Motto : Crapula ingenium offuscat. Traduction : "le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net" (Pascal).

Ce blog est ouvert pour faire connaître les activités d'un groupe de recherches, le Séminaire de métaphysique d'Aix en Provence (ou SEMa). Créé fin 2004, ce séminaire est un lieu d'échanges et de propositions. Accueilli par l'IHP (EA 3276) à l'Université d'Aix Marseille (AMU), il est animé par Jean-Maurice Monnoyer, bien que ce blog lui-même ait été mis en place par ses étudiants le 4 mai 2013.


Mots-clefs : Métaphysique analytique, Histoire de la philosophie classique, moderne et contemporaine,

Métaphysique de la cognition et de la perception. Méta-esthétique.

Austrian philosophy. Philosophie du réalisme scientifique.

jeudi 9 mai 2013

Recension de Igor Agostini, L’infinità di Dio, Il dibattito da Suarez a Caterus (1597-1614), Editori Riuniti, University Press, Roma, 2008, p.438.

Jean-Maurice Monnoyer


On éprouve de la crainte parfois à parler de certains travaux qui nous font de l’impression. Fruit de patientes et difficiles recherches, leur aridité et leur force nous confondent ; ce qui est démontré est à la fois informatif et justifié et l’on ne peut qu’admirer aussi qu’ils puissent être édités avec autant de soin. C’est le cas de ce livre d’Igor Agostini : ce n’est que la première partie de sa thèse, mais le livre se visite avec un respect mêlé d’effroi, comme si l’on craignait de faire du bruit dans une enceinte conventuelle. Le lecteur est un peu étourdi par ce bruissement muet des deux patrologies de Migne (116 volumes et 223 volumes), de la Biblio-thèque de la compagnie de Jésus en 8 volumes ou des 7 volumes des Hombres y documentos de la filosofia Espanola. Je n’oublie pas le Grand dictionnaire de Théologie catholique en 15 volumes, et d’autres découvertes surprenantes de derrière les rayons (chez Lactance ou J. Hemelman, dans sa Disputata theologica de 1637, chez Vasquez, dans ses Commentaria ac disputationes de 1598, auquel s’oppose le Tractatus de divina substantia de Suarez paru en 1609), mais ce n’est là qu’un échantillon (j’espère représentatif). Dix neuf bibliothèques de références ont été consultées et sont citées dans les sources. Tout donne à croire qu’une sorte d’intrigue s’est nouée entre les différents traités, synopsis et disputes, une « intrigue » qui se trouve savamment « re-contextualisée », le mot prend tout son sens ici. Mais on entend quand même entre ces citations croisées — les plus « rares » souvent, ou qui n’ont jamais été faites — un bavardage chuchotant qui ne ferait qu’amplifier la rumeur entre les maroquins sur les rayonnages, pendant que de petits « béliards » (ces diables de la Kabbale) s’amuseraient à changer la disposition des pages et des livres pour perturber les références. L’affaire est sérieuse, c’est comme une diffamation que l’on efface par les armes de la métaphysique au profit de la science théo-logique : elle est jugée nous dit l’auteur entre 1597 et 1641.


Que dirait cette rumeur ? — Que la question de l’être divin ne ressortit pas de son existence extrapolée au plus parfait des « étants » depuis Anselme et Bonaventure ; cette perfection cède devant la raison formelle qui est celle de son essence même. Et elle n’est pas telle qu’elle est virtuellement controversée dans l’histoire des « noms » de Dieu (ou plutôt de ses prédicats) depuis Jean Damascène au moins[1]. Il faut remonter à Henri de Gand, précurseur de Scot, et interroger comme il l’a fait (notamment dans le Quodlibet X) la séparation « en » Dieu de l’essence et de l’existence, comme la source de la polémique[2]. Suarez et Vasquez diront que cette distinction n’est pas une distinction réelle. Le débat vient de ce que la distinction entre essence et être serait seulement « métaphysique » chez les créatures, tandis que la scolastique moderne des Jésuites fait « rétroagir », comme le dit Agostini (p.351), le creusement de la distinction entre essence et existence « au plan théologique ». La crise de la conception thomiste de l’infinité, reposant sur la limitation de la matière par la forme et réciproquement, et corollairement l’accusation assez grave d’ « anthro-pologisme » demeurera y compris (injustement) contre le même Thomas, jusque la fin du XVIIe siècle. Au terme de ces âpres discussions dont le De ente et essentia serait la source, Descartes dira à l’article 27 des Principes, qu’il ne reconnaît qu’à Dieu seul le nom d’infini (nomen infiniti), y compris dans son intelligibilité. Duns Scot a défendu la thèse positive disant que l’infinité de Dieu est un attribut (le mode intrinsèque de cette étantité) et qu’on ne pouvait démontrer son caractère contradictoire[3] : une négation quant au terme, mais une positivité quant à la res significata, disait Henri de Gand. Agostini entend bruire ce débat dans toute l’Europe au début du XVIIe siècle ; un débat qu’il extirpe de ses traquenards et de ces lézards procéduriers. Depuis Scot, comme il a déjà été montré souvent, on reprend cette idée qu’on ne doit plus partir de l’an sit pour aller vers le quod sit (ce qui était la position d’Aristote et de Thomas), mais inversement du quod sit qui est logiquement prioritaire pour aller vers l’an sit. Or c’est dire très superficiellement ce qu’il en est, si on le résume ainsi à partir de l’Ordinatio (I, 3, §11). L’essentiel repose sur une option théologique (le concept de Dieu existant par soi), or selon Scot, l’assertion « Dieu est » est connue par soi, mais elle n’est conçue par nous que d’après une démonstration qui établit la possibilité de son essence, et c’est alors une option métaphysique qui va déduire l’existence de Dieu de la possibilité de son essence : elles semblent divorcer l’une de l’autre, sans être pourtant séparables. La réalité du possible implique la réalité essentielle du nécessaire au sens scotiste. Les néo-scolastiques relisant Scot seront fort sensibles à cet argument contre la « preuve » thomiste. Pour Thomas, Dieu est subsistant, en tant qu’il ne peut être reçu en autre chose, et il est dit infini en tant que essence et existence ne « composent pas en lui » ; mais il y a bien de ce fait une indépendance causale de Dieu qui est enfermé dans l’ens irreceptum, et qui contredit apparemment sa « raison » d’être, en tant que causae rationis. Je ne peux selon Suarez fonder la « subsistance » de Dieu sur la réalité d’un Etre qui possède en soi-même la « raison » et le principe de son existence : donc son aséité (son ens a se). Il ne conteste pas l’infinité de Dieu, mais la nature de la preuve thomiste. En ce sens, la non discriminabilité en Dieu de l’acte et de la puissance rendent inefficace la séparation de l’essence et de l’existence dans les choses créées qui dépendent de sa puissance infinie. Je pourrais douter de l’ « infinité de Dieu » par abliété en lui conférant par certains biais d’autres propriétés, en lui supposant de fausses dépendances cognoscives ou theodictiques relativement à sa création : ce serait en autre chose (ab alio ou in alio) — mais non de par la nature de cette entité que je présuppose. Ainsi il y a des vérités éternelles qui ne doivent pas leur éternité à des essences incréées, mais à l’existence de Dieu d’où procède l’existence créée. C’est pourquoi il est beaucoup question de l’aséité dans ce livre, afin de nous faire comprendre la situation paradoxale de Descartes qui va sortir du débat et le transfigurer. Suarez proposait d’identifier infini et perfection et de démontrer l’infinité par l’aséité, mais négativement. La ligne scotiste, héritée de Henri de Grand, défendait une conception positive de l’infini.

Allons plus loin dans cette dialectique métaphysique qui aboutit par d’autres chemins tortueux à Descartes dans ses Réponses 1 et 4. Essayons de repenser à notre tour les tenants et les aboutissants. S’il en allait ainsi, si la caution théologique suffisait, celle de Bonaventure par exemple, la causalité efficiente serait suspendue : Dieu n’aurait pas eu de raison de créer les vérités éternelles, en plus de donner une intelligibilité aux étants créés, s’il n’était pas d’abord cause de sa création, car la création des premières dépend de la sui causa, quand bien même il ne pourrait justement l’appliquer objectivement à elles ab alio — puisqu’il est négativement incréé et incompréhensible en même temps qu’infini dans l’intellect humain. La toute puissance de l’immensité de sa nature implique la causa sive ratio, par une sorte de « reddition » de la puissance à l’acte. Mais il ne s’agit pas d’un principe de raison avant l’heure et avant la lettre. Cette rumeur dont nous parlions sera bien levée par la sui causa, dès la Méditation III, en tant qu’elle est la raison formelle de l’existence divine, et non de l’être créé (ce qu’il redit dans les Quatrièmes Réponses). Agostini a su garder le cap. Il a su introduire une sorte de sémantèse contrastive, pour parler le langage du Père Armogathe. Ou bien de « re-semantèse », comme il le revendique, parce que tous les concepts varient dans leur acception. Il a su récapituler un débat très compliqué sans pratiquement jamais heideggerianiser son propos. Ce maître-livre est à placer à côté de peu d’autres qui lui tiennent compagnie, ceux de J. Maritain, d’E. Gilson, de J .-F. Courtine ou d’A. de Libera[4] ; il participe aussi de cette courageuse entreprise du Web site, le Scholasticon de Jacob Schmutz. Or on y trouve plus, on le verra, que cette simple accumulation de références. Igor Agostini remercie Mmes G. Belgioioso et E. Scribano qui ont veillé sur sa formation avec une jalouse intransigeance (dirigeant sa thèse), le professeur P. Porro de Bari (éminent médiéviste), et les responsables de l’université de Gênes, mais que d’ouvrages consultés aux quatre coins de la Péninsule et à Paris ou ailleurs. Que de trouvailles exploitées avec modestie : de J. Clauberg dans sa Defensio cartesiana, ou du mystérieux bruxellois Der Kennis qui publie en 1655 De Deo uno, trino, creatore jusqu’à ce ténébreux jésuite et théologien allemand Haunold qui en 1670 continue à polémiquer contre Thomas. Les différents chapitres du livre sont là pour en témoigner, quoique nous intéresse plus particulièrement — certes — le chapitre XII et dernier : « Caterus et Descartes », plus la Nota in margine (un petit chef d’œuvre de précision).

Le cadre fixé, nous n’avons rien dit. Il serait malvenu de rechigner : Agostini n’a pas voulu externaliser le débat français. Ce n’est pas dans son genre ; l’homme est poli et se moque de nos querelles. Il s’occupe du « moment suarezien » dont a parlé excellemment Courtine, mais avec de fortes inclinations thomistes (Caterus était thomiste), et une perspicacité de bibliomane averti. Est-ce vraiment de la grande et bonne philosophie ? On doit répondre par l’affirmative, et je tenterai de le montrer succincte-ment, non tant pour le métier d’indexation des sources et des items (qui est exceptionnel) que pour le sujet disputé. Quelle infinité de Dieu ? Est-elle une positivité, ou est-ce que nous la disons telle par une limitation de l’intellect ? Est-ce que l’infinité et la perfection s’identifient au sens de l’identification de Suarez ? Pour Agostini (v. pp. 305-325), il est vrai que Descartes reconnaît à Caterus qu’on ne peut inférer l’infinité à partir de l’aséité, mais qu’au contraire d’après Des-cartes on pourra inférer de l’aséité à l’infinité par l’admission de la cause formelle (il n’y a donc pas d’aséité positive, si l’on admet que la raison formelle de la cause remplace la « limitation » de l’auto-création). Le moi ne peut être en rien causa sui : la ratio cognoscendi dépend de la cause efficiente. Il est im-portant d’y insister, tant il est vrai que le Moi que je suis et dont je ne peux douter qu’il soit, je ne le peux penser que comme « dépendant » ab alio ; il n’est jamais a se en un sens positif (Agostini p. 323) ; je suis « dual », à la différence de Dieu. L’objection de Caterus est bien de prétendre que l’invention du Cogito relèverait d’une outrecuidance de la création autonome d’une pensée de soi, ce que Descartes nie formellement. Au moment où se forge l’Âme moderne au creuset du monde baroque, et sur le rapport même de l’infini mathématique et de l’intellect divin, la structure scolastique des questions est reprise : leur « scolasticité » est troublante, puisque cette question de l’infinité de Dieu était à la fois rebattue et nouvellement disputée par les théologiens modernes au moment où Descartes l’évoque pour la transformer dans le moteur sémantique de la sui causa. Il est donc compréhensible que cette idée nouvelle fût jugée « hérétique » par quelques-uns. 

Si on devait résumer la thèse de I. Agostini, on dirait pour très gros (la querelle européenne est parfaitement explicitée par lui) : 1/ Il part de la mention de l’ « infinité de Dieu » chez Suarez (Metaphysicae Disputationes XXVII-XXXI) en concluant par l’inclusion rationnelle de l’existence dans l’essence : Suarez assimile ensuite dans le Tractatus de divina substantia de 1609, l’infinité de Dieu à la raison formelle de l’essence. 2/ Puis Agostini dresse le procès verbal de la critique de la réduction inclusive de l’infinité de Dieu à l’aséité chez G. Vasquez. 3/Il reprend alors l’opposition de Suarez à Vasquez, et la progressive domination des thèses du premier tant chez les Flamands que chez les théologiens Réformés. 4/Enfin L’A. résume la réaction thomiste et scotiste, comme si l’on avait voulu réfuter plus ou moins explicitement dans le camp des Dominicains l’homolo-gation par les jésuites des thèses « réalistes » de Thomas. 5/ Il conclut sur les rapports entre Jan de Kater (Caterus) et Suarez.

Dans le détail, le livre est beaucoup plus riche, il reprend les défenses à Thomas par Cajetan, les remarques de Scot, le Subtil, soutenant que toute essence est intrinsèquement finie, que l’assimilation de l’infini au parfait reste légitime tant qu’il n’y a pas composition de l’existence et de l’essence, etc. Descartes est donc un peu hors jeu dans la plus grande partie du travail. Le but est de reconstituer un contexte et une polémique. Même si par exemple il y a un net infléchissement de Descartes dans les Quatrièmes Réponses, où il assimile quasiment l’aséité à la cause formelle (AT VII, 238, 26-28). L’auteur des Méditations apparaît comme un témoin à charge dans cette même inquisition conceptuelle, au cœur d’une dispute acharnée qui ressemble à un conflit « gigantomachique » (Thomas et les Néoscolasti-ques espagnols d’un côté, les Réformés contre les thomistes italiens de l’autre). Mersenne et Arnaud lui reprocheront de renchérir sur différents ordres de disputes : d’un côté la dispute théologique, et de l’autre la défense des positions occamistes et scotistes par des voies détournées. Agostini a raison de montrer que selon Suarez la distinction de raison de l’étant fini entre essence et existence retentit sur la puissance réceptive de la créature. L’esse irreceptum devient ambivalent (p.81). Le seul défaut de ce magnifique travail est en effet qu’il eût fallu assumer sous forme d’arguments moins redondants le centre du problème : à quoi Igor Agostini répond que ce sont bien « de » ces mêmes embrouilles termino-logiques que ressort le fond de la querelle, en effet. On se souvient par exemple que pour Marion, l’infinité et la perfection de Dieu sont incompatibles chez Descartes, ou imputables en même temps à son idée, alors qu’elles le sont bien pour Thomas. Pour V. Carraud, qui suit par contre sur ce point l’interprétation de Marion, il y a des fines nuances à faire, et cette fois en se situant d’un point de vue « pascalien », tandis que l’école catholique américaine n’est pas de cet avis.

Agostini a le grand mérite de montrer l’importance des Premières Objections, l’arrière-plan thomiste et aristotélicien et l’indépendance sémantique et logique de l’aséité négative. Pour Jan de Kater la seconde preuve a posteriori de l’existence de Dieu prouverait peut-être l’aséité, mais non pas l’infinité de Dieu. Pour Caterus, c’est parce que Dieu n’est pas cause de soi qu’il est infini. Il renvoie à Suarez (Disputationes XXX, 2) mais il semble que ce soit en XXVIII, 1, 17) — donc ce n’est pas clair ; il semble que Caterus s’inspire plutôt de Wiggers son maître, qui a cherché la raison formelle de l’infinité de Dieu. Pour la première fois, on se libère du caractère défectif de l’ « apeiron » grec, selon la quantité, alors que c’est ce qui est achevé, abouti dans sa perfection, qui est fini. Quel aurait été le défaut de Thomas ? Commentant la physique aristotélicienne, il bute sur ce problème grave (une chose est parfaite ou finie, ou infinie mais impar-faite). Il propose de distinguer entre l’infini selon la quantité et l’infini selon l’essence (Somme contre les Gentils, livre 1), ou encore de défendre l’infinité dans la forme (ou raison formelle). La théologie catholique va donc penser l’infinité et la perfection de Dieu comme des attributs réciproques. Avec une différence chez Scot qui rediscute déjà la question 7 de la partie I de la grande Summa Theologiae de Thomas, le geste étant repris on l’a vu chez Suarez, revenant sur le même passage de Thomas, quoique que jugeant lui « démontrable » cette infinité à la différence de Scot. Il y a donc bien ici une querelle d’école, entre Vasquez et Suarez à propos de Scot et de Thomas. La grande valeur du livre d’Agostini est de nous faire sortir de cette querelle et de faire entendre la « limitation interne » de la Méditation III sur une base différente : l’étant qui n’est pas cause efficiente de soi (p.322) est celui qui découvre l’idée de Dieu. Ajoutons ici qu’il n’y a à notre connaissance qu’une seule occurrence où Descartes parle de la « volonté infinie » de l’homme (à Mersenne, 25 décembre 1639), qui fait que nous serions créés à son image. 

Jean-Maurice Monnoyer




[1] : Descartes reprend cette notion du parfait comme antérieure à l’imparfait dans la Méditation III (AT, VII, 45-46). Mais il ne s’agit pas encore de l’idée d’infini. Le centre du problème concerne la composition de l’essence et de l’étant divin, telle que discutée par Henri de Gand et Scot, et surtout de la façon dont on entend le rôle de l’essence devenue un ens diminutum dans l’intellect humain.
[2] : in Etre, essence et contingence, Les Belles Lettres, 2006 pp ; 181-223
[3] : Ordinatio, I, 3, trad. O. Boulnois, PUF, p. 110.
[4] : Il faudrait ici ajouter le livre de Vincent Carraud, Causa sive ratio, la raison de la cause de Suarez à Leibniz, PUF, 2002. Sa thèse principale est que « la causalité ne produit de l’intelligibilité qu’en restant elle-même inintelligible » (p. 503), et en vertu de ce qu’il est convenu d’appeler dans l’Ecole française « l’analogie de l’efficience ». Carraud défend une aséité positive qui ne lui paraît pas telle quelle problématique, qui serait retournée par Descartes de son emploi négatif, par un « renversement complet » (v .p.266-275). « Ce que les scolastiques appellent aséité négative est une chose positive, en ce qu’elle vient d’une essence suprêmement positive. Descartes substitue à la qualification purement logique de la positivité et de la négativité qui caractérise le concept scolastique (être par soi/n’être pas dans autre chose) une détermination strictement métaphysique qui impose d’en renverser l’emploi ( …) l’aséité positive des scolastiques était pour Descartes contradictoire (…), à Dieu revient l’aséité positive entendue comme non indigence de la cause efficiente, dès lors que la positivité non seulement n’implique pas de nommer une cause, mais requiert exactement le contraire, ne pas en admettre » (ibid). Il faut signaler que s’appuyant sur les Premières réponses mais aussi sur les Quatrièmes, Carraud se sépare ici de Jean-Luc Marion (p.276 et 277), d’Alquié (pour qui Descartes se renie) et même de Gilson. Le point délicat est que Descartes se refuse à penser Dieu comme causa efficientem sive ipsius, acceptant à la lettre le reproche que lui fait Arnaud dans les termes. Dieu ne peut pas être positivement cause efficiente de soi (AT vol VIII-2, 368-369. Pourtant dans Sur le Prisme métaphysique de Descartes, Marion le soutient farouchement (p.114). Descartes évidemment ne pouvait pas écrire que Dieu est négativement cause efficiente de soi : c’est un fait de logique élémentaire. Quand il parle de positivité, c’est au sens de la raison et non pas de la cause, et c’est de l’imperfection de l’esprit humain qu’il s’agit (on peut ici donner crédit à V. Carraud).

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