Réisme :
Brentano, Kotarbinski, et son soubassement « formel » dans l’ontologie de Lesniewski.
(2023)
Guillaume Bucchioni & Jean-Maurice Monnoyer
I/ Le réisme de Brentano
1/ le réisme ontologique
1/1 Il n’existe que des choses individuelles concrètes
1/2 La substance enrichie
2/ le réisme sémantique : la paraphrase (méthode de la prédication concrète)
3/ L’argument brentanien en faveur du réisme
II/ Le réisme de Kotarbinski
1/ Le réisme ontologique
2/ Les phases temporelles
III/ L’ontologie de Lesniewski
1/ Ontologie et sémantique : l’axiome et les foncteurs
2/ Dénomination et « dénominalisation » (conclusion).
I/ Le réisme de Brentano
Nous donnons ci-dessous un exposé exotérique, qui reste une mise au point assez incomplète et n’est pas une prise de position dogmatique, n’offrant qu’un éclairage en regard sur une théorie qui a été âprement dénoncée ou fustigée (castigated), sans que l’on comprenne toujours en quoi elle est le complément logique et philosophique d’une théorie des objets (qu’ils soient généraux, quelconques, corrélatifs, ordinaires, intentionnels ou virtuels). On peut aussi considérer qu’elle apporte un démenti aux versions « nihilistes » qui sont encore présentes dans de nombreux débats.
1/ Le réisme ontologique
1/1 Thèse : Il n’existe que des choses individuelles concrètes
Le Réisme de Brentano (1838-1917), qui est considéré comme la thèse la plus invraisemblable qui soit par beaucoup, peut être défini de façon abrupte comme celle disant qu’il n'y a que des choses individuelles concrètes. Pour désigner ces « choses » Brentano utilise les termes d'entité réelle (la famille des entia realia), ou de concretum. C'est d’ailleurs à partir de ce dernier terme que Kotarbinski (1866-1981) nommera son réisme modifié : concrétisme. Tout ce qui n'est pas une chose individuelle concrète est considéré par Brentano comme faisant partie des irrealia : il les désigne ainsi telles des entités de raison (entia rationis) ou des abstracta. Ces entités irréelles sont en principe exclues de l'ontologie réiste. Il faut néanmoins faire une observation liminaire : le réisme pour Brentano n’est pas un chosisme (thingism) et le concrétisme ou pan-somatisme de l’Ecole polonaise n’est pas non plus une forme de réductionnisme outrancier, mais un matérialisme praxéologique, écartant les expressions « onomatoïdes » les plus répandues qui ne sont que des pseudo-noms (la nature, la femme, la guerre, la pauvreté, la science).
Parmi les choses individuelles concrètes se rangent, selon Brentano, justement les esprits, les corps, les parties des corps, les pluralités de corps, les substances et les accidents. Parmi les entités irréelles se rangent les événements, les états de choses, les propositions, les ficta, les objets intentionnels, les relations, etc. On doit toutefois, pour fixer ce dont nous parlons, se référer à la Kategorienlehre de Brentano (son grand inédit posthume, 1933) :
« Considérons d'abord ce qui est dans le sens strict. Nous aurons toutes les choses individuelles, toutes les multiplicités de choses, toutes les parties d'une chose. Toute multiplicité de chose est une chose et toute partie d'une chose individuelle est une chose. Si nous concevons quelque chose en termes individuels alors nous concevons une chose. Et si nous concevons quelque chose par un terme général alors nous concevons aussi une chose. Parmi les choses au sens strict il y a alors toute substance, toute multiplicité de substances, toute partie d'une substance, et aussi tout accident. » (Brentano, 1933/1981, p. 19.)
Si « chose » est une entité, elle est individuée ; et les multiplicités sont également des entités individuées.
L'ontologie de Brentano contiendrait donc uniquement – à partir de 1905 –, des choses concrètes individuelles. Parmi ces choses sont des êtres pensants, des corps physiques, des parties de corps physiques, des multiplicités de corps physiques, des substances, des parties de substances, des multiplicités de substances et des accidents, ces derniers n’étant plus des relativa. La signification de ce qui est réel (Reales) est par conséquent fondamentale dans cette théorie. Brentano entend mettre à part, dans un même geste, toutes les autres entités à savoir tout ce qui n'est pas une chose individuelle concrète. Il est donc possible de définir toutes ces entités négativement. Les irréels, pour faire court, sont les entités : i) qui ne sont pas des choses, ii) qui ne sont pas concrètes, iii) qui ne sont pas individuelles. Autrement dit encore : i) parmi les entités qui ne sont pas des choses nous trouvons les processus, les événements et les états de choses ; ii) parmi les entités non-individuelles nous trouvons les propriétés universelles et les objets généraux (les objets géométriques comme le triangle, le cercle, la parabole, etc.) Enfin, iii) parmi les entités qui ne sont pas concrètes nous trouvons les ensembles ou les classes, les nombres, les pensées, les propriétés, les relations, etc. La radicalité de cette proposition qui a beaucoup irrité Anton Marty et les tenants d’un idéalisme linguistique, n’est pas une proscription triviale, mais une décision ontologique s’opposant à l’admission conceptuelle et représentative d’entités qui n’en sont pas ou qui ne sont que dérivatives, ce qui a pu laisser penser que Brentano aurait inauguré les formes modernes du nominalisme, bien que le point soit discuté (I. Wolenski, U. Kriegel), il reste que la leçon de Brentano constitue une sorte de rupture avec bien des formes de pensée qui se sont imposées au XXe siècle, comme le sémanticisme et le conceptualisme.
Un problème semble cependant se poser d’emblée : que sont les accidents auxquels il a dévolu un rôle spécifique ? En effet, Brentano accepte dans son ontologie, conjointement, les substances et les accidents. Ces deux types d’entités conjointes sont bien, pour lui, des choses individuelles concrètes. Or, les accidents sont généralement considérés comme des entités abstraites ou des êtres de raison depuis le haut Moyen-Âge. Comment peut-on repenser à nouveaux frais le lien entre une substance et son accident ? La réponse à cette question nous est fournie par la conception brentanienne de la substance.
1/2 La substance enrichie
Il est prudent à une époque où depuis longtemps on a dit « adieu » à la substance de donner une définition générique de la substance, puis d’examiner la version aristotélicienne et très classique du lien entre substance et accident, afin de cerner au plus près la conception brentanienne de ce lien.
Définition générale de la substance
Aristote et Brentano acceptent tous deux une vision de la substance qui peut être définie par trois caractéristiques :
x est une substance = df. i) x est un porteur d'accident ; ii) x est un individuateur d'accident, iii) x est ontologiquement indépendant.
i) La substance joue d'abord le rôle de porteur d'accident. L’accident est défini par Aristote comme « ce qui est dit d’un sujet ». On dira, par exemple, que Socrate est assis, chaussé ou plus petit que Simmias. Dans chaque cas, l’accident est attribué à (ou dit de) Socrate, autrement dit la substance est identifiée au sujet de la prédication.
ii) La substance est ensuite un individuateur d’accidents. La substance permet d’individualiser deux accidents qualitativement identiques. Prenons l’exemple standard de deux roses d’un même rouge. Ce qui permet de distinguer le rouge de cette rose-ci du rouge de celle-là est le fait que chaque couleur est la couleur d’une substance différente. Ainsi, la couleur universelle rouge, c’est-à-dire la qualité seconde d’Aristote est-elle particularisée ou individuée par une substance première, la rose particulière dans notre cas.
iii) Enfin la substance est ontologiquement indépendante. Dire qu’une chose est ontologiquement indépendante, c’est dire qu’elle n’a besoin de rien de supplétif pour exister, ni rien qui la complète. Si l’accident ne peut exister indépendamment de sa substance – le rouge de la rose ne peut exister sans la rose, l’être assis de Socrate ne peut exister sans Socrate, etc. –, la substance peut exister sans dépendre de quelque chose : Socrate peut exister sans être assis. La substance est donc la seule entité ontologiquement indépendante et les neuf autres types d’entités dépendent d’elle.
Pour comprendre la conception brentanienne de la substance nous devons préciser en quelques mots ce qu'Aristote dit de la relation entre substance et accident.
La Conception Aristotélicienne de la Substance
Cette conception peut être vue de façon (très sommaire) comme la conjonction de trois thèses :
TA1 : la substance et l'accident sont des êtres de « sortes » différentes
TA2 : la relation entre la substance et l'accident est une relation d'inhérence
TA3 : l'accident est unilatéralement inséparable de la substance
TA1. Pour Aristote une substance et un accident ne sont pas des entités de même sorte. Aristote conçoit en effet les substances comme des « êtres dans le sens premier (ou pré-éminent) » et affirme que les accidents existent « seulement dans un sens analogue (ou analogique) ». Les accidents ont en quelque sorte une existence dérivée par rapport à la substance dont ils sont les accidents. Aristote fait donc une distinction dans l'être entre la substance qui est une chose au sens premier du terme (un ens subsistant) et l'accident : entité inférieure ou dérivée qui existe « dans » et « par » la substance. Le caractère dérivé ou inférieur de l’accident aristotélicien doit bien s’entendre au sens d’une existence affaiblie, d’un moindre degré d’être.
TA2. Ces deux sortes d'entités sont liées par une relation d'inhérence. Nous dirons alors que les accidents sont dans la substance. Cependant cette relation métaphorique d'inhérence (« être dans ») n'est pas une relation tout/partie mais une relation d'inséparabilité unilatérale. En effet Aristote affirme que l’accident est « ce qui, ne se trouvant pas dans un sujet comme sa partie, ne peut être séparé de ce en quoi il est » (Aristote, Cat., 1a 20- 1b 10).
TA3. Cette relation d'inséparabilité peut être comprise, au sens moderne en tant qu’une relation de dépendance ontologique. Cela signifie que les accidents peuvent exister seulement grâce aux substances alors que les substances peuvent exister sans l'existence des accidents qui lui sont liés.
La Conception Brentanienne de la Substance[1]
Comparée à la première celle-ci peut être vue comme la conjonction des trois thèses suivantes.
TB1 : La substance et l'accident sont des entités de même sorte.
TB2 : La relation entre la substance et l'accident est une relation dite de partie à /tout, se substituant à la seule relation d’inhérence.
TB3 : l'accident est unilatéralement inséparable de la substance.
TB1. Brentano ne peut accepter TA1 car son réisme ne lui permet pas de distinguer entre des sortes d'être : tout ce qui existe est une chose individuelle concrète. La substance et l'accident sont donc des choses dans le même sens, c'est-à-dire des choses individuelles concrètes :
« Pour notre part, nous dirons qu'un accident et une substance sont des choses dans le même sens. Nous pouvons défendre notre position contre Aristote car nous avons montré qu'un tout qui contient une chose comme partie, et même un tout composé par plusieurs choses, est lui-même une chose, une entité. Cependant nous ne disons pas que la substance et l'accident ensemble sont une pluralité de choses. La substance est une chose et la substance enrichie par un accident est aussi une chose ; mais la substance enrichie par l'accident n'est pas une chose qui est totalement différente de la substance ; donc nous n'avons pas cette sorte d'addition qui produit une pluralité. » (Brentano, 1933/1981, p. 48.)[2]
En accord avec son réisme, Brentano affirme qu'une substance et un accident sont des choses prises dans le même sens restreint (mais non trivial), à savoir en tant que choses individuelles concrètes. L'erreur d'Aristote proviendrait du fait que pour ce dernier un agrégat de choses n'est pas une chose actuelle et que les parties des corps sont des choses supposées n’exister que potentiellement. Nous avons vu que Brentano affirme au contraire qu'une chose, une pluralité de choses, et une partie d'une chose sont toutes des choses dans le même sens. Puisque la substance et l'accident sont des choses de même sorte les accidents ne peuvent plus être des entités « inférieures » existants dans la substance.
TB2. Brentano va alors proposer une théorie dans laquelle il conçoit l'accident, non plus comme une entité parasite existant « dans un sens analogue », qui se tiendrait à côté de la substance, mais plutôt comme la substance elle-même augmentée d'une certaine façon. L'accident est une extension qualitative de la substance. La notion de substance enrichie dénote une chose individuelle concrète qui est une substance qualitativement étendue et non plus subsistante ou sous-jacente. Brentano (échappant par avance aux outils contemporains de la quantification et de l’extension qu’il ne connaissait pas) va aussi définir de façon nouvelle, et donc contre toute hétérogénéité qualitative, les relations qu’entretiennent la substance et son accident. Il affirme de manière originale que la substance est une partie propre de l'accident (id. p.67). Il substitue donc à la relation d'inhérence celle de partie propre. Ce n'est pas l'accident qui est « dans » la substance mais la substance qui est dans l'accident. De plus, remarque importante, l'accident ne possède pas d'autre partie « propre » que la substance elle-même. En d'autres termes il ne possède qu'une seule partie propre : sa substance. Ce qu'il faut admettre ici, pour éviter les contre-sens, est que la relation de partie qui lie la substance à son accident n'est pas la relation syntaxique de « partie » telle qu'elle est définie par la méréologie extensionnelle classique[3]. Ainsi s’explique ce que signifie la distinction faite par Brentano entre la substance enrichie et une pluralité de choses. Cette différence est démontrable par le fait que dans le cas d'une pluralité de choses (Mehrheit) le principe de supplémentation faible, défini par P. Simons (Parts, 1987), est valide alors qu'il ne l'est pas pour la substance enrichie, dans l’acception de Brentano.
Ce principe est le suivant :
Principe de Supplémentation faible (WSP) : (∀xy) [(x << y) ⊃(∃z) [(z << y) ∧ (z Ɩ x)]]
Les signes << pour « partie propre » et î pour la « disjointure » signifient que tout objet qui possède une partie propre en possède une autre disjointe de la première. Ce principe correspond à la conception traditionnelle de ce que veut dire : partie propre. Si vous supprimez une partie propre d'un objet, il y a un reste qui correspond à la différence entre cet objet et la partie supprimée. Le rejet de ce principe (à supposer que nous étendions les distinctions méréologiques d’aujourd’hui à ce que défend Brentano) permet de caractériser la substance enrichie et la nature de cet enrichissement (Bereicherung). En effet, pour Brentano il n'y a pas d'entité qui serait la différence restante entre la substance et l'accident. Si vous supprimez la substance de l'accident vous supprimez en même temps l'accident.
Prenons deux exemples qui nous permettront de comprendre plus clairement cette relation. Reprenons le cas de la couleur rouge et du concept de couleur ou d’être coloré. Le concept de couleur est une partie propre de la couleur rouge. Et de même, pour le dire en termes réistes, la chose colorée est elle-même une partie propre de la chose rouge. Cependant, nous ne pouvons pas trouver une autre chose que nous pourrions ajouter à la chose colorée pour former la chose rouge. La chose rouge est une substance qualitativement étendue qui possède comme unique partie propre la chose colorée.
Il en va de même entre l'âme pensante et l'âme. L'âme est une partie propre de l'âme pensante et il n'y a rien que nous puissions ajouter à l'âme pour constituer l'âme pensante ou la chose pensante (res cogitans). L'âme pensante est une substance qualitativement enrichie qui possède comme unique partie propre l'âme.
« Parmi les choses qui ont des parties, il y a certains touts qui ne sont pas composés d’une multiplicité de parties. Un tel tout semblerait être une chose qui est telle que l’une de ses parties ait été enrichie, mais non pas de telle manière que le tout ait acquis une seconde partie. Un exemple d’une telle entité est une âme pensante. Lorsqu’elle cesse de penser elle reste la même âme. Mais lorsqu’elle recommence à penser aucune seconde chose n’a été ajoutée à cette entité qu’est l’âme. Ainsi, ce que nous avons ici n’est pas la même chose que ce que nous avons lorsqu’une pierre est disposée à côté d’une autre ou encore lorsque nous doublons la taille d’un corps. Dans ce dernier cas, le corps augmenté (élargi) est composé de deux choses, l’une desquelles est la partie ajoutée et qui ne contient pas l’autre. Par opposition, l’âme pensante contient l’âme de façon essentielle, tout comme la différence spécifique rouge contient le concept couleur conceptuellement. Ce fait est facilement mal compris. Ainsi a-t-on été amené à dire que la chose activement pensante est ajoutée à cette chose qu’est l’âme. » (Brentano, 1933/1981, p. 53.)
Cette conception diffère bien radicalement de celle d'Aristote. Une autre différence importante avec la théorie aristotélicienne est que Brentano admet l’existence tout à fait hétérodoxe d’accidents d’accident :
« Le concept de substance n’est pas épuisé par le fait d’être le sujet de quelque chose d’autre, puisque, comme nous l’avons déjà dit, il y a également des accidents qui sont sujet d’autre accidents. » (Brentano, 1988, p. 151.)
Ainsi un accident d’accident a pour unique partie propre sa substance. La rose rouge pâle est un tout, lequel est autrement désigné accident par Brentano, qui a pour unique partie propre cette rose. Et, le pâle ou la pâleur du rouge est un accident du rouge lui-même, comme le serait un rouge vif ou un rouge orangé.
TB3. Cependant il y a un point crucial dans ce renversement d’Aristote qui est que la substance est unilatéralement séparable de ses accidents dans le sens où elle peut lui survivre, même si elle cesse d'être qualitativement étendue d'une certaine manière, alors que l'accident cesse d'exister si sa substance (son unique partie propre) est détruite. Par ce renversement, la relation d'inséparabilité unilatérale de l'accident par rapport à sa substance implique une sorte d'essentialisme méréologique. Ce qui est unilatéralement « dépendant » est aussi ce qui est inséparable in rebus. L’accident est ontologiquement dépendant de sa substance et, du fait qu’elle est son unique partie propre, il est ontologiquement dépendant de ses (sa) partie(s). Il ne peut donc changer de partie sans cesser d’exister. Il en va de même pour les accidents d’accident et pour les frontières au sein du continu.
2/ Le réisme sémantique
Pour expliquer le lien entre les entités irréelles et le langage, qu’il s’agisse de déterminables ou de concepts, Brentano distingue deux sens du terme être : être au sens strict et être au sens étendu (augmenté). L'être au sens strict dénote uniquement les choses individuelles concrètes, que Brentano nomme aussi des concreta, alors que l'être au sens élargi dénote les entités irréelles, qu'il nomme aussi (on l’a vu) des abstracta. Mais les abstracta sont en fait formés par le langage à partir des concreta :
« Les ressources du langage nous permettent de former un abstractum pour chaque concretum. Pour le concretum ce qui est, il y a l’abstractum être ; pour le corps, la corporéité ; pour l’esprit, la spiritualité ; pour l’amant, il y a l’amour ; pour le connaissant, la connaissance ; pour ce qui est formé, il y a la forme ; et ainsi de suite. (...)
Si les abstracta étaient effectivement des parties des concreta, il n’y aurait aucune objection à les admettre parmi les choses qui sont au sens propre. Mais, en réalité, ils ne sont pas des parties. Une division du concretum en deux parties, dont l’une serait la forme correspondant à l’abstractum est complétement impossible. Cette division est purement fictive (…) » (Brentano, 1933/1981, p. 17.)
On sait que cette position a été explicitement défendue par Leibniz qui considérait que les concrets étaient formés par des abstraits. Or, comme le souligne à l’inverse Brentano, il est possible de former des abstracta à partir des concreta. Pour reprendre ses exemples, nous pouvons, à partir du concretum : ce qui est, former l'abstractum : être ; à partir du concretum l'esprit former l'abstractum : la spiritualité ou la pensée, et à partir du concretumce qui est formé : l'abstractum la forme.
Dit plus simplement encore, nous pouvons définir le concretum comme une chose individuelle concrète qui peut être pensée pour elle-même, alors que l'abstractum est une entité abstraite qui ne peut être pensée en elle-même, mais qui a besoin d'un concretum pour être pensée. Ce qui fait que les abstracta ne sont pas des choses réelles, c'est qu'ils ne sont pas des parties des choses individuelles concrètes mais bien plutôt des entités abstraites de ces choses. Une rose est une chose individuelle concrète. Elle possède des parties qui sont aussi des choses (par exemple un pétale) et un bouquet de roses est aussi une chose car c'est une pluralité de roses. La rose, le pétale et le bouquet sont des concreta car ils peuvent être pensés en eux-mêmes. En revanche, la rougeur de la rose n'est pas une partie de la rose, c'est un objet abstrait qui ne peut être pensée sans le concretum : la rose, dont elle est la couleur.
Les entités irréelles sont des constructions du langage. Brentano souligne qu'il est néanmoins possible d'éliminer du langage ces irréels à l'aide d'une méthode de paraphrase.
« Quiconque aura examiné consciencieusement un cas quelconque, lorsqu'il sera tenté d'être de l'avis contraire, découvrira que seules les choses sont des objets de la pensée, et, ce qui est plus déterminant : pour chaque proposition qui, à première vue, a pour sujet ou pour prédicat quelque chose de la catégorie citée plus haut, il est possible de construire une proposition équivalente, où un réel occupera la place du sujet et du prédicat. » (Brentano, 1874/1944, p. 305.)
Selon Brentano il est possible de traduire les propositions faisant intervenir des abstracta en propositions ne faisant plus intervenir que des concreta. Cette paraphrase brentanienne est appelée par R. Chisholm la théorie de la prédication concrète.[4] Cette théorie consiste à remplacer tous les prédicats de notre langage qui font référence à des abstracta par des termes faisant référence à des choses individuelles concrètes. Par exemple le prédicat « rouge » qui est un abstractum peut être remplacé par le terme « chose-rouge » qui est un concretum. De même le prédicat « pense » par le terme « chose-qui-pense » ou « penseur ». Nous ne dirons donc plus « Les roses sont rouges » mais « Les roses sont des choses-rouges ». De la même manière nous ne dirons plus « Tous les hommes sont rationnels » mais « Tous les hommes sont des êtres-rationnels ». Dire que « Les roses sont des choses-rouges » ce n'est pas attribuer la propriété rouge aux roses, comme on mettrait une étiquette, mais plutôt mettre en relation deux choses : les roses et les choses-rouges. Et de fait, pour Brentano un jugement affirmatif consiste à combiner des choses alors qu'un jugement négatif consiste à séparer des choses. La méthode de la paraphrase consiste donc à éliminer du langage les entités non acceptées par l'ontologie réiste.
3/ L’argument brentanien en faveur du réisme
Cet argument est un argument « psychologique » (toutes réserves gardées, parce que la psychologie de Brentano est de part en part métaphysique et s’appuie sur la préséance de l’acte sur la puissance : ce qui justifie sa doctrine de ce qui est in obliquo). Il a pour but principal de montrer que l'expression « quelque chose » est univoque et dénote toujours une chose réelle, c'est-à-dire une chose individuelle concrète. D’où son recours à la notion de présentation (Vorstellung)[5], par opposition au référentialisme qui est devenu la norme dans nombre de discussions :
« La preuve repose sur le fait que le concept de présentation est un concept unitaire, que le nom aussi est univoque, et pas équivoque. Dans ce concept est inclus que chaque présentation présente quelque chose, et de ce fait, que si ce « quelque chose » n’était pas univoque, alors le nom « présentation » ne le serait pas non plus. Si ceci est à présent certain, il est alors impossible que sous le quelque chose soit une fois compris un réel (chose), et une autre fois quelque chose de non-réel ; car il n’y a pas de concept possible qui soit commun aux réels et aux non-réels. Cette preuve est à mon avis absolument décisive. On trouvera néanmoins plus pratique de le vérifier par la répétition à travers l’analyse des cas où il semble que quelque chose de non-réel est ou serait un objet de la présentation. » (Brentano, 1952, p. 249)
Nous pouvons désormais tenter de reconstruire l'argument brentanien comme suit :
Prémisse 1 : l'expression « penser » est univoque
Prémisse 2 : si l'expression « penser » est univoque alors l'expression « quelque chose » est univoque
Conclusion : l'expression « quelque chose » est univoque.
Dans la prémisse 1 Brentano affirme que l'expression « penser » est univoque. Il justifie cette affirmation par le fait que l'expression « penser » suppose toujours l’existence d’un acte mental défini dirigé vers quelque chose. En clair « penser » signifie toujours penser quelque chose de quelque chose. Pour le dire en termes sophistiqués, il y a une aséité (un être-à-soi) de la pensée en acte que fonde l’intentionnalité, et non l’inverse, puisque la conscience de soi serait un terme trompeusement relationnel qui n’a pas d’inscription logique.
Dans la prémisse 2, Brentano affirme que puisque l'expression « penser » est univoque alors l'expression « quelque chose » l'est aussi. Cela signifie que l'expression « quelque chose » renvoie toujours à une chose réelle et ne dénote jamais une chose non-réelle. Il le justifie en soutenant que si ce quelque chose pouvait être tantôt un réel et tantôt un non-réel alors la notion de pensée ne serait pas une notion unitaire (einheitlich) mais une notion renvoyant à quelque chose de morcelé qui serait sémantiquement homonymique. En outre, il n’y a pas de concept commun aux réels et non-réels, ce qui écarte de fait la possibilité de l’alternative.
Par conséquent, l'expression « quelque chose » est univoque et appelle le renvoi à une chose réelle, non à une signification séparée (Bedeutung) supposée admise comme son référent.
Brentano propose une seconde version de son argument qui est toujours fondé sur l'univocité de l'expression « quelque chose » :
« Aussi différents que puissent être les objets de nos pensées, ils doivent tous tomber sous le même concept général, en l’occurrence sous celui de quelque chose, c’est-à-dire d’un réel. S’il n’en allait pas ainsi, le nom de penseur (= celui qui pense à quelque chose) serait équivoque. » (Brentano, 1933/1981, p. 18)
L'argument en faveur du Réisme paraît dès lors tout à fait fruste, quoique rigoureux et non terminologique : lorsque nous pensons, nous pensons toujours à quelque chose et ce quelque chose est toujours une chose réelle, actuellement pensée. On peut discuter sur le fait de savoir si Brentano amène là ce qu'il nomme être une « preuve » de son Réisme. Cette affirmation est encore plus nette dans le passage suivant extrait de la Classification des phénomènes psychiques de 1911 :
« Tout ce qui a une relation psychique à quelque chose, se rapporte aux choses. (…) Jamais autre chose que des choses, qui correspondent généralement à l'idée commune de ce qui est réel, ne peuvent constituer l'objet de relations psychiques. Rien de ce qui suit ne peut, dans aucun cas et pareillement à un réel, être quelque chose avec lequel nous pourrions avoir une relation psychique comme à un « objet » : ni le présent, le passé, l'avenir... ni la nécessité, la possibilité ou l'impossibilité... ni le bien ou le mal... ni « la forme », dont parle Aristote et auxquels correspondent d'habitude dans le langage des abstractions, comme la rougeur, l'apparence, la nature de l'homme, etc. » (Brentano, 1874/1944, pp. 302-305.)
Si toute relation psychique a pour objet une chose et si par « chose » nous devons comprendre une chose réelle, nos diverses relations psychiques, ou « attitudes », ne peuvent jamais avoir pour objet des entités telles que le temps, la possibilité, le bien, le juste, la forme, la rougeur, l'être ou encore l'essence. En fait parmi les dix catégories aristotéliciennes, seules les substances (c'est-à-dire les choses individuelles concrètes comme un homme particulier ou un chat particulier) peuvent faire l'objet d'une relation psychique in actu et donc être considérées comme des choses réelles. Les autres catégories, à savoir la qualité (comme blanc), la quantité (comme mesurant-2-mètres), le lieu (dans l'Université), la relation (plus grand), le temps (maintenant), la position (assis), la possession (chaussé), l'action (marche) et la passion (coupé) ne sont jamais des objets d'une relation psychique et par conséquent ne sont pas des choses authentiquement réelles.
II/ Le réisme de Kotarbinski
Il est notable qu’un logicien polonais, élevé dans l’école de K. Twardowski, ait effectué une reprise et (presque) un renversement du réisme de Brentano. Aussi est-il utile de coordonner son examen sur les objectifs isolés dans la partie I, supra. La position de Kotarbinski peut être définie comme un matérialisme praxéologique impliquant la coopération des agents en tant que locuteurs, mais elle ne consiste pas en une apologie de la réification, comme on le verra si dessous.
1/ Le réisme ontologique
Là encore, il apparaît profitable d’essayer de résumer cette construction de Kotarbinski sous l’aspect de la spéculation ontologique qui la sous-tend en trois thèses :
Thèse 1 : Tout objet est une chose. Thèse 2 : Aucun objet n'est un état de choses, une relation ou une propriété. Thèse 3 : Une chose est un corps matériel, résistant et étendu.
Kotarbinski définit ainsi une chose en opposition avec les notions d'état de choses, de relation et de propriété. Il ajoute aussi, et c'est le sens de la Thèse 3, qu'une chose est un corps matériel. — En quoi le réisme de Kotarbinski n’est-il pas alors une réification grossière ? On répondra d’abord que l’une des différences fondamentales d’avec le réisme de Brentano est qui n’accepte pas l’existence de choses non-matérielles : les esprits ou les êtres pensants. Comment a-t-il abouti à cette conclusion ? Selon Kotarbinski lui-même (voir ses Elements of the Theory of Knowledge, Formal Logic and Methodology of the Sciences, 1929/1958), l’élaboration de sa théorie réiste se serait déroulée en 7 moments ou 7 étapes, marquant à chaque fois des décisions et des revers à l’époque où la logique linguistique de l’école polonaise était florissante.
1ère étape : Justifier du rejet des universaux, des propriétés et des objets généraux. C'est ce que Kotarbinski nomme le concrétisme. Selon le concrétisme,toutes les entités sont des individus, mais ces individus ne sont pas encore des choses. Le concrétisme s'oppose d’abord à la théorie des objets généraux de Twardowski (qu’a combattue aussi Lesniewski) : un objet général est le résultat de l'unification dans un tout de caractéristiques communes à plusieurs objets tombant sous un concept donné (par exemple les objets de la géométrie).
2ème étape : Justifier du rejet des événements, des processus, des états de choses, et de tous les soi-disant individus tombant en dehors de la catégorie de chose.
3ème étape : L’accompagner du rejet des ensembles et des classes. Ce rejet provient de l’adoption de la théorie des touts concrets (la méréologie) de Lesniewski.
4ème étape : Coordonner celui-ci avec le rejet des images mentales et autres « contenus immanents ».
5ème étape : La découverte plus tardive et décisive de l’évolution vers le réisme du dernier Brentano.
6ème étape : L’apport des amendements à sa doctrine réiste suite aux critiques d'Ajdukiewicz. Cette critique concerne la thèse négative du réisme : « Les propriétés n'existent pas. », « Les événements n'existent pas. » etc. Car les termes « propriétés » et « événements » sont pour lui des termes vides !
7ème étape : Donner une définition non-tautologique des notions de « chose », « objet », corps ». Cette clarification vient encore d’une critique d'Ajdukiewicz. Selon Ajdukiewicz, si le terme « existe » possède un sens dans le seul cas où il est utilisé avec un nom de chose alors la proposition « Seules des choses existent » est une tautologie. Elle est équivalente à « Seules des choses sont des choses (et de ce fait ne diraient rien) »
Laissons pour le moment de côté les étapes 6 et 7 qui concernent la sémantique et concentrons-nous sur la thèse ontologique du réisme.
Selon Kotarbinski la réalité est exclusivement composée de choses et les choses sont des corps (pansomatisme). Kotarbinski propose plusieurs caractérisations des corps dans un sens réaliste. Tout d’abord un corps est ce qui est un occupant dans l’espace et dans le temps. Il affirme ensuite qu’un corps est encombrant (en un sens exclusif) et durable. Puis qu’il est étendu et inerte. Enfin qu’il offre une résistance. Donc qu’il n’est pas seulement un « continuant » stable au regard des agents. Kotarbinski ajoute ici qu'un corps est ce qui existe (sur un mode apparemment inerte), mais néanmoins de façon indépendante, soit sans connexion réellement identifiable. Telles les planètes, les pierres, etc. mais aussi les objets de la physique comme les électrons, les protons et les champs magnétiques.
Cette notion du corps reste pourtant bien plus vague que la conception sachlich : celle d’un Etwas-an-sich, qui était celle de Brentano. Si nous faisons un retour sur l’héritage aristotélicien (les substances sont numériquement « une », ne sont pas des prédicables, sont prioritaires dans tous les sens du terme, en connaissance et dans le temps, peuvent admettre des accidents contradictoires, rentrer dans des relations causales, possèdent toutefois une complétude naturelle, se distinguent des parties de choses et des tas de choses, etc.), on constate que la thèse centrale de Brentano sur l’individuation n’est pas admise, et se voit interprétée et remplacée par celle d’ « indépendance », traduite ici comme auto-suffisance. Or dans ce cas, les corps-choses ont possiblement des parties, et secondement ne deviennent actuels qui si nous les pensons isolés de leur tout : ce qui veut dire qu’ils sont indépendants en pensée. Si on admet cela, il s’ensuivrait que les corps-choses sont bien substantifs et « endurent » en quelque façon, mais n’ont pas de « parties temporelles ».
S’écartant de Brentano et d’Aristote, Kotarbinski redéfinit alors ce que sont, selon lui, les corps-choses : 1/ Ce sont les seules entités qui peuvent être examinées par la science : chaque objet est « connaissable en principe ». 2/ Ces entités sont essentiellement perceptibles et sont caractérisées par le fait qu’elles influencent les autres objets perceptibles. 3/ Elles sont enfin dans des lieux définis (c'est à dire qu'elles se trouvent à une distance spatiale spécifiée de certains objets perceptibles différents) et le sont dans un temps spécifique (c'est à dire qu'elles se trouvent à une distance temporelle de certains objets perceptibles).
2/ Ce que sont les corps-choses et leurs phases temporelles
Il est patent qu’en accord plus ou moins tacite avec Lesniewski (1886-1939) — le grand logicien russe qui fit son habilitation à Varsovie, et dont Kotarbinski est resté très proche jusqu’au bout —, Kotarbinski rejette la thèse selon laquelle les choses doivent être dans tous les cas unitaires. Les choses peuvent donc être des masses, des quantités de choses ou des parties non-détachées de choses. Cette affirmation provient explicitement du système méréologique de Lesniewski (rejetant toute théorie platonicienne des ensembles) dans lequel, si a et b sont des objets, alors il existe une « somme » méréologique de a et b, même si a et b ne sont pas connectés. Une seconde différence d’avec Aristote concerne la persistance des choses dans le temps. Pour Aristote une chose est une entité tridimensionnelle alors que Kotarbinski, dans son article de 1935 « The Fundamental Ideas of Pansomatism », accepte une ontologie des phases.
« [Tout objet] est quelque chose de corporel ou quelque chose de sentant (ou un tout composé de ces composants). Un exemple de quelque chose de corporel est : une montre de la marque Omega n° 3945614 du 1er janvier 1934 au 31 décembre 1934 inclus (ou l'une de ses pièces – par exemple, l'aiguille des minutes du 5 mars 1934 au 7 avril 1934 inclus). Et un exemple de quelque chose de sensible : moi, de 20 heures à 13 heures les 19 et 20 mars 1935 (ou toute partie temporelle de cet objet, par exemple moi, de 9 heures à 10 heures inclus le même jour). » (1935, p. 488).
Il est à noter dans ce même décours théorique et évolutif que Leśniewski introduira ultérieurement dans son œuvre la notion de phase ou de « segment temporel » à la suite de sa lecture de Kotarbinski. Mais pourquoi introduire des segments temporels ? Barry Smith s’inspirant de Lesniewski propose l’explication suivante :
« Supposons, écrit Lesniewski, que quelqu’un affirme :
(a) Varsovie est plus ancienne que les jardins anglais
(b) Varsovie en 1830 est plus petite que Varsovie en 1930
(c) Varsovie en 1930 est Varsovie
(d) Varsovie en 1830 est Varsovie
Alors, pris ensemble avec l’axiome de l’ontologie, nous pourrions dériver de ces phrases l’affirmation suivante : (e) Varsovie en 1930 est plus petite que Varsovie en 1930, ce qui est absurde. Dans sa réponse à cette objection, Leśniewski insiste, tout d'abord, sur l'utilisation, en tant que constante [nominative et, comme le proposera Luschei, non « propositive » ] de : « Varsovie ». Soit, dit-il, elle devrait être utilisée pour désigner « un seul objet ayant une durée définie, durée que nous ne connaissons pas à l'heure actuelle », auquel cas elle a le sens de « Varsovie du début à la fin de son existence ». Soit elle doit être utilisée de telle manière qu'elle se réfère à de nombreux objets différents, afin qu'il soit possible d'affirmer de « Varsovie du début à la fin de son existence », ainsi que de « Varsovie en 1930 » et de « Varsovie en 1830 qu'ils sont tous Varsovie. En outre, « il serait possible de dire avec une totale généralité que si un objet est Varsovie, et si un autre objet est un segment temporel du premier objet, alors le deuxième objet est aussi Varsovie. » D’après le premier sens, dans lequel le mot « Varsovie » est un nom singulier, « il n’est pas possible d’appeler par le nom de « Varsovie » un segment temporel, ou une « section » temporelle de l’unique Varsovie à laquelle il est fait référence ». Dans ce cas, nous ne pourrons affirmer ni b) ni c) ni d). D’après le second sens, en revanche, « Varsovie » est un nom pluriel, ce qui signifie que nous ne pourrons affirmer aucune phrase de la forme (a). Cependant, nous ne pouvons en déduire la conséquence (e) sur la base d’une telle phrase. Quelle que soit l'option choisie, l'implication absurde supposée peut donc être évitée. » (Barry Smith, p. 162).
En résumé, Lesniewski et Kotarbinski semblent accepter une ontologie quadridimensionnelle comprenant des parties temporelles arbitrairement séparées. Que sont ces phases temporelles ? Nous reprenons la citation de Barry Smith qui demeure percutante et non-sophistiquée :
« Les objets sont donc considérés comme ayant des parties temporelles de la même manière qu’ils ont des parties spatiales comme des bras et des jambes. Ainsi, lorsque le sens commun et Aristote préfèrent une vue selon laquelle les choses (par exemple les personnes) existent en totalité à un moment donné de leur existence, l’ontologiste des phases semble tolérer une vue selon laquelle seules les parties temporelles pertinentes des choses existeraient à un moment donné. Il peut ainsi être amené à penser que les parties temporelles doivent être dans tous les cas, instantanées, car toute partie temporelle de durée supérieure à un instant donné n’aurait pas plus de raison d'exister à cet instant que tout état temporel dont elle est une partie. L’adoption de l’ontologie des phases peut ainsi conduire à considérer les choses ordinaires comme de simples entia successiva, dont les « tranches momentanées » distinctes existeraient par instants successifs (étant donné que, selon certains philosophes, le monde entier est recréé à nouveau par Dieu à chaque instant). Une chose durable, de ce point de vue, n’est qu’une simple construction logique de différentes entités existantes, existant instantanément qui peuvent faire le travail. » (Barry Smith, id., p. 163)
III. L’ontologie de Lesniewski telle que réinterprétée par Kotarbinski [6]
Le paradoxe est que Lesniewski et Kotarbinski rejettent les événements (les occurrents), mais — en adoptant le quadridimensionalisme — ils font des objets eux-mêmes des événements matérialisés ou équivalents. La différence, chez le second, du moins, est que les touts quadridimensionnels doivent satisfaire deux conditions : i/ ils doivent être « résistants » et durables (c’est-à-dire étendus dans les 4 dimensions), ii/ il faut aussi que toutes leurs parties soient résistantes. Ces deux conditions transforment alors les touts quadridimensionnels en choses. C’est après coup que Kotarbinski accepte la théorie de la substance enrichie de Brentano. La sémantique du réisme de Kotarbinski est fondée d’abord sur la théorie des noms (l’Ontologie) de Lesniewski, dont on peut dire qu’il l’a adaptée pour la rendre compatible avec son système. Il est donc indispensable d’examiner, fût-ce très sommairement, cette théorie influente.
1 / Ontologie et sémantique : l’axiome et le rôle des foncteurs
Difficile à interpréter, cette Ontologie (1920), qui a été profondément comprise par Peter Simons (1982,1992, 2020), a aussi été décrite par Sébastien Richard et Denis Miéville (en français) : c’est un système fondé sur la Protothétique, mais l’Ontologie a été conçue et écrite en grande partie avant, sur une base méréologique. La Protothétique est une logique des propositions alors que l'Ontologie est un « calcul des noms », qui n’a que peu à voir avec le « calcul des individus » que développera N. Goodman. La Protothétique ne traite que des propositions et des foncteurs liant cette catégorie sémantique qu’est le nom.
L'Ontologie introduit pourtant aussi un nouveau foncteur, plus fondamental : « ε », distinct de la notion d’appartenance. Par ex., si A est une lettre de prédicat, on dira A ε * (B) : « A est l’unique B ». Mais du point de vue d’une analyse sémantique, les expressions correctement formées sont divisées en deux catégories fondamentales : celle des propositions (sentences), notées S, et celle des noms, notées N. Les autres expressions n'appartenant pas à ces deux catégories sont les foncteurs. Tout foncteur constitue, lui-même, lorsqu'il est associé à son ou à ses arguments, une expression qui appartient soit à la catégorie des propositions, soit à celle des noms. Par exemple le foncteur « ∧ » (la conjonction) est un foncteur formateur de propositions à deux arguments propositionnels. Nous le noterons S/SS : qui signifie qu'il prend pour arguments deux propositions, en donnant une autre proposition. Mis entre crochets croisés, nous avons bien : S <S<NN> S<NN> > pour la conjonction entre deux prédicats binaires. Car dans son Ontologie tous les arguments sont nominaux. Pour Kotarbinski, quant à lui, il y a trois types de noms :
1/ Les noms individuels qui dénotent un et un seul objet : « Aristote », « Old Trafford », « La Lune ».
2/ Les noms communs généraux qui supposent une pluralité d'objets : « homme », « chat ».
3/ Les noms vides qui ne dénotent aucun objet : « Le loup-garou », « Tarzan », « l’ensemble vide ».
Les noms généraux ne sont pas des noms de classes et ne « dénotent » pas réellement une pluralité d'objets. Les propositions existentielles singulières de l'ontologie sont bien de la forme :
a ε b
où « a » et « b » sont des expressions de la catégorie des noms, et où « ε » correspond (pour le dire très grossièrement) à la copule « est » du langage ordinaire (pas du tout au signe =). De fait, la signification de ε est fournie par l'unique axiome de l'Ontologie que nous avons déjà rencontré. Une proposition singulière appartient à la catégorie des propositions (S). Elle est obtenue à partir du foncteur : ε qui associe deux noms (N). Nous avons bien alors : S/NN pour la conjonction. Le point capital est de savoir quelles sont les propositions singulières vraies ? Il y a deux cas de figure, au principal : 1/ Lorsque a et b sont deux noms individuels et lorsqu'ils désignent le même objet. Exemple a = Descartes et b= l'auteur des Méditations métaphysiques, nous avons alors Descartes est l'auteur des Méditations métaphysiques, ou encore Augustin est l’auteur de La Cité de Dieu ; 2/ Lorsque a est un nom individuel et b un nom général et lorsque l'objet dénoté par a est un des objets dénotés par b. Exemple a = Descartes, et b = Père de l'église, nous avons bien ici, Saint Augustin est un des Pères de l'église (l’énoncé est vrai), et non Descartes évidemment (l’énoncé est faux).
Seuls ces deux cas sont effectifs. Dans le cas où a et b sont des noms généraux, la proposition singulière est fausse, du type « L'homme est mortel ». Nous pouvons cependant rendre compte de la vérité de telles propositions à l'aide d'un autre foncteur : l'inclusion forte. C’est pourquoi, toute proposition singulière est vraie uniquement si le sujet, ‘a’, dénote un objet qui est le même ou est l’un des objets dénotés ‘b’ ; inversement, toute proposition singulière dont l’objet dénoté par le sujet, ‘a’, n’est pas le même ni un des objets dénotés par le prédicat, ‘b’, est fausse ; en particulier, toute proposition ayant comme sujet un nom qui n’est pas singulier (général ou vide) est fausse. Il s’ensuit qu’une proposition singulière du type ‘a ε b’ s’interprète en langage courant comme une formulation du genre : ‘a est le b, ou l’une des choses que désigne le b’, et qui peut s’exprimer aussi comme : ‘a est un (des) b’. Sébastien Richard le comprend de la sorte :
« L’axiome fondamental de l’Ontologie a d’abord été formulé en 1920, puis successivement simplifié. Il énonce les trois conditions que doit remplir une proposition singulière du type ‘a ε b’ pour être vraie :
(Πab) [(a ε b) ≡ ( (Σc)[c ε a]
∧ (Πdc) [((d ε a) ∧ (c ε a)) ⊃ (d ε c)]
∧ (Πd) [(d ε a) ⊃ (d ε b)]) ] »
« Π » est le quantificateur universel et « Σ » est le quantificateur existentiel.
Chaque terme de la conjonction exprime une condition que doit remplir une proposition de type ‘a ε b’ pour être vraie :
a) condition d’existence :
‘(Σc) [c ε a]’, qui signifie qu’il y a au moins un objet dénoté par le nom ‘a’
b) condition d’unicité :
‘(Πdc) [((d ε a) ∧ (c ε a)) ⊃ (d ε c)]’, qui signifie qu’il y a au plus un objet dénoté par le nom ‘a’ ;
c) condition d’inclusion :
‘(Πd) [(d ε a) ⊃ (d ε b)]’, qui signifie que tout objet dénoté par le nom ‘a’ est dénoté par le nom ‘b’. » (S. Richard, p. 203)
Cet axiome explicite le rôle du foncteur ε. Les conditions 1 et 2 impliquent qu'il y a un seul objet dénoté par « a » et donc que « a » est un nom individuel. La condition 3 nous dit que la dénotation de « a » est incluse dans la dénotation de « b ». Kotarbinski considère l’ontologie de Lesniewski comme l’outil parfait pour le réisme, et le souligne de cette façon :
« Rien ne pourrait être plus avantageux pour le concrétisme que d’avoir trouvé un guide sous la forme de l’Ontologie de Lesniewski [...] Mentionnons en passant qu’à ce moment le concrétisme n’était pas encore appelé ainsi, mais était nommé réisme, nom qui allait lui être collé pour de bon. Maintenant, le réisme, ayant trouvé l’admirable invention représentée par l’Ontologie de Lesniewski, n’a pas besoin de se forger ses propres instruments dans le champ de la logique formelle, mais les a obtenus tout prêts d’une entreprise qui jouit d’une excellente réputation. » (T. Kotarbinski, 1966 (1958), « The Development Stages of Concretism», in Id., 1966 (1929), op. cit., p. 430.)
On peut, cependant, marquer une nuance ici, puisque Kotarbinski explique qu’il « n’a pas réellement besoin » d’un système logique pour les noms et les prédicats. Peter Simons fait observer :
« Le fait que le module basique des phrases dans l’Ontologie [de Lesniewski] est l’inclusion singulière de la forme « A ε b » a trompé certains commentateurs qui penseraient que Lesniewski revient sur la notion fregéenne de prédication en tant qu’application fonctionnelle et la renverse au profit d’une prédication médiévale « à-deux-noms ». En effet, excepté sur la question du temps, Lesniewski soutient que les conditions de vérité des phrases singulières fait qu’elles sont vraies si et seulement si le terme-sujet dénote un objet simple, et que le terme prédicatif dénote un, ou plusieurs objets desquels celui-ci en est un (ce qui paraît presque identique à la position d’Ockham, le nominaliste médiéval). Toutefois, que Ockham soit ou non un théoricien « à-deux-noms », Lesniewski ne l’est certainement pas. Car pour lui, la forme générale d’une phrase singulière est la même que celle de toute prédication binaire, f (ab) (…).
L’inclusion singulière n’est pas une copule syncatégorématique : c’est un cas spécial de prédication binaire » (Simons, 2020).
De fait, si l’on admet que le réisme relève d’un point de vue ontologique, il ne comprend que des choses mais, d’un point de vue sémantique, il n’admet que des termes singuliers, généraux et vides. L’idée d’un parallélisme logico-sémantique achoppe sur le constat que les termes apparents sont improprement des noms. Ce qui n’exclut pas que les termes « vides » sont des termes authentiques.
Kotarbinski distingue pour finir :
1/ Les noms individuels qui ont un sens et qui dénotent un et un unique individu comme « Napoléon Bonaparte » ;
2/ Les noms généraux qui ont un sens et qui dénotent une pluralité d’individus comme « Empereur » ;
3/ Les noms vides qui ont un sens et qui ne dénotent aucun individu comme « Superman » ;
4/ Les termes apparents ou onomatoïdes qui n’ont pas de sens car ce ne sont pas des noms de choses comme le mot « relation ».
Il reste à déterminer quelles sont les propositions singulières vraies ou fausses et celles qui n’ont pas de sens. Kotarbinski sépare : 1/ Les énoncés qui ont un sens en raison de l’interprétation littérale des expressions qui apparaissent en lui. 2/ Les énoncés qui n’ont pas de sens pour l’interprétation littérale des expressions, mais qui ont un sens pour l’interprétation métaphorique ou substitutive. 3/ Les énoncés qui n’ont pas de sens pour l’interprétation littérale des expressions et qui n’ont pas d’interprétation substitutive.
2. Dénomination et dénominalisation (Conclusion)
Il est ainsi justifié de distinguer dans la discussion du réisme entre l’aspect ontologique et l’aspect sémantique de la question. Sous le premier aspect, seules des choses existent : chose étant un « objet spatio-temporel », elle est en principe connaissable et appréhendée par la perception (pour un certain x, x est A). Le réisme affirme que tout individu est une chose, ce que le nominalisme ne dit pas. Et, en effet, si quelqu’un demande plus à propos de la définition du terme « objet » (en dehors de son acception chosale, comptable ou rigide) nous pouvons nous référer à la signification de la copule « est » dans les énoncés empiriques singuliers (tel que « ceci est vert », ou « la Terre est sphérique » ou « je suis joyeux » ), et dire seulement que, est un objet, ce à propos de quoi nous pouvons formuler un énoncé singulier sensé (du type « A est B ») la copule étant comprise dans la réalité de l’objet. Ainsi quand nous parlons de « relations », nous parlons en fait de « choses » (de leurs relata). Le réisme sémantique par contraste, et en réponse aux objections d’Adjukiewicz, porte sur des énoncés incluant des noms de propriétés et de relations. Pour tous les noms d’objets qui ne tombent pas dans la catégorie ontologique des choses, s’ils sont sensés, mais non pas dénotatifs, et donc aussi vrais seulement dans une interprétation non-littérale de ces noms, c’est que ces supposés noms de propriétés, relations etc. sont en réalité des noms apparents ou des termes. Sous ce rapport : « être un terme » signifie pouvoir être utilisé comme un prédicat (autrement dit, comme un sujet ou un prédicat) dans toute phrase « A est B ». Il n’est utilisable comme prédicat seulement lorsque – quand il est substitué à B – il rend la phrase vraie, mais aussi s’il rend la phrase sensée.
Le problème est alors que, puisqu’un onomatoïde peut aussi être substitué à B de façon sensée, le réiste doit mettre en place une restriction pour que les termes substitués à B soient de véritables noms. Mais cette restriction pose problème.
La copule « est » est utilisée dans son sens premier si est seulement si elle relie des noms et si, de plus, elle satisfait les conditions formelles de l’axiome de l’Ontologie de Lesniewski. Nous devons donc distinguer le sens littéral du sens métaphorique des énoncés. Dans le sens littéral un énoncé met en relation soit deux noms individuels, soit un nom individuel et un nom général, soit un nom individuel et un nom vide. Ce type d’énoncé peut être soit vrai, soit faux, mais il a toujours un sens. Dans le sens métaphorique, un énoncé met en relation des termes qui ne sont pas des noms de choses. Seulement il doit être possible de « traduire » ces termes apparents en des termes de noms de choses. Dans ce cas l’énoncés sera sensé, et donc vrai ou faux. Dans le cas où ces énoncés ne sont pas traductibles en énoncés qui ne font intervenir que des noms de choses alors l’énoncé n’est ni vrai ni faux, car il n’a tout simplement pas de sens.
De manière générale, il est obvie que Kotarbinski, à la différence de Brentano, a tenté de produire une réduction de la « catégoricité » de toutes les expressions portant sur des événements ou des propriétés : il a radicalisé le réisme du premier. Mais son rapport à Lesniewski modifie aussi l’acception du nominalisme et interroge ce que peuvent être des noms qui ne peuvent pas être des étiquettes. Dans ses Eléments, Kotarbinski se tient sur cette ligne de partage que nous avons présentée sans la caricaturer : (1) « … être un nom est équivalent à être substituable pour le rôle de prédicat dans toute phrase du type ‘A est B’ (avec le sens fondamental de la copule ‘est’). Une expression donnée est substituable pour le rôle de prédicat quand il est possible de la substituer de façon sensée à B ; il n’est pas nécessaire que le résultat de la substitution soit une phrase vraie. Cependant, (1a) « Dénoter un objet donné dans un langage donné est équivalent à être un nom d’objet dans ce langage [je souligne] ; en d’autres mots, lui être substituable dans ce langage comme prédicat dans une phrase vraie (énoncée à propos de cet objet) : la phrase étant du type ‘A est B’ (dans le sens fondamental de la copule ‘est’) » (1966, pp.6-7). Comme l’a remarqué Vito Sinisi, selon cette acception « l’époux de Xanthippe » n’est pas nom authentique, et semble aussi vide que « le monarque de la République suisse », puisqu’il ne dénote en aucune manière.
Il n’est pas erroné d’avancer que ce que nous pouvons en retirer aujourd’hui est une forme de « dénominalisation » prophétique eu égard à tous les assauts du référentialisme strict. P. Simons a employé le terme qui vaut sans doute à l’égard des noms techniques : « concept », « disposition » (comme Sinisi s’en fait écho), si l’on omet de signaler que le « noyau » de l’opérateur « est » reste non-défini et sémantiquement irréductible à tout engagement. Le rejet des classes est l’élément déterminant de cette théorie jugée implausible et égarante par beaucoup, alors qu’elle rappelle que l’individuation des particuliers concrets reste un problème central.
Références
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1994, Austrian Philosophy. The Legacy of Franz Brentano, Chicago,Open Court.
[1] Pour une analyse détaillée de la théorie de la substance de Brentano voir B. Smith (1987 ; 1994)
[2] : Publiée en 1933 chez F. Meiner à Leipzig, éditée par Alfred Klastil, la Kategorienlehre comprend trois parties, qui correspondent à des textes écrits entre 1908 et 1916. Dans une première partie, Brentano traite des réalités intensives ; dans la seconde sont réunis les écrits dirigés contre la conception « moderne » de la substance et Brentano propose une réforme de la théorie des relations ; dans la troisième se trouvent les écrits de 1916, qui considèrent les accidents comme des modes comparatifs constituants des unités (des eines, des entités « unes », qui sont libres de toute dénomination extrinsèque). [note jmm]
[3] Pour une description du système de méréologie extensionnelle classique voir de nouveau P. Simons (1987), A. Varzi (2009), Varzi & Cotonoir (2022).
[4] Chisholm (1982)
[5] Il est significatif que les brentaniens de stricte obédience aient préféré « présentation » à « représentation », parce que le verbe Vorstellen semble ici s’écarter de l’emploi habituel, du moins dans la vulgate savante. Dans la langue anglaise, s’est imposé referring, en remplacement de denoting pour la langue philosophique.
[6] : Il est impossible de résumer dans le cadre de cette contribution l’apport de Lesniewski depuis 1916. Il accepte « être une partie » comme un primitif, mais considère en addition les variables nominales dans les expressions comme : A est (a) b ; A est B ; tout a est un b ; quelques a sont b ; aucun a n’est un b, s’inspirant aussi de l’algèbre logique de Schröder pour induire « Si A est b, alors A est A ». Le point principal auquel il aboutit est ainsi de formuler « A est (a) b », qu’il ré-ecrit : « A ε b », l’epsilon étant emprunté à Peano et signifiant pour lui qu’une variable singulière conditionne l’identité des expressions. L’influence de Frege, Russell et Whitehead se marque dans une transformation de la théorie des types par des index catégoriques et l’epsilon ε, entendu comme foncteur se traduit par : S<NN>, modèle des phrases utilisant deux noms pour arguments. [note jmm]