes ne trouve sa réalité ultime que dans l’esprit
de Dieu. La grande nouveauté de Meinong est de penser que la nue existence relève
d’un Soseinurteil, parce qu’on juge d’une
chose qu’elle est telle, que celui-ci est mon ami, que l’arbre est vert, que
Blanche Neige au réveil a les joues roses, etc. — mais aussi que les non-existants ne sont pas dépendants de
l’esprit pour être des objets ; celui-ci peut d’ailleurs les appréhender
autrement que ne sont des ficticia ou
des ficta. L’objectualité est une
notion « dispositionnelle ». Quand je dis que la montagne d’or n’existe
pas, mais qu’elle « existe » dans l’esprit, cela ne signifie pas qu’elle
existe dans ma tête ou qu’une montagne dorée existe quelque part dans le monde
que mon GPS n’arrive pas à localiser, mais simplement que « l’idée de la
montagne d’or existe ». Ce qui veut dire qu’elle n’est pas une invention
maladive, et seulement qu’elle est présente à la pensée sans en constituer un
mode d’être fallacieux. Il en va de même pour notre rapport au monde effectif et
ordinaire : la perception directe pour Meinong est inexprimable, et ce dont
nous parlons avec nos jugements de perception, ce ne sont pas des contenus
proprement dits qui sont visés. Il y a des vibrations qui me font entendre des sons
et voir des couleurs, mais « la physique nous apprend par exemple que quelque chose de vert existe est
un énoncé parfaitement faux. Vert n’a
rien à voir avec un mouvement d’ondes, donc ce qui existe n’est pas quelque chose
de vert, mais au mieux quelque chose qui vibre » (Erfahrunsgrundlagen unseres Wissens, p.40).
On
peut évidemment entendre cette théorie de
l’objet qu’il défend au sens large, de façon systématique, en y incluant
les relations, les nombres, les complexions
(selon le terme qu’affectionne Meinong), les entités imaginaires, les objets
incomplets (implectiques), les
dignitatifs et les désidératifs — objets de la valeur et du jugement de valeur comme
de nos diverses dispositions affectives. Il est donc possible de comprendre l’objet
tel un summum genus. Cette expression
est celle qu’emploie Venanzio Raspa, à la suite de Twardowski, dans sa présentation
et sa lumineuse reconstruction historique (Teoria
dell’Oggetto, Edizioni Parnaso, Trieste, 2002). C’est presque à la lettre d’ailleurs
ce que Meinong soutient au dernier paragraphe de la première partie de Sur les objets d’ordre supérieur, au § 7,
consacré aux objets fondés comparés à
ceux de l’expérience. D’autres textes
de Meinong méritent une attention particulière, notamment celui sur la
production imaginative et sur la mémoire. En résumé, la « théorie de l’objet »
de Meinong dans les deux versions principales que nous en avons (Théorie de l’objet, 1904, et Sur les objets d’ordre supérieur, 1899)
n’est pas expressément « dirigée » vers la notion d’objet
intentionnel, ni à son encontre. Une ligne rappelle cet héritage dans les deux
textes. On ne peut pas dire qu’elle la complète ou qu’elle la prolonge, même si
une abondante littérature existe sur le sujet, dont le principe est de rejeter
les thèses des néo-meinongiens sur l’objet « inexistant » ou la
proposition de l’Aussersein (l’absistence),
comme si on n’avait pas besoin de lire Meinong pour en parler. Or d’une part
les néo-meinongiens sont passionnants à lire et souvent percutants (R. Routley,
T. Parsons, E. Zalta, K. Perszyck, F. Berto), d’autre part la lecture de
Meinong est en effet de celle qu’il faut recommander aux post-lettrés qui sont
devenus légion, tant l’Auteur fait preuve de ténacité et de minutie,
contraignant son lecteur à une contention d’esprit qu’on peut considérer comme
un exercice intellectuel et spéculatif adéquat à son motif même d’analyse et d’exposition.
— Ainsi du lien entre l’appréhensivité par l’esprit et l’objectualité qui ne dépend
pas de de ce dernier.
Pourquoi dès
lors ce détachement relatif vis-à-vis de l’objet intentionnel ? Il ne faut
pas tergiverser à ce propos : être-un-objet,
pour Meinong, n’est rien d’autre qu’un prédicat qui sert à désigner déjà — en
tant que tel — un objet d’ordre supérieur doté d’un caractère indépendant, mais
qui subsiste, et par-là qui n’a pas d’être-là ni de référence
dans le monde. A la différence : être-un-objet-intentionnel
ne correspond à aucune propriété discernable, en dépit de la variété des objets
intentionnels, dits de croyance et d’émotion. Il n’est rien qui suscite en moi
une identification intentionnelle comme le pensent les néo-brentaniens. J’ai
peur que le chien ne me morde, mais je n’ai pas (si j’ose dire) un sentiment frémissant
comme celui du chat à l’égard des chiens ; mes cheveux ne se hérissent pas
sur la tête comme les poils sur l’échine du chat, et je me garderai aussi de
dire que les souris ont des sentiments d’appréhension semblables à l’égard des
chats comme si la classe des épisodes « qui font peur » devait être élargie
indéfiniment à tout le règne animal. Cet exemple est peut-être mal choisi pour ceux qui pratiquent
une écologie de l’esprit d’inspiration bouddhiste. Il veut éclairer simplement ce
fait que l’objet intentionnel —pris dans le focus de la perception interne —
est le contraire d’un summum genus :
il demeure spécifique et n’a pas de Sosein
distinctif, car rien n’est un objet intentionnel en plus d’être un objet tout court. On le voit bien des motifs d’anxiété
par exemple, qui n’ont souvent aucun rapport causal ou matériel avec le trouble
suscité par elle. L’objet intentionnel n’a pas de nature, quand il est compris
de la sorte, alors que l’objet au sens meinongien est à la fois extra-psychique et übertragbar dans son appréhension cognitive (i.e : intransposable) : on ne peut pas
transposer la peur des chiens à d’autres instances du sentiment de peur : son
idéalité de nature, en tant que superius,
n’est pas même eidétique comme on peut le lire dans les notes critiques de
Meinong à l’égard des Ideen de
Husserl. La dissociation entre objet et objet intentionnel reste donc sous-tendue
à ce que Meinong appelle des « présentations »
qui sont aussi dans quelques cas des assomptions imaginatives (voir le chap. 6
de Über emotionale Präsentation)
(1917). Est objet, ce vers quoi un acte ou une attitude se dirige : en y
incluant des expériences psychiques assez contrastées. Mais, à cette différence
cruciale près, que les objets sont envisageables a priori en dehors de ces mêmes expériences (leur être est indépendant
de leur représentativité).
Ce qui demeure brentanien — et
de fait Meinong conserve l’item « objet immanent »— est que la représentation
d’un objet in actu demeure un quasi-contenu pour d’autres personnes
que moi ou pour moi-même dans le passé. Encore que la notion de contenu reste énigmatiquement
« métaphorique », comme il le rappelle au chapitre 7 de ce même
ouvrage. Certaines expériences sont contrefaites, que je peux aussi viser
obliquement. La connexion avec un objet approprié est délicate et c’est la
relation idéale d’adéquation (« faire une belle promenade ») qui peut
effectuer le lien par des formes de discrépance variable : le désidératif
de la belle promenade suppose un complexe d’application (le beau temps, la présence
d’un ami, la planéité du chemin etc). Je peux appréhender l’idée du ciel bleu
indépendamment de la promenade, et me servir de représentations « d’emprunt »
à la place de celles que je perçois directement. Mais personne ne peut
identifier objet et contenu, y compris si ce dernier est pseudo-existant (et n’est
plus factuellement tel). Il y a donc bien selon Meinong une antithèse entre le
contenu d’une idée et l’acte d’idéation qui pose une objectualité indépendante
de sa perception : je sais que ma fourchette, si je la tape contre le
verre émettra un son, pour utiliser l’un de ses exemples. Cela ne m’oblige pas à
le faire, quoique je puisse comparer plusieurs sonorités si je le voulais —
Dans son dernier livre sur Brentano, Uriah Kriegel (2018, p. 57) nous explique
par exemple (je simplifie) : 1/ il y a un acte perceptuel dans le sujet S ; 2/ Il y a un arbre mental,
une idée d’arbre dans l’esprit de S ;
3/ la perception intentionnelle consiste à appliquer 2 sur 1. On ne saurait
faire plus efficace, si l’on suppose que le voir simple est toujours factif. Meinong
au contraire soutiendrait lui qu’il y a des dissimilarités objectives entre l’acte
et le contenu. Je peux voir l’arbre comme je me le suis imaginé, et constater néanmoins
un écart, ou soutenir une déception sentimentale si le moment de l’acte est « abstrait »
d’une telle représentation (le tilleul que j’aimais tant a été ébranché et je
ne le reconnais plus ; cet arbre dessiné par un enfant de maternelle ne
ressemble à aucun arbre que j’aie vu). C’est bien le contenu qui est auto-représentationnel
indépendamment de ce qui est ressenti intrinsèquement par le sujet.
Certains
demanderont : que reste-t-il de l’objet
matériel du sens commun, fût-il justement non-visé intentionnellement, ou dès
lors que nous l’avons soustrait à une visée intentionnelle ? C’est le
questionnement que défend par exemple Tim Crane dans The Objects of Thought. On devrait se souvenir ici que le livre d’E.
Anscombe, Intention (1963), écrit et
conçu dans un environnement anti-meinongien à la suite de la proscription
presque définitive que Gilbert Ryle avait lancé contre Meinong — Ryle l’ayant
accusé d’être le plus multiplieur d’entités inutiles de toute l’histoire de la
philosophie —, que le livre d’E. Anscombe en effet, propose une manière de test
grammatical qui suspecte le contenu de signification de l’objet intentionnel.
Cette suspicion lui paraît devoir être définitive et systématique. C’est ce que
Wittgenstein appelait l’« aveuglement intentionnel » dans ses conversations
avec Peter Geach en 1949 (intentional
blindness), or il semble que
cet aveuglement intentionnel soit pratiqué de nos jours comme pour se jouer, et
de façon assez triviale.
Qu’en retenir en résumé ? L’objet
intentionnel — par nature immanent —
est confronté dans la version de Brentano à l’objet
perçu — alors que Meinong préfère se confronter à l’objet du jugement. Sa grande théorie des Assomptions (Über Annahmen)
consiste principalement à mettre en rapport les Objekta et les Objektive,
puisque les états de choses sur lesquels porte le jugement sont bien aussi formés
d’objets constituants. Si les objets ne sont jamais que les objets des objectifs
(les états de choses), cela signifie évidemment qu’ils ne peuvent être (au sens
brentanien) reconnus (anerkennen) ou
approuvés (zustimmen) directement par
des jugements. Paradoxalement Brentano vise néanmoins Meinong avec certaine
cruauté quand il écrit :
Certains ont pris en considération la différence entre jugements
corrects et incorrects, parlant de contenus qui existent actuellement et de
ceux qui n’existent pas actuellement […] Parce qu’il est vrai qu’il y a des
arbres, on ne dit pas simplement que des arbres existent, mais aussi que l’existence
des arbres a un être et que leur non-existence n’en a pas.
Ce qui veut dire que les contenus sont traités comme des objets,
parmi lesquels nous distinguons ceux qui ont leur être de manière impropre dans
le sujet psychiquement actif et ceux qui ont leur être dans le sens strict en
dehors du sujet. Mais comme on se faisait néanmoins scrupule de considérer le
non-être d’un centaure comme une chose effective, on s’est imaginé tenir compte
à la fois de cette ressemblance et de cette différence en qualifiant les
contenus d’« objectifs » (PEP, p303, traduction modifiée).
Il est évident
que Meinong n’a pas été compris par Brentano dans sa forme d’appréhension de l’objectualité.
Mais force est de constater que la leçon de Meinong est encore à déchiffrer :
différents types d’actes correspondent pour lui à différentes sortes d’objets
(présentations, objets du jugement, objets dignitatifs
pour le sentiment, désidératifs pour l’attente).
Les hippogriffes et les centaures sont hors de nous des entités allégoriquement
objectives. De plus à l’intérieur de l’acte, le contenu varie, dissemble ou est
similaire. Et du contenu, on doit dire —fût-il un pseudo-contenu assertif et
propositionnel — qu’il est authentiquement
psychologique : ce qui pourrait le décrédibiliser ; les choses réelles
existantes hors de moi, et les choses mentales idéales (qui ne sont pas
psychologiquement saisissables) ne font pas partie de ce que l’esprit appréhende
pour soi. Chez Meinong, l’existence représentationnelle n’est pas une existence,
mais une désignation associée : l’objet de l’acte peut bien être « non
existant, non réel, non présent, non-mental ». Le Sosein est donc radicalement
différent du Sein, que les
attributions que nous en faisons soient prédicatives ou non.
Conclusion :
Meinong conçoit l’objet visé à travers le contenu mental
bien que ce contenu soit restreint à une dénomination impropre ;
cet objet se comporte tel un référent objectuel
que l’acte n’a jamais le pouvoir de constituer. A la différence de Husserl,
il ne croit pas qu’une subjectivité transcendantale puisse être constitutive.
Secondement, en vertu de son a priorisme,
il ne développe pas l’étude des phénomènes intentionnels à travers les modes d’apparition
à la conscience. Les Erlebnisse ne
sont pas constitutives de l’objectum.
— Mais si, comme le dit Tim Crane,
des non-entités peuvent être des événements, et si parfois des objets matériels
peuvent aussi être des entités suspectes, il ne resterait plus que la représentation
d’un contenu suspensif plus ou moins saisi par des termes singuliers, pour
qualifier ces objets de pensée (p.117). Constat désultoire ou décidément limité
que ce genre de « relationnalisme » phénoméniste. Selon Tim Crane, il
n’y a pas de nature des objets
intentionnels : ce qui est incontestable ; mais
il ne s’en suit pas que l’objet matériel
non-intentionné puisse rester opaque, à croire que l’expérience
intentionnelle pourrait ne pas déterminer son objet : « no existing thing
can be identical with a non-existing thing » (The Objects of Thought, p. 133). Aucune entité existante ne peut être
corrélée avec une entité non-existante, dans ma propre traduction. Ni Meinong,
ni Brentano ne l’eussent admis, je crois. L’attracteur étrange en effet déréalise
tout ce qui tombe sous lui, et c’est bien semble-t-il le cas du concept d’objet
intentionnel.
(*) Je voudrais remercier Christian Schultheiss, Bruno
Langlet et Laurent Iglesias pour leurs suggestions et leur soutien.
Références complémentaires
A.D. SMITH, The Problem of Perception, 2002, Cambridge MA, Harvard University
Press.
Barry SMITH, Austrian Philosophy, The Legacy of Franz Brentano, 1994, Open Court,
Chicago.
D. FISETTE & Guillaume FRECHETTE,
Themes from Brentano, 2013, Rodopi,
Amsterdam.
I. TANANESCU, Franz Brentano’s Metaphysics and Ontology,
2012, Zeta Books Bucharest.
L. ALBERTAZZI, D. JACQUETTE &
R. POLI, The School of Alexius Meinong,
2001, Ashgate, Burlington
U. KRIEGEL(ed), Phenomenal Intentionality, Oxford UP,
2013
U. KRIEGEL (ed), The Routledge Handbook of Brentano and the
Brentano School, 2017, Taylor & Francis, New York.
U. KRIEGEL, Brentano’s Philosophical System : Mind, Being, Value, 2018, Oxford
University Press
C. McGINN, The Problem of Consciouness, Blackwell, 1991, Oxford.
K. MULLIGAN, Wittgenstein et la
philosophie austro-allemande, 2012, Vrin, Paris
T. CRANE, “Brentano’concept of
Intentional Inexistence”, in Aspects of Psychologism,
2014, Cambridge MA, Harvard UP.
A. MEINONG, “Sur le contenu et l’objet”
(1908), Fragment du Nachlass, in Gesamtausgabe,
vol.VIII, Graz, 1978, pp.146-159, Trad. B. Langlet (2016).
B. LANGLET, Psychologie et ontologie dans l’oeuvre d’Alexius Meinong, PhD AMU,
Aix en Provence, 2013
:
Sur ce points, voir Alain DE LIBERA, Archéologie
du sujet, Naissance du sujet, Vrin, 2007, pp.137-142, La Quête de l’identité , Vrin,2008, p.414