La référence et le nouvel essentialisme
Stephen
Mumford (Université de Nottingham)
Introduction
Dans
notre monde, il y a des objets particuliers auxquels nous pouvons appliquer une
distinction instance-type. Les instances sont des particuliers, ainsi ce stylo,
cet ordinateur portable ou le chien près du réverbère. Parfois nous référons au
pluriel à ces particuliers, comme lorsque nous parlons de deux électrons
enchevêtrés ou d’un groupe de molécules d’eau. Il arrive aussi que nous
parlions des masses comme de particuliers, ainsi d’un tas de sable ou d’une
cuillère à café de sel. Toutes ces choses peuvent aussi bien être comprises
comme des instances que comme des types. Il y a les types stylo, ordinateur
portable, chien, électron, eau, sable et sel. Etant donné que nous pouvons
parler de ces choses comme s’il s’agissait de types, nous pouvons aussi nous
demander si les genres de choses font partie des constituants basiques du
monde. Certains genres sont artificiels, comme les ordinateurs portables, et
les stylos. Certains existent naturellement, comme les électrons et le sel. On
pourrait penser que les genres naturels devraient être inclus dans notre
ontologie fondamentale, considérant que toute ontologie de laquelle ceux-ci
seraient absents serait trop pauvre pour décrire adéquatement le monde. Si nous
admettons qu’il y a des genres naturels, nous pouvons ensuite faire un pas de
plus en considérant la question suivante. Ces genres naturels ont-ils des
propriétés essentielles ? Y-a-t-il des propriétés sans lesquelles un
particulier a ne pourrait pas être membre d’un certain genre naturel K ?
Dans
cet article, je me propose de soutenir l’idée que le nouvel essentialisme, tel
qu’il est développée par Brian Ellis (2001, 2002) reste, jusqu’à présent,
sous-motivé. La nouvelle métaphysique de Ellis, apparaît comme une panacée dans
la manière dont elle démontre comment tous les problèmes traditionnels de la
philosophie et de la science trouvent leur solution au sein du cadre
essentialiste. Mais je développerais l’idée que cette panacée n’a pas encore
été correctement établie. Nous manquons d’arguments solides en faveur de
l’essentialisme tel qu’il est développé dans la théorie de la référence,
surtout dans son application au cas des genres naturels par Putnam (1975). En
effet, Ellis admet que sa justification n’est que pragmatique :
l’essentialisme est une assomption méthodologique en science et parfois en
métaphysique. Ce qui justifie cette assomption est le travail qu’il peut
fournir, en expliquant la nécessité des lois de la nature, ou en servant de
support aux inférences contrefactuelles, et ainsi de suite. Mais je pense qu’il
est loin d’être évident que l’essentialisme puisse accomplir ce travail et,
après examen, je suspecte que l’assomption que l’essentialisme nous demande de
faire ne soit rien d’autre en réalité que l’affirmation même des bénéfices
supposés de cette assomption : c’est à dire que les lois de la nature sont
nécessaires, les inférences inductives justifiées, qu’il y a des énoncés
contrefactuels vrais, et ainsi de suite. L’argument pragmatique court dès lors
un risque de vacuité. Ajouté à cela, certains exposés apparemment plausibles
des genres naturels peuvent être donnés sans qu’il n’ait été à aucun moment
fait appel aux essences ; il semble ainsi qu’il n’y ait aucune raison
indépendante de poser de telles choses que ces essences. La conclusion, alors,
nous semble être que rien de bon ne doit être attendu de la partie
essentialiste de la métaphysique de Ellis. La philosophie de Ellis contient, en
outre, une critique de la métaphysique purement « contingentiste » de
Hume, et cette critique demeure être parfaitement dévastatrice. Je ne
contesterai pas la partie négative du travail de Ellis, mais comme toujours en
philosophie, construire un exposé positif est une matière difficile, toujours
sujette à un florilège de problèmes.
Kripke-Putnam
Nous
avons pu croire un certain temps que la stratégie dite de Kripke-Putnam
consistant à appliquer la théorie de la référence directe aux genres naturels
fournissait un élément essentialiste métaphysiquement substantiel. Salmon
(1982) nous a désabusés quant à ce point de vue. Putnam (1975) s’exprimait
encore comme si la référence aux genres pouvait être fixée ostensivement au
cours d’un contact théorique initial avec un genre naturel, tel que les
molécules d’eau, le sel ou le sable. A partir de la référence subséquente, nous
référions directement à toutes les choses ayant la même structure chimique que
l’échantillon initial. Nos ancêtres décidèrent que l’eau serait tout ce qui a
la même structure chimique que cela : quelque échantillon convenable que
nous ayons sous la main. L’échantillon se trouve être H2O
et ainsi maintenant chaque fois que nous faisons référence à de l’eau nous
devons référer à du H2O. Selon cette théorie, bien
qu’il s’agisse d’une découverte a posteriori, que l’eau soit H2O
est une vérité nécessaire, parce que tel est ce que l’eau est.
Salmon
a montré, toutefois, que le chemin allant de la référence directe à l’essence
des genres naturels n’était pas aussi direct que ce que l’on avait pu penser.
Que l’eau, quelle qu’elle soit, appartienne au même genre que ceci est une
chose. C’est un choix linguistique, elle suppose une pratique référentielle
basée sur des définitions ostensives et des conventions. Mais que l’eau soit la
chose qu’elle est, quelle qu’elle soit, en ayant la même structure
chimico-moléculaire que ceci, est une question entièrement différente. Ni la
théorie de la référence, ni aucun élément appartenant à la philosophie du
langage ne peut seul nous l’indiquer. Que la structure chimico-moléculaire
appartienne à l’essence d’un genre, que cela fasse d’un genre ce qu’il est, est
une affirmation à la fois très théorique et très substantielle, fondée sur des
engagements scientifiques ou métaphysiques qui ne peuvent plausiblement être
considérés comme faisant partie de la théorie de la référence. Ces affirmations
semblent par exemple être engagées dans une perspective réductionniste de
l’essence, l’appartenance à un genre étant déterminée par les propriétés
microscopiques des choses, ou de degré plus fondamental, plutôt que par leurs
propriétés macrosco-piques. Un tel point de vue est commun en philosophie, et
peut certainement être retrouvé dans la notion lockéenne d’essence réelle
(1690), mais il n’est pas universellement accepté (Cartwright 1999). Le
réductionnisme est une position philosophique ou idéologique en faveur de
laquelle il n’est rien que les scientifiques ou les philosophes puissent
considérer comme une preuve définitive. Ce que nous connaissons com-me le point
de vue de Kripke-Putnam nous a un certain temps donné l’illusion d’être cette
preuve, ou au moins une preuve du fait qu’il existe certains genres d’essences
chimiques pour les genres naturels. Mais nous ne devrions jamais être tentés
par l’idée qu’une vérité métaphysique substantielle peut être fournie par la
théorie de la référence seule, quel que soit l’attrait que la théorie de la
référence a par ailleurs.
L’essence
de l’essence
L’essentialisme
de Ellis ne dépend pas de cette position pour le moins hasardeuse. Elle dépend,
au lieu de cela, d’arguments plus pragmatiques. L’essentialisme est dépeint
comme étant un postulat de la science et de la métaphysique de la science (voir
Ellis 2006 : 91 et Molnar 2003 : 184). Je vais maintenant me tourner
vers la considération de deux questions simples qui touchent le cœur du nouvel
essentialisme. La première est qu’est ce qu’une telle essence est supposée
être. La seconde est pourquoi devrions-nous croire en ce type d’entités. Ma
conclusion sera une nouvelle fois qu’il n’y a aucune raison valable de croire en
l’essentialisme : j’essaierai ensuite de montrer comment il serait tout de
même possible d’accepter des genres naturels dépourvus d’essence.
Qu’est
ce que Ellis considère comme étant la notion d’essence ? Il nous en donne
l’exposé suivant :
Certaines choses … ont
une partie ou la totalité de leurs propriétés nécessairement dans le sens où
elles ne pourraient perdre aucune de ces propriétés sans cesser d’être des
choses du genre auquel elles appartiennent et rien ne pourrait acquérir aucun
ensemble de propriétés-identificatrices d’un genre sans devenir une chose de ce
genre. Ces ensembles de propriétés intrinsèques identifiant les genres sont ce
que j’appelle ‘les essences réelles des genres naturels’.
(Ellis 2001 : 237-8)
Ce
qui suit peut fournit quelques détails supplémentaires :
C’est une vérité
nécessaire qu’une chose d’un genre K ait la propriété P, si P est une propriété
essentielle de K. C’est évidemment un fait a posteriori de savoir quelles
propriétés sont essentielles à un genre donné. (Ellis
2001 : 219)
Notons
qu’ici comme en d’autres endroits, Ellis ne semble pas disposer d’une notion
d’essence qui soit d’une quelconque façon plus raffinée que celle de la seule
nécessité. Par exemple :
Ces postulats, s’ils
sont vrais, doivent sans doute être nécessairement vrais, du fait qu’il est
très possible que, si les choses n’avaient pas la constitution qu’ils sont
théoriquement supposés avoir, ils ne pourraient pas être des choses du genre
qu’ils sont.
Et
peu après :
Cependant, s’ils sont
vrais, ils sont nécessairement vrais ; c’est tout ce que l’essentialisme
requiert. (Ellis 2006 : 91)
Que
cela ressorte ou non d’une volonté délibérée, nous pouvons remarquer que Ellis
n’emploie pas une notion d’essence aussi sophistiquée que celle, par exemple,
de Fine (1994). Il est possible de soutenir que la nécessité n’est pas
exactement ce que nous voulons signifier par notre notion d’essence. Je puis
penser que je suis nécessairement tel que 2 + 2 = 4, mais non pas que je suis essentiellement
tel que 2 + 2 = 4. Certainement, dans tous les mondes où j’existe, 2 + 2 = 4,
et selon ce critère je suis nécessairement tel que 2 + 2 = 4. Il semble
pourtant que nous devrions nier l’affirmation selon laquelle je suis essentiellement
tel que 2 + 2 = 4, parce que cette vérité mathématique, bien qu’elle soit vraie
dans tous les mondes (et par conséquent dans tous les mondes où j’existe) ne
doit pas faire partie de mon essence.
Pour
d’autres raisons, je me suis ailleurs interrogé (2004 : 116-18 et
2006 : 58) sur la question de savoir si le fait d’expliquer l’essence de
cette façon capturait adéquatement l’idée qu’elle renferme. La question serait
de savoir comment nous pouvons savoir qu’une propriété F est essentiellement du
genre K. Nous pouvons savoir que F est instancié par tous les membres d’un
genre, mais cela ne semble pas suffire à montrer qu’il lui est essentiel de
l’être pour être un membre de K. Une propriété G est non-essentielle ou accidentelle
pour K, si le fait qu’un membre de K l’instancie est un fait contingent. Mais
cela laisse ouverte la possibilité contingente que tous les membres de K se
trouvent justement instancier G. G est accidentel, mais cependant il est
possédé universellement par tous les membres de K. Comment, donc, pouvons-nous
différencier les propriétés universelles qui sont essentielles de celle qui,
pour ce que nous en savons, sont universelles mais accidentelles ?
Il
existe une réponse à cette question, mais qui ne sera sans doute pas d’une
grande utilité pour l’essentialiste. On pourrait soutenir que les propriétés
essentielles sont celles qui peuvent supporter les inférences contrefactuelles,
alors que les propriétés accidentelles, même si elles sont universellement
possédées par l’ensemble des membres du genre, ne le peuvent pas. Nous pouvons
ainsi dire que si F est une propriété essentielle de K, il existe un
contrefactuel vrai tel que si le particulier a, qui n’est pas un membre de K,
était un membre de K, il serait un F. D’un autre côté, même si G est une
propriété accidentelle universelle de K, elle ne peut rendre vrai le
contrefactuel selon lequel si a, qui n’est pas un membre de K, était un membre
de K, il serait un G. Une possibilité de critique de cette position reste
cependant ouverte à l’anti-essentialiste. La réponse que nous venons d’examiner
stipule en préalable qu’il y a des propriétés essentielles, sans qu’elles aient
été établies par ailleurs. Mais elle fait pourtant une distinction entre les
propriétés essentielles et les propriétés accidentelles universelles en des
termes contrefactuels. Procéder ainsi semble ne pouvoir faire qu’accroître
notre suspicion. L’un des avantages de l’essentialisme par opposition, par
exemple, au réalisme des mondes possibles de Lewis, est que l’essentialisme ne
requiert qu’un seul monde. Il s’agit d’un exposé naturaliste qui n’a besoin que
de l’existence de notre monde. Le recours aux vérités contrefactuelles comme
façon de distinguer ultimement entre les propriétés accidentelles et
essentielles semble aller à l’encontre du cœur de la théorie. Les
essentialistes affirment, cependant, qu’ils disposent également d’un exposé
naturaliste de la vérité des contrefactuels. Les propriétés essentielles
elles-mêmes appartiennent à notre monde, mais elles ne sont pas pour autant
impuissantes à rendre vrais les contrefactuels. Or cela, tel que je l’envisage,
semble signifier que la relation de rendre-vrai des contrefactuels est l’un des
objectifs en vu duquel les propriétés essentielles ont été définies. Le fait
qu’une propriété essentielle rende un contrefactuel vrai semble, à mon sens,
n’être qu’une simple stipulation, et ceci même, nous le verrons, n’est que l’un
des exemples où un bénéfice supposé de l’essentialisme est en réalité l’une de
ces assomptions : le fait que les propriétés essentielles sous-tendent les
vérités contrefactuelles est simplement admis.
Malgré
ce propos sur la nécessité, qui est devenue une partie prédomi-nante de la
notion de nécessité, en raison, je le suspecte, des idées de Kripke (1980) — en
certains endroits, Ellis y met moins d’emphase, pour se concentrer sur la
notion lockéenne d’essence. Par notion lockéenne, j’entends quelque chose dans
la ligne de pensée d’une substructure commune à tous les membres d’un genre qui
fonde, et ainsi explique, leurs qualités superficielles communes. L’essence
réelle de Locke joue ce rôle, bien que cela soit également pour lui, et de
façon importante, « l’être même de toute chose, par laquelle elle est ce
qu’elle est » (Locke 1690, 3.3.15). L’essence de Ellis semble avoir le
même rôle que l’essence réelle de Locke, par exemple, lorsqu’il dit :
Si notre science est
vraie, les essences postulées sont les causes intrinsèques des propriétés
manifestes et des comportements des substances en question.
(Ellis 2006 : 92)
Et
l’idée lockéenne d’une essence comme étant « l’être même de toute chose,
par laquelle elle est ce qu’elle est » est également présente,
ainsi :
Mumford n’est pas
convaincu du fait qu’il y ait un besoin quelconque de mon postulat additionnel
selon lequel les genres naturels doivent avoir une essence réelle, i.e. des
ensembles de propriétés ou de structures intrinsèques en vertu desquels les
choses qui appartiennent à ces genres naturels sont des choses du genre qu’ils
sont. (Ellis 2006 : 90-1)
Ellis
continue en affirmant clairement que la notion de qualité intrinsèque est une
notion causale (2006 : 91). Une telle essence intrinsèque a des pouvoirs
causaux explicatifs. Ces propriétés expliquent les comporte-ments, en incluant,
on peut le supposer, l’essence nominale des membres de ces genres. Et cette
idée entraine avec elle une certaine notion de nécessité : « … avoir
la même essence implique le fait d’appartenir au même genre et une différence
quant à l’essence implique une différence quant au genre. » (2006 :
93)
Il
se trouve alors qu’Ellis se donne une définition assez complexe de la notion
d’essence. C’est une propriété — ou un ensemble de propriétés intrinsèques ou
sous-jacentes — qui est nécessaire et, semble-t-il suffisante, pour être un
membre d’un genre particulier K, et il est ainsi nécessaire que tout membre de
K la possède. Cette notion complexe doit être basée sur au moins deux postulats.
Le premier est que le com-portement superficiel observable et les qualités
manifestes des choses soient expliqués par des propriétés sous-jacentes d’ordre
inférieur. Nous pouvons appeler ce postulat le postulat de micro-réduction. Le
second est le postulat essentialiste selon lequel il existe une propriété ou un
ensemble de propriétés sous-jacentes unique exerçant cette fonction pour l’ensemble
des membres du genre. Il serait possible de soutenir un seul de ces postulats,
sans soutenir l’autre. On pourrait être un micro-réductionniste sans pour
autant être un essentialiste si l’on pensait, par exemple, que les mêmes
propriétés et comportements de degré supérieur pouvaient être réalisés de façon
variable par différentes propriétés de degré inférieur. Et l’on pourrait être
essentialiste sans être micro-réductionniste, en considérant que les essences
doivent être recherchées au niveau macroscopique plutôt qu’au niveau
microscopique. L’essence réelle lockéenne, cependant, est une notion qui lie
ces deux engagements ensembles et il semble évident que la notion d’essence de
Ellis aille dans ce sens. J’ai déjà mentionné que le postulat de micro-réduction
reste discutable, selon l’analyse de Nancy Cartwright. Mais je m’en tiendrais
dans la suite de cet article au seul postulat essentialiste.
L’argument
en faveur de l’essentialisme
Je
porterai de nouveau mon attention sur l’argument du nouvel essentialisme de
Ellis, en partie parce que je considère que Salmon a déjà réfuté de façon
appropriée l’argument dit de Kripke-Putnam en faveur de l’essentialisme.
L’argument de Ellis n’est pas direct, mais les arguments directs sont rares en
métaphysique. Nous avons au lieu de cela un argument par
« exposition » :
La forme de l’argument …
est un argument par exposition. Vous montrez vos articles et invitez les gens à
les acheter. Si votre système frappe vos lecteurs comme étant plus simple, plus
cohérent ou plus prometteur que toutes les alternatives existantes traitant des
difficultés récalcitrantes d’autres systèmes, alors cela peut être une bonne
raison de l’acheter. (Ellis 2001 : 262)
Je
n’ai rien contre l’utilisation de ce type d’argument en métaphysique. Il est
assez commun de supposer une certaine ontologie pour ensuite justifier son
choix sur la base de sa productivité. On pourrait le voir comme une analyse de
type « coût-bénéfices ». On considère en quoi une assomption est
ontologiquement extravagante et non-économique, puis nous mettons dans la
balance ce coût avec les bénéfices que cette ontologie fournit. Cette ontologie
peut expliquer des difficultés liées à d’autres systèmes par un exposé simple
et unifié. Ainsi Lewis (1986), peut-il faire une assomption aussi
ontologiquement extravagante que celle consistant à admettre l’existence d’une
infinité d’autres mondes concrets, ressemblants plus ou moins au nôtre, tout en
justifiant l’adoption d’une hypothèse si fantastique par le fait qu’elle
fournit des théories robustes concernant les contrefactuels, la causation, la
modalité, les propriétés, et ainsi de suite. De façon similaire, la
justification que donne Molnar de son ontologie de pouvoirs est donnée en
termes du travail qu’ils peuvent accomplir. (2003 : 186) Nous pouvons
envisager une ontologie en suivant la ligne de pensée de ce que Lakatos nommait
un programme de recherche (1970). Certains programmes sont productifs : ils
conduisent à un accroissement de la connaissance et ainsi fleurissent. Mais
d’autres ne fleurissent pas et doivent dès lors dépérir, voir mourir.
Bien
que la méthode soit acceptable, nous devons encore examiner le détail
spécifique de l’argument par exposition qui nous est offert. Nous devons
considérer si les bénéfices supposés sont bien réels et, le cas échéant, s’ils
compensent véritablement les coûts. Car chacune des choses que nous ajoutons à
notre ontologie doit mériter son engagement. La position de Ellis consiste à
dire que bien que les essences soient simplement postulées, elles le sont sur
la base de leur pouvoir explicatif. Et ce que nous obtenons en retour est une
théorie de la nécessité immanente et des possibilités réelles immanentes (par
opposition aux extra-mondaines), une théorie de la causalité, une théorie des
inférences contrefactuelles, un mandat en faveur de logiques
non-extensionnelles, comme la dissolution du problème de l’induction. (Voir
l’exposé dans Ellis 2001 : chap. 8).
Mais
je dois maintenant faire retour au thème de la section précédente et considérer
comment les propriétés essentielles des membres de genres ont été distinguées
de leurs propriétés accidentelles. Le problème de l’accidentel qui est
universel a montré que nous ne pouvions inférer simplement à partir du fait que
tous les membres du genre K ont la propriété F, que F était une propriété
essentielle de K. Quelque chose de plus était requis. En tant qu’idée de
départ, nous avons observés que l’essentialiste devait affirmer qu’une
propriété essentielle devait être possédée non-seulement par l’ensemble des
membres actuels d’un genre, mais également par tout membre possible de K. A
l’opposé, concernant une propriété accidentelle, certains membres possibles de
K devaient pouvoir ne pas posséder cette propriété. Mais nous pouvons
maintenant voir que le fait de supposer qu’il y a des essences, ce qui est
l’assomption de base à partir de laquelle la position essentialiste doit
commencer, consiste à supposer certains éléments – une propriété ou un essaim
de propriétés – capables de fournir la nécessité désirée. L’assomption consiste
en ce que tous les membres de K, aussi bien actuels que possibles, ont cette
propriété essentielle. Et nous pouvons alors nous apercevoir qu’une fois que
cela est admis, tous le reste s’ensuit. Admettre une chose ayant cette
caractéristique consiste à admettre quelque chose capable de supporter un
contrefactuel, par exemple, selon lequel si a, qui n’est pas un membre de K,
était un membre de K, il serait un F. Ce qui consiste également avec
l’admission du fait que le problème de l’induction est résolu, parce que c’est
admettre que tout membre de K se comportera, de par son essence, comme les
autres membres de K. Les propriétés essentielles de Ellis sont donc causalement
productives du comportement, ce qui nous conduit ainsi à admettre également une
théorie anti-humienne de la causation. Et du fait que nous disposons de telles
connections nécessaires, cela conduit à admettre le fait qu’une logique non-extensionnelle
sera utile à l’expression d’affirmations causales vraies à propos du monde.
Tout ceci nous montre que dans le cas de l’essentialisme, en fin de compte,
tout gain putatif ressortant d’une analyse coût-bénéfice est illusoire. Les
bénéfices supposés de la théorie sont en fait exactement égaux aux coûts qu’ils
impliquent. Nous sommes seulement par là en train de prêter à la théorie ce que
nous avions initialement besoin d’admettre afin de disposer d’une conception
adéquate de l’essence. Etre une essence consiste à faire toutes ces choses et
nous n’avons pas réellement admis la notion d’essence tant que nous n’avons pas
admis qu’elle permet la résolution de la totalité de ces problèmes. Nous
devrions conclure une nouvelle fois, par conséquent, que de la même manière
qu’il n’existe aucune motivation sérieuse provenant de l’exposé de
Kripke-Putnam, il n’y a pas de motivation sérieuse provenant de l’analyse
coût-bénéfices ou de l’argument par exposition.
Un
autre argument peut-il exister ? Cela est certainement possible. Dans le
reste de cet article, j’examinerai un argument qui n’a jusqu’ici été que
vaguement articulé, selon lequel il y a des essences parce qu’il y a une
évidence quant au fait qu’il y a des genres naturels, et que les genres
naturels n’existent qu’en raison du fait qu’il y a des essences. Mais je
soutiendrai, au contraire, que la notion de genre naturel n’a pas besoin de
celle d’essence. Des genres sans essences pourront parfaitement satisfaire par
eux-mêmes toutes les conditions que l’on peut en attendre.
Des
genres sans essence
Wilkerson
est l’un de ceux qui soutiennent l’existence d’une connexion étroite entre les
genres naturels et les essences. Il soutient que « la notion de genre
naturel doit d’abord être rattachée à celle d’essence réelle, comprise comme la
propriété ou l’ensemble de propriétés à la fois nécessaires et suffisantes pour
définir l’appartenance à un genre. » (Wilkerson 1995 : 30), ou
encore, « je crois que l’engagement quant aux genres naturels est un
engagement quant à certaines essences réelles permettant les généralisations scientifiques »
(1995 : 62). Dans Laws in Nature
(2004 : ch. 7), j’essayais d’argumenter contre ce point de vue en
soutenant qu’il pouvait y avoir des genres naturels sans essence ; mais
Ellis demeura impassible. Il appelle les genres qui n’ont pas d’essence des
genres humiens (Ellis 2006 : 94). Bien qu’il reste possible d’appeler un
tel groupe un genre naturel, continue-t-il, il s’agit clairement d’un genre
inférieur. Il n’a qu’une essence nominale là où les autres disposent d’une
essence réelle. Il n’y a pas de mécanisme causal sous-jacent, pas d’essence
réelle lockéenne, que chacun des trois membres possèdent et qui est responsable
du fait qu’ils instancient tous les trois la même forme. Pour cette même
raison, de tels genres sont « ontologiquement suspects » (2006 :
94).
Arrivés
à ce point, cependant, la situation peut être renversée à l’encontre de
l’essentialisme. La ressemblance seule est dépeinte comme étant inadéquate pour
constituer un genre authentique, non suspect ou non susceptible d’être
suspecté. Mais ce qui libèrerait un genre de toute suspicion, le mécanisme
sous-jacent commun à l’ensemble des membres d’un genre, ressemble encore
beaucoup à la relation de ressemblance, mais à un niveau inférieur. A la place
de propriétés macroscopiques ressem-blantes, telles que la forme, sont mises
des propriétés microscopiques ressemblantes. Tous les membres de ce genre
naturel authentique se ressemblent en ce qu’ils partagent tous cette
substructure ou ce mécanisme. Ainsi ces deux positions sont-elles exactement
semblables, n’ayant pour seule différence que le degré plus ou moins élevé où
cette ressemblance est située.
Si
tel était le cas, remarquons-le, cela serait très dommageable pour
l’essentialisme. Je pense, cependant, que les essentialistes nieront cette
conclusion. Mais sur quelle base appuieront-ils leur déni ?
L’essentialiste insistera pour défendre que l’essence est plus qu’une simple
ressemblance de la substructure commune à l’ensemble des membres du genre. Deux
éléments sont au fondement de cette insistance, mais ils sont tous les deux
discutables.
En
premier lieu, on pourrait soutenir qu’il y a plus qu’une simple ressemblance
humienne entre les membres d’un genre, la substructure disposant d’une sorte de
nécessité. Elle est nécessaire et suffisante pour définir l’appartenance à un
genre, comme le soutient Wilkerson. Mais nous avons déjà examiné certains
éléments nous permettant de révoquer en doute ce type de point de vue. Le fait
que la possession d’une telle substructure soit nécessaire pour définir l’appartenance
ne devrait rien signifier de plus que le fait que des particuliers sont
regroupés sur la base de la possession de telle substructure, ce qui serait
assez compatible avec l’idée d’un genre comme genre ‘humien’. Mais sans doutes
ses défenseurs considèrent-ils que la notion de nécessité possède une
signification plus profonde, par exemple par le fait qu’il existe un
contrefactuel vrai, tel que, si tout particulier qui n’est pas un membre de K,
était un membre de K, alors il aurait cette substructure. Or cela, comme je
l’ai soutenu dans la section précédente, est une simple assomption ou
stipulation relative à ce que c’est qu’être une essence. Il ne peut s’agir d’un
argument capable de fournir la raison pour laquelle une nécessité servant de
support aux essences existe. L’argument selon lequel les substructures
sous-jacentes des essentialistes sont plus que de simples genres humiens de
degré inférieur, en raison du fait que ces substructures servent également de
support à la nécessité, demeure un argument sans fondement.
Le
second argument sur quoi se fonde l’idée que les genres naturels pourraient
être considérés comme étant différents des genres humiens consiste à dire
que ces substructures sont des mécanismes causalement générateurs des
propriétés et des comportements de degré supérieur. Il s’agit de la notion
lockéenne d’essence réelle. Il est donc inutile de mentionner une fois encore
que le micro-réductionisme reste une position philosophique ou idéologique —
une position qui peut tout à fait être un postulat de la science et disposer
d’un certain succès, reconnu des instances scientifiques, bien qu’il n’ait
toujours pas été établi comme étant une vérité universelle. Mais même en
laissant de côté cette réserve, un autre type de critique, assez récent,
consiste à dire que même en acceptant la micro-réduction, nous ne sommes
nullement engagés pour autant dans aucune forme sérieuse d’essentialisme (voir
Chakravartty 2008). Ce qui fait que quelqu’un est un micro-réductionniste est
simplement qu’il considère que les propriétés et les pouvoirs de degré
supérieur des choses sont d’une certaine façon déterminés et expliqués par des
propriétés et des pouvoirs de degré inférieur. Cela n’implique pas que ces
propriétés ou ces pouvoirs d’ordre inférieur soient essentiels, ainsi en ce qui
concerne l’appartenance à un genre, ni qu’ils sont l’être même de la chose, ce
par quoi elle est ce qu’elle est ; cela n’implique pas même le fait qu’une
seule et unique propriété ou pouvoir produise le phénomène d’ordre supérieur
dans chacune de ses instances. L’idée que le phénomène d’ordre supérieur puisse
être réalisé ou instancié diversement par différentes propriétés d’ordre
inférieur est un élément déjà familier dans le domaine de la philosophie de
l’esprit. Cela laisse ouverte la possibilité qu’un groupe puisse être apparenté
à un degré supérieur, que ces caractéristiques d’ordre supérieur soient
produites par des phénomènes qui sont d’un ordre relativement inférieur, tout
en possédant des différences au niveau de ces propriétés productrices d’ordre
inférieur. Toutes les choses fragiles se ressemblent, par exemple, en ce
qu’elles se brisent facilement lorsqu’elles sont frappées. Nous pouvons
admettre que cette fragilité ait dans chaque cas une base dans des propriétés
structurelles qui sont d’un ordre relativement inférieur, mais il est possible
qu’il s’agisse de propriétés structurelles très différentes, se trouvant à la
base de différents cas de fragilité. Cela nous montre que nous pouvons admettre
l’élément micro-réductif, et causalement efficace, de la notion lockéenne, sans
que cela ne nous engage en aucune manière à l’essentialisme. Ce qui compte dans
ce type d’exposé des substructures efficaces est le fait que les propriétés
d’ordre inférieur soient causalement affectées de façon adéquate. Comme
Chakravartty le souligne (2008), se sont les pouvoirs qui font le travail ici,
et non la notion d’essence.
Ce
dernier point ouvre la porte à une dernière critique. Ellis a soutenu que l’on
ne pouvait expliquer les genres naturels en termes de pouvoir sans faire appel
à l’essentialisme :
Mumford suggère
également que nous pouvons raisonnablement croire aux pouvoirs causaux pour
autant sans être essentialistes. Mais je trouve ce point de vue assez difficile
à comprendre. Premièrement, l’existence des pouvoirs causaux implique
clairement l’existence des genres naturels de processus. En particulier, cela
implique l’existence d’au moins quelques-uns des genres de processus qui sont
la manifestation de ces pouvoirs. De plus, les pouvoirs en question
appartiennent nécessairement à l’essence des ces processus. (Ellis
2006 : 94)
Ellis
semble penser que le simple fait d’accepter les pouvoirs causaux fait de nous
des essentialistes : ainsi sa propre liste d’essentialistes :
Shoemaker, Martin, Molnar, Heil et Cartwright (Ellis 2002 : 7) – est
rassemblée sur l’idée de leur engagement envers les pouvoirs plutôt que sur un
engagement explicite, ou même sur une simple mention, de leur essentialisme.
Sans doute croire aux pouvoirs, c’est croire en des propriétés dont l’essence
est d’être telles qu’elles sont dirigées vers d’au-tres propriétés : leurs
manifestations. Ce qui fait d’une disposition qu’elle a la disposition de
solubilité, par exemple, est exactement le fait qu’il s’agit de la disposition
à se dissoudre. S’il ne s’agissait pas d’une disposition à se dissoudre, nous
n’aurions pas affaire à la disposition de solubilité. Mais cela constitue-t-il
pour autant un engagement vers une quelconque forme sérieuse
d’essentialisme ? Comme je l’ai déjà soutenu ailleurs (2004 : ch.
10), Il ne s’agit en aucun cas d’une forme substantielle d’essentialisme. Il y
a certainement quelque nécessité qui est impliquée dans le fait que la
manifestation de la solubilité implique exactement ce genre de manifestation
plutôt qu’un autre, mais la source de cette nécessité n’est rien d’autre que
l’identité. La solubilité n’est rien que le pouvoir de dissoudre. De manière
générale, j’estime, la nature et l’identité d’une propriété ou d’un pouvoir
sont entièrement fournis par sa relation, en particulier sa relation causale,
avec d’autres propriétés ou d’autres pouvoirs (en suivant Shoemaker 1980, je
considère les propriétés comme étant simplement des essaims de pouvoirs). Si
être une propriété F est simplement le fait d’être dirigé vers la manifestation
G, alors il est évident que tous les F seront dirigés vers des G. Aucun
essentialisme sérieux n’est requis à cet endroit au dessus ou au delà de la
simple identité. De la même façon, si être un processus causal H est simplement
le fait d’être la manifestation de F, alors l’identité est suffisante.
Genres
naturels et référence directe
Certains
tendraient à abandonner par conséquent la notion même de genre naturel, ainsi
Hacking (2007), par exemple, en partie parce que la notion paraît être si
confuse. Pour ma part au contraire, je ne pense pas que le fait de comprendre
le monde en termes de genres, et le fait de faire référence à ces genres,
n’offense véritablement nulle vérité métaphysique. Libéré de la notion
d’essence, les genres naturels deviennent ontologiquement inoffensifs.
Je
suis en accord avec Ellis, et d’autres, à propos du fait que le monde possède
au moins certaines liaisons. Il n’y a pas de continuum (Ellis 2001 :
3) ; le monde n’est pas un porridge indifférencié, sans variété. Il existe
certaines similarités et différences réelles. Sur la base de ces similarités et
de ces différences réelles, les objets et les substances tombent dans des
genres. Mais je les vois comme n’étant rien de plus que des universaux, ou des
types, appliqués à des objets, ou à des substances, plutôt que des modes ou des
tropes. En suivant Lowe (2006), nous pouvons appeler ces genres de modes des
attributs, nous retrouvant ainsi avec deux types d’universaux, les genres et
les attributs. Je suis également tenté par une certaine forme de réalisme
immanent à propos des universaux (Armstrong 1978) dans lequel les universaux
existent seulement dans leurs instances, par opposition à la forme
platonicienne de réalisme à propos des universaux. De tels universaux immanents
sont ces choses qui passent au travers d’une pluralité. Il existe une identité
authentique de rouge qui court au travers de toutes les choses rouges. De façon
similaire, si les électrons forment véritablement un genre, il existe une propriété
authentique d’électronicité qui court au travers de tous les électrons. Avoir
une conception des genres en tant qu’universaux non platoniciens nous libère de
toute suspicion à propos du fait qu’ils puissent être des entités distinctes.
Les universaux existent, mais seulement dans leurs instances. Ce ne sont pas
des entités séparées, ni des particuliers. De façon similaire, les genres
naturels ne sont pas par eux-mêmes des entités, mails ils sont cependant réels.
Une
identité courant au travers d’une multiplicité ne requiert pas l’existence
d’une essence. Tout ce qui est requis est la similarité. Il peut exister
quelque raison pour expliquer l’existence de ces similarités. Les groupes de
propriétés se rassemblent peut-être naturellement, donnant ainsi ce que Boyd
(1999) appelle des essaims de propriétés homéo-statiques. Mais de tels genres
peuvent aussi avoir une dimension temporelle qui permet un processus de
changement graduel au sein de ces similarités, ce qui serait un challenge tout
autant pour l’essentialisme que pour le quadri-dimensionnalisme d’Armstrong en
ce qui concerne les genres.
Nous
sommes accoutumés à d’idée que les objets peuvent préserver leur identité
numérique à travers le changement. Un arbre qui fait quatre mètres de haut aujourd’hui,
peut n’avoir fait qu’un mètre de haut une année auparavant, par exemple, mais
pour autant rester le même arbre. De façon similaire, je pense que nous devons
allouer la possibilité de changements graduels dans les genres ou les types
d’objets ou de substances, permettant ainsi que la similarité spécifique par
laquelle les membres d’un genre se ressemblent puisse changer graduellement au
travers du temps. Il se peut que de tels cas soient assez rares, je crois qu’il
s’agit néanmoins d’une possibilité authentique, et ainsi ceux qui excluent la
possibilité que les espèces biologiques puissent être des genres en raison du
fait qu’ils sont susceptibles de subir certains changements évolutifs seraient
dans l’erreur (ce point de vue est discuté dans Ellis 2001 : 169). La
taille moyenne des êtres humains, par exemple, a graduellement évoluée au cours
des siècles. Les membres d’un genre ont pu se ressembler en étant petits et se
ressemblent maintenant dans le fait d’être grands. Mais le changement dans la
ressemblance a été graduel et suffisamment continu pour que nous ne soyons pas
enclins à penser qu’un genre s’est éteint et qu’un autre a vu le jour. Bien que
je pense que nous devions reconnaître l’existence de similarités et de
différences réelles dans le monde, cela ne revient pas à dire qu’il n’existe
qu’une seule façon exacte de diviser conceptuellement le monde. Nombre de
similarités et de différences réelles n’auront aucun intérêt pour les humains
et leurs pratiques scientifiques. Les termes de genres que nous utiliserons
seront ceux qui pourront nous être utiles, et le fait d’être utile impliquera
souvent une division concernant quels sont les termes génériques qui ont été
reconnus comme disposant d’un fondement réel, nous rendant capables
d’identifier des clivages authentiques dans la nature. Il se peut qu’il existe
d’autres termes de genre, dont nous pourrions avoir l’utilité, qui soient
eux-mêmes fondés sur d’autres clivages, et nous pourrions en venir à les
utiliser si la science le demandait. Mais avoir le choix parmi de nombreux
termes génériques qui pourraient tous nous être utiles ne signifie certainement
pas que nos termes de genre actuels ne parviennent pas à saisir des similarités
réelles dans la nature. Pour cette raison, nous devons nous placer du côté de
ce que Dupré (1993) nomme le réalisme de promiscuité. En réalité, les genres
sont très nombreux, et la plupart d’entre eux demeurent encore inconnus et sans
même qu’ils aient été remarqués.
J’ai
aussi une certaine sympathie pour les théories de la référence directe (voir
Recanati, 1993) mais encore une fois je pense qu’elles peuvent être élaborées
en des termes non-essentialistes. Le baptême initial d’un genre peut avoir eu
lieu, et une signification être passée à d’autres usagers du langage au travers
d’une chaîne causale. Dans la théorie de la référence directe, nous sommes en
mesure de référer directement à un tel genre, sans passer par une description.
Cela signifie également que nous n’avons pas à référer via une essence, ou à avoir
connaissance de conditions nécessaires et suffisantes à l’appartenance à un
genre. De la même façon que nous pouvons référer directement à un particulier,
nous pouvons directement référer à des groupes de particuliers par le biais de
types [qua types]. Cela rend possible le fait que nous puissions continuer de
nous référer à un genre – un groupe de particuliers ressemblants –, même si la
façon qu’ils ont de se ressembler change et évolue lentement. Une théorie
causale de la référence directe permettra à cette référence de survivre à des
telles éventualités si elles restent suffisamment continues.
Conclusion
J’ai
soutenu une position selon laquelle la notion de genre naturel était
ontologiquement inoffensive, en ce qu’elle n’avait pas besoin de celle
d’essence pour survivre. J’ai également défendu l’idée qu’il n’existe, de toute
manière, aucun argument convaincant en faveur de l’acceptation des essences.
L’argument dit de Kripke-Putnam ne parvient pas à fournir ces essences sur la
base de la théorie de la référence et l’argument par exposition de Ellis ne
nous donne que des gains illusoires lors d’une analyse de type coût-bénéfices.
L’essentialisme ne peut ainsi prétendre à être une ontologie productive. La
compréhension des genres en tant que types de particuliers ressemblants — que
ces ressemblances soient d’ordre micro- ou macroscopiques, est à lui seul
suffisant.
Remerciements
Des
versions antérieures de cet article ont été données à l’Institut Jean Nicod de
Paris, à l’Université de Provence (Aix-Marseille 1, Séminaire de métaphysique),
et à la conférence Ratio de 2005, en Lecture. Je remercie tous ceux qui m’ont
apportés leurs commentaires, et tout particulièrement Brian Ellis. La version
définitive a été écrite avec le support du AHRC-funded Metaphysics of Science
Project.
(Traduction
française Diego Covu)
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