Trouvailles et Miscellanées en Histoire de la philosophie contemporaine -V
Recension de Alexius Meinong, Über Annahmen, 1910.
Quelques excuses sont nécessaires en
raison du caractère tardif de ce compte-rendu d’une œuvre de 1910. Le recenseur
peut seulement faire valoir qu’il n’a eu le livre entre les mains que très tardivement
l’année dernière [1912] – un livre qui mérite mieux qu’une lecture pressée.
La nouvelle édition de Über Annahmen est considérablement plus étendue
que la première, car une bonne dose de controverses a fait rage sur le sujet,
et Meinong en a tenu compte. En Angleterre, il y a eu trois articles importants
de M. Russell dans Mind, vol. xiii,
et à l’étranger il y a eu une guerre au couteau avec Marty. Meinong a aussi
procédé à des changements dans l’organisation et, sur certains points, dans ses
conceptions.
Chacun doit ou devrait connaître la
thèse de l’œuvre extraordinairement talentueuse et importante de Meinong.
Celle-ci est qu’entre les actes de jugements et les idées, il y a une espèce
intermédiaire d’état psychique – l’acte d’assomption – qui ressemble au
jugement parce que son contenu peut être affirmatif ou négatif, mais qui en
diffère et ressemble aux idées parce qu’il n’est pas accompagné de conviction. Meinong
essaie de montrer qu’il est nécessaire pour diverses raisons de supposer de
tels actes, et que ceux-ci jettent un éclairage sur certaines des questions les
plus difficiles de la théorie de la connaissance. L’extrême valeur du livre ne
réside pas simplement dans la preuve amenée en faveur de l’existence des
assomptions, mais aussi dans les discussions auxquelles donne lieu la recherche
des suppositions, pour toutes sortes de points difficiles de logique et de ce
que Meinong appelle la « Théorie de l’objet ». Il y a en outre une contribution
en éthique, et en esthétique, dans la tentative meinongienne de montrer la
nécessité de supposer quelque chose de comparable aux assomptions dans les
domaines du sentiment et de la volonté.
Meinong ne pense pas qu’il soit
nécessaire de prouver que les assomptions diffèrent des jugements, mais il
pense qu’il doit prouver qu’elles diffèrent des idées. Il considère qu’il
dispose lui-même d’une évidence introspective de cette différence, mais il reconnait
qu’il est mieux d’en avoir une preuve. On se souviendra que M. Russell ne
voyait pas de raison de différencier les deux. Sur ce point, l’argument de
Meinong est important, car il y fait constamment appel tout le long du livre.
Il se présente de la manière suivante.
Nous pouvons supposer des
propositions négatives, or rien de négatif ne peut être saisi par une
représentation mais seulement par quelque chose comme un jugement. C’est ce
dernier point qu’il tente de prouver, et pour cela, il doit présupposer certaines
conclusions caractéristiques de sa théorie des Objets d’Ordre Supérieur. Ce qui
est négatif est certainement un complexe, et l’idée d’un complexe, bien qu’elle
ne soit aucunement la somme des idées des éléments, est pourtant
« produite par » ces idées et ne peut pas apparaître sans elles. Par
conséquent, s’il y avait une idée de non-A, il devrait y avoir une idée de A et
de quelque chose d’autre pour servir de fondations à cette idée. A ce stade,
Meinong discute la suggestion disant que les propositions de la forme « A
n’est pas B » peuvent être réduites à celles de la forme « A diffère
de B ». La différence est l’objet d’une idée produite, et ainsi, si la
négation pouvait être réduite à l’assertion de la différence, il serait
plausible de soutenir qu’il y a des idées produites des negativa (negatives).
Meinong dispose d’un argument
général qui, s’il est valide, serait fatal à toute tentative pour faire des negativa les objets d’idées produites.
Il se présente comme il suit. Les jugements fondés sur les idées produites de
complexes et assertant la relation de leurs éléments sont a priori et
nécessaires. Si les negativa peuvent
être présentés par des représentations, il doit s’agir de celles qui sont
produites, et les jugements négatifs doivent être nécessaires. Or nombre de
jugements négatifs ne sont pas nécessaires. Cet argument ne me semble pas
satisfaisant. Prenons les exemples de Meinong. Il est nécessaire que le rouge
diffère du bleu, mais il est contingent qu’une pierre qu’on lâche ne s’élève
pas de la terre. Par conséquent, les exemples semblent être en sa faveur. Mais
prenons la proposition disant que le vice-chancelier de l’université de
Cambridge en 1912 diffère du maitre de Trinity en 1912. Cette proposition est
vraie et porte sur la différence, qui est un objet d’ordre supérieur ;
pourtant elle est certainement aussi contingente que celle portant sur la
pierre. S’il en est ainsi, le fait que certaines propositions négatives soient
contingentes n’est pas une raison pour nier que les negativa puissent être les objets d’idées produites.
La question de savoir si les negativa peuvent être des objets d’idées
produites semble donc rester ouverte. Cependant nous pouvons jeter un coup
d’œil sur les arguments spécifiques de Meinong contre la réduction de la négation
à la différence. Meinong soutient que l’on ne peut pas identifier « n’est
pas » avec « est différent de », parce que la différence a des
degrés, tandis que l’affirmation disant que A n’est pas B est incapable de
gradation. De plus, il pense qu’une telle interprétation s’effondre devant les
propositions niant l’existence : « le mouvement perpétuel n’existe
pas » ne peut pas être la même chose que « tout ce qui existe diffère
du mouvement perpétuel ». Considérant d’abord le second point, nous
pouvons admettre que bien que les deux soient équivalentes, elles ne sont pas
identiques. D’un autre côté, si nous prenons la forme : « Un
mouvement perpétuel diffère de tout mouvement existant », il n’est pas
clair que cette proposition diffère de ce que nous pensons lorsque nous
assertons que le mouvement perpétuel n’existe pas. En raison de l’ambiguïté du
mot « est », nous pouvons à bon droit nous attendre à ce que
« n’est pas » ait plusieurs sens différents. Cette interprétation de
« n’est pas » par « est diffèrent de » est plus naturelle
là où « est » asserte l’identité, comme dans « Mr. Asquith est
le premier ministre ». Si cela doit être valide par ailleurs, nous devons
supposer que tous les autres sens de « est » peuvent être réduits à
des assertions d’identité sous un certain rapport. L’usage le plus commun de
« est » consiste à exprimer l’inhérence comme dans « la boîte aux lettres est
rouge ». On ne peut nier cela en assertant que la boîte aux lettres
diffère du rouge, car il en va toujours ainsi, qu’elle soit rouge ou non. D’un
autre côté, « la boîte aux lettres diffère par la couleur de tout ce qui
est rouge » est la négation de « la boîte aux lettres est identique à
quelque chose qui est rouge », ce qui n’est certainement pas ce que l’on entendait
en assertant que la boîte aux lettres est rouge. Je pense donc que nous pouvons
être d’accord avec Meinong que toutes les négations ne peuvent pas être
réduites aux assertions de différence. En même temps, son argument disant que
la différence a des degrés ne me semble pas valide, parce que « la différence
à quelque degré », qui est ce qui est visé par la substitution proposée,
n’a pas de degrés.
Dans le chapitre V, Meinong avance un
argumentum ad hominem contre la
conception de Mr. Russell disant que l’assomption pourrait simplement être des
idées. Il soutient que Mr. Russell admet que dans les jugements, il y a une
différence de contenu selon que la proposition jugée est négative ou positive.
Mais qu’il ne peut pas y avoir une telle différence dans les idées. Cela ne me
paraît pas être un argument fort, même ad
hominem. Si deux sortes d’actes
peuvent appréhender le même objet, il ne s’ensuit pas que si, dans les actes de
l’une des sortes, il y a une différence de contenu correspondant à une
différence dans l’objet, il doive y avoir une différence dans les actes de
l’autre sorte. En outre, je ne vois pas pourquoi il devrait être certain qu’il
n’y a pas de telles différences de contenu dans les idées, en raison de la
difficulté notoire qu’il y a à découvrir quoi que ce soit des contenus via
l’introspection directe. Finalement, je ne pense pas qu’il soit quasiment aussi
certain qu’il y ait une différence de contenu entre la supposition que P et
celle que non-p, que ça l’est en ce qui concerne la différence dans les jugements
correspondants. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il a trois différentes
attitudes envers une proposition et que Meinong confond deux d’entre elles sous
le nom de Annahme. Je distinguerais
ici la supposition et la prise en compte (Entertainment).
Il me semble que la prise en compte diffère clairement de la supposition et
qu’elle est présupposée par celle-ci et par le jugement. Lorsque Meinong
insiste sur la ressemblance entre les Annahmen
et le jugement, je pense qu’il a la supposition en tête ; lorsqu’il dit
que tout jugement présuppose une Annahme
correspondante, je pense qu’il a la prise en compte à l’esprit. Mais celle-ci, entendue
comme distincte de la supposition, ne me semble pas être différente du fait
d’avoir une idée.
Dans le deuxième paragraphe, Meinong
s’intéresse à la fonction caractéristique des phrases (Sätze). Il faut noter que par ce terme, il entend des sons ou bien
des marques sur le papier et non pas les jugements, dont il restreint le nom à
une classe d’actes mentaux, ni les objets saisis par de tels actes mentaux. Ces
derniers sont en effet souvent appelés jugements ou propositions, mais en suivant
Meinong, nous les appellerons des Objectifs.
Des phrases, on peut dire qu’elles
sont des expressions et qu’elles ont un sens. Ces sons ou marques nous
permettent d’inférer l’existence de certains états psychiques (i.e., les jugements). Les jugements ont
donc pour expression des phrases. Ces états physiques ont encore des objets, et
ces objets sont les significations des phrases.
L’exemple de la phrase illustre la
théorie générale de Meinong à propos de l’expression et de la signification. Il
introduit cependant plusieurs précisions. Nous pouvons parfois inférer, d’une
phrase qui exprime un jugement, l’existence d’autres états psychiques. Si un
homme dit « j’ai une rage de dents », et que nous le croyons, nous
pouvons inférer à la fois l’existence d’un jugement et celle d’un sentiment
dans son esprit. La phrase est donc, de manière primaire, l’expression d’un
jugement, et de manière secondaire, celle d’un sentiment.
A côté de l’expression secondaire,
Meinong introduit la signification secondaire. Ceci dépend de la théorie de
l’introspection qu’il a donnée dans son livre Über die Erfahrungsgrundlagen unseres Wissens. Certains états
d’esprit, comme les jugements, ont des objets en vertu de leur nature même, ou
bien, comme il le dit, les « présentent ». D’autres, comme les
sentiments, n’ont pas d’objets, mais peuvent dans sa conception être amenés à
se présenter eux-mêmes. Dans ce cas, ils deviennent leurs propres objets, et le
mot ou la phrase qui les expriment reçoivent alors (ce qui leur manquait avant
cela) une signification. C’est ce qu’il appelle la « signification
secondaire ».
Toute cette discussion est
préparatoire à la question de savoir si les phrases expriment toujours des jugements.
Meinong soutient que c’est faux aussi bien pour les phrases principales que
pour les subordonnées. La phrase principale : « est-ce qu’il
pleut ?» n’exprime pas de jugement ; car si nous jugions qu’il pleut
ou bien qu’il ne pleut pas, nous ne poserions pas la question. De la même
manière, pour « je ne suis pas certain que Smith soit digne de
confiance », je ne produis pas de jugement à propos de la fiabilité de
Smith. L’acte mental exprimé dans tous ces cas est une Annahme. Finalement, lorsqu’un homme utilise une phrase qui exprime
un jugement et que nous le comprenons, nous ne produisons habituellement pas un
jugement comme lui, ni un jugement sur son jugement. Nous produisons simplement
une Annahme ayant le même objectif
que celui de son jugement.
Le troisième chapitre porte sur les
Objectifs. Ils sont les objets directs des actes judicatifs et des Annahmen. Ce sont des objets, d’ordre
supérieur. En général, un jugement ou une Annahme
requiert une présentation d’objet pour sa fondation. Si nous le souhaitons, cet
objet peut être appelé l’objet indirect du jugement. Mais il vaut mieux dire
que l’objectif est ce qui est jugé tandis que l’objet est ce à propos de quoi
il y a un jugement. Prenons le jugement disant que l’herbe est verte. Ce qui
est jugé est « l’herbe est verte », et ceci est l’objectif. Mais le
jugement est fondé sur les idées de l’herbe et du vert. Et l’herbe, qui est ce
à propos de quoi il y a un jugement, est l’objet indirect du jugement. Cependant
l’objectif d’un jugement ou d’une Annahme
peut devenir l’objet indirect d’un autre jugement ou d’une autre Annahme. Dans « il est certain que
l’herbe est verte », ce qui est jugé certain n’est ni l’herbe ni le vert,
mais bien « que l’herbe est verte ». Ainsi, « que l’herbe est
verte » – qui est l’objet
immédiat ou l’objectif du jugement « l’herbe est verte » – est
l’objet indirect de « il est certain que l’herbe est verte ». Il est clair
que lorsque les objectifs deviennent des objets indirects de nouveaux jugements,
ils doivent souvent être présentés par des Annahmen
et non pas par des jugements. Ceci est évident dans des cas comme :
« il est faux que 2+2=5 ».
Les objectifs n’existent pas mais
subsistent. Et ils sont dépourvus de temporalité. Meinong n’a aucune difficulté
à montrer que les arguments contre cette dernière conception reposent sur une
confusion entre le temps impliqué dans l’objectif et le temps auquel a eu lieu le
jugement qui porte sur lui. Il est important d’être clair sur la relation entre
la subsistance et la vérité. Apparemment, tous les objectifs subsistants sont
vrais, car il les nomme des faits. D’un autre côté, certains subsistants ne
sont pas susceptibles de fausseté ou de vérité ; par exemple, la
différence entre le bleu et le rouge subsiste, mais elle n’est ni vraie ni
fausse. Et il semble que les objectifs faux, bien qu’ils n’existent ni ne
subsistent, doivent posséder quelque troisième sorte d’être. Cependant, ce
serait une sorte d’être n’ayant pas de négatif. Meinong refuse de tirer une
conclusion définitive et décide de lui donner le nom – dénué de tout engagement
– Aussersein.
Une autre caractéristique des
objectifs est qu’ils ont des propriétés modales. Il est parfaitement vrai qu’il
y aussi des différences dans les contenus corrélés des actes qui saisissent des
objectifs et que nous pouvons atteindre des différences de modalité en
réfléchissant sur ces actes. Mais nous pouvons – et c’est que nous faisons
généralement – apprendre quelque chose sur la modalité d’un objectif en
inspectant directement cet objectif. La théorie des modalités propre à Meinong
est compliquée, et je ne suis pas sûr de l’avoir comprise.
Il distingue certitude et évidence
dans le jugement en disant qu’elles correspondent à l’actualité dans l’objectif.
Il tente alors de prouver que la certitude appartient à l’acte et l’évidence au
contenu. Car, dit-il, appartient au contenu d’un état psychique ce qui ne peut
changer tandis que l’objet reste le même. Or la certitude peut changer par
degrés tandis que l’objectif reste le même. Mais l’évidence appartient au
contenu, car un jugement évident ne peut rien saisir si ce n’est un objectif
actuel. De nouvelles précisions sont cependant introduites. Il y a une évidence
pour la certitude et une évidence pour la probabilité. La première seulement correspond
à l’actualité dans l’objectif ; la seconde correspond à la possibilité. Et
il y a encore une autre sorte d’évidence, précisément l’évidence rationnelle
qui correspond à la nécessité dans l’objectif.
Je trouve difficile de voir comment
une théorie qui accepte la nécessité objective peut admettre la possibilité en
tant que qualité des objectifs. Si une proposition est vraie, sa fausseté est
impossible. Si elle est fausse, sa vérité est impossible. Mais elle doit être
ou bien vraie ou bien fausse. Et donc pour toute proposition, sa vérité est
impossible (et sa fausseté par conséquent nécessaire) ou bien l’inverse. Où
loger la possibilité objective s’il faut admettre la nécessité objective ?
Il y a aussi une difficulté concernant l’évidence et la certitude. Il est clair
que toutes deux sont conçues comme devant être psychologiques. Mais les
expressions « évidence pour la certitude », etc., suggèrent qu’il y a
quelque chose de purement logique dans l’évidence. De nouveau, l’évidence est
dite exister seulement dans les jugements saisissant des objectifs actuels.
S’il en va ainsi, nous devrions être capables de déterminer, par une introspection
suffisamment minutieuse, qu’un jugement vrai est vrai (mais pas qu’un faux est
faux, toutefois). Meinong semble en fait soutenir qu’un jugement véridiquement
évident ne peut pas avoir un objectif non actuel ; mais il s’agit ici
d’une de ces affirmations qui n’aident pas vraiment, parce que même si elles
sont fausses, elles ne pourraient pas être réfutées. Car si un jugement évident
en apparence venait à être mis en doute, Meinong n’aurait qu’à dire qu’il n’a
jamais été réellement évident. Le mélange d’éléments psychologiques et logiques
dans la certitude et dans l’évidence à son égard, que nous avons remarqué plus
haut, n’est pas une faute dans la pensée de Meinong, mais quelque chose de
typique pour ce sujet très difficile. D’un côté, la certitude est purement
psychologique et peut exister à un quelconque degré avec le même objectif ;
d’un autre côté il y a un degré adéquat de certitude qui dépend de la nature de
l’objectif jugé et d’autres objectifs. Le mystère de cet état de choses n’est
pas affaibli par l’introduction, entre l’objectif logiquement subsistant et
l’acte psychique existant, d’une espèce d’hybride logico-psychologique, de la
forme de l’évidence pour la certitude ou pour la probabilité.
Dans le chapitre IV, les cas d’Annahmen pouvant être découverts par
inspection directe sont énumérés. Meinong les trouve dans les jeux, l’art, les
questions et les désirs.
Dans le chapitre V, Meinong
s’intéresse aux types d’actes pouvant présenter les objectifs. Bien sûr, pense
Meinong, les jugements et les Annahmen
peuvent faire cela, mais pas les idées. Nous avons discuté cette question plus
tôt, mais il reste quelques points à noter. Il insiste sur la différence
extrême entre les objets qui sont admis comme objets des idées, et les
objectifs, par exemple entre une montagne et l’existence d’une montagne. Mais
est-ce que cette différence ne réside pas principalement dans le fait qu’une
montagne peut être objet de perception tandis que l’existence d’une montagne ne
le peut pas ? Or tous les objets d’idées ne sont pas perceptibles. La
constitution anglaise peut supposément être l’objet d’une idée, même si, comme
nous verrons plus tard que Meinong le soutient, une Annahme est aussi requise pour l’appréhender. Mais la constitution
anglaise ne diffère pas autant de l’existence d’une idée que les deux ne le
font d’une montagne.
Meinong tente ensuite de prouver que
les objectifs ne peuvent pas être indirectement saisis pas des idées. Par là,
il veut dire que si l’on tente de saisir des objectifs via des descriptions
telles que « l’objectif qui est saisi par le jugement J », il sera
toujours requis quelque chose de plus que des idées. Car nous auront besoin
d’une connaissance (acquaintance)
directe du jugement J, et comme J est un état psychique, il ne peut être
l’objet d’une idée. Ce dernier point de vue repose sur la théorie meinongienne
de l’introspection déjà mentionnée.
Selon Meinong, nous ne désirons pas
des objets mais des objectifs. Lorsque nous disons désirer X, ce que nous
entendons est que nous désirons l’existence de X. Et de tels objectifs doivent
être saisis par des Annahmen et non
pas par des jugements. Si nous jugions que X existe, nous ne le désirerions
pas, quoique nous pourrions bien sûr désirer sa continuation. Mais ne pouvons-nous
pas être dits désirer à t1 l’existence à t2 de X, bien que nous jugions que X
va exister à t2 ? Si ce n’est pas le cas, il s’ensuivra que rien n’existera
jamais de ce dont nous croyons que ça n’existera que si et seulement si nous le
désirons. Car si nous avons cette croyance et que nous le désirons, nous
croirons que cela va exister, et nous allons donc cesser de le désirer, et cela
n’existera jamais si notre croyance à propos de ses conditions d’existence se
trouve être vraie. Il y a aussi une difficulté supplémentaire que Meinong ne
semble pas remarquer, au sujet de la doctrine disant que nous désirons des
objectifs. Lorsque nous disons désirer X, il est raisonnable de soutenir que ce
que nous désirons réellement est l’existence de X, et il est vrai qu’il s’agit
là d’un objectif. Cependant X peut ne jamais exister. Dans ce cas,
« l’existence de X » n’est pas [un objectif] actuel. Si les objectifs
faux ne subsistent pas en un certain sens, alors il suit que nous n’avons
littéralement rien désiré, à moins que notre désir ait été satisfait. Si, de l’autre côté, ils subsistent, il
semble que nous soyons forcés de dire que ce n’est pas l’existence de X qui
nous satisferait, mais l’actualité de l’existence de X, et donc que c’est
l’actualité de l’existence de X que nous désirons vraiment. Mais l’actualité de
l’existence de X peut elle-même être fausse (et il en sera ainsi si l’existence
de X n’est pas actuelle), et nous avons donc ouvert la voir à une régression à
l’infini en tentant d’établir ce que nous désirons réellement.
Le chapitre suivant, qui s’intéresse
aux opérations sur les objectifs, est très important, car il porte en grande
partie sur la nature de l’inférence. Lorsque nous inférons q de p, une
« persuasion » se trouve en un sens transportée de Jp à Jq. Toutefois
ceci ne peut pas simplement signifier que le jugement Jp fait partie de la
cause de Jq, car ce peut être le cas lorsque nous ne disons pas que nous avons
inféré q de p. De plus, nous percevons directement que p est le fondement pour
q, tandis que nous pouvons seulement découvrir par expérimentation ce qui est
la cause de quelque chose. Meinong compare le transport de la persuasion d’un
jugement à l’autre à la production d’un jugement de comparaison évident via la
simple présentation des termes se trouvant comparés. En inférant « A est
C » de « A est B » et « B est C », les jugements portant
sur les deux derniers objectifs se trouvent dans la même relation avec le jugement
portant sur le premier, que celle des présentations de X et Y avec le jugement
évident « X diffère de Y ». Cette relation particulière s’exprime en
disant que nous jugeons que A est C « au regard de » (im Hinblick
auf) de nos jugements à propos des deux autres objectifs. L’expérience de
« juger au regard de » est ultime. Il compare cette relation à celle
qu’il y a entre des désirs lorsque nous désirons des moyens en vue du désir préexistant
d’une fin.
Parfois, cependant, lorsque Jp est
évident, nous croyons que Jq est évident alors qu’il est réellement faux et que
quelque erreur a été commise en inférant q de p. Et de nouveau, lorsque nous ne
pensons pas que Jp ou Jq sont évidents, une inférence correcte formellement de
q à partir de p semble donner l’évidence à q. Nous disons au moins qu’il est
évident que q suit réellement de p. Comme l’évidence, pour Meinong, implique la
vérité, il ne peut la compter comme évidence véritable, mais l’appelle
« quasi-évidence ». Il y a ici un changement considérable par rapport
à la première édition, où la quasi-évidence était appelée évidence relative, et
où la véritable évidence était traitée comme un de ses cas particuliers. La
position présente de Meinong est que dans des arguments formellement corrects,
lorsque la vérité des prémisses n’est pas assertée, les prémisses et la
conclusion sont angenommen, mais que
des Annahmen peuvent avoir une
évidence médiate tout comme les jugements. Il y a de grandes difficultés avec
cette conception, et Meinong les discute p.350.
Il doit supposer que les Annahmen peuvent avoir une évidence
médiate, mais non pas immédiate. Et cela est très différent des jugements qui
peuvent obtenir leur évidence médiate seulement en étant jugés au regard d’autres qui sont
immédiatement évidents. La réponse de Meinong est que des deux éléments
médiatement évidents (c’est-à-dire, l’évidence des prémisses et du jugement en
regard de celles-ci), seul l’analogue du dernier peut être requis pour les Annahmen. En fait, une Annahme peut devenir évidente en regard
d’une autre qui n’est pas elle-même évidente. Cela me semble être une position
difficile à soutenir. Mais si nous distinguons supposer et prendre en compte
(entertain), je pense que nous pouvons à juste titre soutenir que tandis que la
prise en compte n’a pas d’évidence, les suppositions peuvent avoir à la fois
une évidence médiate et une évidence immédiate. Cependant, il semble y avoir
une difficulté générale à propos de la théorie meinongienne de l’inférence. Si
sous nous souvenons que l’évidence appartient au contenu, nous voyons qu’elle
peut seulement être corrélée avec quelque qualité de l’objectif : --
supposément un degré de possibilité. Ce dernier ne peut varier. Cependant, si
nous jugeons le même objectif en regard de prémisses ayant divers degrés
d’évidence immédiate, l’évidence médiate du jugement de la conclusion changera.
Et ainsi, la corrélation entre l’évidence du jugement et le degré de
possibilité dans l’objectif disparaît.
Meinong rejette la conception disant
qu’un cas de raisonnement comme un syllogisme, qui serait une inférence si ces
prémisses étaient assertées, n’est rien d’autre qu’une proposition hypothétique
avec un antécédent complexe lorsque celles-ci sont simplement angenommen. Ce sur quoi il se fonde ici
semble être le fait que nous disions « supposons que M soit P » et
« supposons que S soit M » (des expressions indiquant des Annahmen) mais que nous ajoutions
« alors S est P ». S’il faut maintenir cette distinction, alors elle
devrait aussi être appliquée aux propositions hypothétiques ayant des
antécédents simples. La véritable proposition hypothétique devrait être
« si A était B, C serait D », et la forme non-inférentielle du
syllogisme « Si M était P et si S était M, alors S serait P ». Mais
je doute que ces distinctions verbales expriment la moindre différence logique.
Nous avons tendance à utiliser la dernière forme lorsque nous croyons que S
n’est pas P ; et bien sûr, il est vrai qu’il s’agit d’un cas où S est P
peut être seulement angenommen, et où
l’inférence est inutile tant que nous connaissons la relation de S à P hors du
syllogisme. C’est la dernière remarque qui distingue réellement les deux
formes. Dans tous les cas où les prémisses sont simplement angenommen, il n’y a pas d’inférence et la conclusion est aussi angenommen. Mais lorsque c’est exprimé sous
la forme « S est P », nous entendons par là que nous sommes prêts et
motivés à passer de l’Annahme au
jugement si nous avons la possibilité (chance)
de faire une inférence ; tandis que dans la conclusion « S serait
P », nous entendons que nous avons déjà décidé que S n’est pas P et ne
voulons ni ne croyons inférer quoi que ce soit.
Nous en venons maintenant au
traitement meinongien du jugement hypothétique lui-même. Il dit que s’il s’agit
d’un jugement ordinaire, il est étrange qu’il n’ait pas de contradictoire. Mais
ce qu’il dit être étrange ne semble pas être vrai. Le contradictoire de
« Si p alors q » est « bien que p, pourtant non-q ». La
conception propre de Meinong est que dans le jugement hypothétique, ce qui est
réellement asserté est le conséquent en tant qu’il est modifié par
l’antécédent. « Si un triangle est isocèle, les angles à sa base sont
égaux » devient « les angles à la base d’un triangle isocèle sont
égaux ». Cette substitution est une vieille connaissance, et je ne vois
pas en quoi Meinong l’a guérie de la moindre de ses faiblesses. Bien sûr, cela
s’applique juste très bien aux conditionnels entendus comme distincts de vraies
propositions hypothétiques, c’est-à-dire aux propositions de la forme φx)xψx en tant que distinctes de
p)q. Si l’on applique la substitution à “s’il pleut, je vais être mouillé”,
nous obtenons “Moi, qui suis sous la pluie, vais être mouillé” – une
proposition qui échoue à restituer le sens originel, ou bien pour
laquelle il faut, si je suis au sec, réintroduire une proposition hypothétique.
Meinong est plus préoccupé par les existentiels hypothétiques. Si vous réduisez
« si Dieu existe alors l’œuvre divine existe » à « l’œuvre du
dieu existant existe », la même difficulté que précédemment se pose dans
le cas où aucun Dieu n’existerait. La seule solution de Meinong est d’indiquer
d’autres propositions existentielles portant sur des non-existants : par
exemple « un carré rond existant existe ». Cette proposition, dit-il, est
vraie, bien que les carrés ronds n’existent pas. Une contradiction et un carré
rond semblent être une base fragile pour une théorie du jugement hypothétique.
La théorie du conséquent modifié
n’épuise cependant pas sa théorie des propositions hypothétiques. Il pense que
le conséquent modifié est asserté en regard de l’antécédent qui assure la
conviction, ou dans certains cas, l’évidence. Cela semble être difficile à
réconcilier avec une partie de ce qui a été précédemment avancé. Les
propositions hypothétiques ne sont pas toujours jugées, elles sont souvent
simplement angenommen. Par analogie,
cela doit signifier que le conséquent modifié est angenommen en regard de l’antécédent, et qu’il tire de lui quelque
évidence. Mais nous pouvons supposer la proposition « Si un triangle est
isocèle, les angles à sa base sont égaux ». Pouvons-nous possiblement
soutenir, comme nous devons le faire dans la théorie de Meinong, que la
supposition que les angles à la base d’un triangle isocèle sont inégaux gagne
en évidence lorsqu’elle est faite en regard de l’égalité des côtés ?
Il y a toutefois quelque chose à
ajouter. Si le jugement hypothétique est seulement une opération qui se termine
dans un jugement catégorique, pourquoi le désigner comme une sorte spéciale de
jugement ? Y a-t-il une expérience spécifique que la forme verbale exprime
et dont la signification est un objet ? Meinong pense que c’est le cas. Les
mêmes diverses expériences qui saisissent les objectifs et s’achèvent dans le
jugement peuvent aussi être utilisées pour saisir un objet d’ordre supérieur.
C’est le complexe des deux objectifs reliés entre eux par la « relation
« si-alors » (if-relation).
Le jugement hypothétique n’est pas lui-même la reconnaissance d’une relation
si-alors, mais la signification d’une proposition hypothétique est un complexe
relié par cette relation, et qui peut être appréhendé.
Dans le IXème chapitre, Meinong se
tourne vers la question générale de la présentation des objets. Il pense que
les Annahmen sont largement en jeu
ici. Il soutient que dans la première édition il était obsédé par un préjugé en
faveur de l’existant. Il présente donc ce qu’il disait alors avec un
avertissement indiquant ce qui relève de la Conception tournée vers l’existant,
puis ajoute ses corrections sous le titre de Conception non tournée vers l’existant.
La conception tournée vers
l’existant est que les objets médiats de jugements existentiels affirmatifs
existent. Un jugement existentiel affirmatif faux n’a pas d’objet médiat, mais
nous pouvons appeler ainsi l’objet qu’il aurait s’il était vrai. Un expédient
similaire est adopté pour les jugements existentiels négatifs vrais. Mais dans
ce cas, comment pouvons-nous strictement dire que tous les jugements ont des
objets médiats ? La première suggestion de Meinong est que les objets sont
présentés par des idées, et que les idées n’ont rien à voir avec la vérité ou
la fausseté. Pourtant, les idées sur lesquelles sont fondés des jugements
existentiels affirmatifs ou négatifs vrais auront des objets non-existants. Il
doit surmonter cette difficulté par la notion d’objectivité potentielle. Ce
doit être une disposition psychique. Mais alors une disposition, bien qu’elle
soit quelque chose, n’est pas quelque chose qui est présenté, tandis que toute
idée semble présenter un objet. Sa solution finale à propos de la conception
tournée vers l’existant est la suivante. Lorsque nous produisons un jugement
existentiel positif, nous trouvons par introspection l’expérience de la saisie
d’un objet médiat, que le jugement soit vrai ou faux. Pourquoi ne pas supposer
alors que cette expérience est toujours due à l’existence de quelque chose
comme un jugement ? Lorsque notre jugement est un affirmatif faux ou un
négatif vrai, l’expérience de la saisie d’un objet est due à l’existence d’une Annahme positive. Mieux, nous devons
supposer que nous faisons l’expérience d’une idée présentant un objet seulement
lorsqu’elle est suivie par une Annahme
que l’objet existe. S’il en va ainsi, alors cela expliquerait comment des
contradictions comme le carré rond peuvent apparemment devenir des objets
médiats, car les Annahmen sont
indifférentes aux contradictions. Et finalement, le caractère fondamental que
les Annahmen possèdent maintenant est
comparé à la positivité essentielle de l’Aussersein
suggéré.
Je ne vais pas critiquer la théorie
ci-dessus, mais vais passer directement à la Conception non tournée vers l’existant,
que Meinong soutient. La conception tournée vers l’existant soutenait que les
idées des existants saisissent effectivement des objets existants, et tentait
d’expliquer l’expérience de la saisie d’un objet dans les cas où ce qui
semblait être saisi n’existait pas vraiment. La conception présente maintient
(a) que tout jugement a un objet médiat, que cet objet existe ou non. Ceci
correspond à la réitération de la théorie communément acceptée que nous
exprimons en disant qu’il est nécessaire de « connaître ce dont on
parle ». Cependant (b) la conception présente soutient qu’aucune idée ne
saisit jamais aucun objet à elle seule, même lorsque l’objet existe. Avoir une
idée est un état passif, tandis que saisir un objet est une action : ainsi
la première n’est pas suffisant pour la seconde. Et il est clair que la sorte
d’idées appelées sensations ne saisissent très souvent pas d’objets même si
elles peuvent être utilisées pour cela. Finalement, Meinong fait usage d’un
argument fondé sur sa théorie de l’introspection. Le contenu d’un acte et son
objet sont corrélés de manière unique. Mais si la théorie meinongienne de
l’introspection est vraie, le contenu d’une idée peut être à la fois utilisé
pour saisir son supposé objet et pour saisir l’idée elle-même. Ainsi, dans au
moins un cas quelque chose doit être ajouté au contenu de l’idée lorsque l’on
retient la corrélation unique entre contenu et objet.
Cette addition, Meinong la nomme
« la visée » (Intending) (Meinen). Je vise X au moyen de l’Annahme positive que X existe ou que X
subsiste. Si un jugement existentiel est affirmatif et faux ou bien négatif et
vrai, l’objectif de cette Annahme
subsiste toujours et l’objet X est appréhendé dans cet objectif. Il semble y
avoir deux difficultés dans cette théorie. Premièrement, elle ne nous aide pas
à propos des objets non-subsistants. Supposons que l’objectif que X subsiste
soit faux, quoiqu’il puisse être vrai que l’objectif a quelque sorte d’être et
qu’il peut être angenommen, cela ne
nous rapproche pas de pouvoir viser X, car il semble ne pas y avoir de X à
viser. En fait, un objectif assertant qu’un objet non-existant subsiste doit
être faux lui-même. Si des objectifs faux ont quelque sorte d’être, alors les
objets non-subsistants le peuvent aussi et le truchement de l’objectif n’est
pas nécessaire. Si les objectifs faux n’ont pas de sorte d’être, alors
l’expédient est inutile, car comment peuvent-ils être saisis ? L’autre
difficulté est plus générale. N’est-il pas tout aussi nécessaire de saisir un
objet afin de produire une Annahme à
son propos, que ça l’est pour un jugement ? Si oui, alors la théorie
implique une régression infinie vicieuse des Annahmen positives.
Dans le chapitre VIII, Meinong se
tourne vers la différence entre les idées intuitives et celles qui ne sont pas
intuitives. A chaque fois que nous avons une idée intuitive, nous avons un
objet complexe. Mais avoir une idée non-intuitive du même objet est aussi
possible. Donc la différence doit résider dans le fait que les contenus des
idées des éléments sont reliés différemment, selon que notre idée du complexe
est intuitive ou non-intuitive. Lorsque l’idée est intuitive, Meinong désigne
comme unifiés (zusammengesetz) les
contenus des idées des éléments. Lorsqu’elle est non-intuitive, les désigne
comme juxtaposés au sein d’une unité (zusammengestellt).
Or une idée non-intuitive dont les éléments sont les idées de X et de Y peut
saisir à la fois l’objet X qui est Y ou bien l’objet X qui n’est pas Y. Mais
une idée intuitive peut seulement saisir le premier. Mieux, aucune idée à elle
seule ne peut saisir le dernier : un jugement négatif ou une Annahme négative sont requis. Donc la distinction finale est qu’une
idée intuitive d’un complexe est une idée qui peut seulement donner naissance à
une Annahme ou un jugement assertant
qu’un élément inhére dans un autre, tandis qu’une idée non-intuitive peut
donner naissance à un jugement ou une Annahme
positifs ou négatifs.
Meinong choisit de traiter
séparément, en tant qu’elle est plus compliquée, la question de la présentation
de deux termes dans une relation, par exemple le rouge différant du bleu. Qu’il
y ait la moindre différence entre cela et les cas précédents dépend de la
question de savoir si l’inhérence est une relation ordinaire. Il soutient ici
que bien que les idées du rouge et du bleu et celle de la différence soient
nécessaires pour présenter le rouge différant du bleu, elles ne sont pas
suffisantes. Il utilise un argument familier aux lecteurs des « Principes des mathématiques » à
propos de la distinction entre une relation en tant que telle et une relation reliante.
Mais il tente de manière plus approfondie de prouver la proposition disant que
si divers contenus ne peuvent, pris séparément, être adéquats pour un objet
donné, aucune combinaison de ceux-là ne peut le faire. Pour qu’un contenu soit
adéquat, il faut selon Meinong qu’il donne naissance à une affirmation à propos
de l’objet et qu’il la justifie. Malheureusement, il ne nous dit pas ce que
doit être cette affirmation, mais nous pouvons surement supposer que dans
l’exemple, c’est que le rouge et le bleu différent. Or la relation entre
contenu et objet, dit-il, est une relation idéale, et celles entre les contenus
sont des relations réelles. Une relation idéale est une relation qui peut
seulement relier des termes qui subsistent et n’existent pas, bien qu’elle
puisse aussi relier des existants. Une propriété d’une telle relation est que
si elle relie des existants, elle cesse seulement en vertu de changements dans
ses termes propres et non pas en vertu de changements dans leurs relations
réelles à d’autres existants. Par définition, la relation entre contenu et
objet est idéale lorsque l’objet subsiste seulement. (Meinong semble penser
qu’il s’ensuit la même chose lorsque l’objet est un existant, mais ceci n’est
bien sûr qu’une supposition plausible.) Ainsi, il soutient que si des contenus
seuls ne sont pas adéquats pour un objet donné, aucune altération de leurs
relations réelles ne les rendra adéquats.
Cet argument ne me semble pas
convaincant. Il établit simplement que les contenus séparés ne deviendront pas
adéquats au moyen de changements dans leurs relations réelles, mais pas qu’un
complexe de ces contenus, reliés par certaines relations réelles, ne peut être
adéquat pour un objet à propos duquel aucun d’eux, pris séparément, n’était
adéquat.
A la fin de ce chapitre, Meinong
distinguer deux espèces de la visée. On peut viser un objet, non pas simplement
en supposant ou en admettant que l’objectif existe ou subsiste, mais en faisant
la même chose avec un objectif qui affirme des qualités de cet objet. Il
appelle la première Seinsmeinen et la
seconde Soseinsmeinen. Nous pourrions
les appeler respectivement la visée directe et la visée indirecte. Pour autant
que je puisse voir, la visée indirecte correspond de très près à ce que M.
Russell appelle la connaissance par description. Mais quel est exactement
l’objectif angenommen lorsque nous
visons indirectement un objet ? Il est clair que ce doit être une
proposition. A la page 273 Meinong appelle « la montagne est d’or »
l’objectif par la supposition duquel nous visons indirectement « la
montagne d’or ». Par analogie, je considère que l’objectif angenommen, en visant indirectement
« le découvreur du Radium », devrait être « il découvrit le
Radium ». Mais les expressions « il » et « la
montagne » sont, de manière obvie, incomplètes. Nous demandons
immédiatement : Qui ? et : Quelle montagne ? Et ce sont
précisément les questions qui ne devraient pas apparaître si, en supposant ces
objectifs, nous avions indirectement visés les objets. Certainement, ce qui
doit être angenommen n’est pas « X
est d’or et une montagne » ou bien « X découvrit le Radium »,
mais « Il y a un X tel que X découvrit le Radium » et « Il y a
un X tel que X est d’or et une montagne ». Mais alors, nous sommes revenus
au Seinsmeinen.
Je dirai très peu de choses du IXème
chapitre, car il est d’un moindre intérêt général que les autres – il consiste
en grande partie dans une polémique contre les conceptions du désir et de la
valeur de Von Ehrenfels. Il est seulement nécessaire de noter que Meinong soutient
qu’il y a des états psychiques qui se trouvent dans la même situation
intermédiaire, entre idées et désirs ou idées et sentiments, que les Annahmen entre les idées et les
jugements. Il soutient encore qu’il y a une loi générale de causalité des désirs,
qui se présente comme il suit. Dans le désir, nous présentons un objet, nous
supposons donc l’objectif où il existe. Cette Annhame cause un quasi-sentiment, et si ce dernier est plaisant,
alors il cause le désir de l’existence de l’objet.
Le dernier chapitre consiste dans un
résumé des résultats de l’ouvrage. Le livre, pris dans son ensemble, peut être
décrit avec certitude comme un modèle de recherche profonde et sagace au cœur
des questions les plus difficiles et les plus fondamentales de la philosophie.
(Traduction Bruno Langlet)