Motto : Crapula ingenium offuscat. Traduction : "le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net" (Pascal).

Ce blog est ouvert pour faire connaître les activités d'un groupe de recherches, le Séminaire de métaphysique d'Aix en Provence (ou SEMa). Créé fin 2004, ce séminaire est un lieu d'échanges et de propositions. Accueilli par l'IHP (EA 3276) à l'Université d'Aix Marseille (AMU), il est animé par Jean-Maurice Monnoyer, bien que ce blog lui-même ait été mis en place par ses étudiants le 4 mai 2013.


Mots-clefs : Métaphysique analytique, Histoire de la philosophie classique, moderne et contemporaine,

Métaphysique de la cognition et de la perception. Méta-esthétique.

Austrian philosophy. Philosophie du réalisme scientifique.

jeudi 15 mai 2025

 


À propos de Relations, François Clementz, Vrin, Collection « Analyse et Philosophie », 2025, 450 p., 45 euros.

 

 

Louis Dermine

 

 

    Je remercie Bruno Langlet de m’avoir accueilli sur ce site. Il est un peu gênant pour un auditeur extérieur d’avoir à dresser un compte-rendu de ce livre. Comme le signale son éditeur de façon appuyée, il est vrai que j’ai été sensible à ce brio particulier qui était le sien, non pas vraiment britannique comme on l’a dit : un mélange d’humour caustique qui n’avait rien de risible ou de pincé mêlé d’une manière de « sériosité » appliquée dont il ne s’est jamais départi dans la dialectique de son enseignement, et même en dehors du cours. –Serais-je objectif ? Nous ne ferons pas ici de compte-rendu académique. Il ne s’agit pas de lui rendre hommage, mais de « sauver ce qui peut l’être » – indépendamment du contenu didactique – de ses prestations diverses, à partir de ses conférences, exposés et allocutions. On ne sait pas comment dire à ce sujet, puisque François Clementz travaillait énormément une expression de ses pensées, minutieuse, précieuse, scrupuleuse qui avait de quoi surprendre, comme si par-delà l’auditoire, il répondait à d’autres collègues et se répondait à lui-même des années après. Tantôt il se mettait au niveau de son public, tantôt laissait supposer un arrière-plan de complexités qu’il était difficile de démêler. Il n’aboutissait toujours qu’à nous faire percevoir une aporie savamment ciselée, un indécidable (il disait un inéliminable), qu’il avait un malin plaisir à exposer pour ce qu’il est. Je n’étais que témoin dans un premier temps. « Sauver ce qui peut l’être » est lui rendre justice sur le plan théorétique jusque dans l’épistémologie même de son travail professionnel. Pour le reste, on n’en peut juger : ceux qui l’ont mieux connu, le savaient affable et même d’une courtoisie appuyée. Toutefois, quand l’université de Provence changea de nom par l’objet d’une fusion administrative, il nous disait, au bar, que AMU (l’Université d’Aix-Marseille) était devenue l’Alma Mater Universitas. On sentait bien qu’il ne se savait plus à la place qui aurait dû être la sienne dans cette antiphrase. Comme qui dirait « faire de l’esprit » est aussi une forme de revanche face à la goujaterie. La hauteur du propos, le refus de tout compromis avec ceux qui le jugeait trop lent, trop peu productif, eût sans doute mérité d’autres objecteurs, d’autres complices. Toujours est-ce que l’ouvrage que son collègue a compilé ne lui aurait sans doute pas convenu sous cette forme, et en particulier pour ce qui est de l’inachevé XXL (« Relations 2010-2021 ») : cette histoire des relations par généalogie du concept, qui est demeuré inabouti malgré son ordonnance remarquable et sa mise à jour impressionnante. J.-M. Monnoyer a cru bon délivrer un ensemble presque trop riche mais non pas disparate, parce qu’il lui semblait qu’il y avait là un héritage à mettre en discussion. – Supposons que oui, mais lequel ? – L’absence d’une distribution chronologique est aussi fort discutable, même si l’éditeur nous dit que F. Clementz recorrigeait ses écrits bien après leur édition.  D’autres textes édités nous restent en effet, comme « Asymétrie, ordre et direction : la notion du sens d’une relation (Dijon, 2012), qu’il eût fallu reprendre dans ce recueil. On peut quand même entériner le choix retenu surtout pour ce qui concerne la dernière période. Il permet de se remettre en mémoire le colloque sur les Truthmakers,où John Divers et Gonzalo Rodriguez-Pereyra n’ont pas délivré leurs textes pour Ontos Verlag et cet autre qui s’intitulait Métaphysique des relations, où Jonathan Barnes, Edgar J. Lowe ont participé, ainsi que John Heil, Peter Simons, Ingvar Johansson, Pierre Grenon et quelques autres. Clementz ne s’était pas consolé (et ne s’en cachait point) de ce que sous le même titre Anna Marmodoro & David Yates aient publié The Metaphysics of Relations (Oxford, UP, 2016), d’ailleurs un excellent volume, mais d’où Meinong est cependant absent) et où certains des textes (4) prononcés à Aix ont paru. Il y avait une part de découragement chez lui, et son entreprise personnelle, telle qu’elle apparaît dans le volume Relations, paraît d’autant plus honorable selon moi, puisqu’elle se montre toujours convaincue : ce qui veut dire qu’elle est à la mesure des concepts qu’il a forgés pour ainsi dire tout seul, sans trouver de sparring-partner là-même où il était assigné à pouvoir s’exprimer. D’autres de ses collègues dans le Centre de recherches (l’UMR) l’admonestaient en le trouvant purement rhétorique alors qu’il insistait sur la philosophie du langage qu’il mettait à l’épreuve pratiquement dans ces exercices imposés.

 

   On voudrait revenir simplement sur les interventions que nous avons personnellement suivies. 

 

   L’impulsion métaphysique donnée par F. Clementz ne s’est pas démentie, et s’est même renforcée au cours des années à l’encontre d’une épistémologie des relations. C’était toujours en faveur d’un « réalisme » (qui n’était pas structural) et en réaction contre la notion de survenance – qui n’est pas une authentique relation – afin de mieux dégager un socle théorique qu’il appela le « carré des relations », mais dont il ne donna jamais le diagramme. Dans le grand exposé XXL, à la fin de cette exposition qu’il ne put achever, il envisage le neutralisme ou le « positionnalisme » de Kit Fine avec une grande perspicacité (pp.135-149), suivant (en partie seulement) la prudence critique de F. McBride dans ce débat. Ce n’est pas notre sujet d’en discuter. L’affaire suit son cours. – Qui pourra répondre de ce morceau de bravoure, trop récapitulatif, presque désespéré, quoique l’aboutissement m’en semble excellent à plusieurs titres (pp. 123-159) ? 

 

    Clementz n’a jamais soutenu un réalisme relationnel qui serait auto-fondé, bien qu’il eût penché vers une sorte de monisme plus ou moins bradleyen (avec tous les défauts qu’il savait lui appartenir). Quand il « s’est rangé des voitures », après s’être retiré d’AMU par un sursaut de dépit, revenant quand même à Aix de temps à autre, il n’a pas cessé d’œuvrer contre les menaces de régression conceptuelle. On pense au texte sur les modes et les degrés d’être (ici pp. 403-419), de 2019. Peter Simons voyait un danger qui était de surestimer le « vague » ontologique (voir le volume Cuts & Clouds, Dietz &Moruzzi, 2010, où il est discuté du supervaluationnisme) ; Simons l’associait désormais au problème de la quantification multiple de Oliver & Smiley (2013), mais il s’agit de problèmes différents. De notre côté, les doctorants, docteurs et autres participants lui objectaient le pluralisme ontologique à partir de la remise en doute de la quantification au sens de Quine, c’est-à-dire à partir de ce qu’on a nommé des quantificateurs « élites » qui ne sont plus fidèles à l’univocité du domaine de référence. Je pense aux interventions de Guillaume Bucchioni qui tranchaient dans le vif. F. Clementz n'en était pas surpris, amusé peut-être – ce n’était que des fantaisies d’écriture selon lui ; il n’était pas extensionnaliste à tout crin cependant, même s’il défendait que seules les relations internesles moins incontestables demeuraient pour lui les relations formelles de l’analyse logique. Il gardait de préférence à l’esprit le syntagme du mode de présentation, qu’il entendait enrichir à la suite de ses premiers travaux sur la perception (il serait bon d’ailleurs que quelqu’un les réunisse.) Je lui ai personnellement objecté que ce qu’il appelait une « propriété » de la relation était selon moi équivoque. 

 

   L’impulsion métaphysique venait de sa position exigeante qui ne relevait pas d’intuitions saugrenues. C’est ainsi qu’il développa le thème des relations constitutives. Il faut rappeler de quoi il est question.

 

   Tandis que nous étions intéressés avec quelques doctorants par la question des objets ordinaires, et d’abord par celui de leur composition – ce que P. Van Inwagen appelait la question spéciale de la composition –, Clementz avait perfectionné son « carré des relations », qui reposait sur quelques données claires et ne soulevait pas cette hypothèse. J’essaie à cette occasion qui m’est offerte de recomprendre ce qu’il disait : 1/ il y a des vérités relationnelles objectives et externes (mais elles n’invitent pas à penser à un réalisme relationnel et elles peuvent être contingentes) ; 2/ le cas des relations internes et apriorique quant à lui ne peut nullement être écarté : elles ont un sens nécessairement différent, parce que leur caractère « interne » est indépendant de nos constructions et relève d’une dépendance ontologique exclusive entre leurs relata monadiques ; 3/ Clementz insistait sur le fait que celles-ci sont également fondées et ne sont pas des accidents relatifs (tout un problème, elles auraient un fundamentum in re, et je demeurais sceptique avant de saisir par après où il voulait en venir) ; 4/ enfin il s’inspire de John Bennett Bacon (1940-2014) et de son Alphabet of Being pour défendre ce qu’il appelle avec lui des relations constitutives : ces dernières sont pour lui non-fondées et néanmoins essentielles. 

 

   L’énigme que présente ainsi Clementz consiste au principal à interroger justement l’élément accidentel des relations, indépendamment de la notion de constitution qui peut-être contingente et défaisable (par exemple pour une table démontable, pour la liaison d’une batterie à un appareil électronique, pour la mise en forme d’une statue entre son prototype en argile et sa fusion en un bronze, pour les agrégats et les artefacts, etc.). Non pas qu’il n’ignorât leur caractère dynamique, mais il entendait les distinguer des connexions efficaces. S’écartant de la pensée commune, celle d’une connectivité pourtant devenue concrètement déterminante dans la vie de tous les jours, il était clair qu’à ses yeux il s’agissait pour lui de ne pas se méprendre contre l’illusion qu’elles représenteraient dans leur matérialité. Cette question de la matérialité des relations avait le don de le mettre en de certaines fois en porte-à-faux avec ceux des auditeurs qui s’étaient persuadés du réalisme qu’il ne cessait de réclamer (voir sur ce plan, son recours aux conditions d’identité (p. 438) permettant de cerner une essence quelconque qu’il a mis en contraste avec la notion d’une dépendance ontologique). C’est pourquoi il désigne ces relations matérielles telles des hyper-relations – en tant que telles trop fortes – comme si leur détermination ne pouvait être qu’« artefactuelle justement, n’étant pas réellement constitutives de « touts » intégrés, quels qu’ils soient. Je schématise bien sûr. Je renvoie ici à l’article de Anne-Marie Boisvert paru dans Philosophiques (Volume 38,1, 2011, pp. 327-328). Pour Lowe, « en vertu de son identité » et « en vertu de son essence » sont synonymes. On pourrait dire néanmoins, s’il fallait nuancer, qu’en ce sens, Clementz n’a jamais admis que des composites soient effectivement « constitués » dans l’être et ne participent du mobilier de la réalité. 

 

  Le sujet est donc réellement important puisqu’il revient à penser que les essences sont des entités plus dures que les substances. C’est-à-dire finement plus dures. 

 

  Les exemples qu’ils donnent sont les suivants : les relations externes sont de comparaison (être plus grand de taille), elles ne sont ni essentielles ni fondées (comme la distance entre deux objets matériels, les relations sociales ou les relations temporelles) ; les relations internes occupent un rang intermédiaire entre les relations causales et les relations méréologiques ; elles sont fondées de manière essentielle, par exemple, « si un proton a une masse supérieure à celle d’un électron », et de manière formelle elle se dit : « Nécessairement, étant donnés a et b, alors R(a,b) ». La différence centrale est que pour lui, il faut pouvoir discriminer en quels cas ces relations sont constitutives de l’essence et/ou de l’identité de leurs termes ou bien si elles en découlent parce que la relation est instituée. Sachant bien sûr que les relations fondées sur l’existence de leurs relata n’apportent en principe aucune contribution aux pouvoirs causaux des objets qui les identifient, il faut s’en tenir à l’efficacité subsistante des propriétés monadiques. La réponse de Clementz d’après ce que nous comprenons est qu’il n’y a pas de réalité ontologique surajoutée. Deux corps célestes n’ont pas de relation attractive qui y soit causalement responsable en-dehors de la masse des deux corps A et B. 

 

   Dans nos discussions, Clementz ne donnait pas cher du non-relational tie, ou de la dyade de Bergmann, par où un universel (très mal nommé en ce cas), celui de gravité par ex., viendrait à être instancié par tel ou tel particulier. Il leur préférait les relations ontologiquement formelles. D’où ce retrait qui l’engageait à préférer les relations constitutives ou intrinsèquement telles – par opposition avec celles que nous utilisons communément pour parler des relations de connexion –, c’est-à-dire celles qu’on dit structurales en arithmétique ou celles qui existent entre les contenus sémantiques et mentaux. Relations plus fines et constitutives de l’esprit – non du cerveau bien sûr, mais de l’esprit dans le monde tel qu’il nous apparaît. Le long chapitre du livre consacré au monisme neutre dans son rapport au physicalisme chez Russell (pp. 255-280), se dégageant de tout parallélisme physico-mental, pourrait en effet se lire de la sorte, telle une réponse à Thomas Nagel et donc au vertige de l’attitude consciente étant admis que notre rapport aux apparences perceptives, si elles ne relèvent pas (selon Clementz) d’une « construction » ou d’une « composition » de l’objet physique, ne dépendent seulement en fin de compte que des relations soumises à cette intrinsic connectiveness.

 

   Pourtant, le cas de ces relations constitutives ne laissait pas de nous tracasser. Une réponse fournie par E. Jonathan Lowe est qu’il n’y a pas de « vraies » relations externes, qu’elles sont toutes fondées sur des relations internes, puisque nos « prédications matérielles » sont justement infondées. Clementz pensait de même du cas des qualia et des couleurs, quelque illustration vivid(comme disent les Anglais) nous en pourrions donner, voir ici pp. 333-353. Du colloque très disputé sur les relations ressortait aussi la position de Simons qui défendait pour sa part l’inexorabilité des entités spatio-temporelles qui les supportent ; il soutenait là encore cependant que des relations internes masquent la « nature » des rapports entre tels ou tels particuliers co-présents ou co-existants et donc que des relations internes commandent à leurs localités, sans qu’aucune relation « réelle » ne s’y ajoute. F. Clementz trouvait ainsi appui (partiellement) dans la solution essentialiste de E.J. Lowe ; de même, le déficit du trope relationnel spatial que P. Simons tenait pour inexistant ou pour n’être pas ontologiquement défendable, le confortait dans sa position. Je me souviens que Lowe était devenu tout rouge dans la discussion et que Clementz en le défendant faisait l’analyse critique de sa thèse sans l’accepter tout à fait. Seul Pierre Grenon avait alors défendu que l’ergon ontique ne peut se substituer aux « relations reliantes » qu’impose l’esprit. Mais s’il n’y a pas de vérifacteurs relationnels, parce que les relations non-symétriques demeurent prioritaires (ainsi de même dans les phases de la fonction d’onde en physique fondamentale), alors il n’y a pas de solution au problème posé par Kit Fine pour se dégager de la neutralité de la direction de sens. C’est-à-dire, dès que l’on accepte que des relations non-symétriques sont déterminantes et priment sur les asymétriques. Je donnerai ici pour exemple sa réaction face à Johansson dans une note de l’article cité plus haut, à propos de la relation « aimer » (une chose est la relation aimer elle-même, une autre est l’état intentionnel des amants, mais quid de la dépendance existentielle ?). Si Pierre aime Marie, est-ce l’état interne de Pierre qui est son fondement ? Clementz y répond dans la note 57 du même texte : il se peut que Pierre aime une Marie imaginaire et que si elle n’existait pas ou n’existait plus, la direction de la relation n’en demeurerait pas moins constitutive de son état intentionnel. Attention, ne pas entendre l’inverse : elle ne dépend pas d’un état intentionnel en tant que tel ou d’une disposition affective, ni non plus de l’existence de Marie. 

 

    La place jouée par Clementz dans le séminaire d’Aix était devenue déterminante selon moi, tant que j’en fus témoin, arrivant de Grenoble : confronté aux questions de « composition », d’« identité sortale », face à la défense des relations « intentionnées » qui posaient tout au contraire de lui, devant elles, la nature des objets ordinaires, il objectait toujours de la finesse des hypo-relations pour reprendre le terme d’I. Johansson ; il défendait aussi d’ailleurs toujours plus ou moins le disjonctivisme perceptuel (ce qui avait le don de m’agacer). Plus profondément, il concevait la relation d’identité comme constitutive, que ce soit par défaut aussi bien que factuellement puisque le rapport d’une entité et de son essence ne pouvait résulter de deux choses distinctes, et néanmoins que pour cela on ne pouvait réduire complètement l’identité au risque d’un cafouillage métaphysique. Ce qu’il laissait entendre dans « Quel rapport ? » qu’il prononça en avril 2017. Quand elles le sont, c’est qu’il est de l’essence de A de dépendre formellement d’un universel B dont elle constitue une instance. Cette réponse nous paraît résumer le fonds aporétique sur lequel F. Clementz ne cessait de s’appuyer : ce qui faisait sa conviction intime en la matière. Montrer qu’il y a des relations-qui-sont-moins-que-des-relations.  

 

   Bien d’autres sujets firent que son audience à Aix ait eu une fonction d’entraînement : qu’il s’agisse des vérifacteurs ou de la relation d’exemplification qui occupent une place de choix dans le volume Relations, pour ne point parler du sujet plus épineux de la forme logique dont il offre un spécimen particulièrement révélateur (pp.227-253). Devant les objections que nous lui soumettions, il gardait le même flegme dialectique, expert en disquisitions et surtout même expert en modestie, car il n’était jamais assuré de camper sur un résultat et se déchargeait d’abord de ses incertitudes en revenant aux données les plus classiques de la philosophie ancienne. Que tout ce qui pouvait faire pièce au relativisme eût accentué une susceptibilité théorique qu’il avait à fleur de peau, transparaît dans l’ouvrage en question, provoquant même une certaine gêne que son éditeur cherche à effacer sans y parvenir. Ce volume contient à cet égard de vrais abîmes de perplexités, tant à l’égard de la notion de fondation que de celle de la relativité ontologique qu’il conteste avec vigueur (p.153). Une même relation peut être neutre et avoir deux « modes de présentation », c’est-à-dire conserver un ordre et une direction suffisantes dans l’un ou l’autre cas. Son axiome était que (contrairement à la conception orthodoxe) « aucune relation ne constitue une entité réellement distincte de sa converse ». Il n’y a pas de « directionnalité constitutive » du sens de la relation, au double sens du mot « sens », quoi que les états de choses intentionnels puissent nous représenter avoir.

 

Je ne vois rien d’éclectique dans ce constat. Si l’on se réfère à l’un de ses premiers articles (1987) « Théorie de la signification et de la nomination », on est frappé de la permanence de sa réflexion et comment il avait su déjà se dégager élégamment des contorsions de la sémantique des noms propres au détriment de la rigidité, ne confondant pas déjà la référence et le référent (ce dont on trouve l’explication chez Mark Sainsbury : Reference without referents, dans un ouvrage paru en 2005). C’est donc un des avantages de la compilation récente que de faire voir son évolution plus sensible vers une option métaphysique réaliste, fût-ce avec de vieux outils qu’il connaissait bien. S’il n’a pas réussi à donner un exposé catégorique de la variété des relations, Relations ouvre quand même un éventail élargi pour quiconque veut s’aventurer sur ce terrain difficile. De Relations, on retiendra plusieurs points :

 

      1 : L’étude appliquée de l’esse-ad, qui a hanté Leibniz ;

 

      2 : Sa reprise des thèmes russelliens (Analysis of Matter, Analysis of Mind, Human Knowledge, qui pour lui n’ont rien perdu de leur actualité à l’époque de l’émergentisme et du panpsychisme ;

 

      3 : Son intérêt pour les penseurs australiens (D. Armstrong, D. Mertz, K. Campbell, J.-D. Bacon) qui ont beaucoup servi à dégager certaines de ses thèses antagonistes à l’endroit du réalisme sémantique ;

 

      4 : La sagacité critique envers ses contemporains dans le métier, s’exerçant au contrôle des bonnes distinctions et se retirant de débats qu’il savait perdus d’avance ;

 

      5 : L’insistance à l’endroit de la vraie charge descriptive des mots et des symboles dont il faisait sa botte secrète ;

 

      6 : L’empêchement que sa modestie lui faisait de se mêler de querelles pusillanimes de ses adversaires et amis : ce pourquoi il prit en effet tous les risques qu’impliquaient pour lui ses recherches fouillées et grammaticalement « échevelées » dont il ne pouvait se libérer, tant aux deux extrêmes, à l’égard de Derrida et de Badiou – il les disait être les deux grands pandas du zoo français, par exemple – qu’à l’adresse de certains de ses confrères. Chez lui, le choix d’écrire en philosophie implique une analyse conceptuelle qui ne pardonne pas l’excentricité, le verbe facile et certaine faconde jargonnante. D’où probablement le choix d’une phraséologie forcément irritante aux yeux de pas mal de lecteurs.

 

     7 : Enfin le constat d’un fossé infranchissable dans l’explication du vrai, si l’on ne suppose pas que la relation n’est pas déjà inscrite (en quelque façon) dans les propriétés monadiques de ses termes. C’est dans cette restriction que se loge sa leçon eu égard aux vérifacteurs qui lui firent d’abord penser qu’ils mettaient un coup d’arrêt à la réductibilité des relations, le problème n’ayant pas cessé de le tenir aux aguets sa vie durant sans qu’il sût lui apporter d’objection définitive.

 

   Avec ces remarques, ce qui pourrait être hérité de F. Clementz reste en effet notable dans ce qui se montre des propositions qu’il a laissées au sein de résumés complexes et de problèmes fortement intriqués que ce maître des impasses a considérés comme toujours actuels pour ses successeurs. Attendons pour savoir ce qui serait « un peu moins compliqué ».

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